Après avoir rappelé la définition de la responsabilité administrative, il convient de s’intéresser à ses fondements. La responsabilité administrative peut être engagée sur la base de la faute de service mais il existe, à titre subsidiaire, des hypothèses de responsabilité sans faute fondée sur le risque ou sur le principe de l’égalité devant les charges publiques.
A. LA DÉFINITION
On entend par « responsabilité administrative » la responsabilité des actes exercés par des personnes publiques dotées de la personnalité morale : Etat, collectivités territoriales, établissements publics. Entrent ainsi dans ce cadre les actes des services départementaux (services de protection maternelle et infantile, services de polyvalence, services de l’aide sociale à l’enfance), les services communaux (CCAS ou CIAS), et les établissements sociaux communaux, départementaux ou nationaux.
B. LA RESPONSABILITÉ FONDÉE SUR LA FAUTE
1. LA FAUTE DE SERVICE
La faute de service qui peut être un fait matériel, un acte juridique ou même une abstention fautive s’analyse comme une défaillance dans l’organisation ou le fonctionnement normal d’un service public incombant à un ou plusieurs agents de l’administration. Dans ce cas, une faute du service doit être démontrée pour que la victime soit indemnisée. L’auteur direct du dommage peut même n’être jamais désigné personnellement, mais il faudra prouver que le dommage est le résultat d’une faute du service public.
2. LA FAUTE PERSONNELLE
En général, la victime ne peut pas assigner en responsabilité le salarié appartenant au service public, à l’exception de la faute dite personnelle. Dans ce cas, les tribunaux considèrent que le fonctionnaire a quitté sa fonction et que c’est l’homme qui doit être poursuivi. Pour reprendre les formules du grand juriste Laferrière : « La faute de service révèle l’administrateur plus ou moins sujet à l’erreur. La faute personnelle, au contraire, est celle qui révèle l’homme avec ses faiblesses, ses passions, son imprudence. » (1). Pour définir la faute personnelle, la jurisprudence exige une faute très grave, et même souvent une intention malveillante. Dans cette hypothèse très rare, le fonctionnaire peut être poursuivi devant les tribunaux judiciaires et condamné sur ses deniers personnels. Deux exemples de jurisprudence argumentent une faute personnelle. Le premier exemple concerne un médecin hospitalier. Dans un arrêt du 28 décembre 2001, le Conseil d’Etat a admis qu’un médecin, M. V., avait commis une faute personnelle et que c’était à bon droit que l’hôpital avait refusé de prendre en charge ses frais de défense devant la justice pénale (2). Le médecin n’avait pas immédiatement averti le patient ni d’autres médecins qu’une faute avait été commise dans son service. Certes, les faits reprochés avaient été commis dans le cadre du service, mais il a été jugé « eu égard au caractère inexcusable du comportement de ce praticien au regard de la déontologie de la profession » qu’il devait être déclaré responsable personnellement.
Le second exemple est relatif à une assistante sociale chef. Celle-ci, fonctionnaire d’une collectivité territoriale, avait commis également une faute personnelle, détachable de sa fonction quand elle avait pris l’initiative, dans une note relative à l’embauche d’aides ménagères, de recommander aux bureaux d’aide sociale concernés d’éviter l’engagement de personnes de couleur (3). Cette assistante sociale avait été condamnée pénalement sur le fondement de l’article réprimant la discrimination raciale. Mais la Cour de cassation avait également estimé que ce fonctionnaire avait commis une faute personnelle, juridiquement inexcusable et donc détachable de la fonction, qui rendait la Cour répressive compétente pour statuer sur les demandes des parties civiles.
A noter :
si une faute personnelle est cumulée avec une faute de service, ou commise à l’occasion de l’exécution du service ou même commise hors du service mais non dépourvue de tout lien avec ce service, l’administration peut tout de même être assignée en responsabilité. Pour une victime, il est toujours préférable, pour avoir plus de chance d’être indemnisée, d’assigner l’Etat encore actuellement solvable que le pauvre fonctionnaire, par définition désargenté.
C. LA RESPONSABILITÉ SANS FAUTE
Comme en droit privé, la nécessité s’est fait sentir de pouvoir indemniser des victimes sans nécessairement devoir prouver une faute de l’agent du service public. Deux fondements théoriques sont avancés : la notion de risque et le principe de l’égalité devant les charges publiques.
L’administration doit réparer les conséquences dommageables de ses activités qui présentent un risque pour autrui. En outre, elle doit indemniser les victimes au cas où une mesure légalement prise a pour effet un préjudice spécial. Un citoyen n’a pas à subir seul un préjudice causé en raison d’une politique jugée d’intérêt national.
Dans ces hypothèses, la victime pourra être indemnisée sans qu’il existe aucune faute à la charge de l’administration. Mais les situations de responsabilité de plein droit définies par la jurisprudence sont des exceptions, le principe général d’engagement de la responsabilité administrative restant la faute.
Il en est ainsi pour les dommages causés entre usagers. En principe, la juridiction administrative n’admet pas le régime de la responsabilité sans faute dans ce cas. Mais une évolution importante s’est produite sur le fondement de la garde. Par un arrêt 13 novembre 2009 (4), le Conseil d’Etat a admis la responsabilité sans faute de l’Etat pour les dommages causés à un jeune majeur confié par le juge des enfants à un foyer d’action éducative relevant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) par d’autres enfants placés dans ce même établissement au titre de l’ordonnance du 2 février 1945. Une nuit, un jeune majeur est victime d’une grave agression de la part de trois autres jeunes, hébergés dans le même foyer. Ses trois agresseurs sont condamnés solidairement à lui verser 3 000 €. Mais devant l’insolvabilité de ces jeunes, l’association tutélaire qui avait sous sa protection le jeune majeur saisit le garde des Sceaux pour demander que l’Etat indemnise la victime. Le Conseil d’Etat affirme que le foyer d’action éducative, qui dépend de la direction départementale de la PJJ, exerçait la garde des mineurs auteurs de l’agression en lieu et place des parents. De ce seul fait, l’Etat s’est substitué à ces derniers au titre de la responsabilité civile, et c’est sur cet unique fondement que la responsabilité sans faute de l’Etat doit être recherchée. L’usager-victime est donc ici indemnisé par l’Etat parce qu’il a été agressé par d’autres enfants confiés à un établissement relevant de la PJJ. L’Etat aura alors la possibilité d’engager des actions récursoires en cas de faute contre les établissements qu’il a sous sa responsabilité.
Cette position rejoint la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait admis la responsabilité sans faute des établissements privés pour les dommages causés à un enfant par d’autres mineurs confiés au titre de l’assistance éducative : « La personne physique ou morale à qui le juge des enfants confie la garde d’un mineur en danger en application des articles 375 et suivants du code civil, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler le mode de vie du mineur, est responsable des dommages qu’il cause à cette occasion, y compris aux autres enfants placés dans l’établissement » (5).
(1)
Laferrière, concl. sur TC, 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, rec. n° 95, p. 437.
(2)
Conseil d’Etat, 28 décembre 2001, n° 213931, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Cass. crim., 14 novembre 1989, n° 88-81817, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(4)
Conseil d’Etat, 13 novembre 2009, n° 306517, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(5)
Cass. civ. 2e, 20 janvier 2000, n° 98-17005, disponible sur www.legifrance.gouv.fr