Les salariés sont protégés du harcèlement moral et sexuel, d’une part par le code du travail et, d’autre part, par le code pénal.
A. LA PROTECTION CONTRE LE HARCÈLEMENT MORAL
1. LA PROTECTION PAR LE DROIT DU TRAVAIL
a. Les éléments constitutifs du harcèlement moral
L’article L. 1152-1 du code du travail énonce qu’« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Pour être caractérisé, le harcèlement doit être répétitif. Au minimum deux faits doivent être établis. Il n’est pas nécessaire que les faits soient intentionnels ni de démontrer la perversité de l’auteur, son niveau de conscience ou ses objectifs. Le dommage n’a pas besoin, théoriquement, d’être avéré du fait du terme « susceptible ». Le juge peut ainsi accélérer la procédure et éviter que le dommage ait lieu. La loi a envisagé quatre types d’atteintes non cumulatifs :
- une atteinte aux droits des salariés, comme le nonrespect de la liberté d’expression ou du droit à l’intimité ;
- une atteinte à la dignité, par exemple en exigeant des habits ridicules ou en commettant des vexations. Le fait pour un employeur d’avoir tenu, au cours d’un entretien avec un salarié, des propos indélicats aux termes desquels il lui reprochait de dégager des odeurs nauséabondes en évoquant « une gangrène ou une incontinence » constitue une atteinte à la dignité du salarié (1). Le harcèlement moral étant constitué, la résiliation du contrat de travail sera établi au tort de l’employeur ;
- une atteinte à la santé physique ou mentale. Cette diminution des capacités de travail sera constatée par un certificat médical ;
- une atteinte à son avenir professionnel.
Concernant l’auteur, le législateur ne vise aucune restriction. Cela peut être un subordonné à l’égard de son supérieur hiérarchique, un usager, la femme du patron, un collègue, même si dans les faits le harcèlement moral provient le plus souvent du supérieur hiérarchique.
Sur ce fondement, en cas de reconnaissance de harcèlement, tout salarié est passible d’une sanction disciplinaire et toute victime peut obtenir des dommages et intérêts notamment de la part de l’employeur et une protection supplémentaire en cas de licenciement. L’article L. 1152-2 du code du travail énonce en effet qu’un salarié ne peut en aucune façon être sanctionné pour avoir refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Après de nombreuses hésitations sur la charge de la preuve, la Cour de cassation a, en 2008 (2), fixé les modalités de mise en œuvre de cette protection, lesquelles sont reprises aux articles L. 1154-1 et suivants du code du travail.
Le salarié doit établir la matérialité des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Il doit faire la preuve de la réalité de certains faits de façon précise et concordante : son employeur lui a retiré des fonctions, son téléphone portable, son bureau. Pour établir ces faits, il pourra donner des témoignages. Au vu de ces éléments, l’employeur doit faire la preuve que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Par exemple, des mesures financières ont justifié le retrait des téléphones portables à l’ensemble des salariés de telle catégorie. Le changement de bureau a été justifié par une réorganisation des services.
Il appartient alors au juge d’apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral. Il forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Une médiation est possible (C. trav., art. L. 1152-6).
b. Quelques exemples de jurisprudence
A la suite d’une demande de revalorisation statutaire, les relations entre une salariée et la présidente de l’association caritative se détériorent. L’employeur prend à plusieurs reprises des mesures vexatoires niant les fonctions de ce cadre. Ces agissements répétés ont affecté la santé de cette salariée atteinte d’un syndrome anxio sub dépressif récurrent. Le harcèlement moral est reconnu et l’association, en plus des dommages et intérêts pour licenciement abusif, est condamnée à verser à la salariée 4 500 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral (3).
Dans une association de protection de l’enfance et de l’adolescence, le directeur général avait changé d’affectation une éducatrice spécialisée pour des motifs fallacieux et de manière brutale, l’avait seule mise en cause pour ses déclarations lors d’une réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, lui avait fait le reproche de récupérer les heures supplémentaires effectuées bien que cette pratique fut courante dans l’entreprise, ces faits ayant contribué à un état dépressif médicalement constaté. Les syndicats avaient alors réagi par un écrit : « Nous n’acceptons plus de voir certains d’entre nous mis à mal arbitrairement dans l’exercice de leur contrat de travail [...] » La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel établissant le harcèlement moral (4).
2. LA PROTECTION PAR LE CODE PÉNAL
Le délit de harcèlement moral est constitué par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet la dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité d’autrui, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Il est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (C. pén., art. 222-33-2).
