Le projet pour l’enfant n’est pas un acte isolé, il est conçu comme le support de la prise en charge et doit permettre de rythmer le parcours de l’enfant. Il est donc important de s’intéresser à l’ensemble des outils prévus par la loi pour assurer une individualisation aussi poussée que possible des prises en charge. On trouve en la matière les rapports de situation élaborés par les services tout au long de la prise en charge, mais aussi de nouvelles dispositions au sein de la loi du 14 mars 2016 qui permettent de penser le projet pour l’enfant de manière différente selon que l’on s’intéresse à la situation d’un mineur, d’un jeune majeur ou encore d’un pupille de l’Etat. Enfin, le projet pour l’enfant doit également prendre en compte les éventuels changements de lieu d’accueil de l’enfant, en préparant et en anticipant ces changements, mais aussi en étant vigilant sur la cohérence et la continuité du parcours de l’enfant au sein des services.
A. LES RAPPORTS DE SITUATION ÉLABORÉS DANS LE CADRE DE LA PRISE EN CHARGE
I. Le cadre légal
Selon l’article L. 223-1-1 du code de l’action sociale et des familles, le projet pour l’enfant « est mis à jour, sur la base des rapports mentionnés à l’article L. 223-5 [rapports de situation, NDLR], afin de tenir compte de l’évolution des besoins fondamentaux de l’enfant. Après chaque mise à jour, il est transmis aux services chargés de mettre en œuvre toute intervention de protection ». Le texte prévoit ainsi une possible mise à jour du document entre deux mesures sans pour autant préciser si cette modification fait l’objet d’un avenant ou d’un nouveau projet pour l’enfant, alors élaboré dans les mêmes conditions que le projet initial.
Les rapports élaborés dans le cadre de la mesure sont essentiels car c’est sur cette base que les décisions administratives ou judiciaires futures seront prises. La loi du 14 mars 2016 précise le contenu de ces documents. Selon l’article L. 223-5 du code de l’action sociale et des familles, « le service élabore au moins une fois par an, ou tous les six mois pour les enfants âgés de moins de 2 ans, un rapport, établi après une évaluation pluridisciplinaire, sur la situation de tout enfant accueilli ou faisant l’objet d’une mesure éducative. Ce rapport porte sur la santé physique et psychique de l’enfant, son développement, sa scolarité, sa vie sociale et ses relations avec sa famille et les tiers intervenant dans sa vie. Il permet de vérifier la bonne mise en œuvre du projet pour l’enfant […] et l’adéquation de ce projet aux besoins de l’enfant ainsi que, le cas échéant, l’accomplissement des objectifs fixés par la décision de justice ». Cette disposition est essentielle puisqu’elle crée un lien étroit entre le contenu de ce rapport et le projet pour l’enfant. En effet, le rapport doit permettre de dresser un bilan des objectifs fixés au sein du projet initial. Il s’agit ainsi d’analyser l’évolution de la situation de l’enfant et de sa famille, mais aussi les actions mises en œuvre par le service de l’aide sociale à l’enfance. Dans ce cadre, une attention particulière est portée aux enfants de moins de 2 ans qui font l’objet d’un rapport tous les six mois, impliquant de manière corrélée une modification du projet pour l’enfant dans les mêmes délais. Enfin, ce rapport est un document partagé entre les acteurs ; ainsi lorsque l’enfant est pris en charge au titre de l’assistance éducative, le rapport est transmis au juge des enfants.
II. Le cadre réglementaire
[Code de l’action sociale et des familles, articles R. 223-18 à R. 223-21]
C’est le décret du 17 novembre 2016 (1) qui définit le référentiel fixant le contenu et les modalités d’élaboration du rapport de situation. Ce texte, très ambitieux, est opposable aux départements.
Le décret rappelle d’abord les objectifs du rapport de situation qui doit permettre, d’une part, d’apprécier la situation de l’enfant au regard de ses besoins fondamentaux entendus au sens large (sur les plans physique, psychique, affectif, intellectuel et social) et de s’assurer de son bon développement et de son bien-être et, d’autre part, d’actualiser le projet pour l’enfant en s’assurant que son contenu répond bien aux besoins de l’enfant et à leur évolution.
Pour parvenir à cet objectif, le décret conditionne l’élaboration du rapport de situation à une évaluation pluridisciplinaire. Sur le fond, cette évaluation se justifie parfaitement par la nécessité de prendre en compte la situation de l’enfant dans son ensemble, mais aussi d’évaluer l’efficacité et l’efficience du plan d’actions défini au sein du projet pour l’enfant, ou le cas échéant au sein du projet d’accès à l’autonomie.
Le projet pour l’enfant porte sur les trois domaines de vie suivants :
- le développement, la santé physique et psychique de l’enfant ;
- les relations de l’enfant avec sa famille et les tiers intervenant dans sa vie ;
- la scolarité et la vie sociale de l’enfant.
