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Les établissements privés n’ayant pas une mission de service public

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Dans ces établissements, les questions commencent seulement à se poser. Le débat a lieu en ce moment et l’on peut se demander si le législateur ne sera pas contraint encore une fois à trancher.


A. LE DROIT DES SALARIÉS

Pour mémoire, dans les établissements privés, c’est le principe des libertés de conscience et religieuse qui est la règle. La liberté d’exprimer une appartenance religieuse doit être permise (1). Mais des restrictions à ce principe peuvent être prévues soit au niveau des conventions collectives, soit, et c’est le plus souvent le cas, au niveau du règlement intérieur de chaque établissement (cf. annexe 1, p. 100).
Dans le secteur social, la convention collective nationale de la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010 a admis un principe de neutralité, applicable aux salariés de ce secteur : « Les salariés sont tenus de respecter la plus stricte neutralité politique, religieuse, philosophique et syndicale pendant leur activité professionnelle et une entière discrétion sur ce qu’ils ont pu connaître à l’occasion des interventions effectuées à domicile et notamment dans les familles compte tenu de la spécificité du lieu de travail » (CCN, titre IV, chapitre 1, art. 7). Ainsi, le lieu de travail étant le domicile des usagers, le principe de neutralité est adopté dans cette branche.
Concernant la liberté vestimentaire, il est frappant de constater que le débat s’est inversé. Jusqu’à présent, les tribunaux protégeaient les salariés de certains employeurs qui les obligeaient à porter des vêtements dégradants, notamment dans les parcs d’attractions. Mais aujourd’hui, les obligations portent désormais davantage sur les salariés. Le port du voile islamique est-il permis ou à quelles conditions peut-il être interdit dans les établissements sociaux privés ? La réponse dépend de la position qu’adoptera l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans l’affaire Baby Loup qui devra statuer le 16 juin 2014. Mais les directeurs devraient réfléchir à la position à adopter si cette situation se présentait dans leur établissement. S’ils souhaitent interdire le port du voile, ils doivent réfléchir aux justifications qu’ils devront mentionner dans le règlement intérieur et le champ de cette restriction. D’autres raisons peuvent être invoquées concernant l’hygiène et la sécurité. La Cour d’appel de Paris a validé le licenciement d’un agent hospitalier travaillant dans une maison de retraite pour des questions d’hygiène. La Halde avait eu à traiter également d’une employée d’un hôtel qui refusait de porter les vêtements adaptés lorsqu’elle se trouvait en cuisine (2).
Les demandes de congés pour les fêtes religieuses sont susceptibles de créer des difficultés aux employeurs. Cette question doit elle aussi être anticipée. Dans la fonction publique, une information sur la date des fêtes religieuses des diverses religions est envoyée aux responsables. L’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) préconise dans une de ses recommandations de généraliser cette pratique dans le secteur privé (3).
Les salariés peuvent solliciter également d’autres exceptions à la règle commune : prière pendant la journée, repas particuliers (4). Il convient de rappeler que l’égalité de traitement des salariés est un principe de base de la gestion du personnel. Mais l’employeur peut ou doit aménager les droits des salariés en fonction de ses possibilités. Ces demandes ne peuvent avoir pour conséquence de perturber le fonctionnement de l’entreprise. Les instances de régulation, comme les délégués territoriaux du Défenseur des droits, ou la justice seront toujours sensibles au fait que l’employeur a examiné les possibilités de répondre à la demande du salarié.


B. LE DROIT DES USAGERS

Nous développerons ici quelques droits et devoirs de l’usager qui s’appliquent généralement tant à l’usager du service public qu’à celui des établissements privés.


