Mais la mise en œuvre de ce principe se révèle si délicate que le législateur et les magistrats sont obligés d’intervenir régulièrement dans plusieurs lieux comme l’école ou l’espace public, le gouvernement prônant, quant à lui, l’application d’une charte de la laïcité.
A. L’INTERVENTION DU LÉGISLATEUR
En 2000, le législateur français est déjà intervenu pour fixer les règles dans les écoles, collèges et lycées publics. L’article L. 141-1 du code de l’éducation rappelle : « Comme il est dit au 13e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture ; l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. » Mais surtout la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a créé l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation qui énonce que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève ».
En 2010, le législateur se saisit d’une question également vestimentaire, le port du voile intégral. Dans l’espace public, le gouvernement s’interroge sur la possibilité d’interdire l’anonymat. Ce débat aboutit à la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public dont les premiers articles précisent : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage (1). » « L’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public. » La méconnaissance de cette interdiction est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe (soit un montant maximal de 150 €, C. pén., art. 131-13). La loi du 11 octobre 2010 a également créé un nouveau délit dans le code pénal, « la dissimulation forcée du visage » : « le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende »(C. pén., art. 225-4-10). Une circulaire du 2 mars 2011 a apporté un certain nombre de précisions sur la mise en œuvre de ces dispositions. Et notamment que « les tenues destinées à dissimuler le visage sont celles qui rendent impossible l’identification de la personne. Il n’est pas nécessaire, à cet effet, que le visage soit intégralement dissimulé. Sont notamment interdits, sans prétendre à l’exhaustivité, le port de cagoules, de voiles intégraux (burqa, niqab...), de masques ou de tout autre accessoire ou vêtement ayant pour effet, pris isolément ou associé avec d’autres, de dissimuler le visage ».
Lorsqu’ils sont ouverts au public, les lieux de culte entrent dans le champ d’application de la loi. Le Conseil constitutionnel a toutefois précisé que « l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public ne saurait, sans porter une atteinte excessive à l’article 10 de la Déclaration de 1789, restreindre l’exercice de la liberté religieuse dans les lieux de culte ouverts au public ». Depuis le 11 avril 2011, les agents chargés d’un service public, qui pouvaient déjà être conduits à demander à une personne de se découvrir ponctuellement pour justifier de son identité, sont fondés à refuser l’accès au service à toute personne dont le visage est dissimulé. « Dans le cas où la personne dont le visage est dissimulé serait déjà entrée dans les locaux, il est recommandé aux agents de lui rappeler la réglementation applicable et de l’inviter au respect de la loi, en se découvrant ou en quittant les lieux. La dissimulation du visage fait obstacle à la délivrance des prestations du service public. En revanche, la loi ne confère en aucun cas à un agent le pouvoir de contraindre une personne à se découvrir ou à sortir. L’exercice d’une telle contrainte constituerait une voie de fait et exposerait son auteur à des poursuites pénales. Elle est donc absolument proscrite. En face d’un refus d’obtempérer, l’agent ou son chef de service doit faire appel aux forces de la police ou de la gendarmerie nationales, qui peuvent seules constater l’infraction, en dresser procès-verbal et procéder, le cas échéant, à la vérification de l’identité de la personne concernée. »
B. LE RÔLE DES JUGES
En 2011, le Conseil d’Etat a précisé dans cinq arrêts sa jurisprudence concernant les possibilités de financement des lieux de culte par les collectivités locales. Il a donné la possibilité à une collectivité locale d’acquérir un orgue en vue de l’installer dans l’église (2), de financer la construction d’un ascenseur (3) pour une autre, d’aménager un équipement permettant l’abattage rituel essentiellement destiné à fonctionner durant la fête de l’Aïd el-Kébir (4). En revanche, il n’a pas autorisé la mise à disposition pérenne et exclusive d’une salle en vue de son utilisation par une association pour l’exercice d’un culte lui conférant ainsi le caractère d’édifice cultuel (5)ni la signature d’un bail emphytéotique pour la construction d’une mosquée (6).
Ainsi, le Conseil d’Etat aménage l’interdiction stricte pour une collectivité locale d’aider financièrement un lieu de culte. « Si les collectivités territoriales peuvent prendre des décisions ou financer des projets en rapport avec des édifices ou des pratiques cultuels, elles ne peuvent le faire qu’à condition que ces décisions répondent à un intérêt public local, qu’elles respectent le principe de neutralité à l’égard des cultes et le principe d’égalité, et qu’elles excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte (7). » Si le financement d’activités confessionnelles est possible (par exemple des associations catholiques ou protestantes qui gèrent des services sociaux), il n’est pas possible de financer des activités cultuelles. Nous constaterons que toutes ces distinctions sont très subtiles, trop subtiles penseront certains.
Enfin en 2013, le Conseil constitutionnel a été appelé à se prononcer à propos d’une question prioritaire de constitutionnalité relative au financement du culte protestant en Alsace-Moselle (8). Il énonce dans cette décision les composantes du principe constitutionnel de laïcité reconnu par la République, la neutralité de l’Etat, la non-reconnaissance des cultes, le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, la garantie du libre exercice des cultes et le non-salariat pour aucun culte.
C. LES CHARTES DE LA LAÏCITÉ
Enfin, ce tableau juridique ne serait pas complet si nous ne mentionnions pas les diverses chartes édictées par le gouvernement dans les différents secteurs. Il convient de mentionner la charte de la laïcité dans les services publics du 20 avril 2009 (9) et la charte de la laïcité à l’école du 6 septembre 2013 (10), lesquelles précisent les obligations des professionnels mais également des usagers.
La charte de la laïcité dans les services publics énonce, par exemple, que le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations, et que les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public (cf. infra, section 3).
