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Dans les établissements et services ayant une mission de service public

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Pour ce secteur, le droit est clairement établi depuis longtemps, même s’il est toujours nécessaire de le préciser et de rappeler quelques obligations aux usagers du service public.


A. POUR LES SALARIÉS

Le principe de neutralité s’applique aux salariés des établissements publics et à ceux des établissements privés ayant une mission de service public. Comme nous l’avons vu, dans le secteur public, c’est ce dernier point qui suscite quelques difficultés pour déterminer les services qui ont ou non des missions de service public.


I. Une attitude de neutralité

Pour respecter le principe de neutralité de l’Etat et l’égalité de traitement des usagers, il a été admis que les salariés de ces établissements devaient eux-mêmes afficher cette neutralité. Ainsi, les agents publics ou privés ayant des missions de service public ne doivent pas exposer leur religion ou leurs convictions politiques. Toute manifestation de ces convictions, notamment religieuses, tout port de signes religieux extérieurs est interdit dans le cadre du service public. Cette situation résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Dans un avis contentieux en date du 3 mai 2000 (1), le Conseil d’Etat devait répondre à plusieurs questions. D’une part, doit-on faire des distinctions entre les différents services publics, entre les différentes tâches exercées par l’agent (en contact direct avec les usagers ou pas) ? D’autre part, doit-on opérer une distinction entre les signes religieux selon leur nature ou le degré de leur caractère ostentatoire ? A ces questions, le Conseil d’Etat répond clairement. Le principe de neutralité s’applique à tous les agents du service public, enseignant ou pas, en contact ou non avec les usagers. Le Conseil d’Etat réfute la possibilité de porter un quelconque signe distinctif. « Le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations. »
Ces restrictions peuvent s’appliquer à d’autres sujets que la tenue vestimentaire des fonctionnaires. L’administration peut s’intéresser aux articles de fonctionnaires publiés dans la presse, sur Internet ou sur un blog. L’agent public qui manque à son obligation de neutralité par l’utilisation d’Internet s’expose à une sanction disciplinaire. Tel est le cas d’un agent public qui avait utilisé l’adresse Internet de son employeur pour faire du prosélytisme en faveur d’une association (2), ou d’un sous-préfet qui a été révoqué pour avoir critiqué la politique israélienne sur le Net (3).
Ces positions sont suivies par la chambre sociale de la Cour de cassation dont le dernier arrêt sur ce sujet est daté du même jour que celui de la crèche Baby Loup. En l’espèce, une caisse de sécurité sociale, organisme privé mais ayant une mission de service public, a licencié une salariée qui pourtant n’avait pas de contact avec le public, parce qu’elle portait « un foulard en bonnet » signe de son appartenance à la religion musulmane. Elle conteste son licenciement dans un premier temps devant la juridiction prud’homale, puis devant la cour d’appel de Paris qui rejette sa demande. Saisie, la Cour de cassation rend un arrêt le 19 mars 2013 (4) qui affirme, d’une part, que « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé et que, si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires ». D’autre part, elle estime que pour cette technicienne de prestations maladie qui travaille dans un centre accueillant en moyenne six cent cinquante usager par jour, peu importe qu’elle soit en contact direct ou non avec le public, « la restriction instaurée par le règlement intérieur de la caisse était nécessaire à la mise en œuvre du principe de laïcité de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public ».
Dans le secteur public, ou plus exactement dans les services qui exercent une mission de service public, le droit applicable est donc relativement clair. Le principe de neutralité exige des professionnels aucun signe, aucune manifestation de leur religion.