I. La liberté vestimentaire

Le principe est que l’usager est libre de porter les vêtements qu’il souhaite, avec toutefois la réserve de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Le règlement de fonctionnement de chaque service ou établissement social devrait alors fixer la conduite à tenir dans le cas où un usager se présenterait ainsi voilé. La plupart du temps, les consignes données aux salariés sont claires : l’agent peut refuser de délivrer une quelconque prestation. Il peut demander à la personne de se dévoiler. En cas de refus, l’agent a le droit de mettre fin à l’entretien. Il n’en sera pas de même si la personne admise dans un établissement est à l’intérieur de sa chambre, laquelle est considérée comme un lieu privatif.
Il va de soi également que les vêtements devront être adaptés aux activités. Pour des raisons tenant à la sécurité de l’usager et à la responsabilité des professionnels, l’organisateur de l’activité de sports ou de loisirs peut refuser à l’usager portant un vêtement inadapté sa participation à ladite activité. Il est possible de se référer à nouveau ici à la jurisprudence administrative admettant le renvoi d’une lycéenne refusant d’ôter son voile pendant un cours d’éducation physique (5).


II. Le droit à la pratique religieuse

Ce droit a suscité de nombreux débats.
A l’hôpital public, un texte réglementaire rappelle ce droit : « Les hospitalisés doivent être mis en mesure de participer à l’exercice de leur culte. Ils reçoivent, sur demande de leur part adressée à l’administration de l’établissement, la visite du ministre du culte de leur choix » (C. santé publ., art. R. 1112-46).
Ce droit est édicté également dans toutes les chartes, notamment à l’article 11 de la charte des droits et libertés de la personne accueillie sous le titre « Droit à la pratique religieuse » : « Les conditions de la pratique religieuse y compris la visite de représentants des différentes confessions doivent être facilitées, sans que celles-ci puissent faire obstacle aux missions des établissements ou services. Les personnels et les bénéficiaires s’obligent à un respect mutuel des croyances, convictions et opinions. Ce droit à la pratique religieuse s’exerce dans le respect de la liberté d’autrui et sous réserve que son exercice ne trouble pas le fonctionnement normal des établissements et services. »
Concernant la présence de personnels religieux, la loi de 1905 permet un financement de l’activité religieuse dans les établissements publics. Elle admet « la prise en charge directe par les collectivités publiques de certains services religieux (aumônerie, hôpitaux, prisons, établissements sociaux) dès l’instant que leur organisation est indispensable pour assurer à tous le libre exercice du culte » (6). Comme l’écrit la circulaire du 9 janvier 1986, « c’est à ce titre qu’il appartient aux établissements relevant du titre IV du statut général des fonctionnaires d’assurer le fonctionnement d’un service d’aumônerie destiné à répondre aux besoins spirituels des patients ou résidents qu’ils accueillent » (7). Cela signifie : recruter des aumôniers, les salarier et leur fournir un local de permanence et un lieu de culte. Si des usagers souhaitent se rendre à leurs cultes chaque semaine, les établissements doivent faciliter ces déplacements.
De nombreux textes précisent également que le libre choix du praticien ne permet pas au malade de s’opposer, pour des motifs tirés de sa religion, à ce qu’un membre de l’équipe de soins procède à un acte de diagnostic ou de soins.


