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LES INCRIMINATIONS SUR LE FONDEMENT DE LA NONINFORMATION DE CRIME ET DE MAUVAIS TRAITEMENTS

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Le dispositif élaboré par le législateur en 1994 lors de la réforme du code pénal a été modifié à la marge. Néanmoins, pour le moment, sa logique a été conservée. Avant de présenter les incriminations de non-information, il est important de définir le secret professionnel (1). Les détenteurs de cette obligation sont concernés par ces textes répressifs.


A. LE SECRET PROFESSIONNEL



1. L’OBLIGATION DE SE TAIRE

Le secret professionnel est avant tout une obligation de silence qui s’impose à des professionnels envers des tiers. La connaissance de situations délicates impose en effet une confidentialité protégée par le code pénal mais également par divers textes. Le respect du secret professionnel a été jugé si important pour la société que, en cas de violation, cette transgression relève de l’ordre public. Sur le plan pénal, la violation du secret professionnel est définie par l’article 226-13 du code pénal.
La sanction maximale est de un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
En principe, pour que l’infraction soit réalisée, il faut un élément intentionnel, un élément matériel et que la personne soit tenue au secret professionnel.

a. Les éléments constitutifs de l’infraction

1]. L’élément intentionnel
L’élément intentionnel suppose que la personne ait eu la conscience et la volonté de commettre cette infraction, même si par ailleurs elle n’avait pas spécialement l’intention de nuire. Cependant, la jurisprudence est sévère à l’égard des professionnels et elle assimile, dans cette hypothèse, l’imprudence de la légèreté à l’intention qui est en fait présumée.
2]. L’élément matériel
Quant à l’élément matériel, il est constitué en cas de révélation d’un secret dont on doit avoir eu connaissance du fait de sa profession ou de sa mission.
En premier lieu, il doit y avoir eu révélation. La révélation est assimilée à la divulgation à autrui, à une seule personne ou à la presse par des moyens oraux ou écrits. Elle a pour conséquence de rendre publique en partie ou en totalité une information tenue jusqu’alors secrète. Elle peut être directe ou indirecte.
Il convient de distinguer la divulgation de la transmission nécessaire d’informations à d’autres professionnels tenus également au secret et qui relève de la notion du « secret partagé » (cf. infra, 2).
Ensuite, l’information doit avoir un caractère secret, c’est-à-dire concerner la personne, sa vie familiale ou professionnelle, sa vie intime. Est considérée comme secrète l’information qui par essence exige de ne pas être révélée, que son auteur l’ait donnée comme confidentielle ou non.
Le code pénal couvre l’ensemble des informations à caractère secret. Il ne s’agit donc pas uniquement du secret expressément confié, mais de tout ce que le travailleur social a appris, compris, connu ou deviné à l’occasion de son exercice professionnel (2).

