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La dénonciation de crime et de mauvais traitements

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Tout citoyen a le devoir d’apporter son aide à la justice en informant les autorités des crimes dont il a connaissance afin de concourir au maintien de la sécurité. C’est pourquoi le code pénal incrimine respectivement les délits de non-dénonciation de crime et de non-dénonciation de mauvais traitements. En revanche, il prévoit expressément une dérogation au profit des personnes assujetties au secret professionnel.


A. L’INFORMATION DE CRIME

[Code pénal, article 434-1]
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 434-1 du code pénal, « quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés » n’informe pas les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
Pour préserver « la paix des familles », pourrions-nous dire, échappent à cette condamnation :
  • les parents en ligne directe et leur conjoint, ainsi que les frères et sœurs et leur conjoint, de l’auteur ou du complice du crime ;
  • le conjoint de l’auteur ou du complice du crime, ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.
Ces immunités ne jouent toutefois pas pour les crimes commis sur les mineurs de 15 ans. Dans ce cas, les personnes exemptes doivent alors dénoncer le crime.
En outre, tous les crimes ne sont pas visés, mais uniquement ceux dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou ceux dont les auteurs sont susceptibles de récidiver.


B. LE SIGNALEMENT DE MAUVAIS TRAITEMENTS

[Code pénal, article 434-3]
L’article 434-3 du code pénal énonce les mêmes peines pour toute personne qui ne signalerait pas aux autorités judiciaires ou administratives des privations, des mauvais traitements ou des atteintes sexuelles (1) infligés à un mineur de 15 ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse, dont elle a eu connaissance.
Les professionnels de l’action sociale ne doivent pas se fonder uniquement sur le critère de l’âge. Ils doivent aussi prendre en compte les conditions de santé physique et mentale (maladie, infirmité, déficience physique ou psychique) ou encore l’état de grossesse de la victime. En revanche, le texte exclut une vulnérabilité reposant sur des difficultés socio-économiques. Ainsi, les travailleurs sociaux peuvent déterminer l’état de vulnérabilité en appréciant si l’usager est en mesure ou non de se défendre.
Cet article est plus précis que l’article 434-1 du code pénal (cf. supra, A). En effet, il vise uniquement les faits qui se caractérisent par une privation, un mauvais traitement ou une atteinte sexuelle infligés à un public particulier. Ces derniers peuvent relever soit de la catégorie des crimes, soit de la catégorie des délits. Si cet article est plus précis, il est aussi plus protecteur : tous les crimes ou délits rentrent dans le champ d’application, et pas seulement ceux dont il est possible de prévenir ou de limiter les effets ou ceux dont les auteurs sont susceptibles de récidiver.
Il s’agit d’une obligation générale. Contrairement à l’article 434-1, aucune exception à l’obligation de signalement n’est ici prévue pour la famille, puisque ce sont souvent les proches qui ont connaissance des infractions.
Mais, même si les mauvais traitements ont cessé, les autorités administratives ou judiciaires doivent être alertées. Ainsi un directeur de maison d’enfants à caractère social (MECS) et son adjoint ont été condamnés à trois mois d’emprisonnement avec sursis sur ce fondement. Les magistrats leur reprochent de n’avoir pas signalé immédiatement à la justice une agression sexuelle commise dans l’établissement par d’autres jeunes sur un des leurs. Ils ont attendu plusieurs jours avant de faire examiner la victime et auraient fait preuve de mauvaise volonté dans leurs relations avec la justice. Les magistrats accusent ces responsables d’avoir voulu étouffer l’affaire alors que ces professionnels estimaient que l’agression n’avait pas eu lieu du fait de l’intervention d’une éducatrice (2).


