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Le juge français et les traités du Conseil de l’Europe

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De nombreux outils existent pour permettre au juge français, et donc aux justiciables, de mobiliser de manière utile les traités du Conseil de l’Europe à l’occasion de tout litige.


A. L’APPLICABILITÉ DIRECTE

L’applicabilité directe de la CEDH a été reconnue par les juridictions françaises (1). Cela a contribué à faire de cette convention un instrument efficace en droit interne : un particulier est en droit d’invoquer la CEDH dans un litige contre un autre particulier ou contre l’Etat, le juge devant alors faire prévaloir la CEDH sur la norme interne éventuellement contraire.
L’effet direct a ainsi constitué un puissant vecteur de lutte contre les discriminations en raison de la nationalité en matière de protection sociale. Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’« il résulte des dispositions combinées de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950, et de l’article 1er du protocole n° 1 à cette Convention, du 20 mars 1952, tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’Homme, directement applicables à toute personne relevant de la juridiction des Etats signataires, que la jouissance d’une prestation telle que l’allocation aux adultes handicapés doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur l’origine nationale ; qu’il n’est pas contesté que M. X..., de nationalité turque, résidant en France, remplit les conditions requises pour l’obtention de la prestation litigieuse, en sorte que la décision de la caisse d’allocations familiales refusant l’attribution de cette prestation n’est pas justifiée » (2).
Le Conseil d’Etat a également admis qu’un particulier puisse invoquer les articles 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et 1er du Protocole n° 1 à l’occasion de l’examen d’un recours formé contre un décret fixant les conditions de ressources applicables aux allocations familiales (3).
Pour les autres conventions issues du Conseil de l’Europe, l’effet direct est plus aléatoire. Il est apprécié au cas par cas, selon les critères suivants : « Une stipulation doit être reconnue d’effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers ; que l’absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit » (4). Par exemple les articles 39 et 45 du Code européen de sécurité sociale fixant des normes minimales en matière de prestations familiales ne produisent pas d’effet direct à l’égard des particuliers (5).


B. L’ARTICULATION ENTRE LES RECOURS JURIDICTIONNELS

Dans de nombreux litiges, la question de l’articulation entre les différentes procédures et voies de recours se pose. Ainsi, un même droit peut être revendiqué sur la base de droits fondamentaux puisant dans des sources diverses : droit de l’Union européenne, droit du Conseil de l’Europe (CEDH, Charte sociale européenne), convention de l’Organisation internationale du travail (OIT), Constitution. La conformité au regard de l’une des sources n’exclut pas l’incompatibilité envers une autre.
L’exemple du « contrat nouvelles embauches » est, à ce titre, illustratif : ce contrat a été jugé conforme à la Constitution (6), contraire à une convention de l’OIT (7), tandis qu’il était incompatible avec la directive communautaire n° 2000/78 prohibant les discriminations en raison de l’âge.


I. Les recours devant la CJUE et devant la cour EDH

Concernant l’articulation entre droit de l’Union européenne et autres sources de droit international, il n’y a pas de règle ou de principe de priorité. Il appartient au juge national, qui est chargé du contrôle de conformité de la loi aux conventions internationales, de répondre aux différents points soulevés par les parties. Ainsi, il est possible de porter une affaire devant la CJUE (par le biais du renvoi préjudiciel) puis devant la Cour EDH (rappelons que devant celle-ci, les voies de recours doivent être épuisées).
Ainsi, dans un contentieux qui concernait le versement d’une prestation sociale demandée par un enfant de nationalité ivoirienne d’un ressortissant français, la Cour de justice, saisie par renvoi préjudiciel, a estimé que le droit de l’Union européenne ne conférait pas un tel droit (8), tandis que la Cour EDH a vu dans le refus de la loi française une discrimination en raison de la nationalité prohibée (9).


II. Le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conformité au droit de l’Union européenne

Concernant l’articulation entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conformité au droit de l’Union européenne, la Cour de cassation a jugé nécessaire d’interroger la CJUE à la suite de l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il s’agissait d’une affaire de reconduite à la frontière d’un Algérien en situation irrégulière. La crainte de la Cour de cassation était que la procédure donnant priorité à la QPC fasse obstacle à ce que les juges du fond statuent sur la conformité à une convention internationale (droit de l’Union européenne ou CEDH, par exemple) d’une disposition légale avant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité (10).
La CJUE, saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour de cassation, a conforté le fait que le juge judiciaire dispose d’une capacité d’action entre le moment où il saisit le Conseil constitutionnel et celui où ce dernier rend sa décision, mais aussi après l’achèvement du contrôle de constitutionnalité.
Le juge judiciaire est ainsi libre :
  • de saisir la CJUE de toute question préjudicielle, à tout moment de la procédure qu’il juge approprié, et même à l’issue de la procédure de QPC ;
  • d’adopter toute mesure afin d’assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union ;
  • de laisser inappliquée, à l’issue de la procédure de QPC, la disposition législative nationale en cause s’il la juge contraire au droit de l’Union (11).
Le Conseil d’Etat a, de son côté, rappelé, en tant que « juge de droit commun de l’application du droit de l’Union européenne » ses prérogatives en matière de contrôle de conformité au droit de l’Union européenne (12).


(1)
Cass. crim., 3 juin 1975, Respino, n° 75-90687, Bull. crim. n° 141 ; Cass. civ., 1re, 23 octobre 1990, n° 89-13163, Bull. civ. I, n° 222.


(2)
Cass. soc., 21 octobre 1999, n° 98-10.030.


(3)
Conseil d’Etat, 5 mars 1999, n° 194658.


(4)
Conseil d’Etat, 11 avril 2012, n° 322326.


(5)
Conseil d’Etat, 5 mars 1999, nos 194658 et 196116.


(6)
Décision n° 2005-521 DC du 22 juillet 2005, JO du 27-07-05.


(7)
Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 07-44124.


(8)
CJCE, 16 décembre 1992, aff. C-206/91, Poirrez.


(9)
Cour EDH, 30 septembre 2003, aff. 40892/98, Poirrez c/ France.


(10)
Cass. ass. plén., 29 juin 2010, n° 10-40002.


(11)
CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188 et C-189/10, Melki.


(12)
Conseil d’Etat, 14 mai 2010, n° 312305.

SECTION 4 - LE RÔLE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES

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