b. Les personnes tenues au secret professionnel

1]. L’obligation par profession, en raison d’une fonction ou d’une mission
Au regard de la définition générale retenue par l’article 226-13 du code pénal, se trouvent tenues au respect du secret professionnel les personnes qui sont dépositaires d’une information à caractère secret soit par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire.
Afin de ne pas entraver le fonctionnement normal de la justice, le législateur n’a pas souhaité généraliser le secret professionnel à l’ensemble des professionnels du travail social. C’est pourquoi il existe une grande diversité des personnes du secteur social tenues au secret professionnel par un texte spécifique, soit en fonction de leur profession, soit surtout actuellement en fonction de leur mission. Il s’agit :
  • des assistants de service social et des étudiants des écoles se préparant à l’exercice de cette profession (CASF, art. L. 411-3) ;
  • des membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation (C. proc. pén., art. D. 581) ;
  • de toute personne appelée à collaborer au service départemental de protection maternelle et infantile (C. santé publ., art. L. 2112-9) ;
  • de toute personne appelée de par sa fonction à prendre connaissance des renseignements inscrits dans les carnets de santé (C. santé publ., art. L. 2132-1) ;
  • de toute personne appelée à intervenir dans l’instruction des demandes ou l’attribution du revenu de solidarité active (RSA), ainsi que dans l’élaboration, l’approbation et la mise en œuvre du projet personnalisé d’accès à l’emploi ou du contrat d’engagements réciproques en matière d’insertion professionnelle ou sociale, et de toute personne à qui les informations relatives aux personnes demandant le bénéfice ou bénéficiant du RSA ont été transmises (CASF, art. L. 262-44) ;
  • de toute personne appelée à intervenir dans l’instruction, l’attribution ou la révision des admissions à l’aide sociale, et notamment les membres des conseils d’administration des centres communaux ou intercommunaux d’action sociale ainsi que les personnes dont ces établissements utilisent le concours (CASF, art. L. 133-5) ;
  • des membres de la commission départementale des soins psychiatriques (C. santé publ., art. L. 3223-2) ;
  • des membres de l’équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées, prévue à l’article L. 146-8 du code de l’action sociale et des familles, chargée d’évaluer les besoins de compensation de la personne handicapée (CASF, art. L. 241-10) ;
  • des membres de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, prévue à l’article L. 146-9 du code de l’action sociale et des familles, chargée de prendre les décisions relatives à l’ensemble des droits de la personne handicapée (CASF, art. L. 241-10) ; n des membres du Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale, ainsi que les personnes appelées à collaborer à ses travaux (décret n° 2003-1134 du 26 novembre 2003, art. 7) ;
  • des agents de la sécurité sociale et des agents des administrations fiscales (C. séc. soc., art. L. 161-29 ; CASF, art. L. 133-3) ; par exception au secret professionnel, les autorités sociales peuvent demander des informations aux agents des administrations fiscales pour instruire une demande d’aide sociale ;
  • de toute personne participant aux missions du service de l’aide sociale à l’enfance (par exemple, les éducateurs de ce service) (CASF, art. L. 221-6) ;
  • des membres titulaires et suppléants de la commission d’agrément des personnes qui souhaitent adopter un pupille de l’Etat (CASF, art. R. 225-11) ;
  • des agents du service d’accueil téléphonique (le 119) et de l’observatoire de l’enfance en danger (CASF, art. L. 226-9) ;
  • des personnes appelées par leurs fonctions à prendre connaissance du registre où sont portées les indications relatives à l’identité des personnes séjournant dans les établissements sociaux et médico-sociaux, la date de leur entrée et celle de leur sortie (CASF, art. L. 331-2) ou des autorités et agents chargés du contrôle de ces établissements (CASF, art. L. 331-3) ;
  • des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée, art. 26). Il s’agit ici selon nous d’une obligation relative. Les fonctionnaires peuvent de ce fait être condamnés pour violation du secret professionnel, mais ils ne peuvent pas éviter les sanctions pénales, notamment celles qui sont prévues à l’article 434-3 du code pénal (non-dénonciation de mauvais traitements aux autorités judiciaires ou administratives).
En revanche, certaines professions ne sont pas tenues au secret professionnel par un texte législatif ou réglementaire. Ainsi, les éducateurs, les directeurs d’établissement social, les psychologues, les conseillers en économie sociale et familiale, les délégués à la tutelle ne sont pas tenus directement du fait de leur profession au secret professionnel, mais peuvent l’être du fait de leurs missions. De même, ne sont pas tenues au secret professionnel envers les magistrats les personnes travaillant sous leur autorité : travailleurs sociaux mandatés par un juge pour effectuer des enquêtes, tant en matière civile qu’en matière pénale, ou à qui le magistrat a confié, au titre de l’assistance éducative, une mission de surveillance ou d’hébergement d’un enfant (3).
Les services d’action éducative en milieu ouvert judiciaires (AEMO) doivent donner aux magistrats une information précise de ce qu’ils savent de la situation de l’enfant. C’est ainsi qu’un éducateur d’AEMO et la directrice du service ont été condamnés à des peines de prison avec sursis et à des peines d’amendes sur le fondement de l’article 434-1 du code pénal (4). Le tribunal leur reproche « en qualité d’éducateurs, de ne pas avoir rendu compte sans attendre au juge des enfants de qui ils tenaient leur mission, des faits très graves dont ils avaient connaissance » et de ne pas avoir fait suivre médicalement une jeune fille victime de viols.
2]. La qualité de « confident nécessaire »
Le fondement du secret professionnel a été justifié par la notion de « confident nécessaire ». La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 novembre 1971, en a donné une interprétation en rappelant que toute personne recevant une confidence dans l’exercice de sa profession n’est pas, par là même, tenue au secret professionnel (5).
Ainsi, la jurisprudence peut permettre d’apprécier si une personne est dépositaire, en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, d’une information à caractère secret et si sa qualité de « confident nécessaire » lui fait obligation de respecter le secret.
L’appréciation de l’obligation pour un professionnel de respecter le secret envers des informations qu’il aurait eu à connaître dans le cadre de l’exercice de sa fonction ou de la mission qui lui est confiée ne peut donc se faire qu’au cas par cas et le professionnel aura à rendre compte et à s’expliquer devant l’autorité judiciaire de la décision qu’il aura prise « de parler ou de se taire ».


