Depuis la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, les signalements aux autorités compétentes de l’ensemble des professionnels, et non plus seulement des médecins, dans les cas prévus à l’article 226-14 du code pénal ne peuvent plus faire l’objet d’une sanction disciplinaire (C. pén., art. 226-14 in fine ).
De plus, l’article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles, tel qu’il résulte de la loi du 2 janvier 2002, énonce que « dans les établissements et services [sociaux et médico-sociaux (1)], le fait qu’un salarié ou un agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures défavorables le concernant en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire. En cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci le demande. » Il avait été constaté que de nombreux travailleurs sociaux, notamment dans le secteur privé, avaient subi des sanctions injustifiées après avoir fait un signalement. Cet article, qui doit figurer dans le règlement intérieur des établissements et services, constitue une mesure de protection en faveur des salariés des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Une première décision de justice a été rendue sur le fondement de cet article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles (2). Un directeur adjoint de centre d’aide par le travail [NDLR : désormais établissement et service d’aide par le travail] est licencié pour faute grave par l’association qui l’emploie. Il saisit le conseil de prud’hommes de Paris qui déclare le licenciement illicite et ordonne la réintégration du salarié sous astreinte. L’association ayant fait appel, la cour d’appel de Paris confirme la nullité du licenciement sur le fondement de l’article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles et le salarié ayant renoncé à la réintégration, elle lui alloue entre autres indemnités une somme pour licenciement nul à défaut de réintégration. Dans sa lettre de licenciement, l’employeur invoquait de nombreux motifs de rupture dont celui tiré de la dénonciation par le directeur adjoint d’actes de maltraitance caractérisée à l’égard des personnes handicapées ». La décision de la cour d’appel est intéressante à plusieurs égards. Elle énonce premièrement « qu’il n’est pas nécessaire que ce motif ait été l’élément déterminant de la décision de licencier et qu’il importe peu que les autres griefs invoqués puissent constituer un motif légitime de licenciement dès lors qu’est établie la prise en considération de cette référence prohibée à des actes de maltraitance ». L’association évoquait à l’appui de son appel que la dénonciation de maltraitance ne constituait pas le motif du licenciement et que quatre motifs étaient articulés. Deuxièmement, la cour énonce « que le texte de l’article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles protège l’agent qui témoigne ou qui relate des actes de maltraitance sans qu’il ait à rapporter la preuve de la vérité des faits dénoncés ». L’association arguait que la DDASS avait fait un rapport et n’avait relevé aucune « maltraitance caractérisée ». Mais la cour d’appel en déduit que ce qualificatif atténue la portée des enquêteurs et ne permet pas de dire que les dénonciations du directeur adjoint étaient « fantaisistes ». Elle énonce clairement que ce n’est pas au salarié de faire la preuve des mauvais traitements à partir du moment où la dénonciation n’est pas calomnieuse. Enfin, elle estime que « la protection des salariés qui exercent leur devoir, pénalement sanctionné, de dénoncer les crimes ou délits dont ils ont connaissance, constitue une liberté fondamentale qui doit profiter d’une protection légale renforcée ». De ce fait, le licenciement a été déclaré nul. Le directeur adjoint a été indemnisé pour licenciement abusif et pour le temps où il aurait dû être employé. Par ailleurs, la cour d’appel estime que c’est à juste droit que le syndicat CFDT sanitaire et social doit recevoir des dommages et intérêts : « que cette organisation professionnelle fait valoir qu’elle est en droit de défendre les salariés en veillant à ce que les dispositions de l’article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles reçoivent un effet utile ».
Une seconde décision du même ordre a été prise par la chambre sociale de la Cour de cassation le 30 octobre 2007 (3). Un agent de service employé par une association gérant une maison de retraite est licencié pour, entre autres choses, avoir porté des accusations de mauvais traitements sur des résidents à l’encontre d’une de ses collègues aides-soignantes. La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel qui avait condamné l’association employeuse à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour suprême rappelle : « Il résulte de l’article L. 313-24 du code de l’action sociale et des familles que dans un établissement accueillant des personnes âgées, le fait qu’un salarié a témoigné de mauvais traitements infligés à une personne accueillie ou relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de la résiliation du contrat de travail ou d’une sanction disciplinaire. »
Cette protection est limitée en cas « de mauvaise foi du salarié », de violation du secret de la vie privée des usagers, de propos outranciers à l’égard de collègues et jugés diffamatoires par les tribunaux. C’est donc à juste de titre que dans cette situation de mauvaise foi, l’éducatrice a été licenciée pour faute grave (4).
(1)
Dont la liste est fixée par l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles.
(2)
Paris, 18 novembre 2005, M. Font c/Association Entraide universitaire, décision confirmée par la chambre sociale de la Cour de cassation le 26 septembre 2007, n° 06-40039, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Cass. soc., 30 octobre 2007, n° 06-44757, disponible sur www.legifrance.gouv.fr. Ces deux arrêts ont fait l’objet d’un commentaire de Daniel Boulmier dans la revue de droit sanitaire et social : « Le témoignage de mauvais traitements : du bon usage de l’article L. 313-24 du CASF », RDSS n° 1/2008, p. 126.
(4)
Cass. soc., 9 décembre 2009, n° 08-42666, disponible sur www.legifrance.gouv.