En matière de responsabilité, la cause du dommage (le dysfonctionnement du service public de l’état civil) et le préjudice subi par les usagers ne suffisent pas. Sur le terrain civil, l’existence d’un lien de causalité entre ces deux éléments doit être établie et sur le terrain pénal, il est nécessaire d’imputer les faits incriminés à une personne déterminée. La situation est assez particulière pour l’état civil organisé comme service public. Le fait que le maire s’engage en sa qualité d’officier de l’état civil questionne la responsabilité personnelle qui est la sienne. L’Etat est cependant garant de la mise en place et de l’organisation d’un tel service public, et fonde, de fait, l’action en responsabilité dirigée contre lui.
A. LA RESPONSABILITÉ PERSONNELLE DU MAIRE
Traditionnellement, les juridictions judiciaires qui interprétaient les articles 51 et 52 du code civil considéraient que la responsabilité personnelle du maire devait être retenue dès lors qu’il était établi qu’il assumait la responsabilité du fonctionnement du service de l’état civil. Cette responsabilité pouvait être recherchée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, qu’il s’agisse de faits permettant de constater une altération des registres, et d’une manière générale pour tout manquement ou négligence dans la tenue des registres et la rédaction des actes de l’état civil. Tout au plus, cette responsabilité du maire pouvait être transférée à son suppléant lorsque la suppléance du maire était effective (1) et sous réserve que la situation ne fût pas régularisée par la suite par le maire (2). Alors que depuis 1972, la mise en œuvre de la responsabilité des agents publics repose sur la distinction entre faute personnelle et faute de service, force était de constater que les principes retenus à propos de la responsabilité des maires, s’agissant de leur responsabilité en matière de fonctionnement de l’état civil, étaient archaïques et contestables juridiquement.
L’instruction générale de l’état civil (IGREC n° 23) reprend à son compte la distinction classique opérée par la jurisprudence administrative entre faute personnelle et faute de service. Les juridictions de l’ordre judiciaire font parfois de la résistance en retenant la faute simple du maire, et en le condamnant à 1 € (3). Il y a donc lieu de déterminer si la faute est une faute personnelle commise par l’officier de l’état civil ou une faute de service mettant en cause le fonctionnement du service de l’état civil d’une commune. L’usager victime d’une erreur de l’officier de l’état civil a donc tout intérêt le cas échéant à envisager de diriger son action contre l’Etat.
B. L’ACTION EN RESPONSABILITÉ DIRIGÉE CONTRE L’ÉTAT
Deux arguments militent en faveur d’une action dirigée contre l’Etat et devant les juridictions de l’ordre judiciaire, lorsqu’un usager met en cause le fonctionnement du service public de l’état civil. Les actes de l’état civil concernent l’état de toute personne prise en sa qualité de personne privée, et le fonctionnement du service de l’état civil est placé sous le contrôle de l’autorité judiciaire (4). Par ailleurs, une omission d’une mention dans un acte de l’état civil, une erreur ou un motif de nullité, peut être à l’origine du préjudice subi par l’usager. Dans l’arrêt précité du 28 avril 1981, la Cour de cassation a admis que les particuliers pouvaient, dans de telles circonstances, mettre en cause directement la responsabilité du service de l’état civil défectueux, et donc agir contre l’Etat. Les actes accomplis par le maire en qualité d’officier de l’état civil sont effectués au nom et pour le compte de l’Etat (5). Si la preuve d’un dysfonctionnement du service public de l’état civil est rapportée, la responsabilité de l’Etat pourra donc être retenue. La compétence des juridictions administratives sera sollicitée ensuite dans l’hypothèse où une action en garantie est dirigée contre l’agent à l’origine de la faute ou lorsque l’Etat exerce l’action récursoire.
Par ailleurs, les procureurs de la République comme les greffes jouent un rôle fondamental en matière d’état des personnes, et en agissant pour le compte de l’Etat engagent aussi la responsabilité de ce dernier si la faute commise dans l’exercice de leurs fonctions est qualifiée de faute de service. S’agissant des initiatives prises par le procureur de la République, une distinction doit être faite selon qu’il intervient en qualité de supérieur hiérarchique des officiers de l’état civil, ou comme acteur des procédures relatives à l’état civil. Dans ce dernier cas, le procureur de la République intervient par voie d’instructions et celles-ci ne préjugent en aucune manière ce qui sera la décision du juge de fond en matière d’état des personnes. La question de la responsabilité de l’Etat, comme la responsabilité personnelle du procureur de la République, a donc peu de chance d’être recherchée. Il en est différemment pour les décisions formelles prises par le procureur de la République (contrôle des actes et registres, injonctions, sanctions). Ces décisions restent soumises au contrôle du tribunal de grande instance mais la faute de ser-vice qui ne manquerait pas d’être évoquée par un justiciable et usager du service public pourrait, de fait, engager celle de l’Etat (sur la responsabilité des greffiers, cf. IGREC nos 19 à 33).
(1)
Tribunal civil de Marennes, 23 juin 1907.
(2)
Cass. req. 15 juin 1909, DP 1911.1.113 ; Cass. civ., 1re, 28 avril 1981, n° 79-16274, à propos d’une omission de dresser un avis de mariage à la mairie du lieu de naissance.
(3)
Dijon, 4 février 2003, Truong-Hong c/ Gras, cité in Répertoire Dalloz, Encyclopédie des collectivités territoriales, chapitre 5, fascicule Responsabilité civile et administrative, mise à jour septembre 2013.
(4)
T. confl., 17 juin 1991, aff. Maadjel, req. n° 02650.
(5)
Dans le même sens, cf. Cass. civ. 1re, 14 novembre 2006, n° 04-10058 ; Cass. civ. 1re, 6 février 2007, n° 06.10403.