Parce qu’elle relève d’une démarche mais surtout d’un acte qui se veut solennel, la reconnaissance d’enfant ne peut être reçue que par les personnes dûment visées par la loi et dans les conditions prévues par cette dernière (C. civ., art. 316). Elle ne peut donc intervenir dans le cadre d’un acte sous seing privé pour être valablement acceptée comme telle. Elle peut être valablement faite devant un officier de l’état civil ou un notaire. Dans ce cas, elle fait l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance de l’enfant permettant ainsi d’assurer la publicité de la filiation (1). L’intervention du tribunal n’est pas exclue, qu’elle soit la conséquence d’une demande introduite à titre principal ou à titre incident devant la juridiction. Mais en tout état de cause, une reconnaissance établie sous seing privé ne pourrait être considérée comme valable, faute de respecter l’une des formes prescrites par la loi.
A. DEVANT L’OFFICIER D’ÉTAT CIVIL
[Code civil, articles 57-1, 310-2, 311-25 et 316 ; code de procédure civile, article 423 ; IGREC n° 311-3]
La reconnaissance faite devant l’officier d’état civil peut l’être soit dans l’acte de naissance, soit dans un acte séparé et elle intervient de manière individuelle pour chaque enfant, en cas de naissance multiple. Chacun des père et mère peut faire cette reconnaissance dans un acte distinct et sans que leur initiative soit subordonnée au consentement de l’autre. Mais le fait que le nom de la mère soit inscrit dans l’acte de naissance rend sans objet la reconnaissance maternelle sur le terrain du droit de la filiation. La reconnaissance d’un enfant n’implique pas que soit établie avec vraisemblance la preuve du lien biologique entre l’auteur de la reconnaissance et l’enfant à reconnaître. La démarche de reconnaissance constitue cependant un aveu de filiation. En cas de doute sur la réalité du lien filial, la preuve par tests scientifiques reste envisageable mais il n’est pas possible d’y avoir recours en dehors des conditions prévues par la loi (C. civ., art. 16-10 à 16-13), à savoir que seul un juge, dans le cadre d’une instance judiciaire prévue à cet effet, peut ordonner une mesure d’instruction en ce sens.
La reconnaissance d’un enfant peut cependant se révéler impossible dans un cas particulier : celui où l’établissement du second lien de filiation par une reconnaissance de l’autre parent caractérise une situation d’inceste absolu (circulaire du 28 octobre 2011, n° 267), c’est-à-dire une situation où il existe entre les deux auteurs de la reconnaissance d’enfant un empêchement à mariage absolu (inceste fondé sur un lien de parenté direct ou en ligne collatérale : père et fille, mère et fils, frère et sœur). Dans une telle hypothèse, l’enfant ne peut être reconnu que par l’un de ses parents. Encore faut-il que l’officier de l’état civil qui reçoit une telle reconnaissance ou qui est en charge de sa transcription, soit en mesure d’identifier la situation litigieuse. Au moindre doute sur la situation qui se présente à lui, il a l’obligation d’aviser sans délai le procureur de la République qui se prononcera sur la suite à donner, et notamment sur l’opportunité de faire déclarer nulle la seconde reconnaissance dès lors qu’elle constitue un trouble à l’ordre public. Le parquet est d’autant plus en mesure d’apprécier la réalité de la situation que l’officier de l’état civil lui fait parvenir une copie intégrale de l’acte de naissance avec la mention de l’avis qui lui a été envoyé. Interdiction est alors faite à l’officier de l’état civil de faire état de cette reconnaissance si le tribunal de grande instance a été saisi aux fins de trancher le conflit de filiation soulevé par le procureur de la République. Tel est le cas pour un acte de naissance qui fait déjà apparaître le double lien de filiation avant que ne soit communiqué à l’officier de l’état civil la reconnaissance dont l’enfant fait l’objet. Le procureur de la République doit alors faire parvenir ses instructions à l’officier de l’état civil concernant la délivrance des copies ou extraits des actes litigieux qu’il détient (acte de naissance et de reconnaissance).
Des responsabilités complémentaires incombent à l’officier de l’état civil du lieu de naissance d’un enfant. Il a non seulement la responsabilité d’apposer les mentions marginales sur l’acte de naissance (cf. supra, chapitre 1, section 2, § 1, B, III), mais il doit encore aviser le parent qui a reconnu l’enfant en premier, de la démarche entreprise ensuite par l’autre parent d’établir sa filiation à l’égard de l’enfant. Cette information a lieu par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. L’objectif du législateur en 1996 (2), en introduisant l’article 57-1 au code civil, a été d’inviter les officiers de l’état civil à agir sans délai, principe repris et conforté par l’Instruction générale relative à l’état civil qui définit précisément les formalités de mise en œuvre. La reconnaissance par un parent, qui est faite, rappelons-le, sans contrôle a priori, peut donc comporter une intention de nuire à l’autre parent. Il s’agit alors de permettre à l’autre parent avisé en temps utile de cette seconde reconnaissance de contester cette reconnaissance s’il estime qu’elle est mensongère ou d’en tirer toutes les conséquences, en demandant à l’auteur de la reconnaissance d’assumer ses obligations, notamment au regard de son obligation d’entretien envers l’enfant reconnu. La difficulté à localiser le parent qui vit avec l’enfant et qui l’a reconnu en premier lieu ne permet cependant pas toujours aux officiers de l’état civil de faire face à leurs obligations.