C. DES EXCEPTIONS POUR LES PERSONNES SOUMISES AU SECRET PROFESSIONNEL

De façon très explicite, le code pénal prévoit des exceptions pour les personnes tenues au secret professionnel.
L’article 434-1, qui réprime la non-information de crime, énonce en effet dans son dernier alinéa que « sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ». Autrement dit, les personnes tenues au secret professionnel ne devraient pas pouvoir être condamnées sur ce fondement. Concrètement, cela ne signifie pas que ces personnes ne doivent rien faire, mais qu’elles sont libres de faire un signalement aux autorités judiciaires. Si elles ne le font pas, le juge ne peut les condamner à des sanctions pénales sur ce fondement.
Quant à l’article 434-3, il énonce que « sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ».


I. La logique des textes

La loi est donc très claire. Le législateur n’a pas voulu instaurer une obligation de dénonciation, sanctionnée pénalement, pour les travailleurs sociaux tenus au secret professionnel. Comme le soulignait la circulaire du 14 mai 1993 commentant la partie législative du nouveau code pénal, « en rappelant ainsi la primauté du secret professionnel, le nouveau code pénal met un terme à l’ambiguïté des textes actuels, qui ont donné lieu, de la part de la doctrine et de la jurisprudence à des interprétations divergentes ».
Les travaux parlementaires de l’époque sont d’ailleurs explicites sur ce point. Le rapport du Sénat soulignait ainsi que si la loi n’avait pas, jusqu’alors, arbitré entre obligation de dénoncer et obligation de respecter le secret professionnel, c’était désormais chose faite puisque « sans modifier le droit en vigueur, le dernier alinéa de l’article 434-1 conférait ainsi une base légale incontestable à l’option de conscience face à deux impératifs contradictoires entre lesquels seuls les éléments de fait permettent de trancher » (3). Le rapport de l’Assemblée nationale justifiait également cette position, en ce qui concerne le signalement de sévices infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger (4). Son argumentation repose sur trois points. Premièrement, l’article 226-14 du code pénal lève, dans ce cas, l’infraction de violation du secret professionnel (cf. supra, § 1, A, I). Deuxièmement, si le signalement était obligatoire, notamment pour le médecin, « les auteurs de sévices pourraient hésiter à faire prodiguer à l’enfant les soins nécessaires par crainte d’être dénoncés ». En revanche, si le professionnel n’est pas tenu de signaler, il a une obligation d’agir, en cas de péril, pour écarter le danger. Ainsi, le médecin pourra, par exemple, faire hospitaliser l’enfant. Troisièmement, en faisant référence aux « cas où la loi en dispose autrement », certaines catégories de personnes « sont néanmoins tenues – ou pourront être tenues – de signaler les sévices à enfants aux autorités administratives ».
A la lecture de ces rapports, on peut constater que l’articulation des différents textes de loi permet d’éviter des condamnations pénales de professionnels du travail social sur le fondement d’omission de signalement.


II. L’affaire de l’hôpital local de Bonnetable

Les faits et les décisions prises par la justice dans cette affaire nécessitent une attention particulière. Ils montrent que la législation relative à la répression des mauvais traitements dans les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux n’est pas adaptée, en l’état des textes actuels, en ce qui concerne le secret professionnel. Certes des auteurs comme Mme Lagraula-Fabre avaient déjà dénoncé dans leur thèse cette situation anormale. Mais l’arrêt de la Cour de cassation en est une illustration frappante et presque caricaturale, du fait de ses circonstances et de la décision rendue (5).

