L’article 46 du code civil permet de remplacer par d’autres modes de preuve les actes de l’état civil inexistants par suite de cas de force majeure : pour les actes authentiques, le principe reste exceptionnel. Il est donc nécessaire de veiller au remplacement des actes inexistants ou dont le support matériel est défectueux. Il convient de préciser dans quelles circonstances un jugement supplétif, c’est-à-dire remplaçant un acte de l’état civil, peut être obtenu, ce qui revient à préciser le domaine d’application de l’article 46 du code civil avant de déterminer la procédure à suivre pour obtenir un tel jugement. La procédure n’est guère différente de celle qui consiste à obtenir un jugement déclaratif, c’est-à-dire un jugement faisant état d’un événement non déclaré en son temps (par exemple une naissance). Quel que soit l’objectif poursuivi, l’action introduite devant le tribunal modifiera l’acte d’état civil d’origine si elle est reconnue comme recevable et fondée en droit.
A. LES CIRCONSTANCESPRÉVUES PAR LA LOI
Les circonstances dans lesquelles il peut être suppléé aux actes de l’état civil défectueux ou incomplets relèvent à la fois de la perte ou de l’inexistence de registres de l’état civil, ou du fait que la personne qui sollicite l’obtention d’un jugement supplétif est dépourvue d’un état civil complet. Au fil des événements et notamment des faits de guerre qui font partie de son Histoire, la France s’est dotée d’un droit propre qui organise la reconstitution administrative des registres détruits à la suite de faits de guerre. Mais la difficulté est également présente pour les ressortissants français nés à l’étranger. Aux termes de l’Instruction générale relative à l’état civil, il faut regrouper sous l’article 46 du code civil les circonstances suivantes : rédaction de l’acte rendue impossible par suite d’un événement de force majeure, registres irrégulièrement tenus, impossibilité de savoir où l’acte a été enregistré, voire encore des circonstances exceptionnelles qui empêchent de se procurer une copie d’un acte dressé à l’étranger ou encore la personne majeure qui ignore sa propre identité. Il conviendra de s’intéresser plus particulièrement aux faits qui caractérisent la perte ou l’inexistence des registres de l’état civil, avant d’envisager comment suppléer l’état civil consulaire défaillant ou de remplacer un acte qui n’a pas été établi par l’autorité locale étrangère.
I. Les registres de l’état civil perdus ou inexistants
[Code civil, article 46 ; code de procédure civile, article 1047]
Lorsque les registres n’ont pas été tenus ou lorsqu’ils ont été détruits, les particuliers peuvent obtenir pour chacun des actes manquants un jugement qui y suppléera (1). La situation reste en droit assez exceptionnelle, puisqu’il faut le rappeler, chaque registre est tenu en double exemplaire, et qu’il est toujours possible de se prévaloir des copies intégrales ou d’extraits des actes de l’état civil à partir des registres existants. L’absence de registres de l’état civil en un lieu et une date déterminés justifient pleinement que l’usager concerné cherche à obtenir un jugement, remplaçant l’acte de l’état civil inexistant, tout particulièrement si la preuve par témoins ne peut être rapportée ou se révèle impossible, selon la loi étrangère de l’intéressé. L’impossibilité de produire l’acte d’état civil peut encore être liée à la situation de la personne qui serait, par exemple, frappée d’amnésie (2) et qui bénéficiera dans un premier temps d’un état civil provisoire avant que le jugement rendu ne fasse l’objet de transcription en marge de l’état civil. Les situations qui relèvent de l’article 46 du code civil concernent les mariages, les naissances et les décès, c’est-à-dire les principaux événements liés à l’état des personnes et mentionnés dans les registres de l’état civil depuis que son organisation moderne a été mise en place. Une jurisprudence déjà ancienne admettait la possibilité de suppléer par un jugement à un acte de naissance, de mariage ou un acte de décès, mais aussi à un acte régulier de reconnaissance d’enfant naturel. Il n’est pas rare que devant les tribunaux le jugement supplétif soit invoqué en lieu et place d’un acte de naissance, dans le cadre notamment des demandes visant à faire reconnaître sa qualité de Français (3) ; encore faut-il que les conditions soient remplies pour obtenir un tel jugement. Il ne faut pas que l’obtention d’un tel jugement vise en fait à combler les insuffisances des démarches entreprises pour obtenir un acte de l’état civil (4). Le jugement supplétif qui peut être invoqué dans le cadre d’une procédure peut avoir été rendu par une juridiction étrangère. La Cour de cassation reconnaît alors aux juges de première instance et d’appel le droit d’écarter de tels jugements des débats lorsque leur contenu est contradictoire ou incohérent avec d’autres moyens produits en preuve (5).