2. LA NOTION DE « SECRET PARTAGÉ »

La notion de « secret partagé » a été créée par la jurisprudence et la doctrine. Pour elles, un professionnel tenu au secret pourrait confier à un autre professionnel une information à caractère secret pour garantir une bonne exécution de la mission poursuivie.
Communiquer à un autre intervenant social des informations concernant un usager, nécessaires soit à la continuité d’une prise en charge, soit au fait de contribuer à la pertinence ou à l’efficacité de cette prise en charge, ne constitue pas une violation du secret professionnel mais un secret partagé.
Dans la pratique professionnelle, le travail social nécessite de fait le partage de secrets. Par exemple, il est explicitement recommandé de travailler en équipe pluridisciplinaire pour l’analyse des situations d’enfants maltraités (6).
S’inspirant du secret médical partagé entre professionnels de santé (7), le législateur a créé plusieurs situations où des personnes soumises au secret professionnel sont autorisées à le partager.

a. En matière de protection de l’enfance

La loi réformant la protection de l’enfance du 5 mars 2007 (8) a introduit à l’article L. 226-2-2 du code de l’action sociale et des familles une situation de secret professionnel partagé : « Les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance [...] ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d’évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en œuvre les actions de protection et d’aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l’accomplissement de la mission de protection de l’enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l’autorité parentale, le tuteur, l’enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon les modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l’intérêt de l’enfant. »
Ainsi, seules les personnes déjà soumises au secret professionnel et qui participent à une mission de protection de l’enfance sont concernées.

b. Dans le domaine de la prévention de la délinquance

Une autre loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance (9) a introduit également un secret partagé entre les travailleurs sociaux et le maire : « Lorsqu’un professionnel de l’action sociale [...] constate que l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille appelle l’intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire de la commune de résidence et le président du conseil général » (CASF, art. L. 121-6-2). Ce partage d’informations avec un élu très proche de la population a suscité de nombreuses oppositions de la part des travailleurs sociaux et est actuellement peu mis en œuvre.