a. Le rappel des faits

Les faits se déroulent dans un hôpital local d’une ville de moyenne importance hébergeant des personnes âgées. Malheureusement, dans ce lieu destiné aux soins, des mauvais traitements commis par certains personnels sont connus et établis depuis plusieurs années. Les salariés maltraitants, dont le nombre est estimé entre cinq et six, sont repérés et dénommés. La gravité des mauvais traitements est impressionnante (brûlures, fractures, administration en surdose de médicament). Pouvant être qualifiés de violences physiques, ces mauvais traitements relèvent tous de sanctions pénales.
Quatre aides-soignants, trois femmes et un homme, ont été condamnés à un an de prison, dont neuf mois avec sursis, et à une interdiction d’exercer une profession en relation avec les personnes âgées ou handicapées pendant trois ans, pour avoir exercé des violences régulières sur plusieurs personnes âgées. Le directeur et la surveillante-chef, la cadre infirmière au moment des faits, ont été condamnés quant à eux à un an de prison avec sursis, sur le fondement de non-dénonciation de mauvais traitements. Le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales avait été mis en examen. En septembre 2001, un inspecteur des affaires sanitaires et sociales avait assisté à une réunion de direction à l’hôpital dans laquelle avaient été mentionnés les mauvais traitements. En août 2002, le directeur avait évoqué le sujet avec lui. Ce fonctionnaire a bénéficié d’un non-lieu avant de quitter le département. Mais c’est la situation du médecin-chef du service qui retiendra davantage notre attention.
Or ce médecin, pour des raisons de concurrence entre établissements ou d’orgueil professionnel, nie les faits en public, bloque l’information aux directeurs et surtout ne fait pas de signalement aux autorités judiciaires. Celui-ci reconnaît même sa faute très clairement « admettant avoir agi par orgueil et manque de recul ».