La situation est différente de celle de la personne qui n’a pas procédé en temps et en heure à la déclaration de naissance. Dans ce cas, un jugement déclaratif est nécessaire pour reconstituer l’acte manquant.
II. Le remplacement des registres de l’état civil à l’étranger
[IGREC nos 107 et 145]
Des circonstances exceptionnelles (faits de guerre, conditions climatiques, absence de poste consulaire) peuvent être à l’origine de l’impossibilité de faire établir un acte de l’état civil pour des ressortissants français établis hors de France. L’impossibilité d’agir et de faire est appréciée tant du côté des autorités consulaires que des autorités locales étrangères. L’état civil étant nécessaire à tout à chacun, l’article 8 alinéa 2 du décret n° 2008-521 du 2 juin 2008 prévoit dans de telles conditions qu’il sera suppléé à cette carence, par l’obtention d’un jugement supplétif, selon les règles prévues par le code de procédure civile. La requête peut être présentée :
- devant le tribunal de grande instance du lieu où demeure le requérant s’il réside ou est établi en France ;
- devant le tribunal de grande instance de Paris si le requérant est établi hors du territoire national alors même que la compétence du tribunal de Nantes pourrait, elle aussi, être invoquée si le critère qui est pris en compte pour justifier cette compétence est le lieu où l’acte de l’état civil doit être conservé.
Il appartiendra le cas échéant aux tribunaux judiciaires de trancher ce conflit de compétence.
III. Le remplacement d’un acte qui n’a pas été dressé par l’autorité locale étrangère
Certains pays sont confrontés à une absence de sécurisation juridique parce qu’ils ne disposent pas d’un état civil moderne, permanent et accessible à tous. L’inscription des informations sur ces mêmes registres de l’état civil est parfois facultative. Par ailleurs, lorsque de tels registres existent ou ont pu exister avant d’être détruits, il n’est pas rare qu’ils contiennent ou des omissions ou des erreurs. Dans de telles circonstances, prouver l’état civil qui est le sien peut se révéler impossible pour l’usager concerné qui n’a pourtant pas d’autres possibilités s’il entend se prévaloir des droits qui sont les siens. L’article 46 du code civil prévoit que la preuve de l’état de la personne puisse se faire soit par témoins, soit par les titres produits, y compris ceux qui émanent des père et mère décédés. A l’inverse, l’indication du nom de la mère dans l’acte de naissance de l’enfant suffit à établir le lien de filiation qui les unit, qu’elle soit mariée ou non (C. civ., art. 311-25). L’Instruction générale relative à l’état civil retient la même analyse : les tribunaux français et le Service central d’état civil sont bien compétents pour suppléer aux actes perdus ou qui auraient dû être dressés (actes omis).
B. LA PROCÉDURE MISE EN Å’UVRE
[Code civil, article 46 ; code de procédure civile, article 1055]
L’initiative procédurale relève de la personne qui effectue une telle démarche pour bénéficier d’un état civil complet et du procureur de la République. L’usager intéressé pour introduire une telle action peut saisir le 1tribunal par l’intermédiaire d’un avocat, la demande étant formée à titre principal devant le tribunal de grande instance compétent. Toute personne devant être pourvue d’un état civil, le procureur de la République doit aussi solliciter du tribunal l’obtention d’un jugement supplétif dès qu’il a connaissance de la situation d’une personne confrontée à un état civil défaillant.
Le tribunal saisi apprécie les preuves relatives à la perte ou à la destruction des registres ou des actes dont le requérant entend se prévaloir, et celles des faits constitutifs de l’état de la personne. Dans le premier cas, même si le constat d’une telle situation peut être établi par un document officiel, le requérant n’est pas dispensé de la charge de la preuve de tels faits. L’inexistence des actes de l’état civil vise les cas les plus divers : la perte des registres au sens propre du terme est liée à leur destruction partielle ou totale ou au fait que les feuillets de ces registres aient pu être lacérés ou supprimés. Leur inexistence peut encore avoir pour origine le fait qu’ils aient pu être tenus de manière irrégulière, ou en dehors du formalisme exigé par la loi, qu’il y ait ou non faute imputable à l’officier de l’état civil (6).
