Depuis quelques années, le statut des personnes handicapées en ESAT est au cœur d’une réflexion lancée par la Justice, laquelle pourrait conduire à une évolution qui soucie les acteurs de terrain.
A. LE DISPOSITIF ACTUEL
[Circulaire NDGAS/3B n° 2008-259 du 1er août 2008, NOR : MTSA0830732C]
Selon l’administration, « les travailleurs handicapés qui exercent des activités à caractère professionnel au sein d’un ESAT ont le statut d’usagers de cet établissement ou service et non le statut de salariés. Ils ne sont pas liés à l’ESAT qui les accueille par un contrat de travail mais par un contrat de soutien et d’aide par le travail. Les conseils de prud’hommes ne sont donc pas compétents pour juger des différends éventuels qui opposent les ESAT aux travailleurs handicapés à l’occasion des activités à caractère professionnel exercées au sein ou hors les murs de l’établissement d’aide par le travail ».
De la même façon, la Cour de cassation a retenu que « les personnes admises, en raison de leur handicap, dans un CAT [NDLR : aujourd’hui ESAT], par décision de la Cotorep devenue la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, ne sont pas liées à cet établissement par un contrat de travail » (1).
B. LES REMISES EN CAUSE
Des évolutions jurisprudentielles récentes en provenance de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interrogée par la Cour de cassation pourraient conduire à une évolution de cette situation.
I. La décision de la Cour de cassation du 29 mai 2013
Dans une décision du 29 mai 2013 (2), la Cour de cassation a en effet saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour savoir si les personnes handicapées en ESAT « relèvent du statut de travailleur au sens du droit de l’Union européenne alors qu’elles se trouvent dans une structure aménagée aux fins de les faire accéder à une vie tant sociale que professionnelle et qu’elles se trouvent incapables d’exercer dans le secteur ordinaire de production ou en atelier protégé et, dans l’affirmative, de savoir si les intéressés sont fondés dans un litige entre particuliers à se prévaloir des dispositions de l’article 31 de la Charte telles que précisées par celles de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003 ».
Selon l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés », tandis que l’article 7 de la directive dispose que « les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ».
En l’espèce, un usager d’un ESAT a saisi la justice pour obtenir le paiement d’une somme à titre de congés payés non acquis et non pris pour les périodes du 1er juin 2003 au 31 mai 2004 et du 1er juin 2004 au 31 mai 2005 et revendique le bénéfice de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 qui garantit un congé annuel payé d’une durée minimale de quatre semaines.
(A noter)
Depuis 2007, l’article R. 243-11 du code de l’action sociale et des familles prévoit expressément le droit au congé annuel des personnes handicapées séjournant dans un ESAT. Ce texte n’était pas applicable aux faits soumis à la Cour de cassation. Le litige porte donc moins sur l’octroi de ce droit aujourd’hui reconnu que sur la question du statut des personnes travaillant en ESAT.
II. Les conclusions de l’avocat général européen
A ce jour, la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas encore tranché le débat. Toutefois, l’avocat général a présenté ses conclusions le 12 juin 2014 (3). Pour lui, l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, de même que l’article 31 de la Charte (non en vigueur à l’époque des faits) « doivent être interprétés en ce sens qu’une personne admise dans un centre d’aide par le travail peut, en principe, être qualifiée de “travailleur” au sens de ces dispositions ».
Pour soutenir cette solution, l’avocat général relève que la notion de travailleur « ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux, mais revêt une portée autonome propre au droit de l’Union » et que « la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu’une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle reçoit une rémunération », ce qui, selon lui, est bien le cas d’une personne travaillant en ESAT puisqu’elle reçoit une rémunération et qu’elle agit sous les instructions du personnel encadrant et dirigeant de la structure.
En outre, l’avocat général rappelle que la Cour a jugé que « doit être considérée comme “travailleur” toute personne qui exerce des activités réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires ». Or, pour l’avocat général, si « à l’évidence [...] l’activité professionnelle se déroule en lien avec les activités de soutien médico-social et éducatif, de sorte que l’une ne va pas sans les autres. Pour autant, [...], les éléments qui précèdent militent plutôt en faveur de la thèse selon laquelle les activités de type professionnel exercées ne sont pas à ce point réduites qu’elles apparaissent comme “purement marginales et accessoires” à l’objectif social des CAT ».