c. Dans le cadre scolaire

Un nouveau cas de secret partagé entre les autorités judiciaires et les autorités scolaires a été instauré à la suite de l’affaire du Chambon-sur-Lignon en novembre 2011 : un lycéen de 17 ans placé sous contrôle judiciaire pour viol a été mis en examen pour des faits similaires suivis d’assassinat sur une jeune fille de 13 ans accueillie dans le même internat. Le gouvernement de l’époque s’était alors engagé à favoriser la transmission d’informations aux responsables d’établissement scolaire et aux personnes hébergeant des individus poursuivis ou condamnés en matière criminelle ou sexuelle. Ce nouveau cas de partage de secret professionnel a été instauré par la loi du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines (10) et a été précisé dans une circulaire du 14 mai 2012 (11). Il concerne tant les personnes mises en examen (C. proc. pén., art. 138-2) que les personnes déjà condamnées (C. proc. pén., art. 712-22-1) pour crime (qu’importe la nature de ce dernier), agression sexuelle, atteinte sexuelle sur mineur, proxénétisme à l’égard d’un mineur ou recours à la prostitution d’un mineur.
Ainsi, lorsqu’un mineur ou un majeur, mis en examen ou condamné pour un crime ou pour une infraction à caractère sexuel est scolarisé ou a vocation à poursuivre sa scolarité (mineur de 16 ans non scolarisé mais soumis à l’obligation scolaire) dans un établissement public ou privé, le juge d’application des peines transmet aux autorités scolaires copie de l’ordonnance de placement sous contrôle judiciaire ou copie de la décision de condamnation ou d’aménagement de peine, de libération conditionnelle, de surveillance judiciaire ou de surveillance de sûreté. Il doit également informer ces autorités des décisions modifiant les obligations du contrôle judiciaire ou les obligations imposées au condamné ayant une incidence sur son lieu ou son mode de scolarisation.
Concrètement, l’information est transmise à l’autorité académique du lieu de scolarisation de l’intéressé ainsi que, le cas échéant, au directeur d’école et au chef d’établissement concerné. Celui-ci peut faire état de ces renseignements aux personnels de direction, aux conseillers principaux d’éducation, aux personnels sociaux et de santé tenus au secret professionnel. Ces informations judiciaires ne doivent pas être divulguées « de façon injustifiée, notamment auprès des enseignants de l’établissement, des parents d’élèves ou des élèves », précise le ministère de la Justice.
Les informations ainsi transmises ne devront pas être communiquées à des tiers non autorisés, sous peine d’une amende de 3 750 €.

d. Et dans le secteur des personnes âgées ?

Enfin, dans le secteur des personnes âgées, la prise en charge pluridisciplinaire et la notion de parcours de soins nécessiteraient également une loi instaurant un secret partagé entre les nombreux professionnels appelés à intervenir auprès d’elles. Toutefois, l’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 (12) admet, à titre expérimental, depuis le 1er janvier 2012 et pour une durée maximale de cinq ans, la transmission et le partage d’informations entre professionnels dans le seul but d’« optimiser les parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d’autonomie » (13). Cette dérogation concerne les agences régionales de santé, les collectivités territoriales, les organismes de sécurité sociale, les mutuelles, les institutions de prévoyance et certaines entreprises. La secrétaire générale de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé, Jeanne Bossi, regrette que les dispositions de cet article soient trop imprécises : « Aucune précision n’est faite sur la nature des données : sont-elles des données à caractère personnel ? Et quelle est la légitimité d’une ARS ou d’une collectivité territoriale à les détenir ? » (14).


3. LA POSSIBILITÉ DE PARLER

[Code pénal, article 226-14]
Le code pénal a prévu des situations où il est possible de parler sans être poursuivi pour violation du secret professionnel ; il s’agit d’exceptions à l’article 226-13. L’article 226-14 du code pénal a fait l’objet de multiples modifications dans les années 2000 (respectivement en 2002, 2003, 2004, 2006 et 2007), le législateur souhaitant faciliter les signalements aux autorités. Il semble même vouloir indiquer les comportements qu’il souhaiterait que les professionnels adoptent volontairement, ne les ayant pas rendus obligatoires sous peine de sanctions pour les personnes tenues au secret professionnel.
Sont autorisés à parler (C. pén., art. 226-14) :
  • la personne qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou de mutilations sexuelles dont elle a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
  • le médecin qui porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. En principe, la victime doit consentir à ce signalement. Cependant, lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire ;
  • les professionnels de santé ou de l’action sociale qui informent le préfet du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une. Voilà un bel exemple de personnes visées spécifiquement par le législateur.


A noter :

pour l’ensemble des professionnels soumis au secret professionnel, ce type de signalement ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire (cf. infra, B, 2 ; Cass. crim., 27 avril 2011).


B. LES OBLIGATIONS JUDICIAIRES DE SIGNALEMENT

Deux textes du code pénal précisent ces obligations, l’article 434-1 réprimant la non-information de crime et l’article 434-3 concernant les mauvais traitements sur les mineurs ou personnes vulnérables.


