Deux questions principales se posent concernant les effets de la distinction entre mission d’intérêt général et mission de service public et la possibilité d’assimiler les associations gérant des établissements sociaux et médico-sociaux à des entreprises de tendance.
A. LA DISTINCTION ENTRE MISSION D’INTÉRÊT GÉNÉRAL ET MISSION DE SERVICE PUBLIC
Si certains juristes (1) plaident en faveur de la reconnaissance de missions de service public au regard d’une analyse juridique qui pencherait en ce sens (2), mettant en avant les intérêts de ces organismes face aux menaces des communautés européennes, les associations gestionnaires et leurs représentants notamment l’Uniopss y sont opposés. Craignant les contraintes du service public, ils arguent que les associations doivent garder leur liberté et que les dangers seraient grands d’admettre que les établissements sociaux et médico-sociaux aient des missions de service public. Il est vrai que les associations gestionnaires d’établissements sociaux revendiquent souvent leur liberté et n’hésitent pas à mettre en avant leurs valeurs d’inspiration religieuse, philosophique, ou autres pour requérir des fonds ou souligner les fondements de leur engagement. L’affaire Baby Loup peut servir d’argument pour souligner les contraintes du service public.
Cela étant, au regard de l’usager, certains ne discernent pas ce qui justifie la différence de traitement entre un établissement public et un établissement privé financé sur fonds public. C’est pourquoi, dans de nombreux établissements privés confessionnels gérant des publics fragiles et vulnérables, une position de neutralité est sollicitée, notamment ce qui concerne l’habillement. Il existe cependant en droit une grande différence entre « sollicité » et « imposé ».
B. LES ENTREPRISES DE TENDANCE
Une autre qualification serait possible pour les établissements privés confessionnels ou non, celle d’entreprises de tendance (3) ou de conviction selon l’expression de la cour d’appel de Paris dans l’affaire de la crèche Baby Loup.
Les entreprises de tendance« sont essentiellement des associations, des syndicats ou des groupements [...] dans lesquels une idéologie, une morale, une philosophie ou une politique est expressément prônée. Autrement dit, l’objet essentiel de l’activité de ces entreprises est la défense et la promotion d’une doctrine ou d’une éthique » (4).
Elles concernent, en l’état actuel de la jurisprudence : les partis politiques, les syndicats, les établissements d’enseignement privés et les associations cultuelles.
Dans ces entreprises, la liberté des salariés est moins protégée. Ils ne peuvent afficher ou prôner une philosophie contraire à celle de leur employeur. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation oscille quelquefois (elle a acceptée dans le passé le licenciement d’une salariée du fait de son remariage), mais elle semble actuellement adopter la position de son arrêt du 17 avril 1991 (refus du licenciement lié à l’homosexualité d’un aide sacristain de la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet) car il faut que le comportement du salarié « compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, [ait] créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière » (5).
La directive communautaire du 27 novembre 2000 reconnaît la notion d’entreprise de tendance (6). Un débat juridique pourrait avoir lieu sur la possibilité actuelle de reconnaître ces entreprises, car la directive n’admet plus leur création dans le futur (7). Et même dans ces entreprises de tendance, « si une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’établissement est requise » (8), la liberté des salariés est protégée comme nous l’avons vu dans l’arrêt du 17 avril 1991.
(1)
Poinsot O., « L’action sociale et médico-sociale, un service public industriel et commercial ? », JCP éd. A n° 45, 7 novembre 2005, p. 1358 ; Brenet F., « Le droit des marchés publics et les services publics sociaux », RDSS n° 5/2006, p. 811 ; Lhuillier J.-M., « De quoi les établissements et les services sociaux et médico-sociaux sont-ils le nom ? », RDSS n° 1/2010, p. 123.
(2)
Cf. conclusions du Commissaire du gouvernement Célia Verot, et commentaire de Geneviève Koubi et Gilles J. Guglielmi sous l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 février 2007, préc., RDSS n° 3/2007, p. 499.
(3)
Dole G., « La liberté d’opinion et de conscience en droit comparé du travail », LGDJ Bibliothèque de droit social, tome 25.
(4)
Waquet P., « Loyauté du salarié dans les entreprises de tendance », Gazette du Palais, 1996, p. 1427.
(5)
Cass. soc., 17 avril 1991, n° 90-42636.
(6)
Directive 2000-78-CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, JO n° L. 303 du 02-12-00, p. 0016-0022.
(7)
Article 4 paragraphe 2 de la directive. Les Etats membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur à la date d’adoption de la présente directive ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. La présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitutionnelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation.
(8)
Favier M., « Règlement intérieur : les champs du possible », L’actualité sociale, Fromont Briens, 2013.