b. La procédure

1. Un premier arrêt de la cour d’appel d’Angers...
Devant de tels faits, une sanction semblait attendue, et la cour d’appel d’Angers le 28 janvier 2010 condamne ce médecin à un an d’emprisonnement avec sursis, sur le fondement de l’article 434-3 du code pénal qui sanctionne la non-information des autorités administratives et judiciaires de mauvais traitements infligés à des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger.
Mais sur le plan juridique, le dernier alinéa de cet article 434-3 obligeant quiconque à signaler ces mauvais traitements énonce : « Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précédent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues à l’article 226-13 du code pénal. » Cet alinéa permet de sortir, comme nous l’avons vu, de la double contrainte dans laquelle sont enfermés les personnes astreintes au secret professionnel – l’obligation de respecter leur engagement, donc de se taire, et l’obligation de signaler des mauvais traitements aux autorités, donc de parler. Le législateur a instauré une liberté de conscience pour ces personnes et le médecin de l’hôpital fait partie de ces personnes « astreintes » au secret médical.
La cour d’appel d’Angers, consciente de cette difficulté posée par cet article 434-3 du code pénal, prend bien soin de démontrer deux éléments. Premièrement, le secret médical ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce. Les faits étaient connus de beaucoup de personnes, et ce en dehors de la relation directe avec l’usager : « [...] ces actes ne peuvent être couverts par le secret médical qui concerne des informations à caractère confidentiel reçues de la personne protégée ». Deuxièmement, l’élément qui est à la source de cette liberté de choix du médecin de signaler ou ne pas signaler ne peut être retenu dans ce cas. Car ce n’est pas par souci de respecter la volonté des usagers ou de protéger ses sources que le médecin n’informe pas la justice, mais par souci du seul intérêt de la structure qu’il dirige.
2. ... cassé par la chambre criminelle
Saisie, la Cour de cassation n’entend pas ces arguments et revient à une position plus conforme à sa jurisprudence. Ces informations sont couvertes par le secret médical auquel est astreint le médecin. Les informations ont été connues dans le cadre de son travail et il n’y pas de sanction pénale possible pour les personnes tenues au secret professionnel sur le fondement de l’article 434-3 du code pénal, du fait de son dernier alinéa. La Cour de cassation précise que, à l’époque des faits, si le médecin avait voulu voir lever son obligation de secret, il aurait dû obtenir l’accord de l’usager (6). L’arrêt de la cour d’appel d’Angers est ainsi cassé et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel de Rennes.
Il est certain que sur le plan moral cette cassation est choquante. Dans cette affaire, le médecin est plus « un bénéficiaire » de son secret médical que « astreint » à ce secret. Et le secret médical érigé par le législateur pour protéger les usagers ne joue pas toujours en leur faveur. Il manque à tout le moins, comme dans le secteur de la protection de l’enfance, des obligations d’information administrative des mauvais traitements. Mais cet arrêt pose de façon générale la question du secret professionnel dans les établissements d’hébergement. Peut-on parler de secret alors que tout le monde semble être informé de ces mauvais traitements, que des témoignages de plusieurs professionnels les dénoncent, que des réunions ont lieu pour aborder cette question, que de multiples rapports sont produits ? Cette législation, aboutissant à protéger plus les professionnels que les usagers sur un sujet aussi grave que les mauvais traitements à des personnes vulnérables, devrait être modifiée. Mme Lagraula-Fabre, qui a consacré sa thèse de droit pénal à ce sujet, prône depuis plusieurs années l’inexistence du secret professionnel en cas de violences institutionnelles. Dans les établissements, les choses sont connues de l’intérieur. Le secret professionnel est un obstacle à la levée de la chape de silence qui couvre ces mauvais traitements. L’autre solution pourrait venir d’une restriction du champ du secret professionnel. Déjà, pour condamner l’évêque de Bayeux, le tribunal correctionnel de Caen du 4 septembre 2001 avait dû employer un artifice. Ce tribunal avait jugé que les faits n’étaient pas couverts par le secret professionnel car ils n’étaient pas venus à la connaissance de l’évêque directement de la confidence des victimes, mais étaient le résultat d’une enquête. Cette même enquête étant naturellement – et c’est ici que se trouve l’artifice – issue de la révélation de la mère de l’enfant abusé qui demandait le secret sur cette affaire. Cependant, devant de tels faits et une telle iniquité, un changement s’impose, qu’il soit législatif ou jurisprudentiel. On peut penser que le médecin ait été sanctionné par le Conseil de l’ordre. Mais en l’absence de toute condamnation judiciaire, même si cela est juridiquement possible, cela n’est pas certain. L’existence du secret professionnel ne peut aboutir à une telle décision pénale.
3. Le renvoi devant la cour d’appel de Rennes...
A la suite de ce renvoi, la cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 15 novembre 2011 (7) a requalifié les faits en délit d’omission d’empêcher une infraction sur le fondement de l’article 223-6, alinéa 1er, du code pénal et a condamné ce médecin à un avertissement solennel, prévu à l’article 132-29 du code pénal, prenant la forme d’une peine d’emprisonnement assortie du sursis simple d’un durée de dix mois. L’arrêt de la cour d’appel de Rennes énonce que c’est le directeur de l’hôpital qui avait effectué le signalement au procureur de la République en novembre 2004 ; il détaille à nouveau les mauvais traitements subis par les usagers vulnérables, et nomme les victimes et les auteurs de ces délits (au nombre de sept) qui ont fait l’objet de sanctions disciplinaires en interne. Le parquet qui avait fait appel de la décision du tribunal correctionnel avait également demandé à ce que les faits soient requalifiés.
4. ... et l’arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2013
Le médecin ayant fait appel de cette décision de la cour d’appel de Rennes, la chambre criminelle de la Cour de cassation est appelée une seconde fois à juger cette affaire. Dans son pourvoi, le médecin contestait la requalification des faits de non-information de mauvais traitements réprimée par l’article 434-3 du code pénal en délit d’omission d’empêcher une infraction réprimée par l’article 223-6, alinéa 1er, du même code. Il contestait également la possibilité qu’il aurait eu d’empêcher par son action immédiate les faits délictueux, ce qui est une condition de l’application de l’incrimination d’omission. Mais la cour suprême énonce que la requalification ne portait pas sur des faits nouveaux, qu’elle a été soumise au débat contradictoire, qu’elle a fait l’objet de réquisitions du ministère public et que le prévenu a été mis en mesure de s’en expliquer. Sur le second moyen, la cour estime que, même s’il n’avait pas autorité sur le personnel soignant, il pouvait intervenir auprès de l’encadrement des infirmiers et qu’en cas d’échec il lui appartenait de s’entretenir de la situation avec le directeur, même si celui-ci n’était pas soumis au secret médical.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et le médecin est donc condamné, cette fois de façon définitive, à une peine de dix mois de prison avec sursis (8).
Il est intéressant de souligner que la Cour de cassation mentionne clairement que son action est fondée sur le premier alinéa de l’article 223-6 du code pénal. Dans un grand nombre d’arrêts, elle se fonde sur cet article mais ne distingue pas les deux alinéas. Dans cet arrêt, la mention de l’alinéa 1er est importante car il n’est pas certain, selon nous, que la gravité des faits soit suffisante pour que les conditions de réalisation de cette incrimination de non-assistance à personne en danger soient établies sur le fondement de l’alinéa 2 de ce même article au regard de la jurisprudence actuelle qui exige que le risque de danger soit mortel ou très important pour les victimes.