1. LA NON-INFORMATION DE CRIME

[Code pénal, article 434-1]
L’alinéa 1er de l’article 434-1 du code pénal énonce que quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, n’informe pas les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
Echappent toutefois à cette condamnation :
  • les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et sœurs et leurs conjoints, de l’auteur ou du complice du crime ;
  • le conjoint de l’auteur ou du complice du crime ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui.
Des exceptions qui ne concernent toutefois pas les crimes commis sur les mineurs de 15 ans (C. pén., art. 434-1, al. 2).
Mais c’est le dernier alinéa de l’article 434-1 qu’il convient de souligner. Celui-ci énonce en effet que « sont également exceptées des dispositions du premier alinéa les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ». Autrement dit, les personnes tenues au secret professionnel ne devraient pas pouvoir être condamnées sur le fondement de cet article qui prévoit clairement une exception. Concrètement, cet article ne signifie pas que ces personnes ne doivent rien faire, mais qu’elles sont libres de faire un signalement aux autorités judiciaires et que si elles ne le font pas, le juge ne peut les condamner sur ce fondement (15).


2. LES MAUVAIS TRAITEMENTS SUR LES MINEURS OU LES PERSONNES VULNÉRABLES

[Code pénal, article 434-3]
L’article 434-3 du code pénal énonce les mêmes peines pour toute personne qui ne signalerait pas aux autorités judiciaires ou administratives des privations, des mauvais traitements ou des atteintes sexuelles infligés à un mineur de 15 ans ou à une personne vulnérable dont elle aurait eu connaissance.
Aucune exception à l’obligation de signalement n’est ici prévue pour la famille. Une mère doit ainsi signaler un inceste commis sur son enfant.
Cependant, « sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées de ces dispositions les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l’article 226-13 ». Encore une fois le législateur a prévu une exception pour les personnes tenues au secret professionnel. Il a estimé que des personnes qui se trouvaient dans une double obligation de respecter le secret demandé et de protéger un enfant ne devaient pas systématiquement être condamnées pénalement. Il a jugé que contraindre ces personnes à trahir le secret qui avait permis la connaissance de la situation n’était pas nécessaire. Il est ainsi possible d’affirmer que les personnes tenues au secret professionnel ne ressortent pas des condamnations pénales prévues par les articles 434-1 et 434-3 du code pénal (16).
Ces textes ont ainsi conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à rendre un arrêt le 27 avril 2011 fort contestable dans ses conséquences (17). Cette décision ne semble en effet pas acceptable en l’état et l’on peut penser que la législation concernant la répression contre les mauvais traitements dans les établissements de personnes âgées n’est pas encore adéquate.
Les témoignages de mauvais traitements retracés dans l’arrêt de la cour d’appel sont accablants et bien établis : « Mme A. a vu un salarié asperger brutalement un patient dans le bain, ce résident criait » ; « elle a entendu dire qu’un agent donnait des doses de Risperdale supérieures à la prescription pour les calmer » ;
« Un jour, une patiente du deuxième étage avait une brûlure à la lèvre provoquée par son alimentation ». Et un médecin pour des raisons de concurrence entre établissements, d’orgueil professionnel nie les faits en public, bloque l’information aux directeurs et surtout ne fait pas de signalement aux autorités judiciaires ; « qu’enfin, il [le médecin] a reconnu devant le magistrat instructeur qu’il savait depuis plusieurs années qu’il y avait du personnel maltraitant à l’hôpital local de B. ; qu’il a expliqué son absence de signalement par la rivalité avec l’hôpital de S., qu’il considérait mieux traité ; qu’il voulait valoriser les équipes et ne pas faire apparaître que cela n’allait pas ; qu’il admet avoir agi par orgueil et manque de recul. »
La cour d’appel d’Angers le 28 janvier 2010 condamne ce médecin à un an d’emprisonnement avec sursis sur le fondement de l’article 434-3 du code pénal qui réprime la non-information des autorités administratives et judiciaires de la connaissance de mauvais traitements infligés à des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger.
Mais c’était faire abstraction du dernier alinéa de l’article 434-3 du code pénal que nous avons cité. Cet alinéa permet de sortir de la double contrainte dans laquelle sont enfermées les personnes astreintes au secret professionnel : l’obligation de respecter leur engagement, donc de se taire et l’obligation de signaler des mauvais traitements aux autorités donc de parler. Le législateur a instauré une liberté de conscience pour ces personnes et le médecin de l’hôpital faisait partie de ces personnes « astreintes » au secret médical. L’arrêt de la cour d’appel d’Angers est ainsi cassé et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel de Rennes.
Il est certain que sur le plan moral cette cassation est choquante. Dans cette affaire le médecin est plus « un bénéficiaire » de son secret médical qu’un professionnel « astreint » à ce secret. Le secret médical érigé par le législateur pour protéger les usagers ne joue donc pas toujours en leur faveur. Cet arrêt pose de façon générale la question du secret dans les établissements d’hébergement. Peut-on parler de secret alors que tout le monde semble être informé de ces mauvais traitements, que des témoignages de plusieurs professionnels les dénoncent, que des réunions ont lieu pour aborder cette question, que de multiples rapports sont produits ? Cette législation aboutissant à protéger plus les professionnels que les usagers sur un sujet aussi grave que les mauvais traitements à des personnes vulnérables devrait être modifiée. Mme Lagraula-Fabre qui a consacré sa thèse de droit pénal à ce sujet prône depuis plusieurs années qu’il n’existe pas de secret en cas de violences institutionnelles. Dans les établissements les choses sont connues de l’intérieur. Le secret professionnel est un obstacle à la levée de la chape de plomb de silence qui couvre ces mauvais traitements. Devant de tels faits et une telle iniquité, un changement s’impose, qu’il soit législatif ou jurisprudentiel. L’existence du secret professionnel ne peut aboutir à une telle décision. Il faut cependant qu’il n’y ait aucun doute sur le fait que la personne soit tenue au secret professionnel. Cela n’est pas le cas, par exemple, lorsqu’une mesure de protection concernant un enfant est confiée par un juge à un service. C’est en tout cas la position de la Cour de cassation dans l’affaire du Mans (18). De même, il a été jugé qu’un directeur d’établissement social accueillant des mineurs n’est pas tenu au secret professionnel (19).
Les personnes condamnées pénalement sur ce fondement peuvent également devoir verser des dommages et intérêts à la victime (20). En revanche, elles ne peuvent être condamnées à des interdictions professionnelles (cf. encadré, p. 32). La Cour de cassation a cassé un arrêt qui avait condamné un directeur pour ce délit à un an d’emprisonnement avec sursis et à trois ans d’interdiction professionnelle (21).


