Cour de cassation, chambre civile 2, 1er juillet 2010 (extrait)
« Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. et Mme X. ont adopté par jugement d’adoption plénière du 5 septembre 1994 deux sœurs jumelles de 7 ans, S. et T., originaires d’E. ; qu’à la suite des difficultés relationnelles importantes surgies au sein de la famille à l’adolescence des deux enfants, les parents ont saisi d’une demande d’aide la DDASS de l’A. en mars 2001 ; que des décisions judiciaires de placement des enfants ainsi que des mesures d’assistance éducative, confiées notamment au service de l’association, ont été prises par le juge des enfants compétent jusqu’à la mainlevée en mars 2003 de la mesure d’assistance éducative en milieu ouvert, décision confirmée en appel ; que les deux sœurs, refusant de revenir chez leurs parents, ont manifesté leur opposition par une fugue qui n’a pris fin qu’en janvier 2004 ; qu’un juge des enfants les a alors confiées à une nouvelle structure jusqu’à leur majorité, l’appel de cette décision ayant été déclaré sans objet du fait de la majorité des jeunes filles ; que les époux X. ont engagé une procédure devant un tribunal de grande instance à l’encontre de l’association et plusieurs personnes physiques, dont des travailleurs sociaux et une fonctionnaire intervenus dans le dossier, ainsi que Mme Y., mère d’une amie de leurs filles, afin que ces personnes soient solidairement condamnées à leur verser des dommages-intérêts pour le préjudice moral résultant de leurs difficultés relationnelles avec leurs filles ;
Sur le premier moyen, tel que reproduit en annexe :
Attendu que les époux X. font grief à l’arrêt de les débouter de l’intégralité de leurs demandes notamment dirigées à l’encontre de Mme Z. ;
Mais attendu que l’arrêt retient que le signalement rédigé le 30 mars 2001 par Mme Z., assistante sociale scolaire de l’établissement où étaient scolarisées les deux enfants, comportait en annexe les rapports, non critiqués, des autres intervenants sociaux de cet établissement scolaire et relatait des éléments de récit alarmants, confiés par S. et T. à l’assistante sociale scolaire, à l’infirmière et au médecin scolaire ainsi qu’à la psychologue de l’établissement, que Mme Z. soulignait dans son signalement l’état inquiétant de détresse psychologique des jeunes filles et la nécessité de les protéger, que la teneur de ce rapport convainc la cour d’appel, qu’au-delà de maladresses de rédaction, Mme Z. était tenue de révéler ces faits en raison de leur gravité aux autorités administratives et judiciaires, seules à même d’apprécier la suite à donner à ces révélations et de décider des mesures d’enquête et de protection appropriées en fonction de l’intérêt des enfants ; que l’examen des cent quatre-vingt treize pièces produites ne permet pas de caractériser une faute, notamment de la part de ce travailleur social, en lien de causalité avec la rupture des relations familiales entre les époux X. et leurs filles ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui a statué par une décision motivée et qui n’était pas tenue de rentrer dans le détail de l’argumentation des demandeurs, a pu déduire qu’aucune faute au sens de l’article 1382 du code civil n’était caractérisée ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, tel que reproduit en annexe :
Attendu que les époux X. font grief à l’arrêt de les débouter de l’intégralité de leurs demandes, notamment dirigées à l’encontre de Mmes A., B., D., Z. et Y. ;
Mais attendu que l’arrêt retient notamment que la lecture des écrits et auditions des personnes dont la responsabilité est recherchée pour avoir apporté des informations et témoignages soit dans l’enquête de gendarmerie, soit dans le cadre de la procédure d’assistance éducative afin de donner leur sentiment sur le vécu de S. et T. au sein de leur famille, ne démontre pas qu’elles aient agi dans l’intention de nuire aux parents X. ou à leurs enfants mais dans l’intention non critiquable d’apporter leur aide aux jeunes filles qui se trouvaient dans une situation de détresse psychologique reconnue par tous ; qu’aucun élément du dossier n’établit que ces particuliers aient volontairement divulgué des informations qu’ils savaient fausses ou mensongères ou aient manipulé les enfants pour les éloigner de leurs parents, que leur implication serait fautive ou aurait participé à la rupture des relations familiales dont les parents avaient pris acte en faisant eux-mêmes appel aux services sociaux, que l’examen des nombreuses pièces produites en appel ne permet pas de caractériser une faute des intimées en lien de causalité