Selon l’article 109 du code de procédure pénale, « toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Si le témoin ne comparaît pas ou refuse de comparaître, le juge d’instruction peut, sur les réquisitions du procureur de la République, l’y contraindre par la force publique.
Il faut entendre par « témoin » la personne qui peut donner au juge des informations sur l’enquête en cours, soit parce qu’elle était présente au moment des faits ou des incidents qui permettent de préciser le déroulement des faits, soit parce qu’elle a eu connaissance des faits ou des incidents par d’autres personnes.
Le juge est libre de convoquer toutes les personnes qu’il souhaite entendre, même si elles sont couvertes par le secret professionnel parce que, d’une part, les renseignements demandés peuvent porter sur des informations non confidentielles et, d’autre part, parce que seul le juge peut apprécier si l’excuse du secret professionnel est valable. Ainsi, les professionnels astreints au secret par profession, fonction ou mission sont tenus de comparaître et de prêter serment mais restent libres de témoigner ou non. Ils auront toujours le choix et la possibilité de le faire lorsque les circonstances rentrent dans les exceptions prévues par l’article 226-14 du code pénal (sévices ou privations infligés à un mineur de 15 ans ou à une personne vulnérable) (cf. supra, section 1, § 1), sans être poursuivi pour violation du secret professionnel. La jurisprudence a toujours été dans ce sens. Pour la chambre criminelle notamment, les personnes visées par l’article 378 du code pénal (art. 226-14, 1° actuel), « quand elles ont été citées en justice pour une affaire de sévices ou privations sur la personne de mineurs de 15 ans sont, relativement aux faits dont elles ont eu connaissance à l’occasion de l’exercice de leur profession, “libres de fournir leur témoignage sans s’exposer à aucune peine” ; il en découle nécessairement que, dans le même cas, les personnes ainsi autorisées à témoigner sont également libres de ne pas le faire, telles les assistantes sociales » (1).
En revanche, le séjour irrégulier ne fait pas partie des dérogations au secret professionnel prévues par l’article 226-14 du code pénal (cf. supra, section 1, § 1, et encadré p. 39). A cet égard, il est intéressant de mentionner ici ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire de Belfort ». Le 17 juillet 2007, Catherine Bernard, assistante sociale de l’association Solidarité femmes de Belfort, a été interrogée par la police des frontières et placée en garde à vue sous l’accusation d’« aide au séjour irrégulier » (2) pour avoir refusé de donner l’adresse d’une femme de nationalité algérienne dépourvue de titre de séjour hébergée par l’association en raison de violences conjugales. L’intéressée a spécifié qu’elle ne pouvait donner ces éléments car elle était soumise au secret professionnel. Cette mise en garde à vue ne s’est finalement pas poursuivie par une mise en examen, le procureur de la République de Belfort ayant décidé de classer sans suite la procédure engagée contre Catherine Bernard sur le motif d’« absence d’infraction ». Et le procureur de justifier ainsi sa décision : « [...] il est incontestable que les assistantes sociales sont, aux termes de l’article 411-3 du code de l’action sociale et des familles, astreintes au secret professionnel et que tout ce qu’elles peuvent apprendre dans le cadre de l’exercice de leur profession est de ce fait soumis au secret qui tient non pas à la nature des faits mais à la profession de celui ou celle qui le reçoit ». De fait, si les assistants de service social, de même que les autres travailleurs sociaux soumis au secret professionnel, doivent répondre aux convocations de la police ou de la justice, ils doivent aussi se taire sur les faits privés connus dans le cadre de leur profession, sauf péril pour la personne (cf. infra, chapitre 4, section 2), ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
La loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, a supprimé le « délit de solidarité ». Ce délit pouvait entraîner des condamnations allant de cinq ans de prison à 30 000 € d’amende. Il a conduit à la mise en garde à vue de plusieurs directeurs de foyers. Désormais, ne peut donner lieu à des poursuites pénales l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait (Ceseda, art. L. 622-4) :
- des ascendants ou descendants de l’étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l’étranger ou de leur conjoint ;
- du conjoint de l’étranger, de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l’étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;
- de toute personne physique ou morale, lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci.
Les deux premières exceptions ne s’appliquent pas lorsque l’étranger bénéficiaire de l’aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d’une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint.
La loi s’applique à l’ensemble des travailleurs sociaux et des bénévoles des associations.
De manière générale, sur cette question du témoignage, l’Association nationale des assistants de services sociaux (ANAS) recommande « d’opérer un tri dans les informations que l’on peut donner, de manière à faire une déposition rigoureuse qui ne laisse aucune place aux appréciations subjectives, aux sentiments, mais se contente d’éléments objectifs, clairs et concis ; par exemple, si l’interrogatoire concerne une situation d’enfant maltraité, redire le signalement que l’on a précédemment rédigé et s’en tenir là » (3).
En revanche, si les professionnels refusent de témoigner, ils doivent en informer la justice en se référant à leur obligation légale de secret professionnel.
Si les faits ont été appris dans d’autres circonstances que l’exercice de la profession et qu’ils ne sont pas confidentiels, la personne tenue au secret est obligée de déposer. A défaut, elle pourra être condamnée pour refus de témoigner. En outre, rappelons que le secret professionnel ne peut pas être invoqué à l’encontre de l’autorité judiciaire par le professionnel qui est sous mandat judiciaire. Tel est le cas de l’assistante sociale devant procéder à une enquête sociale au titre de l’assistance éducative (4).
Il appartiendra au juge de déterminer les cas où le secret professionnel constitue une excuse valable justifiant le refus de déposer.
(1)
Cass. crim., 14 février 1978, n° 77-90644 ; Cass. crim., 16 décembre 1992, n° 90-86385 : un médecin, ayant pratiqué l’examen médical d’une mineur de 15 ans victime de viol, bien que régulièrement cité devant la cour d’assises, est libre de ne pas fournir son témoignage.
(2)
Instauré par une loi de 2005 sous la présidence de M. Sarkozy, ce délit dénommé par ces opposants « délit de solidarité » a été supprimé en 2012 (cf. infra).
(3)
Pravano P. et Mundaya L., « Comment concilier témoignage et obligation de secret professionnel », avis technique de l’ANAS, La Revue française de service social, n° 227/2007-4, p. 55.
(4)
Cass. crim., 29 juin 1967, n° 67-90711.