C. LE TÉMOIGNAGE EN JUSTICE



1. LA POSSIBILITÉ DE SE TAIRE

Une personne tenue au secret professionnel a-t-elle le droit de se taire si elle est appelée comme témoin à un procès pénal ? Pour la doctrine, les textes sont complexes, mais surtout la jurisprudence est fluctuante. Une réponse claire doit cependant être apportée aux professionnels.
L’article 109 du code de procédure pénale stipule que : « Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. » A la lecture de ce texte, il apparaît clairement que le professionnel cité en justice doit comparaître devant le tribunal. Il doit également prêter le serment imposé par la loi aux témoins de dire « la vérité, toute la vérité ». Ainsi, la production en justice de documents couverts par le secret professionnel ne peut être justifiée que lorsque cela est « strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense » (22). Néanmoins, il peut s’abstenir de répondre en invoquant le secret professionnel de l’article 226-13 pour les informations à caractère secret.
Cette possibilité donnée aux professionnels de ne pas parler ne facilite pas le travail de la justice (23). Mais la loi confère au juge d’autres possibilités qui devraient permettre d’obtenir des informations « sans soumettre à la question » le professionnel tenu à l’égard de son confident.
En effet, le juge a toujours la possibilité de saisir ou de faire saisir sur commission rogatoire tous les documents écrits, dossiers, notes personnelles. Ce droit est étendu aux policiers depuis la loi Perben 2 et au procureur de la République depuis celle du 5 mars 2007.
L’article 60-1 du code de procédure pénale énonce que « le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l’enquête, y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel. Lorsque les réquisitions concernent des personnes mentionnées aux articles 56-1 à 56-3 [NDLR : avocats, journalistes, médecins, notaires, ou huissiers], la remise des documents ne peut intervenir qu’avec leur accord ».
A lexception de ces personnes, le fait de s’abstenir de répondre dans les meilleurs délais à cette réquisition est puni d’une amende de 3 750 €.
De même, comme limite du secret professionnel, l’article 560 du code de procédure pénale définit les pouvoirs du procureur de la République concernant les citations et significations de justice pour les prévenus : « Le procureur de la République peut également requérir de toute administration, entreprise, établissement ou organisme de toute nature soumis au contrôle de l’autorité administrative, sans qu’il soit possible de lui opposer le secret professionnel, de lui communiquer tous renseignements en sa possession aux fins de déterminer l’adresse du domicile ou de la résidence du prévenu. » Dans la recherche de la vérité, les pouvoirs du juge sont très importants. Ainsi a été jugée valide la saisie de document dans le bureau d’un vice-official régional et d’un évêque dans le cadre d’une instruction pénale du chef de viol aggravé (24).