c. Vers une obligation de signalement de violences institutionnelles ?

On peut constater que les autorités de l’hôpital n’ont pas transmis les informations nécessaires à l’agence régionale de santé (ARS), ni au département. Depuis les faits, de nombreuses circulaires font obligation d’informer ces autorités de tout dysfonctionnement dans la prise en charge des usagers. La dernière en date, la circulaire du 20 février 2014 relative au renforcement de la lutte contre la maltraitance et au développement de la bientraitance des personnes âgées et des personnes handicapées dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS) (9), présente ce qui est attendu des ARS en la matière (10). Elle souligne que ces signalements ne sont pas encore systématiques, ni toujours rapidement transmis, et attire l’attention sur l’importance de cette démarche qui doit être renforcée et s’étendre à l’ensemble des ESMS. L’administration précise que le signalement par ces établissements aux autorités administratives compétentes de tout dysfonctionnement dans la gestion ou l’organisation susceptible d’affecter la qualité de la prise en charge des personnes ou le respect de leurs droits sera rendu prochainement obligatoire, dans la future loi d’adaptation de la société au vieillissement. Ainsi, il existera la même obligation administrative dans le secteur des personnes âgées et des personnes handicapées que dans le champ de la protection de l’enfance, ce que nous avons toujours appelé de nos vœux.