B. DEVANT NOTAIRE
Un notaire peut aussi recevoir une reconnaissance d’enfant, dès lors qu’il est territorialement compétent, soit dans le cadre d’un acte séparé, soit dans un acte autre, par exemple le testament ou un contrat de mariage. Il est important que l’acte visé soit un acte authentique. La particularité de cette démarche est que le caractère secret de la filiation peut subsister un certain temps puisque la reconnaissance ne fera pas l’objet d’une transcription immédiate sur les registres de l’état civil. Ainsi en est-il de la reconnaissance établie dans un testament dont l’ouverture et la lecture ne peuvent avoir lieu avant le décès du testateur. Toutefois, lorsque cette reconnaissance est retranscrite en marge de l’acte de naissance de la personne concernée, elle prend date au jour où elle a été faite, c’est-à-dire dans ce cas-là au jour où a été établi l’acte de reconnaissance.
C. DEVANT LE TRIBUNAL
Il faut imaginer ici le cas où les registres de l’état civil ont été détruits et où l’objectif pour le requérant est d’obtenir un jugement supplétif qui tienne lieu à la fois d’acte de naissance et d’établissement de la filiation. Dans ce cas-là, la démarche introduite devant le tribunal de grande instance est faite à titre principal. Elle n’exclut pas que le requérant puisse demander dans le cadre d’un contentieux élevé devant la même juridiction en matière d’établissement de la filiation que le jugement rendu tienne lieu d’établissement de la filiation. Encore faut-il que la personne contre laquelle le jugement est rendu et qui se voit opposer une filiation établie par jugement et à son encontre ait comparu devant le tribunal (3).
Reconnaissance d’enfant et refus de délivrance de titre de séjour
La question n’est pas nouvelle, mais se situait pour l’essentiel sur le terrain du droit de la filiation. L’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, portant réforme du droit de la filiation, légitime la compétence du procureur de la République pour tous les cas de fraude consécutifs ou inhérents à une reconnaissance d’enfant. Qu’il s’agisse d’empêcher l’exécution d’une mesure d’éloignement du territoire français ou de faciliter l’acquisition d’un titre de séjour ou de la nationalité française, la reconnaissance mensongère et frauduleuse se doit d’être annulée, et elle ne peut produire les effets juridiques escomptés. La cour d’appel de Lyon (4) a ainsi déclaré nulle la reconnaissance faite par un ressortissant français afin de permettre à la mère de l’enfant reconnu d’obtenir un titre de séjour en France. La particularité de l’espèce tient au fait que les juges du fond ont déduit des faits eux-mêmes le caractère frauduleux de la reconnaissance, et alors même que le principal intéressé, l’auteur de la reconnaissance, avait refusé de se soumettre à une expertise ADN. La circulaire du 30 juin 2006 prenait déjà en compte cette hypothèse. L’opposabilité d’un acte de nature privée (la reconnaissance d’un enfant) aux services de la préfecture pour faire échec à l’obtention frauduleuse d’un titre de séjour s’est posée devant les juridictions administratives. L’obtention d’un titre de séjour est tout à fait envisageable pour le parent d’un enfant français qui ne vit pas en état de polygamie et qui réside en France (Ceseda, art. L. 313-11, 6°). Celle-ci est conditionnée au fait que le parent concerné contribue de manière effective à l’entretien et à l’éducation de son enfant dans les conditions posées par l’article 371-2 du code civil. Si l’acte de reconnaissance qui tend à établir une filiation vis-à-vis d’un enfant n’est pas remis en cause par le juge judiciaire, il est opposable à l’égard de tous, y compris à l’administration. Mais dans la mesure où la fraude corrompt tout, il ne faut pas s’étonner de la solution retenue par le Conseil d’Etat le 10 juin 2013 (5) : le préfet est tenu de refuser de délivrer le titre de séjour au parent d’un enfant français qui est à l’origine d’une reconnaissance mensongère et frauduleuse. La Haute juridiction administrative confirme l’avis contentieux rendu le 9 octobre 1992 (6), selon lequel il appartient à l’administration de faire échec à une fraude même dans le cas où celle-ci prend forme dans un acte de nature privé. L’initiative du préfet relève du contrôle du juge administratif, autrement dit du juge de l’excès de pouvoir qui aura notamment à cœur de vérifier que la prescription légale, prévue par les articles 317, 321 et 335 du code civil, n’est pas acquise. Ajoutons enfin que sur le plan pénal, le fait de souscrire une reconnaissance mensongère afin d’obtenir un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement est constitutif d’un délit relevant de la compétence du tribunal correctionnel et expose son auteur à une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et à 15 000 € d’amende (Ceseda, art. L. 623-1).
[Circulaire CIV 2006-13 du 30 juin 2006, NOR : JUS C 0620513 C, BOMJ n° 103]
(1)
La Cour de cassation a cependant rappelé que la validité de la reconnaissance n’était pas subordonnée à l’accomplissement des formalités de publicité, dès lors que l’identité de l’enfant n’est pas discutée.
(2)
Loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l’adoption.
(3)
Cass. civ. 1re, 17 février 1982, n° 81-10298.
(4)
Lyon, 9 janvier 2012, n° 10/03701, inédit.
(5)
Conseil d’Etat, 10 juin 2013, 2e et 7e sous-sections réunies, n° 358835.
(6)
Conseil d’Etat, 9 octobre 1992, n° 137342, Lebon. 363 : le refus de délivrance était ici justifié par le caractère fictif du mariage.