Le feuilleton judiciaire de l’affaire Baby Loup

Il convient de rappeler l’état de la situation judiciaire de cette affaire, typiquement française selon nos amis étrangers, concernant l’association gérant une crèche dénommée Baby Loup. Cette association est financée à 80 % par des fonds publics et à 20 % par des fonds privés, principalement des dotations de fondations telles que MacDonald, Vivendi, Vinci, Eolia...L’enjeu principal est la liberté de porter le voile islamique dans les entreprises privées. Jusqu’à cette affaire, la Cour de cassation ne s’était jamais prononcée, alors que de nombreux tribunaux judiciaires avaient rendu des décisions différentes sur ce sujet.
Les faits et la procédure de l’affaire Baby Loup
Les faits
Tout commence le 19 décembre 2008 quand une salariée de la crèche, de retour de congé parental depuis un an, Mme A., est licenciée pour faute grave ayant refusé de retirer le voile islamique qu’elle portait. Après un emploi solidarité du 6 décembre au 6 juin 1992, un contrat qualification du 1er décembre 1993 au 30 novembre 1995, elle avait été embauchée sur un contrat à durée indéterminée au 1er janvier 1997 en qualité d’éducatrice de jeunes enfants exerçant les fonctions de directrice adjointe. Elle avait alors sollicité une rupture conventionnelle de contrat, mais la direction l’avait refusée.
La procédure
Elle saisit, le 9 janvier 2009, la juridiction prud’homale de Mantes-la-Jolie en demandant la nullité de son licenciement. Celle-ci refuse de faire droit à la demande de la plaignante qui fait appel de cette décision.
De même, la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 27 octobre 2011 (5), dit le licenciement fondé et rejette la demande en nullité du licenciement. Mme A. saisit alors la chambre sociale de la Cour de cassation qui lui donne cette fois raison dans un arrêt du 19 mars 2013 (6). Après avoir énoncé les raisons de cette cassation, elle renvoie cependant la décision devant la cour d’appel de Paris qui a rendu sa décision le 27 novembre 2013 (7). Cette solution, contraire à celle de la Cour de cassation, estime justifier le licenciement de la salariée.
La requérante a saisi à nouveau la Cour de cassation, qui jugera définitivement l’affaire en assemblée plénière le 16 juin 2014. Si la Cour de cassation décide de maintenir la solution de sa chambre sociale, elle pourra choisir d’apporter elle-même la solution au litige ou renvoyer l’affaire devant une autre cour d’appel qui aura obligation de suivre sa position sur le fond. Il se peut que la requérante assigne la France devant la Cour européenne des droits de l’homme ou que le législateur se décide à voter une loi malgré l’ensemble des avis donnés par les différentes autorités de conseil.
Le raisonnement juridique de la Cour de cassation le 19 mars 2013...
Pour juger de la licéité du licenciement, la réponse peut se décomposer en deux points. D’une part, l’association gérant la crèche a-t-elle une mission de service public ? Dans l’affirmative, les règles de neutralité qui s’appliquent aux fonctionnaires doivent également s’appliquer à cette salariée du secteur privé, du fait de ses missions. D’autre part, le règlement intérieur de la crèche Baby Loup était-il assez précis et répondait-il aux conditions de l’article L. 1321-3 du code du travail ?
Concernant le premier point, la réponse est négative. La crèche Baby Loup est gérée par une association qui certes a des missions d’intérêt général, mais n’exerce pas une mission de service public. Cette mission de service public aurait pu découler du fait d’un certain nombre d’indices, comme l’octroi de fonds publics, une mission d’intérêt général, des conditions de création, d’organisation et de fonctionnement, des objectifs déterminés et évalués. Mais surtout, elle n’a pas reçu de délégation de service public de la part de la commune.
Concernant le second point, pour la chambre sociale de la Cour de cassation, le règlement intérieur de la crèche est trop général et ne répond pas aux exigences de précision de l’article L. 1321-3 du code du travail. Celui-ci, entré en vigueur le 15 juillet 2003, prévoit que le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu’en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche. La Cour de cassation aurait voulu que le règlement intérieur précise en quoi une tenue vestimentaire signifiant une appartenance religieuse pouvait nuire au bon fonctionnement de la crèche.
... et celui de la cour d’appel de Paris le 27 novembre 2013
La cour d’appel de Paris reprend les deux questions posées : le statut du service et le règlement intérieur. Elle estime tout d’abord qu’une personne morale de droit privé qui assure une mission d’intérêt général peut dans certaines circonstances constituer« une entreprise de conviction », dans le sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, etse doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches. Elle juge que c’est à bon droit que l’association Baby Loup s’est dotée de cette obligation, s’occupant d’enfants. Elle évoque l’article 14 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) afin, dit-elle, de protéger la liberté de penser, de conscience et de religion (8) tant des enfants que des femmes en insertion formées dans cette crèche.
Concernant le règlement intérieur, la cour d’appel de Paris confirme la position de son procureur général qui avait estimé que « le règlement de la crèche était suffisamment clair et opposable à tous ». Les juges du fond estiment que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité ».


II. Quid des bénévoles ?

La question avait été posée concernant les collaborateurs du service public, notamment concernant l’Education nationale, mais la même question peut se poser pour les bénévoles intervenant dans les établissements et services sociaux. A la demande du Défenseur des droits, le Conseil d’Etat a réalisé une étude portant sur diverses questions relatives à l’application du principe de neutralité religieuse dans les services publics (9). Sa position est explicite : aucun texte ne soumet ces collaborateurs à l’exigence de neutralité religieuse. Le Conseil d’Etat considère ces collaborateurs (en l’occurrence les parents d’élèves) comme des usagers. Seul un jugement du tribunal administratif de Montreuil de 2011 (10) s’est appuyé sur la notion de « participation au service public », auquel s’appliquerait le principe de laïcité, pour en déduire que les parents d’élèves volontaires pour accompagner les sorties scolaires ne peuvent, dès lors qu’ils participent dans ce cadre au service public, manifester en cette occasion, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions. Concernant les mères voilées accompagnant des sorties scolaires, le Conseil d’Etat a estimé qu’elles ne sont pas soumises, par principe, à la neutralité religieuse. La plus haute juridiction administrative a tout de même rappelé que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses » (11). Des rectorats ont adopté ce principe de façon systématique, mais des contentieux engagés par des femmes voilées sont en cours.