2. LA LIBERTÉ D’INFORMER DIRECTEMENT LES AUTORITÉS JUDICIAIRES

[Code pénal, article 226-14, alinéa 2]
Une personne soumise au secret professionnel qui témoignerait en justice est libre de révéler aux autorités judiciaires les sévices infligés à un mineur ou à une personne en état de vulnérabilité, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 226-14 du code pénal. Dans ce cas, ce témoin ne peut pas être poursuivi pour non-respect du secret professionnel.
De façon générale, quand l’information est donnée à la justice, les tribunaux reconnaissent rarement la violation du secret. Par exemple, « il ne saurait résulter aucune nullité, fondée sur une prétendue violation du secret professionnel, du fait qu’une assistante sociale, qui avait reçu mission du juge compétent de procéder à une enquête sociale au titre de l’assistance éducative, ait été entendue comme témoin devant la cour d’assises, alors d’ailleurs qu’aucune opposition n’a été formulée par l’accusé ou son conseil ou par le ministère public » (25).


D. LES OBLIGATIONS ADMINISTRATIVES D’INFORMATION

[Code de l’action sociale et des familles, article L. 221-6]
En revanche, une obligation de signalement aux autorités administratives s’impose aux personnels de la protection de l’enfance en vertu de l’article L. 221-6, alinéa 2 du code de l’action sociale et des familles (26). Aux termes de cet article, toute personne participant aux missions du service de l’aide sociale à l’enfance est tenue de transmettre sans délai au président du conseil général les informations concernant les mineurs en danger. Malgré l’obligation posée par l’article L. 221-6, aucune sanction pénale n’est toutefois prévue en cas d’abstention ou de refus ; seules des sanctions professionnelles pourraient être prises par l’employeur.
L’article L. 2112-6 du code de la santé publique édicte également une obligation de transmission d’informations qui concerne les personnels de la protection maternelle et infantile. Lorsqu’ils constatent que la santé ou le développement de l’enfant sont compromis ou menacés par des mauvais traitements, ils doivent en rendre compte sans délai au médecin responsable du service qui provoque d’urgence toutes mesures appropriées.


(1)
Pour plus de précisions sur le secret professionnel, cf. Lhuillier J.-M., « Le secret professionnel des travailleurs sociaux », Supplément juridique, ASH, juin 2008.


(2)
Concernant le secret médical, le second alinéa de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique précise que « le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ». Dans l’affaire « Evêque de Bayeux », le juge estime que les faits couverts par le secret professionnel doivent être le résultat d’une confidence directement révélée par une personne et concernant sa propre histoire, mais cette position ne correspond pas à la doctrine dominante (tribunal correctionnel de Caen, 4 septembre 2001). Cf. également Conseil d’Etat, 15 décembre 2010, n° 330314, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(3)
Cass. crim., 8 octobre 1997, n° 94-84801, C. et autres, association Montjoie (cf. annexe, p. 84).