Une attention particulière doit être accordée aux demandes des requérants dont le pays d’origine ne dispose pas d’une organisation sécurisée et permanente de l’état civil. L’impossibilité à laquelle se réfère le code civil est matérielle mais peut aussi être juridique, notamment lorsqu’il s’agit de prouver une naissance dans un pays qui n’existe plus en tant que tel ou qui a subi une modification de son statut ou de ses frontières.
Quant aux faits de l’état civil eux-mêmes, l’article 46 du code civil détermine les modes de preuve recevables : registres et papiers émanant des pères et mères décédés, témoignages ; mais la jurisprudence n’écarte pas les présomptions graves, précises et concordantes (7). Les juges de fond apprécient souverainement leur valeur probante. S’agissant des témoignages, cela suppose que les témoins aient assisté à l’événement (mariage ou naissance, par exemple). Pour les écrits référencés par l’article 46 du code civil (registres et papiers émanant des père et mère décédés), la loi leur attache une importance certaine qui n’empêche pas cependant que d’autres écrits puissent être examinés par le tribunal compétent.
Le jugement rendu par le tribunal de grande instance peut être frappé d’une voie de recours, qu’il s’agisse de l’appel (voie de recours ordinaire) ou de la tierce-opposition (voie de recours extraordinaire) et elle est ouverte au ministère public (C. pr. civ., art. 1055, al. 2).
C. L’ACTE D’ÉTAT CIVIL D’ORIGINE MODIFIÉ
[Code civil, articles 91 et 100]
Si la demande introduite devant le tribunal de grande instance est considérée comme fondée, le jugement supplétif qui est rendu fait état de l’événement allégué et prouvé (par exemple, le mariage) et il est retranscrit en marge de l’acte le plus rapproché de l’acte omis. L’usager qui aura pris l’initiative d’introduire une procédure pourra de nouveau se prévaloir de l’état civil complet qui est le sien. La décision définitive transcrite sur les registres de l’état civil tient lieu de l’acte qui n’a pas été établi. Le Service central d’état civil est à solliciter si l’événement est survenu à l’étranger. La décision ainsi rendue est opposable à tous, au même titre que les jugements déclaratifs de décès et les jugements rectificatifs des actes de l’état civil en général.
D. L’OBTENTION D’UN JUGEMENT CONSTATANT UN ÉVÉNEMENT NON DÉCLARÉ
[Code civil, articles 55, 85, 87, 88 à 92 ; IGREC, nos 470 à 482-1]
La loi soumet la preuve de certains événements non déclarés en leur temps à un jugement déclaratif. Tel est le cas lorsque les déclarants doivent respecter un délai légal (déclaration tardive de naissance), ce qui permet de vérifier plus facilement, d’une part, l’existence de l’événement en question, et, d’autre part, que le délai pour le déclarer officiellement a été dépassé. Dans d’autres circonstances, le déclarant n’est pas obligé de se manifester dans un certain délai, mais la loi pose comme condition que l’événement puisse être vérifié. Ainsi en est-il en matière d’acte de décès. Il est possible aussi que l’événement déclaré n’ait pu être vérifié par l’officier de l’état civil. En tout état de cause, c’est un jugement déclaratif qui devra être obtenu pour réparer ce qui n’a pas été déclaré ou constaté tardivement. Les articles 88 à 92 du code civil fixent le principe général d’obtention d’un jugement déclaratif en matière de décès (8). Le fait constaté par jugement existe, mais n’a pu être établi et il doit donc être déclaré comme tel. L’obtention d’un jugement est nécessaire lorsque des éléments de l’état civil font défaut : ainsi en est-il pour le jugement déclaratif de décès lorsque le corps de la personne décédée n’a pu être retrouvé, mais dont on est pourtant certain, à l’issue d’une procédure ou d’une enquête, que l’événement est établi. L’hypothèse concerne aussi la déclaration de naissance faite à tort à l’étranger alors même que l’événement est survenu en France et aurait dû être déclaré comme tel auprès de l’officier de l’état civil territorialement compétent. C’est donc l’événement lui-même qui n’a pas été rendu public par les actes de l’état civil, et pour chacun des éléments qui le caractérisent, comme le lieu ou la date de naissance. Dès lors, lorsque la preuve d’un de ses éléments fait défaut, par exemple le lieu de naissance, il est légitime de se demander si le jugement déclaratif peut combler cette défaillance. Il paraît difficile de ne pas attribuer à la personne concernée l’état civil qui lui fait défaut, sous prétexte qu’un renseignement dans l’acte de l’état civil n’existe pas. Il s’agit de suppléer à un acte qui ne peut être établi, compte tenu de la défaillance substantielle. Pourtant, les juridictions de fond ont une analyse hétérogène. La cour d’appel de Toulouse (9) l’a accepté alors que celle de Colmar (10) s’y est opposée.