III. Quelle posture professionnelle adopter ?

Face à des privations, des mauvais traitements ou des atteintes sexuelles infligés à un mineur de 15 ans ou à une personne vulnérable dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, quelle doit être l’attitude du travailleur social ?
Envers l’extérieur, il est tenu au secret professionnel (C. pén., art. 226-13).
Envers la justice, il a une liberté de choix. En effet, il résulte de la combinaison des articles 226-14 et 434-3 du code pénal que le professionnel soumis au secret n’est pas obligé de dénoncer les mauvais traitements et privations, mais qu’il n’encourt aucune poursuite s’il le fait. S’il informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de ces mauvais traitements, il ne sera pas punissable puisque la loi l’y autorise (C. pén., art. 226-14). A l’inverse, s’il respecte le secret professionnel et se tait, il ne sera pas non plus punissable sur le fondement de l’obligation de dénoncer. Au regard du droit pénal, il n’y a donc pas obligation mais possibilité de parler et donc absence de condamnations pénales pour l’intéressé.
En revanche, il a, comme tout citoyen, et dans tous les cas, l’obligation de porter assistance à personne en danger, soit personnellement, soit en provoquant des secours (C. pén., art. 223-6) (cf. infra, chapitre 4, section 2). Il devra établir qu’il a veillé à protéger la personne en danger pour éviter le renouvellement des violences dont il a eu connaissance.
De plus, s’il fait partie d’un service, il est tenu d’informer sa hiérarchie (chef de service, directeur) pour permettre à cette dernière d’exercer ses propres responsabilités.
C’est donc au regard de chaque situation que le professionnel choisira l’attitude à tenir. Pour se décider, « il interrogera sa conscience – son éthique –, il tiendra compte des règles applicables dans sa profession – sa déontologie ; il prendra également en compte les pratiques de son service –l’éthique du service ou le règlement intérieur [cf. annexe 1, p. 100] – ; il aura également en tête les obligations qui découlent pour lui de son contrat de travail [...] » (11).
Cette liberté de conscience qui est laissée au professionnel lui permet toujours de faire un signalement mais ne lui donne pas la possibilité de rester passif devant des mauvais traitements. Pour autant, aucun doute ne doit exister sur le fait que la personne soit tenue au secret professionnel.
Cela n’est pas le cas, par exemple, lorsqu’une mesure de protection concernant un enfant est confiée à un service par un juge. A titre d’illustration, une décision du tribunal correctionnel de Dijon du 13 novembre 1997, à rapprocher de l’affaire Montjoie, a condamné un éducateur chargé de la mise en œuvre d’une action éducative en milieu ouvert ainsi que la directrice du service à des peines de prison avec sursis et à des peines d’amende sur le fondement de l’article 434-1 du code pénal. Le tribunal leur a reproché « en qualité d’éducateurs de n’avoir pas rendu compte, sans attendre, au juge des enfants de qui ils tenaient leur mission, des faits très graves dont ils avaient connaissance » et de ne pas avoir fait suivre médicalement une jeune fille victime de viols. Estimant que la jeune fille était en sécurité chez sa tante, ils avaient fait un soit-transmis (12) au juge qui ne mentionnait pas les viols dont ils avaient connaissance. La condamnation de l’éducateur semble sévère puisqu’il avait informé sa hiérarchie de la situation. Mais les juges ont estimé qu’en cosignant le soit-transmis il était informé de son contenu et qu’ainsi il avait lui aussi caché la situation au juge des enfants, alors même que la loi fait obligation à la personne ou au service chargé de suivre le développement de l’enfant d’en faire rapport au juge périodiquement (C. civ., art. 375-2, al. 1).
Pour éviter de telles situations, il aurait sans doute été préférable que la loi précise clairement que tout professionnel travaillant sous l’autorité d’un magistrat ne peut lui opposer le secret professionnel. Certains auteurs estiment en effet qu’une telle disposition aurait permis de clarifier toutes les hésitations qui entourent la portée du mandat judiciaire (13).


(1)
Lors de la réforme du code pénal de 1994, la notion de « sévices » a été remplacée par celle de « mauvais traitements » qui apparaît beaucoup plus large puisqu’elle concerne aussi bien les actes volontaires destinés à nuire que les actes de négligence ou d’abstention. Mais la notion de « privations » a été conservée. Puis, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, a ajouté aux notions de mauvais traitements et de privations celles d’« atteintes sexuelles ».


(2)
Cass. crim., 17 mars 2010, n° 09-85670.


(3)
Rap. Sén., n° 274, Masson.


(4)
Rap. AN n° 2244, Colcombet M.-F.


(5)
Cass. crim., 27 avril 2011, Hôpital local de Bonnétable n° 10-82200 ; cf. annexe 2, p. 105 ; RDSS n° 1/2012, p. 184, obs. Lhuillier. L’analyse développée ici reprend et complète celle parue dans la RDSS.


(6)
Cette condition sera supprimée par la loi du 2 janvier 2004 pour les enfants et par la loi du 5 mars 2007 pour les personnes vulnérables (C. pén., art. 226-14, 2°).


(7)
Rennes, 15 novembre 2011, n° 11/1467.


(8)
Cass. crim., 23 octobre 2013 n° 12-80793.


(9)
Circulaire n° DGCS/2A/2014/58 du 20 février 2014, NOR : AFSA1404514C, disponible sur circulaires.legifrance.gouv.fr


(10)
Ce sont en effet les ARS qui ont la responsabilité de mettre en œuvre, au niveau régional, la politique nationale de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées dans les établissements et services médico-sociaux, conformément à la loi « hôpital, patients, santé, territoires » du 21 juillet 2009.


(11)
Rosenczveig J.-P. et Verdier P., Le secret professionnel en travail social et médico-social, préc.


(12)
Un soit-transmis est l’envoi d’une information écrite.


(13)
Chomienne C. et Guéry C.

SECTION 1 - LES POSSIBILITÉS DE DÉNONCIATION

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