En pratique, cette évaluation pluridisciplinaire très complète n’est pas toujours évidente à mettre en place au sein des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, faute de temps, mais aussi d’expertises, notamment sur le champ très spécifique de la santé, ou encore sur la connaissance, par le professionnel, de l’environnement de l’enfant et des personnes ressources sur lesquelles il peut s’appuyer dans son entourage.
Enfin, le rapport de situation comporte une trame unique. Il doit ainsi présenter les éléments principaux tirés de l’évaluation pluridisciplinaire de la situation de l’enfant, le bilan des actions mises en œuvre au sein du projet pour l’enfant ou le cas échéant du projet d’accès à l’autonomie, et l’évolution de la situation vis-à-vis des objectifs fixés au sein de la décision administrative ou judiciaire. Il est important de souligner que ce rapport doit également comporter une conclusion indiquant les suites susceptibles d’être données à la mesure initiale (ajustement, arrêt de la mesure, modification des objectifs posés par la décision administrative ou judiciaire initiale, etc.). Le rapport donne par ailleurs un avis sur le statut de l’enfant et doit se poser systématiquement la question du recours à la commission sur l’examen des situations de délaissement, créée par la loi du 14 mars 2016, qui permet, lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté, de mobiliser d’autres procédures.
III. L’information de la famille
Les textes légaux et réglementaires appellent les services de l’aide sociale à l’enfance à associer la famille à l’élaboration du rapport de situation.
L’article L. 223-5 in fine du code de l’action sociale et des familles déclare que le contenu et les conclusions de ce rapport sont préalablement portés à la connaissance du père, de la mère, de toute autre personne exerçant l’autorité parentale, du tuteur et du mineur, en fonction de son âge et de sa maturité. Cette disposition est essentielle, car elle signifie que les parents doivent être informés du contenu des rapports dont ils font l’objet. Il est intéressant de souligner que la loi ne prévoit sur ce point aucune exception à l’information des titulaires de l’autorité parentale. Cette position est différente de celle retenue par le législateur en ce qui concerne par exemple le partage d’informations à caractère secret dans le champ de la protection de l’enfance. En effet, dans ce domaine, les parents sont informés de l’échange d’informations à caractère secret concernant leur situation dans la mesure où celles-ci ne sont pas contraires à l’intérêt de l’enfant ; c’est donc une exception importante à l’obligation d’information des parents, qui n’existe pas en ce qui concerne le rapport de situation.
Le décret du 17 novembre 2016 reprend cette disposition et précise que cette information des membres de la famille est préalable à la transmission du rapport de situation au juge des enfants, lorsque celui-ci est saisi (CASF, art. R. 223-21).
Il est intéressant de constater que les textes ne parlent pas d’une participation de la famille, mais d’une information de celle-ci, le contenu du rapport d’évaluation restant à l’entière discrétion du président du conseil départemental et de ses représentants.
B. L’ÉLABORATION D’UN PROJET ADAPTÉ A CHAQUE ENFANT
Un projet est donc mis en place pour chaque enfant, quelle que soit la singularité de sa situation. La loi du 14 mars 2016 cherche en effet à tenir compte de la diversité des situations connues par les services de l’aide sociale à l’enfance et à adapter le PPE en conséquence. Ainsi, un projet personnalisé doit être établi pour chaque enfant, que ce dernier soit pris en charge au titre d’une mesure administrative, d’une mesure judiciaire, mais aussi lorsqu’il est pupille de l’Etat. Selon l’article L. 225-1 du code de l’action sociale et des familles, les enfants admis en qualité de pupille de l’Etat doivent faire l’objet, dans les meilleurs délais, d’un projet de vie, défini par le tuteur avec l’accord du conseil de famille, qui s’articule avec le projet pour l’enfant. Ainsi, bien que l’enfant n’ait plus de filiation établie, il doit pouvoir bénéficier d’un projet personnalisé tout au long de sa prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Ce projet doit permettre de garantir la qualité des actions menées envers l’enfant et l’évolution des réponses qui lui sont apportées en fonction de ses besoins.
De même, la loi du 14 mars 2016 encadre par des dispositions spécifiques le passage à la majorité. Selon l’article L. 222-5-1 du code de l’action sociale et des familles, « dans le cadre du projet pour l’enfant, un projet d’accès à l’autonomie est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur ». Ce projet d’accès à l’autonomie fait ainsi partie intégrante du projet pour l’enfant. Il est élaboré lors d’un entretien avec le mineur un an avant sa majorité, et associe l’ensemble des acteurs susceptibles d’intervenir auprès de l’enfant pour l’aider à mener à bien ses projets. Ce projet d’accès à l’autonomie, comme le projet pour l’enfant, repose sur une évaluation globale de sa situation. Selon le texte, il prend en compte les besoins du jeune « en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d’emploi et de ressources ». Dans le silence de la loi, les services devront apprécier, selon la maturité de l’enfant, son niveau d’association dans la définition de ce projet. En pratique, pour avoir du sens, il sera nécessaire que ce projet requière a minima l’adhésion du jeune, et si possible sa participation active, car la réussite du projet retenu déterminera en grande partie son insertion sociale et professionnelle.
