Les chartes sont des textes fondamentaux signés par les Etats membres, mais dont la portée juridique peut être variable. La Charte européenne des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (1989) est ainsi un instrument juridique non contraignant pour les Etats membres. En revanche, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont le champ d’application est proche des thématiques de l’aide et de l’action sociales, a la même force juridique obligatoire que les traités.
A. LES DISPOSITIONS RELATIVES À L’AIDE ET À L’ACTION SOCIALES
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée à Nice en décembre 2000, puis modifiée en 2007, énumère des droits autour de six points : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice. En préambule, la Charte rappelle que l’Union « se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’Etat de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice ».
I. Les libertés fondamentales
[Charte des droits fondamentaux, articles 1, 3, 4, 7, 9, 15, 18 et 19]
Sur le terrain des libertés, la Charte proclame le fait que : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. » De même, le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis, mais cette garantie est relative puisque c’est « selon les lois nationales qui en régissent l’exercice ». Toute personne a droit à l’éducation ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue, ce qui comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire.
En ce qui concerne les libertés professionnelles, la Charte distingue en fonction de la nationalité. Tandis que tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout Etat membre, il est simplement prévu que « les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des Etats membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l’Union ».
S’agissant du droit d’asile, la Charte reste dans les pas du TFUE puisqu’elle précise que « le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du Protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». On notera, en écho au traitement réservé aux minorités dans certains pays de l’Union européenne, que « les expulsions collectives sont interdites » et que « nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un Etat où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Conformément à l’exigence de dignité, toute personne a droit à son intégrité physique et mentale. La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
II. L’égalité
[Charte des droits fondamentaux, articles 21, 24, 25 et 26]
Dans le champ de l’égalité, la Charte va plus loin que le TFUE puisqu’elle vise d’autres chefs de discrimination : est ainsi interdite « toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».
L’Union respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ; elle assure l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération.
De manière plus originale, les droits de l’enfant sont
associés au principe d’égalité. Ainsi, les enfants « ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité ». Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.
Les personnes âgées sont aussi protégées au titre de l’égalité : l’Union reconnaît et respecte leur droit à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle.
Quant aux personnes handicapées, l’Union européenne reconnaît et respecte leur droit à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté.
III. La solidarité
[Charte des droits fondamentaux, articles 32, 33, 34, et 36]
La solidarité est placée au centre de la Charte. C’est, par exemple, le droit pour toute personne d’accéder à un service gratuit de placement ; c’est aussi l’interdiction du travail des enfants et la protection des jeunes au travail, puisque « Les jeunes admis au travail doivent bénéficier de conditions de travail adaptées à leur âge et être protégés contre l’exploitation économique ou contre tout travail susceptible de nuire à leur sécurité, à leur santé, à leur développement physique, mental, moral ou social ou de compromettre leur éducation ».
La protection de la famille, dit la Charte de manière assez vague, « est assurée sur le plan juridique, économique et social ». Afin de pouvoir concilier vie familiale et vie professionnelle, toute personne a le droit d’être protégée contre tout licenciement pour un motif lié à la maternité, ainsi que le droit à un congé de maternité payé et à un congé parental à la suite de la naissance ou de l’adoption d’un enfant.
En matière de sécurité sociale et d’aide sociale, « l’Union reconnaît et respecte le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux assurant une protection dans des cas tels que la maternité, la maladie, les accidents du travail, la dépendance ou la vieillesse, ainsi qu’en cas de perte d’emploi, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales ». On relève aussi que « afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales ».
Toute personne, poursuit la Charte, a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales.
La solidarité est associée aux services d’intérêt économique général (service public, dans le langage juridique français). Ainsi, « l’Union reconnaît et respecte l’accès aux services d’intérêt économique général tel qu’il est prévu par les législations et pratiques nationales, conformément aux traités, afin de promouvoir la cohésion sociale et territoriale de l’Union ».
IV. La citoyenneté et l’accès à la justice
[Charte des droits fondamentaux, articles 45 et 47]
La citoyenneté se décline en de nombreux droits fondamentaux qui, cependant, n’apportent guère par rapport au TFUE. Ce n’est pas seulement le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen et aux élections locales, c’est aussi le droit de circuler. S’agissant des ressortissants des pays tiers, « la liberté de circulation et de séjour peut être accordée aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un Etat membre ».
Le droit à la justice, en écho fidèle à la Convention EDH, implique que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter ». Cela inclut le droit à une aide juridictionnelle « accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice ». Les principes de présomption d’innocence et de légalité et de proportionnalité des délits et des peines sont consacrés.
B. LA PORTÉE DE LA CHARTE
[Traité sur l’Union européenne, article 6 ; Charte des droits fondamentaux, article 51]
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a acquis rang de traité (hormis pour la Pologne, le Royaume-Uni et la République tchèque). Selon l’article 6 du TFUE en effet, « l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ».
Cela signifie-t-il que ces dispositions peuvent être invoquées directement devant le juge national par un justiciable ? La Cour de justice de l’Union européenne n’a pas encore répondu à cette question, mais la Charte elle-même donne quelques indices. Ainsi, ses dispositions « s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux Etats membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités ».
En d’autres termes, il semble nécessaire de distinguer entre les principes de la Charte qui doivent être mis en œuvre par des actes de l’Union et dont l’invocation devant le juge national n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes, et les principes qui, constituant des « droits-libertés », pourraient être invoqués en eux-mêmes car ne nécessitant aucune médiation. En tout état de cause, la Charte « n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités ».