Il convient dès lors de distinguer les dommages causés aux tiers et les dommages subis par les usagers. Des dommages peuvent également être causés par des visiteurs. Enfin, la responsabilité civile de l’établissement peut être engagée du fait de ses salariés condamnés pour une faute pénale.
A. LES DOMMAGES CAUSÉS AUX TIERS
Pour les dommages causés aux tiers, la jurisprudence n’est pas abondante. D’une part, la question porte sur la définition des obligations des établissements concernant la surveillance des personnes âgées. Il peut exister de grandes différences entre une personne tout à fait consciente et valide et une personne pour qui une surveillance a été médicalement préconisée, comme une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer. D’autre part, les personnes âgées hébergées étant tenues de contracter une assurance responsabilité civile avant leur entrée dans l’établissement, il est plus facile d’engager leur responsabilité directement que celle des établissements. Mais imaginons une situation où une clause du contrat passé entre l’usager et l’établissement prévoit une surveillance, que cette personne âgée ne soit pas assurée et qu’elle ait commis un dommage à des tiers, la victime sera tentée d’engager la responsabilité de l’établissement d’accueil. Dans cette hypothèse, peut alors se poser la question de savoir si les tribunaux civils feraient une application de la jurisprudence Blieck, autrement dit s’ils utiliseraient le fondement de la responsabilité sans faute. En l’état actuel de la jurisprudence, le fondement reste la faute prouvée de l’établissement. La réponse à cette question a été donnée par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 décembre 2011 (1). Un pensionnaire d’une maison de retraite atteint de la maladie d’Alzheimer agresse physiquement pendant la nuit un autre pensionnaire. Celui-ci décède des suites de ses blessures. La juridiction suprême répond tout d’abord à la question posée concernant la nature du régime : responsabilité délictuelle ou contractuelle ? Le plaignant évoquait la responsabilité délictuelle et l’article 1384, alinéa 1er, du code civil en reprenant les termes de l’arrêt Blieck, mais la première chambre civile estime que l’auteur des coups mortels étant hébergé à la maison de retraite en vertu d’un contrat, c’est la responsabilité contractuelle qui doit être appliquée. Elle statue ensuite sur la responsabilité de l’établissement. La première chambre estime qu’elle n’a pas commis de faute et que seule la responsabilité de l’auteur des faits devait être retenue. Elle ne retient pas le fait que le protocole de l’établissement n’avait pas été respecté. En effet, la maison de retraite avait effectué cette nuit-là trois rondes au lieu des cinq prévues par le protocole. La Cour juge cependant que rien n’indique que l’agression aurait eu lieu au moment du passage d’un employé. L’établissement ne peut être condamné « n’ayant commis aucune faute ayant joué un rôle causal dans la survenance du dommage ». Elle estime également que si, certes, l’usager avait un passé psychiatrique, son comportement depuis son entrée dans l’établissement ne laissait pas envisager la possibilité d’un tel acte.
La première chambre civile de la Cour de cassation confirme ainsi que dans les établissements sociaux et médico-sociaux, les dommages causés aux usagers, à eux-mêmes ou à d’autres usagers, ne peuvent relever que de la responsabilité contractuelle et que l’obligation de sécurité qui leur incombe est une obligation de moyens nécessitant de faire la preuve directe d’une faute de l’établissement pour engager sa responsabilité. Il est également intéressant de souligner le fait que la Cour n’ait pas jugé fautif l’établissement malgré le non-respect du protocole établi. Cela devrait favoriser le développement de ces écrits ou du moins ne pas nuire à cette nécessité, les magistrats ayant démontré leur liberté d’appréciation de la faute en dehors même de la règle que s’était fixé l’établissement.
Une affaire similaire avait été jugée par la juridiction administrative (2). Mais ici l’établissement avait été jugé responsable du fait du manque de surveillance. Un pensionnaire d’une maison de retraite communale, en proie à une crise de démence sénile, blesse grièvement son voisin de lit, qui décède des suites de ses blessures. Le tribunal de grande instance condamne l’ayant droit de l’auteur de l’agression (lui-même décédé), à payer à la caisse de sécurité sociale de la victime le remboursement des frais d’hospitalisation. L’ayant droit demande ensuite le remboursement de ses frais à l’établissement estimant que ce dernier a commis une faute. Le Conseil d’Etat accède à sa demande. Il constate que l’accident est survenu « alors que les 72 pensionnaires de l’établissement étaient sous la surveillance d’une seule aide-soignante, qu’aucune mesure n’avait été prise à l’égard de l’auteur de l’acte alors que ses troubles de comportement avaient été signalés auparavant tant par son médecin traitant que par le personnel de l’établissement : qu’en l’absence de local permettant d’isoler un pensionnaire, l’aide-soignante avait enfermé l’auteur de l’agression avec sa victime endormie suite à une prise de somnifères ». Il déduit de ces faits que les blessures dont a été victime le pensionnaire agressé sont imputables à une mauvaise organisation du service ainsi qu’à des carences dans la surveillance des pensionnaires de l’établissement. La Haute Cour estime cependant que la responsabilité de la maison de retraite se trouve diminuée de la part de celle de l’auteur de l’acte et qu’il est légitime de partager le remboursement des dommages à hauteur de 20 % pour l’auteur de l’acte ou ses ayants droit et 80 % pour l’établissement. Ainsi, la condamnation civile d’une maison de retraite publique nécessite toujours la preuve d’une faute de service. De plus, même en cas de faute, la justice administrative retient la responsabilité de l’auteur de l’acte.
On retiendra de ces deux affaires, l’une jugée par la Cour de cassation, l’autre par le Conseil d’Etat qu’il est nécessaire de veiller à ce que les pensionnaires des maisons de retraite prennent une assurance en responsabilité civile pour couvrir les dommages qu’ils peuvent causer aux autres usagers, leur responsabilité personnelle étant souvent retenue.
B. LES DOMMAGES SUBIS PAR LES USAGERS
Concernant les dommages subis par les usagers, la jurisprudence est plus abondante, les ayants droit n’hésitant pas à assigner l’établissement en cas « de fugue » de la personne âgée. La juridiction civile retient toujours une obligation de moyens de la part des établissements concernant la sécurité des usagers : « Le gestionnaire d’une maison de retraite est tenu envers ses pensionnaires d’une obligation de sécurité, obligation de moyens qui doit s’apprécier en fonction des prestations fournies et de l’état de santé des personnes accueillies » (3). Autrement dit, pour qu’une personne âgée puisse être indemnisée d’un dommage qu’elle aurait subi dans l’établissement, il faut prouver une faute de l’établissement.
Cependant, dans une autre affaire assez semblable, la cour d’appel de Toulouse a considéré que les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qui accueillent des personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer ont, à leur égard, une obligation de vigilance qui, sans constituer une obligation de résultat, engage néanmoins leur responsabilité contractuelle en cas de fugue mortelle. En l’espèce, un résident, atteint de la maladie d’Alzheimer et connu pour avoir déjà fugué, s’est échappé de l’EHPAD et est décédé après dix jours d’errance. L’action menée par les héritières du résident a abouti à la condamnation de l’établissement (4). Le fait que le résident ait réussi à fuguer, alors même qu’il était connu comme fugueur, est reconnu comme une grave négligence qui caractérise la faute. L’établissement n’a pas pris les précautions suffisantes pour empêcher sa fuite. L’établissement est condamné à 52 000 € d’amende. Cette décision est prise alors que l’usager ne bénéficiait pas d’une prestation spécifique lui assurant « en cas de perte d’autonomie psychique, une surveillance médicale ou paramédicale accrue donnant lieu à une facturation supplémentaire », pourtant proposée à titre optionnel par cet établissement à but lucratif. Cette prestation supplémentaire devait ainsi assurer une obligation de sécurité de résultat. Encore une fois, il vaut mieux être riche que pauvre même en ce qui concerne sa sécurité. Mais les magistrats, au moins dans cette affaire, n’ont pas tenu compte de ces différences.
C. LES DOMMAGES CAUSÉS PAR UN TIERS
Enfin mentionnons que si le dommage a été causé par un tiers, les victimes sont en droit de faire jouer la responsabilité de ce tiers sur le fondement cette fois de la responsabilité délictuelle. Notamment selon l’article 1383 du code civil qui énonce que « chacun est responsable du dommage qui a été causé par son fait mais encore par sa négligence ou son imprudence ». Ainsi une personne qui rend visite à une pensionnaire dans une maison de retraite et qui cause du fait de son imprudence des dommages aux autres pensionnaires peut être déclarée responsable (5). Son assureur en responsabilité civile devra alors indemniser les victimes pour les dommages qu’elle a causés dans l’établissement.