III. L’absence de discrimination

Il va de soi cependant que les fonctionnaires bénéficient de la liberté de conscience et ne peuvent pas faire l’objet de discrimination du fait de leurs opinions religieuses ou politiques. Le Conseil d’Etat considère que les convictions politiques ne peuvent justifier ni un rejet de candidature à un concours de la fonction publique (12) ni une mesure disciplinaire (13). Dans ces affaires, les deux requérants étaient communistes. L’un s’était vu refuser la possibilité de passer le concours de l’ENA et l’autre, inspecteur d’académie, avait été relevé de ses fonctions. Il en est de même pour les convictions religieuses. Le licenciement d’une assistante sociale scolaire, motivé uniquement par ses opinions religieuses, a été jugé illégal (14). En revanche, le Conseil d’Etat a jugé légal le fait d’écarter la possibilité pour un prêtre de passer le concours d’agrégation de la fonction publique du secondaire, ce concours donnant le droit d’enseigner dans le service public (15). Mais cette dernière position n’est plus « représentative du droit en ce qui touche l’accès des ecclésiastiques à l’enseignement public » (16).


B. POUR LES USAGERS

Le comportement des usagers est principalement défini par les chartes, notamment par la charte de la laïcité dans les services publics. Cette charte rappelle que si les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène, ils doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme. Ils ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public. Cependant, le service s’efforce de prendre en considération les convictions des usagers dans le respect des règles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement. Le port de signes religieux dans les écoles a suscité une abondante jurisprudence du Conseil d’Etat. Contrairement à ce qui concerne les enseignants du service public, la nature des signes et les conditions dans lesquelles les élèves les portent doivent faire l’objet d’une appréciation, notamment des responsables d’établissement. En effet, si ces signes sont portés individuellement ou collectivement, si du fait de leur caractère ostentatoire ou revendicatif, ils constituent un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, portent atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettent leur santé ou leur sécurité (17), perturbent le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troublent l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public, alors il pourraient être interdits (18). Notons que le Conseil d’Etat a jugé que le port du voile islamique pour une élève n’était pas en soi une manifestation ostentatoire et a confirmé le refus d’un renvoi d’une élève de son lycée sur ce simple fondement (19).


(1)
Conseil d’Etat, avis, 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux, n° 217017.


(2)
Conseil d’Etat, 15 octobre 2003, req. n° 244428.


(3)
Conseil d’Etat, 23 avril 2009, n° 316862. Cf. aussi Cavaniol A., « Le fonctionnaire internaute est-il affranchi de ses obligations déontologiques ? », AJDA, 14 février 2011, p. 252.


(4)
Cass. soc., 19 mars 2013, n° 12-11690.


(5)
Versailles, 27 octobre 2011, n° 10/05642.


(6)
Cass. soc., 19 mars 2013, « Mme A. c/ l’association de la crèche Baby Loup », n° 11-28845 (cf. annexe 2, p. 108).


(7)
Paris, 27 novembre 2013, n° 13/02981.


(8)
L’article 14 de la CIDE concernant la liberté de pensée de conscience et de religion énonce que « les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Les Etats parties respectent le droit et le devoir des parents[...] de guider celui-ci dans l’exercice [de ce droit]. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu’aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui ». La référence à cet article est selon nous assez paradoxale, car toute expression religieuse peut menacer la liberté de conscience.


(9)
Conseil d’Etat, « Etude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013 », adoptée par l’assemblée générale le 19 décembre 2013, p. 31.


(10)
Trib. adm. Montreuil, 22 novembre 2011, Mme Osman, n° 1012015.


(11)
Conseil d’Etat, « Etude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013 », préc., p. 34.


(12)
Conseil d’Etat, 28 mai 1954, Barel, req. n° 28238.


(13)
Conseil d’Etat, 1er octobre 1954, Guille.


(14)
Conseil d’Etat, 8 décembre 1948, Dlle Pasteau.


(15)
Conseil d’Etat, 10 mai 1912, abbé Bouteyre, req. n° 46027.


(16)
Conseil d’Etat, « Etude demandée par le Défenseur des droits le 20 septembre 2013 », préc., p. 15.


(17)
Le Conseil d’Etat a jugé légal le renvoi de deux élèves qui refusaient d’enlever leur foulard pour des cours d’éducation physique, le port du foulard étant incompatible avec le bon déroulement d’un cours d’éducation physique (Conseil d’Etat, 10 mars 1995, req. n° 159981).


(18)
Conseil d’Etat, 2 novembre 1992, req. n° 130394.


(19)
Conseil d’Etat, 9 octobre 1996, req. n° 172725.

SECTION 3 - L’APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ : LE DROIT POSITIF ACTUEL

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