III. Les repas

La question des repas dans les services de restauration collective du service public a fait l’objet de la circulaire du 16 août 2011 (8). La restauration scolaire publique est un service public facultatif proposé par la mairie, le conseil général ou le conseil régional et, en l’absence de réglementation nationale précise, il appartient à chaque collectivité de poser des règles en la matière. Les gestionnaires disposent donc d’une grande liberté dans l’établissement des menus. Le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers, ni une obligation pour les collectivités. Elles sont libres de pratiquer la politique qu’elles souhaitent à condition qu’il n’y ait pas de discrimination dans l’accueil des usagers (9). Elles peuvent fixer des prix différents en fonction de la prestation servie, par exemple pour les repas bio et les repas spécifiques, comme les repas halal.
Il semble que cette liberté concerne les établissements sociaux et médico-sociaux qui devront toutefois prendre en considération l’impossibilité pour certains usagers de manger ailleurs que dans l’établissement. Ils devront s’efforcer de prendre en compte les convictions des usagers tout en faisant fonctionner normalement leur service. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé comme contraire à la Convention européenne des droits de l’homme le refus de servir un menu végétarien à un détenu de confession bouddhiste qui n’avait pas la possibilité de prendre ses repas à l’extérieur de la prison (10). Le 7 novembre 2013, le tribunal administratif de Grenoble a sommé le centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) de servir des repas halal à ses détenus musulmans (11).
Si on transpose ces orientations dans le champ social, on irait dans le sens du respect des convictions religieuses des usagers des établissements sociaux qui eux aussi ne peuvent manger à l’extérieur des établissements.
En conclusion, le directeur dans chaque établissement social devra se poser ces questions et y répondre. Toutes ces règles, ou même si cela est nécessaire ces protocoles, devront figurer dans le règlement intérieur des établissements (sur le règlement intérieur, cf. annexe 1, p. 100). Ils devront faire l’objet de débats dans les diverses instances, notamment au niveau du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il est important de réfléchir collectivement à ces questions pour élaborer des principes généraux. De ces principes déclineront les réponses à toutes les demandes particulières des personnels et des usagers.
Une circulaire du 21 avril 2011 du ministère de l’Intérieur a demandé aux préfets de désigner des correspondants locaux « laïcité » (12). Ceux-ci doivent siéger au sein des conférences départementales de la liberté religieuse. Les gestionnaires d’établissements médico-sociaux peuvent s’adresser à ces correspondants ou saisir l’Observatoire de la laïcité et faire appel aux délégués territoriaux du Défenseur des droits pour des médiations.


(1)
Contra Canto-Sperber M., et Ricœur P.,« Une laïcité d’exclusion est le meilleur ennemi de l’égalité »,Points de vues, Le Monde, 10 décembre 2003 : « Pour eux, l’exigence de neutralité devrait “être inscrite explicitement, à titre de réquisit de la déontologie, dans les professions qui sont au service du public, au premier rang desquelles la médecine”. »


(2)
Tous ces exemples sont issus du premier rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2013-2014, « Etat des lieux concernant la laïcité dans les établissements de santé », Lenoir- Salfati M., p. 96 et s.


(3)
CESE, « Le fait religieux dans l’entreprise », novembre 2013.


(4)
Verba D., Guélamine F. (sous la direction de), Interventions sociales et faits religieux, Presses de l’EHESP, 2014.


(5)
Conseil d’Etat, 10 mars 1995, req. n° 159981, préc., et Conseil d’Etat, 20 octobre 1999, req. n° 181486.


(6)
Robert J., « La liberté de religion, de pensée, de croyance », in Cabrillac R., Frison-Roche M.-A., Revet T. (sous la direction de), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 2003.


(7)
Circulaire DHOS/P1 n° 2006-538 du 20 décembre 2006, NOR : SANH0630579C, BO Santé-protection sociale-solidarités n° 2007/02.


(8)
Circulaire NOR : IOCK1110778C du 16 août 2011, BOMI n° 2011/8. Cette circulaire ne mentionnait pas l’obligation de fournir des repas halal. C’est cette question qui est à nouveau soulevée dans les établissements pénitentiaires par le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 novembre 2013 (cf. note 7).


(9)
Kimmel-Alcover A., « Restauration scolaire et laïcité : quand la religion de l’élève s’invite à la table de la cantine », RDSS n° 1/2014, p. 146.


(10)
Cour EDH, 7 décembre 2010, Jakobski c/ Pologne.


(11)
Trib. adm. Grenoble, 7 novembre 2013, n° 1302502, disponible surwww.droitsdesreligions.net


(12)
Circulaire du 21 avril 2011, NOR : IOCK1103788C, disponible surhttp://circulaires.legifrance.gouv.fr

SECTION 4 - LES CONSÉQUENCES DANS LE SECTEUR SOCIAL ET MÉDICO-SOCIAL

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