(4)
Tribunal correctionnel de Dijon, 13 novembre 1997.


(5)
Cass. crim., 4 novembre 1971, Bull. crim. n° 301, D. 1973, 29e Cahier, p. 227.


(6)
Sur ce sujet, cf. Anesm, « Le partage d’informations à caractère secret en protection de l’enfance », recommandations de bonnes pratiques professionnelles, juin 2011, consultable sur www.anesm.sante.gouv.fr


(7)
Aux termes de l’article L. 1110-4, alinéa 3, du code de la santé publique, lorsqu’une « personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe de soins ».


(8)
Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007, JO du 6-03-07.


(9)
Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, version consolidée disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(10)
Loi n° 2012-409 du 27 mars 2012, JO du 28-03-12.


(11)
Circulaire du 14 mai 2012, NOR : JUSD1222695C, BOMJL n° 2012-05 du 31-05-12.


(12)
Loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011, version consolidée du 1er janvier 2012 consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(13)
Un arrêté du 30 août 2012 fixe la procédure et le cahier des charges de ces expérimentations (JO du 26-09-12).


(14)
Bossi J., « Le cadre juridique du partage d’informations dans les domaines sanitaire et médico-social : état des lieux et perspectives », Asip Santé, août 2012, consultable sur www.esante.gouv.fr


(15)
Bien que très ancienne, il est nécessaire de citer la décision de justice qui sert toujours de référence en la matière (Cass. crim., 14 février 1978). L’obligation de déposer en justice, édictée par l’article 109 du code de procédure pénale, n’est imposée aux personnes citées comme témoins que sous réserve des dispositions de l’article 378 du code pénal, lequel, dans le cas prévu par son troisième alinéa, dispose que les personnes visées à l’alinéa 1 quand elles sont citées en justice, relativement aux sévices ou privations de soins sur la personne des mineurs de 15 ans dont elles ont eu connaissance à l’occasion de l’exercice de leur profession, sont « libres de fournir leur témoignage sans s’exposer à aucune peine ». Il en découle nécessairement que les personnes, et particulièrement les assistantes sociales, qui sont ainsi, dans le cas considéré, autorisées à témoigner, sont également libres de ne pas le faire, note Elie Alfandari, RDSS, 1978, p. 100.


(16)
Alt-Maes F., « Un exemple de dépénalisation : la liberté de conscience accordée aux personnes tenues au secret professionnel », Revue de sciences criminelles, 1998-301.


(17)
Cass. crim., 27 avril 2011, n° 10-82200, reproduit en annexe p. 86, commentaire de J.-M. Lhuillier, RDSS n° 1/2012, p. 184.


(18)
Cass. crim., 8 octobre 1997, n° 94-84801, C. et autres, association Montjoie, préc.


(19)
Cass. crim., 17 mars 2010 n° 09-85670, disponible sur www.legifrance.gouv.fr. Le directeur et un adjoint de direction ont été condamnés à trois mois de prison avec sursis.


(20)
Cass. crim., 17 novembre 1993, n° 93-80466, consultable sur www.legifrance.gouv.fr. Cette possibilité peut faire craindre la recherche d’incriminations pas toujours à bon escient, par exemple pour obtenir de l’argent de manière abusive.


(21)
Cass. crim., 12 janvier 2000, n° 99-80534, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(22)
Cass. soc., 5 juillet 2011, n° 09-42959, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(23)
Chamarre J., « Secret professionnel et nécessités du procès pénal », Revue pénitentiaire, 2002, p. 677.


(24)
Cass. crim., 17 décembre 2002, n° 02-83679, consultable sur www.legifrance.gouv.fr


(25)
Cass. crim., 29 juin 1967, Bull. crim., n° 200.


(26)
La Cour de cassation réaffirme même ces obligations dans l’arrêt Montjoie, préc. Elle énonce que le secret professionnel n’est pas opposable au président du conseil général en vertu de l’ancien article 80 du code de la famille et de l’aide sociale (CASF, art. L. 221-6).

SECTION 1 - LES INCRIMINATIONS POUR FAUTES « VOLONTAIRES »

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