De son côté, la charte de la laïcité à l’école, qui doit être affichée dans tous les établissements des premier et second degrés, explicite les sens et enjeux du principe de laïcité à l’école dans son rapport avec les autres valeurs et principes de la République. Elle affirme ainsi que la République est laïque, l’école est laïque et que les enseignements sont laïcs. Cela a pour conséquence que les personnels ont un devoir de stricte neutralité, qu’aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique, qu’aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme et que, enfin, nul ne peut se prévaloir de son appartenance religieuse pour refuser de se conformer aux règles applicables dans l’école de la République.
De toutes ces données concernant le principe de laïcité, nous retiendrons les deux grands principes de neutralité de l’Etat et de protection de la liberté de conscience. La neutralité de l’Etat aura des conséquences sur l’application de cette liberté. Des distinctions sont faites entre les établissements ayant une mission de service public et ceux ayant une mission d’intérêt général ou d’utilité publique. C’est pourquoi il est nécessaire de préciser la nature juridique du service offert par les établissements et services sociaux et médico-sociaux pour savoir si ces établissements ont une mission de service public. C’est ce critère qui entraînera des différences et non pas la distinction privé-public.
Activité du Parlement : résolution, proposition et projet de loi
L’Assemblée nationale a adopté le 31 mai 2011, une résolution sur l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse (11).
Ce texte, après avoir rappelé les textes fondateurs et considéré que la liberté de conscience est l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, comporte 13 considérations, souhaits ou vœux. Ceux-ci sont très variés, allant du plus précis au plus général. Un souhait a été réalisé, celui d’élaborer un code de la laïcité et de la liberté religieuse.
Dans un point 7, la résolution « estime nécessaire que le principe de laïcité soit étendu à l’ensemble des personnes collaborant à un service public ainsi qu’à l’ensemble des structures privées des secteurs social, médico-social ou de la petite enfance chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général, hors le cas des aumôneries et des structures présentant un caractère “propre” d’inspiration confessionnelle ». Au point 14, elle « forme le vœu que la France fasse valoir dans le monde, notamment à travers les conventions et organisations internationales auxquelles elle participe, sa conception d’une laïcité équilibrée et de la défense de la liberté religieuse, afin que les peuples qui cherchent la liberté puissent s’en inspirer ».
Mais, par nature, cette résolution est dépourvue de force contraignante.
Le 25 octobre 2013, la sénatrice Françoise Laborde (Rassemblement démocratique et social européen) a présenté une proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance. Cette obligation viserait les crèches, les centres de vacances et de loisirs et les assistants maternels. Immédiatement on perçoit, alors que le champ est limité à la petite enfance, la complexité d’une telle disposition. Pour les crèches, il conviendrait de distinguer cinq types de structures qui auraient chacune des obligations différentes : les crèches publiques, les crèches privées non-confessionnelles recevant une aide financière publique, les crèches privées ne recevant pas d’aide financière publique, les crèches privées déclarées confessionnelles sans aide financière publique et les crèches privées déclarées confessionnelles recevant une aide financière publique. Pour les assistants maternels, ceux-ci devraient déclarer s’ils ont l’intention de manifester leur appartenance religieuse dans le cadre de l’activité d’accueil des enfants, lors de la signature du contrat d’accueil. Soulignons que la question se pose pour tous les autres modes d’accueil d’enfant, les assistants familiaux, les lieux de vie et les établissements sanitaires et sociaux.
Concernant cette fois la fonction publique, un projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a été déposé le 17 juillet 2013. Le premier article de ce projet devrait avoir pour objet de consacrer, dans le droit de la fonction publique, les valeurs communes aux agents publics : impartialité, probité, dignité, obligation de neutralité et de réserve, égalité de traitement et respect de la liberté de conscience de toutes les personnes, respect du principe de laïcité. Le rôle du chef de service serait reconnu solennellement pour veiller à l’application de ces valeurs fondamentales. Des règles déontologiques prises sous forme de décret seraient élaborées.
(1)
Dans le même esprit, une circulaire n° 2005-80 du 6 décembre 2005 rappelle que sur les photos apposées sur tous les documents d’identité la tête doit être « nue et de face ».
(2)
Conseil d’Etat, ass., 19 juillet 2011, req. n° 308544.
(3)
Conseil d’Etat, ass., 19 juillet 2011, req. n° 308817.
(4)
Conseil d’Etat, ass., 19 juillet 2011, req. n° 309161.
(5)
Conseil d’Etat, ass., 19 juillet 2011, req. n° 313518.
(6)
Conseil d’Etat, ass., 19 juillet 2011, req. n° 320796.
Cf. également le refus par le Conseil d’Etat que le conseil régional du Limousin subventionne des associations organisant des fêtes religieuses traditionnelles dénommées « ostensions septennales » consistant en la présentation des reliques de saints ayant vécu dans la région sous prétexte que ces fêtes soient également des manifestations culturelles (Conseil d’Etat, 15 février 2013, n° 347049). En revanche, Le Conseil d’Etat rejette un recours de l’UNEF tendant à dire que l’enseignement de théologie par les universités, notamment de Lorraine, est contraire au principe de laïcité et de neutralité de l’Etat (Conseil d’Etat, 15 décembre 2011, n° 354199) ; il rejette également un recours d’une association demandant l’annulation d’une circulaire relative à l’enseignement de la sexualité à l’école (Conseil d’Etat, 18 octobre 2000, n° 213303).
(7)
Conseil d’Etat, communiqué du 19 juillet 2011.
(8)
Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, JO du 23-02-13
(9)
Consultable sur www.sante.gouv.fr
(10)
Circulaire n° 2013-144 du 6 septembre 2013,
NOR : MENE1322761C, BOEN n° 33.
(11)
Résolution n° 672 du 31 mai 2011, consultable surhttp://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0672.asp