avec la rupture des relations familiales entre les parents et leurs filles ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui ne s’est pas fondée sur la seule absence d’intention de nuire et qui a souverainement constaté l’absence de toute légèreté blâmable, imprudence manifeste ou manquement à un devoir général de prudence et de diligence de la part des personnes ayant témoigné ou apporté une aide psychologique ou matérielle aux enfants a pu déduire qu’aucune faute au sens de l’article 1382 du code civil n’était caractérisée à l’encontre de ces témoins et intervenants ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Sur le troisième moyen, tel que reproduit en annexe : Attendu que les époux X. font grief à l’arrêt de les débouter de l’intégralité de leurs demandes, notamment dirigées à l’encontre de Mme C. ;
Mais attendu que l’arrêt retient qu’il résulte des pièces produites que Mme C. a agi dans le cadre de ses fonctions d’agent du département de l’Ain, employée par la direction de la prévention et de l’action sociale sans adopter d’attitude partisane destinée à éloigner les parents des enfants, étant rappelé que la décision de placement a été admise par les époux X. eux-mêmes qui n’ont pas demandé en 2002 à reprendre leurs enfants et souhaitaient leur placement en internats séparés, que Mme C. a toujours rendu compte de la mission qui lui était confiée au juge des enfants par l’intermédiaire de son chef de circonscription, qu’il ne peut être reproché à Mme C. d’avoir émis des avis sur la situation familiale ou les mesures envisagées notamment en suggérant la possibilité de retrait de l’autorité parentale devant l’intensité du blocage des relations familiales alors qu’un tel recueil de renseignements et avis sur les mesures envisageables est demandé au travailleur social de terrain pour être soumis à l’appréciation du juge des enfants qui examine la fiabilité et la pertinence des rapports sociaux et rend une décision soumise à recours ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de rentrer dans le détail de l’argumentation des demandeurs, a pu déduire qu’aucune faute personnelle, inspirée par une intention de nuire ou pour satisfaire un intérêt personnel étranger au service public ou présentant un caractère d’une extrême gravité, n’était imputable à Mme C. ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais sur le quatrième moyen :
Vu l’article 1382 du code civil ;
Attendu que pour condamner les époux X. à payer à l’association, Mmes C., Y., D., Z., A. et B. la somme de 200 € chacune à titre de dommages-intérêts, l’arrêt retient par motifs propres et adoptés, que le vide du dossier est inversement proportionnel à son volume et que l’action a été engagée avec la plus totale légèreté, sans la moindre remise en cause personnelle de la part des parents, que le montant des dommages-intérêts réclamés ne peut en outre qu’interroger sur leur bonne foi et que les époux X. ont intenté leur action en responsabilité contre l’association, les travailleurs sociaux et les simples particuliers ayant témoigné sur leur vie familiale sans disposer d’éléments sérieux et justifiés ce qui caractérise une légèreté blâmable dans la conduite de leur action en justice destinée à faire supporter à des tiers l’échec des relations avec leurs filles adoptives ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le cinquième moyen :
Vu l’article 1382 du code civil ;
Attendu que pour condamner in solidum les époux X. à payer à l’association et à Mmes A., B., D., F. et Y. chacune la somme de 500 € à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, l’arrêt retient que les appelants n’ont pu qu’être parfaitement éclairés par les premiers juges sur l’inanité de leurs prétentions de sorte qu’ils n’ont poursuivi la procédure que dans l’intention de prolonger abusivement le procès dans l’objectif de faire supporter à des tiers la responsabilité d’un échec familial ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d’interjeter appel, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l’article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions condamnant M. et Mme X. à payer à l’association L., Mmes C., Y., D., Z., A. et B. la somme de 200 € chacune à titre de dommages-intérêts et à payer à l’association et à Mmes A., B., D., Z. et Y. chacune la somme de 500 € à titre de dommages-intérêts pour appel abusif, l’arrêt rendu le 8 janvier 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Rejette les demandes de dommages-intérêts au titre de l’abus du droit d’ester en justice et pour appel abusif ;
Condamne M. et Mme X. aux dépens. »