La réalisation du marché intérieur, entendu comme un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée, a conduit la Cour de justice à se déjouer des frontières étanches entre politiques sociales et objectifs économiques de l’Union.
A. LA LIBERTÉ D’ÉTABLISSEMENT
Même si cela peut paraître surprenant au premier abord, l’aide et l’action sociales sont ainsi confrontées à la liberté d’établissement, qui comporte l’accès sur le territoire de tout autre Etat membre à toutes sortes d’activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, la création d’agences, de succursales ou de filiales. La liberté d’établissement, c’est donc le droit de s’établir dans tout Etat membre, éventuellement dans plusieurs simultanément, pour y exercer de manière permanente une activité non salariée.
Dans ce contexte, la question suivante s’est posée devant la Cour de justice : une loi votée par une région italienne peut-elle empêcher une société de capitaux de droit luxembourgeois, qui poursuit un but lucratif, de bénéficier d’un agrément lui permettant d’obtenir le remboursement des services d’assistance sociale à caractère sanitaire fournis par elle dans des résidences pour personnes âgées ? Autrement dit, l’agrément peut-il être réservé aux opérateurs à but non lucratif ?
Pour la Cour de justice, la condition d’absence de but lucratif ici posée s’inscrit dans le cadre du système d’assistance sociale italien « qui vise notamment à promouvoir et à sauvegarder la santé des personnes à travers l’aide des services d’assistance sociale et sanitaire et à agir en faveur des personnes dépendantes n’ayant pas de famille ou dont la famille n’est pas en mesure de s’occuper d’elles, en réalisant ou en favorisant leur réinsertion dans des familles ou des milieux communautaires adaptés ». Ce système d’assistance sociale « est fondé sur le principe de la solidarité qui se traduit par le fait qu’il est destiné prioritairement à l’assistance de ceux qui se trouvent dans un état de nécessité, en raison de l’insuffisance des revenus familiaux, de l’absence totale ou partielle d’autonomie ou du risque de marginalisation et, ensuite seulement, dans les limites découlant de la capacité des structures et ressources disponibles, à l’assistance d’autres personnes, qui, toutefois, sont tenues à en supporter, à proportion de leur situation économique, les coûts, selon des tarifs déterminés eu égard aux revenus familiaux ».
La Cour en conclut que « en l’état actuel du droit communautaire, un Etat membre peut, dans le cadre de sa compétence retenue pour aménager son système de sécurité sociale, considérer qu’un système d’assistance sociale implique nécessairement, en vue d’atteindre ses objectifs, que l’admission d’opérateurs privés à ce système en tant que prestataires de services d’assistance sociale soit subordonnée à la condition qu’ils ne poursuivent aucun but lucratif ». La condition d’absence de but lucratif pour obtenir l’agrément est donc considérée comme compatible avec la liberté d’établissement (1).
B. LA LIBRE CIRCULATION DES MARCHANDISES
Si le marché intérieur peut s’apparenter à une menace pour les politiques sociales, il peut également, contre toute attente, porter celles-ci.
La libre circulation des marchandises a ainsi donné lieu à une jurisprudence favorable aux assurés sociaux des Etats membres de l’Union européenne. Tous les équipements médicaux à destination des patients - fauteuils roulants, lunette, médicaments... - sont considérés comme des marchandises au sens du traité ; de ce fait ils doivent circuler librement dans l’Union. La Cour de justice en tire comme conséquence qu’un assuré social peut acheter ses lunettes dans tout Etat membre et en obtenir remboursement dans l’Etat où il est assuré social, comme s’il les avait achetées dans cet Etat (2).
Est incompatible avec la liberté d’établissement la définition par la Belgique de critères techniques auxquels les chaises roulantes doivent répondre afin d’être remboursées par la sécurité sociale belge, car ces critères excluent les chaises fabriquées hors de Belgique (3).
C. LA LIBRE PRESTATION DES SERVICES
I. La jurisprudence communautaire
La libre prestation des services a permis aux citoyens de l’Union de conquérir de nouveaux droits sociaux. Elle donne le droit d’aller consulter un médecin dans un autre Etat membre que celui où on est assuré, tout en étant remboursé par son Etat d’assurance sociale (4).
Fort logiquement, la Cour de justice en a déduit que les frais de déplacement consécutifs à des soins médicaux hors du pays d’assurance devaient être pris en charge si de tels frais avaient été pris en charge pour des soins à l’intérieur du pays d’assurance (5). Comme il a déjà été dit, cette liberté concerne, par exemple, les assurés sociaux au titre de la CMU de base. La liberté de prestation des services donne aussi le droit de recourir aux laboratoires d’analyses médicales installés dans d’autres pays de l’Union européenne (6).
En revanche, la Cour de justice n’a pas été jusqu’à admettre la liberté d’accès aux soins hospitaliers dans toute l’Europe : une autorisation préalable demeure nécessaire si le patient veut être pris en charge par son assurance maladie (7). La Cour de justice a jugé que l’autorisation préalable peut valablement s’appliquer pour tous soins lourds, par exemple un scanner (8).
II. La directive « droits des patients »
La jurisprudence de la Cour de justice relative à la libre prestation des services a été codifiée et enrichie par la directive 2011/24/UE du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers (9).
A côté de la prise en charge des soins transfrontaliers, la directive pose le principe de la reconnaissance des prescriptions établies dans un autre Etat membre ; elle prévoit que la Commission aide les Etats membres à créer des réseaux européens de référence entre prestataires de soins de santé et centres d’expertise dans les Etats membres, en particulier dans le domaine des maladies rares.
La Commission aide également les Etats membres à coopérer au développement de moyens de diagnostic et de traitement, en visant notamment à faire connaître aux professionnels de la santé les outils mis à leur disposition à l’échelle de l’Union pour les aider au diagnostic correct des maladies rares ; à faire connaître aux patients, aux professionnels de la santé et aux organismes responsables du financement de soins de santé les possibilités offertes pour le transfert de patients atteints de maladies rares vers d’autres Etats membres même pour des diagnostics et des traitements qui ne sont pas disponibles dans l’Etat membre d’affiliation.
(1)
CJCE, 17 juin 1997, aff. C-70/95, Sodemare SA/ Regione Lombardia.
(2)
CJCE, 28 avril 1998, aff. C-120/95, Decker.
(3)
CJCE, 13 janvier 2005, aff. C-38/03, Commission c/ Belgique.
(4)
CJCE, 28 avril 1998, aff. C-158/96, Kohll.
(5)
CJCE, 15 juin 2006, aff. C-466/04, Acereda Herrera.
(6)
CJCE, 11 mars 2004, aff. C-496/01, Commission c/ France.
(7)
CJCE, 23 octobre 2003, aff. C-56/01, Inizan.
(8)
CJUE, 5 octobre 2010, aff. C-512/08, Commission c/ France.
(9)
JOUE L. 88 du 4-04-2011.