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La distinction entre les actes usuels et non usuels

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Selon l’article 372 du code civil, les parents assurent la représentation de l’enfant. En effet, son manque de maturité l’empêche d’avoir le discernement suffisant pour prendre seul l’ensemble des décisions qui le concernent et faire valoir ses droits. C’est pourquoi, il est soumis en droit français à un principe d’incapacité juridique. Ainsi, l’exercice en commun de l’autorité parentale conduit les parents à prendre ensemble les décisions qui concernent l’enfant. Sur le plan juridique, on distingue les actes usuels qui peuvent être réalisés par un seul des parents (le consentement de l’autre parent étant alors présumé), des actes non usuels qui impliquent l’accord exprès des deux titulaires de l’autorité parentale. Cette distinction est essentielle dans le champ de la protection de l’enfance, car les parents conservent en principe le plein exercice de l’autorité parentale. Enfin, les apports et limites de la loi du 14 mars 2016 illustrent parfaitement les difficultés de définition et les enjeux de cette distinction dans le champ de la protection de l’enfance.


A. DES DIFFICULTÉS DE DÉFINITION

L’article 372-2 du code civil fonde la distinction entre les actes usuels et non usuels, en considérant que, « à l’égard des tiers de bonne foi, chacun des parents est réputé agir avec l’accord de l’autre, quand il fait seul un acte usuel de l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant ». A contrario, les actes non usuels requièrent l’accord des deux parents.
La distinction entre les actes usuels et non usuels consacrée par la loi est délicate car le législateur ne définit pas les critères permettant d’identifier clairement les uns et les autres. Il est donc nécessaire de se référer à la jurisprudence.
Pour donner un seul exemple, la cour d’appel d’Aix-en-Provence considère que « les actes usuels peuvent être définis comme des actes de la vie quotidienne, sans gravité, qui n’engagent pas l’avenir de l’enfant, qui ne donnent pas lieu à une appréciation de principe essentielle et ne présentent aucun risque grave apparent pour l’enfant, ou encore, même s’ils revêtent un caractère important, des actes s’inscrivant dans une pratique antérieure non contestée » (1). Sont donc des actes usuels l’ensemble des décisions prises par les parents au quotidien dès lors qu’elles n’engagent pas l’avenir de l’enfant.


B. LES ACTES POUVANT ÊTRE ACCOMPLIS PAR LE SERVICE DE L’ASE

La distinction entre les actes usuels et non usuels est importante lorsqu’il s’agit de savoir quels sont les actes susceptibles d’être réalisés par le service de l’aide sociale à l’enfance, seul, à l’égard d’un enfant qui lui est confié.
Comme le rappelle l’article 373-4 du code civil, « lorsque l’enfant a été confié à un tiers, l’autorité parentale continue d’être exercée par les père et mère ; toutefois, la personne à qui l’enfant a été confié accomplit tous les actes usuels relatifs à sa surveillance ou à son éducation ». C’est sur ce fondement que le service de l’aide sociale à l’enfance est autorisé à effectuer des actes usuels auprès de l’enfant qui lui est confié. L’équilibre à trouver est alors particulièrement délicat puisque l’article 375-7 du code civil précité rappelle également que les parents conservent tous les attributs de l’autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec la mesure. Il s’agit donc pour le service d’assurer l’éducation et la surveillance de l’enfant tout en veillant à ce que les parents puissent, dans la mesure du possible et dans la limite de l’intérêt de l’enfant, être associés à l’ensemble des décisions prises pour celui-ci.
Par ailleurs, le service ou la personne à qui l’enfant est confié sera tenu(e) de différencier les actes usuels qu’il ou elle peut accomplir seul(e) des actes non usuels qui requièrent l’accord du ou des titulaires de l’autorité parentale. En 2009, le rapport du député Jean Leonetti remis au Premier ministre (2) fait le point sur l’avant-projet de loi sur l’autorité parentale et les droits des tiers alors en discussion. Cet avant-projet de loi, qui ne sera finalement pas adopté, proposait de conférer aux actes usuels et importants une définition légale afin que la distinction entre les deux types d’actes ne repose plus seulement sur une construction jurisprudentielle. Cette réforme aurait notamment conduit à insérer à l’article 372-2 du code civil un second et nouvel alinéa ainsi rédigé : « L’accord des parents est requis pour effectuer les actes importants de l’autorité parentale. Sont réputés tels les actes qui engagent l’avenir de l’enfant ou qui touchent à ses droits fondamentaux. » Une telle définition est intéressante car elle propose une définition des actes non usuels qui n’existe pas aujourd’hui. Néanmoins, on peut penser qu’une telle définition n’empêcherait pas la nécessité de se référer à la jurisprudence pour savoir selon quels critères on considère que l’acte en question est un acte qui engage l’avenir de l’enfant ou touche à ses droits fondamentaux.
C’est in fine la jurisprudence qui apprécie a posteriori ce qui relève des actes usuels et non usuels, avec des distinctions qui sont faites de nuances. Ainsi, la cour d’appel de Lyon considère, par exemple, que le fait pour l’enfant d’avoir rencontré un psychologue quatre fois par an pendant deux ans « ne constitue pas une psychothérapie, qui est un traitement de longue durée avec une grande régularité ; qu’il s’agit de consultations permettant en quelques séances d’exprimer ses angoisses, d’être entendu et d’être réassuré sur ses capacités personnelles à surmonter une difficulté ; qu’il doit être considéré qu’il s’agit là d’un acte usuel de prévention de la santé mentale, qu’un parent peut engager, sans être soumis à l’accord de l’autre parent, cet acte restant ponctuel et d’une portée limitée » (3).
En matière médicale, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rappeler la règle applicable au sein d’une jurisprudence récente dans laquelle il considère « qu’un acte médical ne constituant pas un acte usuel ne peut être décidé à l’égard d’un mineur qu’après que le médecin s’est efforcé de prévenir les deux parents et de recueillir leur consentement ; qu’il n’en va autrement qu’en cas d’urgence, lorsque l’état de santé du patient exige l’administration de soins immédiats » (4).
En matière de scolarité, la position est en principe la suivante : la réinscription de l’enfant auprès de l’établissement scolaire au sein duquel il était déjà scolarisé est un acte usuel. En revanche, cette inscription peut être considérée comme un acte non usuel lorsqu’il s’agit d’une primo-inscription, d’un changement d’orientation scolaire ou encore du passage d’une école publique à une école privée ou religieuse.
La personne à qui l’enfant est confié doit donc systématiquement se poser la question de la qualification de l’acte qu’il entend accomplir auprès de l’enfant. S’il s’agit d’un acte usuel, il peut le faire seul, dans le cas contraire, il devra recueillir l’accord des titulaires de l’autorité parentale. Pour limiter les risques juridiques liés à l’incertitude de la matière, certains départements se sont engagés dans la rédaction de guide cherchant à lister les actes pouvant être considérés comme usuels et non usuels.