Le texte ne mentionne aucun auteur. Ainsi le harcèlement moral peut être le fait d’un subordonné (5). A la suite du suicide de M. X., chef du service d’action sociale territoriale d’un département, M. C. éducateur dans ce service a été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel pour avoir harcelé son supérieur hiérarchique « en dévalorisant de façon réitérée son action, en diffusant à son propos une image d’incompétence dans son milieu professionnel et en adoptant à son égard un comportement irrévérencieux et méprisant ». L’éducateur lui avait envoyé un mail obscène et venait travailler en short... Ces actions auraient pu donner lieu à des sanctions disciplinaires, mais les supérieurs hiérarchiques du chef de service ne semblaient pas réagir aux plaintes de ce dernier. Ce chef de service avait à plusieurs reprises manifesté du désarroi, voire de l’amertume à l’égard de sa hiérarchie.
En première instance, le tribunal correctionnel a dit la prévention établie, en retenant notamment que le dénigrement auquel s’était livré le prévenu pendant plusieurs années avait contribué à dégrader les conditions de travail de M. X., au point d’altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel. En revanche, la cour d’appel, tout en reconnaissant les faits qui n’étaient pas exempts de tout reproche, estime que l’infraction de harcèlement moral n’est pas constituée : pour elle, en effet, les agissements commis n’ont pas porté atteinte aux droits et à la dignité de la victime ou altéré sa santé physique ou mentale ou encore compromis son avenir professionnel, même si elle reconnaît que leur répétition avait eu pour effet de dégrader ses conditions de travail. Elle ajoute même que l’éducateur, subordonné de M. X., n’avait ni les qualités ni les moyens de compromettre l’avenir professionnel de son supérieur hiérarchique. Les contradictions de cet arrêt sont telles que sur appel de la femme de la victime et du parquet, la Cour de cassation le casse et admet la condamnation de l’éducateur sur le fondement de l’article 222-33-2 du code pénal définissant le harcèlement moral.
La Haute Cour énonce tout d’abord qu’il n’est pas nécessaire que les dommages aient eu lieu ou soient avérés comme le pense la cour d’appel, l’article du code pénal énonçant des « faits susceptibles de ». La simple possibilité d’une dégradation des conditions de travail suffit à consommer le délit de harcèlement moral. De plus, en subordonnant le délit à l’existence d’un pouvoir hiérarchique, la cour d’appel a méconnu le texte « alors que le fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l’infraction ».
B. LA PROTECTION CONTRE LE HARCÈLEMENT SEXUEL
A la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a invalidé, par décision du 4 mai 2012, l’article 222-33 du code pénal qui réprimait le harcèlement sexuel (6). Il a considéré que cet article permettait que « le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ». Il en a conclu que ces dispositions, méconnaissant le principe de légalité des délits et des peines, devaient être déclarées contraires à la Constitution. Cette abrogation ayant suscité des manifestations d’association de défense des femmes, le nouveau gouvernement s’était engagé à réagir rapidement. La loi du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, complétée par une circulaire du ministère de la Justice du 7 août 2012 (7) rétablit cette incrimination. Les nouvelles dispositions donnent une définition plus précise mais également plus large que par le passé du délit de harcèlement sexuel, afin de recouvrir l’ensemble des situations dans lesquelles des personnes peuvent faire l’objet de ce type d’agissements. Elles aggravent les peines maximales encourues, afin que celles-ci soient à la hauteur de la gravité de ces faits et en cohérence avec celles qui sont prévues pour les autres infractions sexuelles. Elles modifient notamment le code pénal, le code du travail, le code de procédure pénale et la loi du 13 juillet 1983 sur le statut des fonctionnaires.
Comme pour le harcèlement moral, il existe une protection par le droit du travail et une protection par le code pénal.
1. LA PROTECTION PAR LE DROIT DU TRAVAIL
[Code du travail, articles L. 1153-1 et L. 1153-2]
Aux termes de l’article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits :
- soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
- soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».
En outre, « aucune personne en formation ou en stage, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une formation » ne peut être sanctionné pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel.
Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement sexuel est susceptible de sanction disciplinaire. Le harcèlement sexuel à l’égard d’un salarié n’est plus sanctionné par le code du travail, la sanction étant prévue par le code pénal. Les sanctions prévues à l’article L. 1155-2 du code du travail (un an d’emprisonnement et 3 750 € d’amende) vise les faits de discriminations dans le travail commis à l’égard d’un salarié qui a subi ou refusé de subir un harcèlement sexuel ou qui a témoigné sur de tels agissements ou les a relatés (8).
2. LA PROTECTION PAR LE DROIT PÉNAL
[Code pénal, article 222-33]
Le délit de harcèlement sexuel issu d’une loi du 22 juillet 1992 a fait l’objet de nombreuses modifications législatives visant essentiellement à élargir son champ d’application. A l’origine, l’article 222-33 du code pénal définissait le harcèlement sexuel comme « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ». En 1998, une nouvelle définition de ce délit est donnée en substituant aux mots « en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes », les mots : « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves ». Tous ces termes ont été supprimés par la loi du 7 janvier 2002.
