La possibilité d’un partage d’informations entre professionnels soumis au secret est une question qui a toujours suscité des débats. Un secret reste-t-il un secret s’il est partagé ? En matière de travail social, le secret des informations, au-delà des questions de droit, constitue le socle de la confiance entre le professionnel et la personne bénéficiaire de l’intervention.
Déjà en 1992, lors de la refonte du code pénal, s’est posée la question de consacrer législativement la notion de « secret partagé ». A l’époque, le Parlement s’y était refusé, estimant qu’elle présentait encore un caractère trop imprécis pour faire l’objet d’une disposition législative (1). Pourtant, celle-ci se développait par nécessité dans de nombreuses pratiques professionnelles. C’est ce que le Conseil d’Etat constatait, en 1995, regrettant que le législateur n’en ait pas précisé les contours plutôt que de l’écarter purement et simplement : « On peut assurément déplorer que ne figure dans la loi pénale une notion désormais courante dans la vie pratique, admise par la jurisprudence [...], ainsi que par plusieurs codes de déontologie [...]. La jurisprudence ne pourra se dispenser de continuer à y faire appel, ne serait-ce que pour préciser où elle s’arrête, mais dans des conditions moins sûres que si la loi avait, comme c’est son rôle, pris parti. Il conviendrait qu’elle s’y résolve. (2) »
De fait, « les évolutions du travail social, avec l’avènement d’autres professions et métiers, avec le développement du travail en équipe, la dynamisation de réseaux professionnels et le partenariat interinstitutionnel, ont amené à de nouvelles réflexions et positionnements » (3). Si l’article 226-13 du code pénal impose de ne pas révéler à des tiers des informations à caractère secret, la réalité de la prise en charge des personnes en difficulté ou de situations d’enfance en danger nécessite d’échanger des informations afin de permettre aux professionnels d’exercer leur métier efficacement.
C’est d’abord dans le champ médical que le partage d’informations a été institué, avec la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Puis dans le domaine de l’action sociale, avec les deux lois du 5 mars 2007 relatives à la protection de l’enfance et à la prévention de la délinquance. Elles ont, à leur tour, donné une existence juridique à la notion de secret partagé. Dans tous les cas, il est regrettable que ces innovations législatives n’aient pas trouvé leur place dans le code pénal, alors qu’elles constituent toutes de nouvelles exceptions au respect du secret professionnel.
Le secret peut être partagé exclusivement dans les situations suivantes prévues par la loi : entre professionnels de santé, entre professionnels concourant à la protection de l’enfance et entre professionnels de l’action sociale au sens large (et pas uniquement dans le cadre de la prévention de la délinquance).
Mais comme nous l’avons vu en introduction, les situations qui nécessitent le partage du secret sont appelées à se multiplier et le législateur en tient compte progressivement. Ainsi, à la suite de l’affaire très médiatisée du Chambon-sur-Lignon en 2011, la loi du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines a instauré un partage d’informations entre les autorités judiciaires et les chefs des établissements scolaires. Les premières doivent obligatoirement transmettre aux seconds une copie des décisions de placement sous contrôle judiciaire, de condamnation, d’aménagement de peine, de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté concernant un élève scolarisé dans leur établissement.
Dans un autre domaine, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 a mis en place, à titre expérimental, de nouveaux modes d’organisation des soins destinés à optimiser le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (Paerpa). Le partage d’informations est ici au cœur du projet afin d’assurer une meilleure prise en charge de l’usager et de diminuer les coûts qu’elle génère.
(1)
Naves P., avec la collaboration de Rabin-Costy G., Briand C., Lianos F., Néliaz L., et Oui A., La réforme de la protection de l’enfance. Une politique publique en mouvement, Ed. Dunod, 2007.
(2)
Conseil d’Etat, « La transparence et le secret », rapport public 1995, « Etudes et documents », n° 47, La Documentation française, 1996.
(3)
ANAS, « Secret professionnel, secret partagé », fiche III, disponible surhttp://anas.travail-social.com