C. LES APPORTS ET LIMITES DE LA LOI DU 14 MARS 2016 SUR LES ACTES USUELS

La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant introduit une précision supplémentaire. En effet, dans le champ de la protection de l’enfance, la majorité des enfants sont confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. Ce service a alors la responsabilité de l’enfant, mais n’assure pas forcément sa garde. Le service peut demander que l’enfant soit pris en charge par une personne morale ou physique qui relève, selon les cas, de services qu’il gère en régie, de structures associatives habilitées et tarifées par le département ou encore de lieux de vie et d’accueil de droit privé. La loi du 14 mars 2016 règlemente également les rapports entre le service de l’aide sociale à l’enfance à qui l’enfant est confié et le service ou la personne qui a la charge effective de l’enfant. Ainsi, selon le nouvel article L. 223-1-2 du code de l’action sociale et des familles, « lorsque l’enfant pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance est confié à une personne physique ou morale, une liste des actes usuels de l’autorité parentale que cette personne ne peut pas accomplir au nom de ce service sans lui en référer préalablement est annexée au projet pour l’enfant ». C’est donc au sein du projet pour l’enfant que les rapports entre les différents partenaires qui interviennent auprès du jeune seront définis. Le texte introduit ainsi une distinction entre les actes du quotidien qui semblent pouvoir être réalisés par la personne à qui l’enfant est confié, et certains actes considérés comme usuels pour lesquels l’accord du service de l’aide sociale (qui a la responsabilité de la mesure) est requis.
Le décret d’application du 28 septembre 2016 reste néanmoins particulièrement évasif sur la nature de ces actes rappelant seulement que le projet pour l’enfant comporte une annexe relative aux actes usuels, et que cette annexe « précise également les modalités selon lesquelles les titulaires de l’autorité parentale sont informés de l’exercice de ces actes usuels » (CASF, art. D. 223-17). Une telle formulation interpelle car elle conduit à considérer que ce n’est pas le service qui a l’enfant à charge qui est compétent pour prendre les actes usuels concernant l’enfant, mais le service de l’aide sociale à l’enfance qui n’est pas avec l’enfant au quotidien. Le risque est alors celui d’une lourdeur administrative dans les actes pris pour l’enfant, alors même que ces actes ne sont pas des actes graves qui engageraient son avenir. Ce manque de souplesse peut parfois être un obstacle à l’épanouissement de l’enfant au quotidien (on pense par exemple aux sorties que l’enfant souhaiterait faire avec des amis sur des temps extra-scolaires ciblés). En outre, le décret ne dit rien sur la nature de ces actes et laisse à chaque département le soin de produire l’annexe au projet pour l’enfant, ce qui pourrait conduire à une très grande hétérogénéité des pratiques selon les départements.


(1)
Aix-en-Provence, 28 octobre 2011, n° 2011/325, JDJ n° 314, avril 2012, p. 55.


(2)
Leonetti J., « Intérêt de l’enfant, autorité parentale et droits des tiers », rapport au Premier ministre, La Documentation française, 2009, p. 53 et s.


(3)
Lyon, 28 février 2011, 10/03604, 2007/00476, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(4)
Conseil d’Etat, 4e SSJS, 7 mai 2014, 359076, consultable sur www.legifrance.gouv.fr

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