Selon l’avocat Olivier Poinsot, « il y a fort à craindre que la réponse qu’apportera la CJUE soit positive et qu’elle provoque un bouleversement sans précédent du régime des ESAT, entraînant la caducité d’une partie de l’article 39 de la loi du 11 février 2005 sur les ESAT ainsi que l’abrogation de tous ses décrets d’application. Les travailleurs handicapés devraient alors être considérés comme des salariés avec toutes les conséquences qui y sont attachées (salaire, droits sociaux, accès aux institutions représentatives du personnel et aux organisations syndicales professionnelles, négociation collective, etc.). C’est l’existence même des ESAT en tant qu’établissements médico-sociaux qui pourrait alors être questionnée » (4). De son côté, Hervé Rihal estime que « si la CJUE répondait que les personnes handicapées travaillant en ESAT sont des travailleurs, il est évident que de nombreuses modifications devraient être apportées aux textes en vigueur ; mais il est malheureusement probable aussi que tout le système d’emploi des personnes handicapées ayant une productivité limitée s’écroulerait très rapidement tel un château de cartes » (5).
L’hébergement des travailleurs handicapés en ESAT
Après la journée de travail, les travailleurs handicapés ne sont plus pris en charge par l’ESAT.
Un nombre important de ces travailleurs bénéficie alors d’une seconde prise en charge médico-sociale dans le cadre d’un foyer d’hébergement, et d’autres disposent d’un logement personnel.
Selon l’enquête menée en 2010, parmi les adultes présents au 31 décembre 2010, 36 % des travailleurs en ESAT vivent dans leur propre logement, 32 % sont hébergés chez les parents ou des proches tandis que 25 % sont hébergés en foyer pour adultes (6). Pour ceux entrés au cours de l’année 2010, « avant l’admission, 47 % étaient hébergés par leur famille, 29 % vivaient dans leur propre logement, 7,5 % dans un foyer d’hébergement pour adultes et 6 % étaient accueillis en internat dans un établissement d’éducation spécialisée pour enfants et adolescents ». Puis, « au 31 décembre 2010, 40 % sont hébergés par leur famille, 33 % vivent dans leur propre logement et 19 % sont dans un foyer d’hébergement pour adultes ».
Par ailleurs, certains partenariats sont parfois noués entre des foyers d’hébergement et des ESAT. Ainsi, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) (7) évoque le cas d’un ESAT qui, ayant « fait le constat du vieillissement important des travailleurs handicapés, [...] a construit avec le partenaire du foyer d’hébergement une première expérience d’accueil de jour qui a satisfait les travailleurs handicapés en proposant ainsi des alternatives au temps partiel réclamé. Ensemble, la direction du foyer et de l’ESAT ont rencontré les financeurs potentiels pour transformer cette expérimentation en mettant en place une section adaptée d’ESAT (section annexe d’établissement et service d’aide par le travail – Saesat) ouverte aux travailleurs d’ESAT à temps partiel résidant ou non au foyer ».
(1)
Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-14424, consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(2)
Cass. soc., 29 mai 2013, n° 11-22376, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Conclusions de l’avocat général, M. Paolo Mengozzi, 12 juin 2014, Affaire C-316/13, disponibles sur www.curia.europa.eu
(4)
Poinsot O., « ESAT : le principe même de l’existence du travail protégé sur le point d’être mis en cause ? », 8 juin 2013 et « ESAT : quel devenir pour le régime juridique d’emploi des travailleurs handicapés ? », 9 juillet 2014, articles consultables sur www.blogavocat.fr/space/olivier.poinsot
(5)
Rihal H., « Le statut des personnes handicapées employées par les ESAT, entre travailleurs et usagers d’un établissement social », RDSS n° 1/2014, p. 46.
(6)
Makdessi Y. et Mordier B., « Les établissements et services pour adultes handicapés, résultats de l’enquête ES 2010 », DREES, Série statistiques, n° 180, mai 2013.
(7)
ANESM, « Adaptation de l’accompagnement aux attentes et besoins des travailleurs handicapés en ESAT », avril 2013, disponible sur www.anesm.sante.gouv.fr