Les dispositions du code civil et celles du code de procédure civile ne font pas mention de la procédure applicable. Dans les faits, c’est la procédure gracieuse de droit commun qui semble avoir vocation à s’appliquer, comme en matière de rectification des actes. La compétence des juridictions françaises est parfois questionnée lorsque l’événement d’état civil est survenu dans un Etat étranger où il n’a pas été déclaré. Le caractère d’ordre public de la situation justifie pleinement que le parquet agisse d’office en déclaration judiciaire de naissance, de décès, et de fait saisisse les juridictions françaises. Une fois le jugement rendu, il est transcrit au lieu où l’événement aurait dû être enregistré ou au Service central d’état civil si l’événement est survenu à l’étranger. Le jugement qui est transcrit est porté en marge sur le ou les registres appropriés (naissance, mariage, décès, tels qu’ils sont visés par la décision judiciaire) de l’année courante, et mention sommaire en est faite à leur date sur les registres où figuraient les actes détruits ou endommagés (C. pr. civ., art. 1056). La transcription peut encore avoir lieu en la commune de résidence de l’intéressé s’il n’est pas possible d’établir le lieu où se trouvent les registres détruits (cas de l’amnésique, cf. supra).
Mais pour éviter les doublons liés à l’existence d’un événement déclaré ou enregistré à l’étranger, il convient de vérifier auprès du Service central d’état civil de Nantes qu’il n’existe pas un autre acte de l’état civil se référant au même événement et aux mêmes personnes. Cette responsabilité relève du procureur de la République.
(1)
L’article 46 du code civil se réfère d’une part à l’inexistence et à la perte des registres de l’état civil et, d’autre part aux moyens de preuve qui peuvent être invoqués. La cour d’appel de Paris n’a pas manqué de rappeler que seul un jugement supplétif est de nature à suppléer l’acte inexistant ou perdu (Paris, 2 décembre 1999, RTD civ., 2000.290, obs. Hauser). Par ailleurs, le code de procédure civile ne se réfère pas à un régime spécifique pour l’obtention d’un tel jugement. Il existe toutefois un régime général en matière de procédure relative aux actes de l’état civil (C. proc. civ., art. 1047 à 1055).
(2)
TGI Lille, 28 septembre 1995, D. 1997.29, note Labee.
(3)
Cass. civ. 1re, 4 janvier 1972, n° 70-11.211 ; Cass. civ. 1re, 20 avril 1983, n° 82-11.086.
(4)
En ce sens, Cass. civ. 1re, 27 février 2013, n° 12-16970 à propos des démarches jugées insuffisantes pour obtenir un acte de naissance pour un ressortissant d’Azerbaïdjan, alors république soviétique.
(5)
Cass. civ. 1re, 28 octobre 2003, n° 01-17077.
(6)
Par exemple, la tenue des actes sur des feuilles volantes sans que ce procédé soit validé eu égard à des circonstances exceptionnelles.
(7)
Paris, 21 février 1938, DH 1939, somm. 13, cité par IGREC n° 142.
(8)
Sur le cas des personnes mortes pour la France et autres cas particuliers, cf. IGREC, nos 129 et 129-1, 442 à 449.
(9)
Toulouse, 12 avril 1994, JCP 1995. IV. 227.
(10)
Colmar, 6 octobre 1995, D. 1997. 431, note S. Miraba.