C. LES CHANGEMENTS DE LIEU D’ACCUEIL DE L’ENFANT
En cas de placement, l’élaboration d’un projet pour chaque enfant pose la question de l’association des parents au choix du lieu d’accueil de l’enfant. En la matière, la loi du 14 mars 2016 cherche à renforcer cette dimension tout en trouvant un équilibre entre le respect de l’autorité parentale, la volonté de prévenir les ruptures dans le parcours de l’enfant et la nécessité de prendre en compte les organisations et le fonctionnement des services et des établissements.
En matière administrative, l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles stipule que, « pour toutes les décisions relatives au lieu et au mode de placement des enfants déjà admis dans le service, l’accord des représentants légaux ou du représentant légal est réputé acquis si celui-ci n’a pas fait connaître son opposition dans un délai de quatre semaines à compter du jour où il a reçu la notification de la demande du service ou de six semaines à compter de la date d’envoi s’il n’a pas accusé réception de la notification ». Autrement dit, en matière administrative, le service de l’aide sociale à l’enfance est tenu d’informer les parents avant tout changement non seulement de lieu d’accueil (emplacement géographique) mais aussi de mode d’accueil (établissement collectif, famille d’accueil, structure en semi-autonomie, etc.). Les parents ont alors le droit de s’opposer à cette nouvelle prise en charge dans le délai de six semaines.
En revanche, le législateur ne précise pas quelles sont les conséquences de cette opposition parentale au lieu et au mode de placement de l’enfant proposé par le service. On peut en effet imaginer deux solutions opposées : la recherche d’un autre lieu qui convienne à la famille ou, à l’inverse, la saisine du juge des enfants pour passer outre le désaccord des parents.
Cette disposition oblige le service de l’aide sociale à l’enfance à anticiper et donc, dans l’absolu, à mieux préparer les changements de lieux d’accueil de l’enfant. Cependant, cette disposition ne pourra être effective qu’avec la participation active des lieux d’accueil. En effet, le fait que les parents soient prévenus au moins six semaines avant le changement nécessite de rompre avec certaines pratiques des établissements et services consistant à mettre fin brutalement à la prise en charge, en réponse par exemple à un acte violent de l’enfant au sein de l’établissement.
En matière judiciaire, lorsque le juge des enfants confie un jeune au service de l’aide sociale à l’enfance, « le représentant légal du mineur donne son avis par écrit préalablement au choix du mode et du lieu de placement et à toute modification apportée à cette décision » (CASF, art. L. 223-3). Les parents ne peuvent plus s’opposer au lieu et au mode d’accueil de l’enfant, en revanche, leur avis est obligatoirement recueilli par écrit.
Le recueil de l’avis écrit des parents sur cette question peut être un moyen d’encourager la participation de ces derniers et d’établir la preuve de leur consultation. En pratique, néanmoins, le passage par l’écrit ne sera pas forcément évident. En outre, comment cet avis sera-t-il utilisé dans le cadre du travail social et éducatif, notamment lorsque les parents marquent leur désaccord à la mesure mise en œuvre ? Cet avis clairement formalisé peut être favorable mais aussi défavorable à la proposition d’accueil formulée par le service de l’aide sociale à l’enfance. Dans ce cadre, un travail de médiation sera nécessaire tout en assurant l’exécution de la décision judiciaire dans les délais impartis.
Le recueil de l’avis des titulaires de l’autorité parentale est requis pour toute nouvelle mesure mais aussi en cas de modification de la décision initiale. Dans ce cadre, la loi du 14 mars 2016 impose une information du juge des enfants en cas de changement de lieu d’accueil. Selon l’article L. 223-3, alinéa 2, du code de l’action sociale et des familles, lorsque le service départemental de l’aide sociale à l’enfance auquel l’enfant est confié envisage de modifier le lieu de placement de cet enfant, « il en informe le juge compétent au moins un mois avant la mise en œuvre de sa décision ». Il s’agit ainsi, comme en matière administrative, d’anticiper autant que possible les changements de lieux d’accueil de l’enfant dans un délai cette fois plus contraint qui n’est plus de six semaines mais de quatre semaines. En outre, l’information est orientée non plus vers les parents auxquels la mesure s’impose, mais vers le juge des enfants, seul compétent pour s’opposer à la décision prise par le service.
L’obligation d’information du juge des enfants comporte néanmoins de nombreuses exceptions. En effet, selon le même article, cette disposition ne s’applique pas :
- en cas d’urgence ;
- pour les enfants de 2 ans révolus confiés à une même personne ou à un même établissement pendant moins de deux années, en cas de modification prévue dans le projet pour l’enfant.
Les dispositions qui viennent d’être présentées mettent en exergue la volonté d’associer les parents aux mesures de protection administrative et judiciaire mises en place pour l’enfant, mais aussi les limites de cette participation, liées d’une part au positionnement inadapté voire nuisible de certains parents à l’égard de leur enfant et, d’autre part, à des pratiques administratives aujourd’hui appelées à évoluer.
(1)
Décret n° 2016-1557 du 17 novembre 2016, JO du 19-11-16.