La fille d’une pensionnaire d’une maison de retraite venue rendre visite à sa mère allume deux bougies dans la pièce. Elle quitte la chambre en les laissant allumées. Trois heures trente plus tard un incendie se déclare et cause la mort de 12 pensionnaires. Des proches des victimes demandent réparation. Le débat porte sur la cause de l’incendie et sur la faute de la visiteuse. Se fondant sur le rapport de l’expert, la cour d’appel de Lyon estime que l’incendie est bien dû à ces bougies, que la personne en visite a commis une faute d’imprudence à l’origine du sinistre et que c’est à juste titre que les proches de deux pensionnaires décédées dans l’incendie peuvent obtenir une indemnisation de leur préjudice, soit au total une somme de 30 000 € et la condamnation de l’assureur de cette personne à garantir cette somme. La Cour de cassation confirme cet arrêt. Elle estime en effet qu’« un faisceau de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes permettent de retenir que l’origine de l’incendie réside dans l’allumage de ces deux bougies ». Un des éléments retenus par la Cour consiste à relever que la sœur de cette fille avait déjà causé un incendie en allumant des bougies dans cette même pièce... Concernant la faute de la visiteuse, la Cour admet que, certes, le règlement de fonctionnement de l’établissement ne prévoit pas l’interdiction d’allumer des bougies dans la chambre des personnes âgées grabataires, mais elle retient que cette personne aurait dû en partant, soit les éteindre, soit les signaler aux personnels. Au moment de son départ, deux aides-soignantes étaient rentrées dans la chambre, mais la Cour estime que, préoccupées à donner des soins à la personne âgée, il est concevable qu’elles n’aient pas aperçu les bougies. Ainsi, il ne fait pas de doute que la responsabilité d’un préjudice et son indemnisation appartiennent à son auteur, en l’occurrence un tiers, s’il a commis une faute.
D. LA RESPONSABILITÉ CIVILE DES ÉTABLISSEMENTS DU FAIT D’UNE FAUTE PÉNALE D’UN SALARIÉ
La responsabilité d’une maison de retraite a été retenue du fait des détournements de fonds commis par l’une de ses employées sur un usager (6). La pensionnaire d’une résidence pour personnes âgées avait signé plusieurs chèques au profit de la gardienne de la résidence, qui faisait pression sur elle en lui faisant croire qu’elle avait le pouvoir d’assurer son maintien dans la résidence. La salariée avait été condamnée pénalement pour abus de faiblesse. Pour la Cour de cassation, « c’est à bon droit que [la] cour d’appel, retenant que les fonctions [de la salariée] la mettaient régulièrement et quotidiennement au contact des pensionnaires, [...] décide que cette gardienne n’avait pas agi hors des fonctions auxquelles elle était employée, le délit d’abus de faiblesse qui lui était imputable n’impliquant pas nécessairement qu’elle ait agi hors du cadre de ses fonctions au sens de l’article 1384, alinéa 5, du code civil et que l’association gérant la maison de retraite ne s’exonérait pas de sa responsabilité ». L’établissement devait dès lors être condamné à rembourser aux ayants droit de l’usager décédé la somme que la gardienne salariée de la maison de retraite n’avait pas pu rembourser.
E. LA RESPONSABILITÉ DES SERVICES À DOMICILE
Toutes les prestations délivrées dans le cadre d’un service à la personne doivent faire l’objet d’une formalisation par contrat. Celui-ci sera préparé par le prestataire de services. Le contrat peut être sommaire, mais il est préférable que les prestations soient définies clairement puisque, en cas de difficulté, il sera fait référence aux clauses de ce contrat (7). Les prestations concernant la surveillance des enfants ou des personnes vulnérables devront être décrites avec précision. Par exemple, en cas d’accident d’une personne âgée pendant la nuit, les obligations « du gardien » seront examinées avec attention : devait-il assurer une surveillance constante ou était-il notifié qu’il pouvait dormir dans une chambre voisine, sa mission consistant uniquement à assurer une présence à domicile ? L’employée du service prestataire qui, assurant une simple présence de nuit, n’a pas vu la chute de la personne âgée, et donc n’a pas pu intervenir, ne commet pas une faute. En effet, le contrat de prêt de main-d’œuvre prévoyait « que la présence de nuit s’entendait de l’obligation pour le salarié de dormir sur place dans une pièce séparée, sans travail effectif habituel tout en étant tenu d’intervenir éventuellement dans le cadre de sa fonction » (8).
(1)
Cass. civ., 1re, 15 décembre 2011, n° 10-25740, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(2)
Conseil d’Etat, 12 juin 2006, n° 228841, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Versailles, 17 décembre 1999, D. 2000, IR p. 85, JCP 2000, IV, n° 1437.
(4)
Toulouse, 3e ch., 1re sect., 26 juin 2007, n° 371, com. Poinsot O., « EHPAD : contrat de séjour, obligation de sécurité et fugue mortelle », consultable sur le blog d’Olivier Poinsot, http://avocats.fr/space/olivier.poinsot
(5)
Cass. civ., 2e, 17 juin 2010, n° 09-66253, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(6)
Cass. civ., 2e, 16 juin 2005, n° 03-19705, préc.
(7)
A ce sujet, cf. Lhuillier J.-M., « La responsabilité des services à la personne », RDSS n° 1/2006, p. 43.
(8)
Rennes, 10 septembre 2008, n° 07/00798, RDSS n° 1/2009, p. 193.