Nous l’avons vu, les établissements publics et les établissements privés ayant une mission de service public doivent appliquer les règles générales de neutralité. Il serait souhaitable que les règlements intérieurs des établissements sociaux rappellent cette obligation de neutralité, même si cela n’est pas nécessaire à son application.
A. LE DROIT DES SALARIÉS
Concernant les salariés, la règle est claire : l’obligation de neutralité s’impose à l’ensemble des agents. Dans une décision du 17 octobre 2002 (1), le tribunal administratif de Paris a estimé légale la décision d’un établissement public hospitalier qui n’avait pas voulu renouveler le contrat d’une assistante sociale qui refusait d’enlever son voile : « Considérant que si les agents publics bénéficient, comme tous les citoyens, de la liberté de conscience et de religion édictée par les textes constitutionnels, conventionnels et législatifs qui prohibent toute discrimination fondée sur leurs croyances religieuses ou leur athéisme, notamment pour l’accès aux fonctions, le déroulement de carrière ou encore le régime disciplinaire, le principe de laïcité de l’Etat et de ses démembrements et celui de la neutralité des services publics font obstacle à ce que ces agents disposent, dans l’exercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses, notamment par une extériorisation vestimentaire ; que ce principe, qui vise à protéger les usagers du service de tout risque d’influence ou d’atteinte à leur propre liberté de conscience, concerne tous les services publics et pas seulement celui de l’enseignement ; que cette obligation trouve à s’appliquer avec une rigueur particulière dans les services publics dont les usagers sont dans un état de fragilité ou de dépendance. »
De même, il va de soi que tout comportement qui nuirait au bon fonctionnement du service devra être sanctionné par les directions des établissements. Par exemple, un salarié ne peut quitter son poste pour aller prier ou refuser de faire tel acte que sa religion lui interdirait ou déconseillerait. Des questions peuvent se poser concernant les plannings de vacances pour les fêtes religieuses mais celles-ci doivent être traitées par les directions d’établissements de façon anticipée.
B. LE DROIT DES USAGERS
Concernant les usagers, la charte de la laïcité dans les services publics évoque la situation spécifique des usagers accueillis à temps complet, notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires. Elle énonce ainsi un principe général selon lequel « les usagers accueillis à temps complet dans un service public, notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leurs croyances et de participer à l’exercice de leur culte, sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service ».
Les instances nationales
Les instances nationales qui peuvent légitimement traiter de cette question sont multiples. On peut citer la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ou le Défenseur des droits. Mais c’est de l’Observatoire de la laïcité, créé spécifiquement pour répondre à ce sujet, que les pouvoirs publics attendent les réponses.
L’Observatoire de la laïcité
Le décret n° 2007-425 du 25 mars 2007 a créé un Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre qui relève des commissions à caractère consultatif. Ce texte a été modifié par le décret n° 2010-271 du 17 mars 2010 et l’Observatoire de la laïcité a été prorogé de cinq ans à compter de 2013 jusqu’au 5 avril 2018. L’Observatoire de la laïcité assiste le gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics. A ce titre, il réunit les données, produit et fait produire les analyses, études et recherches permettant d’éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité. Il peut saisir le Premier ministre de toute demande tendant à la réalisation d’études ou de recherches dans le domaine de la laïcité. Il peut lui proposer toute mesure qui lui paraît permettre une meilleure mise en œuvre de ce principe, notamment pour assurer l’information des agents publics et des usagers des services publics. L’Observatoire remet chaque année au Premier ministre un rapport qui est rendu public. Il peut également rédiger des études thématiques.
L’Observatoire de la laïcité vient de publier son premier rapport annuel (2). Il a émis un avis sur la définition et l’encadrement du fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants le 15 octobre 2013 (3). Cet avis n’est pas favorable au vote d’une loi, mais préconise une meilleure information voire une formation des personnels et la publication et la diffusion de guides pratiques par branches ou secteurs d’activité.
L’Observatoire de la laïcité publie des guides pratiques pour les gestionnaires. Le dernier en date est intituléLaïcité et gestion du fait religieux dans les structures socio-éducatives. Il est destiné aux structures non confessionnelles et a pour objet d’apporter des réponses concrètes aux questions liées aux pratiques religieuses, qui peuvent survenir lors de l’organisation de camps de vacances.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)
La Commission nationale consultative des droits de l’homme est une structure étatique, assimilée à une autorité administrative indépendante (AAI), qui assure auprès du gouvernement et du Parlement un rôle de conseil et de proposition dans le domaine des droits de l’homme, du droit et de l’action humanitaire et du respect des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Son indépendance est inscrite dans la loi n° 2007-292 du 5 mars 2007. Elle est composée de 64 personnes représentant la société civile française. Créée par un décret du 27 mars 1947, elle a toujours exercé un rôle de conseil, de protection et de promotion des droits fondamentaux. Elle se prononce sur les lois en préparation et sur toutes les questions liées aux droits de l’homme. Elle a rendu un avis en assemblée plénière sur le port du voile intégral le 21 janvier 2010, sur la réforme de protection du secret des sources le 25 avril 2013, sur le droit au respect de la vie privée et familiale et les placements d’enfants en France le 27 juillet 2013 et sur l’effectivité des droits des personnes âgées le 27 juin 2013 (4). Concernant le port du voile intégral, l’avis de cette commission est peu favorable à une loi générale ; il n’a pas été suivi par le gouvernement Fillon qui a voté la loi interdisant la dissimulation du visage sur la voie publique. Concernant l’application du principe de laïcité, celle-ci a rendu un avis adopté en assemblée plénière le 26 septembre 2013 se déclarant non favorable à l’élaboration d’une nouvelle loi. Elle prône une meilleure connaissance du droit positif actuel tout en reconnaissant quelques points à éclaircir, questions que le Défenseur des droits a posées par ailleurs au Conseil d’Etat.
Le Défenseur des droits
Le Défenseur des droits est une autorité constitutionnelle indépendante inscrite dans la Constitution depuis le 23 juillet 2008 qui a pour mission de veiller à la protection des droits et des libertés et de promouvoir l’égalité : « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés et à la promotion de l’égalité »(art. 71.1 de la Constitution). Son président est nommé par le président de la République, après un vote de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour six ans de façon non-renouvelable et non-révocable. Il a saisi le Conseil d’Etat sur l’application du principe de laïcité aux collaborateurs bénévoles ou occasionnels du service public et salariés du secteur privé agissant en lien avec les pouvoirs publics.
Signalons également que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a publié un avis intitulé « Le fait religieux dans l’entreprise » le 12 novembre 2013 et que la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) a donné son avis à plusieurs reprises sur le port du voile en entreprise
La circulaire du 2 février 2005 (5) relative à la laïcité dans les établissements de santé (publics ou privés ayant une mission de service public) évoque deux questions précises : la liberté religieuse et le libre choix du praticien. Elle rappelle que les établissements de santé doivent donner des réponses aux questions religieuses ou existentielles que peuvent poser des patients par l’intermédiaire des représentants des différents cultes. En revanche, l’usager ne peut perturber le fonctionnement normal du service en exigeant tel intervenant de sexe féminin ou masculin.
(1)
Trib. adm. Paris, 17 octobre 2002, Mme Christine E., n° 0101740/5.
(2)
Rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2013-2014, mai 2014, disponible surwww.gouvernement.fr/ gouvernement/observatoire-de-la-laicite
(3)
(4)
Tous ces avis sont consultables sur son site : www.cncdh.fr
(5)
Circulaire DHOS/G n° 2005-57 du 2 février 2005, NOR : SANH0530037C, BO Santé-protection sociale-solidarités n° 2005/2.