A la suite de la décision du Conseil constitutionnel (cf. supra), la loi du 6 août 2012 rétablit donc le délit de harcèlement sexuel. Le nouvel article 222-33 du code pénal donne une double définition du harcèlement sexuel, selon qu’il s’agit de faits répétés, ou d’un acte unique qui est assimilé au harcèlement sexuel.
Ainsi, désormais, le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante (C. pén., art. 222-33, I).
En outre, est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers (C. pén., art. 222-33, II).
La loi du 6 août 2012 a aggravé les peines encourues. Les peines maximales ont été doublées par rapport à celles qui étaient antérieurement prévues, passant à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. De plus, cinq circonstances aggravantes ont été instituées par le législateur. Elles portent les peines à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis (C. pén., art. 222-33, III) :
- par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
- sur un mineur de 15 ans ;
- sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
- sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;
- par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.
De plus, à côté de ces peines pour circonstances aggravantes, des peines complémentaires sont toujours prévues (C. pén., art. 222-44 et 222-45) : interdiction de porter une arme, suspension et annulation du permis de conduire, interdiction des droits civiques, civils et de famille, interdiction d’exercer une fonction publique ou un activité en lien avec des mineurs, obligation d’effectuer un stage de citoyenneté ou de responsabilité parentale. Depuis 2010, il existe même une peine d’affichage et de diffusion de la décision (C. pén., art. 222-50-1).
Les discriminations résultant d’un harcèlement sexuel sont également sanctionnées : le refus d’une embauche, le licenciement, le refus de la location d’un logement, la non-obtention d’un examen, le refus d’une aide sociale par un agent public... Elles sont poursuivies séparément. Par exemple, le fait d’avoir été licencié après avoir été harcelé fait l’objet de deux infractions qui doivent être poursuivies distinctement puisqu’il y a constitution de deux délits distincts.
En cas de harcèlement sexuel, la médiation n’est pas possible.
On trouve dans la jurisprudence des situations particulièrement sinistres comme la jurisprudence suivante. Chantal D., 58 ans, rentre des obsèques de sa mère et vient remercier le directeur du centre hospitaliser dans lequel elle travaille de ses condoléances. « Il m’a sauté dessus, raconte-t-elle comme encore étonnée. Je me suis demandé ce qui m’arrivait. » D’autres femmes refusent de subir les avances du directeur. Elles sont sanctionnées disciplinairement. Le directeur est condamné à dix mois de prison avec sursis. Il avait déjà été suspendu de ses fonctions pendant deux ans dont un avec sursis. Il a ensuite été réintégré et nommé directeur adjoint d’un hôpital (9).
Mais dans un grand nombre de situations, il était difficile de trouver des éléments à l’infraction. Le fait de faire la cour, même maladroitement, ne peut être qualifié de harcèlement.
Un président-directeur général ne se rend pas coupable de harcèlement sexuel envers une salariée en lui manifestant des sentiments amoureux à l’aide de lettres et de poèmes sans pour autant abuser de son autorité par ordres, menaces, contraintes ou pressions dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles dès lors que ces poèmes et ces lettres ne traduisent que l’émoi sentimental de son auteur, sans contenir aucun terme indécent ou obscène dépassant la simple expression d’une passion amoureuse et pouvant affecter la dignité de la salariée dans sa vie professionnelle (10).
De même le fait pour un professeur d’embrasser sur la bouche l’une de ses élèves n’avait pas été reconnu comme un harcèlement sexuel (11).
(1)
Cass. soc., 7 février 2012, n° 10-18686, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(2)
Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-45.747, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Versailles, 31 août 2011, n° 10/01544.
(4)
Cass. soc., 14 septembre 2010, n° 09-66762, consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(5)
Cass. crim., 6 décembre 2011, n° 10-82266, consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(6)
Décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, JO du 5-05-12 ; circulaire CRIM-AP n° 10-780-D2 du 10 mai 2012.
(7)
Loi n° 2012-954 du 6 août 2012, JO du 7-08-12 ; circulaire du 7 août 2012, NOR : JUSD1231944C, BO complémentaire du ministère de la Justice du 23-08-12.
(8)
Les discriminations commises à la suite d’un harcèlement moral sont sanctionnées de la même manière.
(9)
Tribunal correctionnel de Paris, 9 juillet 2002.
(10)
Versailles, 30 juin 1993, X. c/ Sté Y., RJS 8-9/93, n° 842.
(11)
Cass. crim., 10 novembre 2004, n° 03-87986, consultable sur www.legifrance.gouv.fr