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LA RESPONSABILITÉ DES SERVICES SOCIAUX

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Tous les actes des salariés des services sociaux - services d’action éducative en milieu ouvert (AEMO), services de polyvalence de secteur, les divers services judiciaires, services d’aide à la personne définis par la loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne - peuvent entraîner des dommages à leurs usagers. La jurisprudence permet d’en distinguer un certain nombre. Ces actes engagent la responsabilité des services sur le fondement de l’article 1384 du code civil.
Concernant la détermination de la responsabilité, l’auteur de l’acte direct ayant entraîné le dommage sera désigné responsable, par exemple le surveillant de l’enfant. Mais d’une façon plus générale, les magistrats recherchent également souvent la responsabilité de celui qui a décidé l’activité ou qui a pour mission de l’organiser. C’est souvent une faute d’organisation qui va être le fondement de l’engagement de la responsabilité.


A. L’INFORMATION « FAUTIVE »

Comme d’autres professions ayant pour mission de donner des conseils (médecins, banquiers, responsables de services publics), les professionnels du secteur social doivent informer avec diligence la population. Toute information inexacte ou jugée fautive, par exemple inappropriée à la situation et ayant entraîné un préjudice, peut avoir pour conséquence un engagement de la responsabilité du service public ou privé. Les caisses de retraite ont souvent été condamnées pour n’avoir pas donné une information exacte sur la future retraite d’un salarié. Une mauvaise information à propos d’une prestation d’aide sociale ou de sécurité sociale ayant entraîné la perte ou l’exécution tardive de ce droit est susceptible d’engager la responsabilité de l’administration (1).
En raison de la spécificité de la population concernée par les services sociaux, jugée particulièrement vulnérable, dépendante, peu informée, la responsabilité des conseilleurs sera plus facilement engagée.
La question posée concernant l’information est le lien de causalité avec le dommage. Toute personne est libre de suivre ou non un conseil. Mais les tribunaux tiennent compte de la situation de détresse des usagers des services sociaux et de leur manque de libre arbitre. C’est particulièrement le cas dans l’arrêt Ouaras (2). Ce jugement peut légitimement inquiéter l’ensemble des travailleurs sociaux, toutefois la volonté de la justice n’était pas de mettre en avant la faute de l’assistante sociale, mais encore une fois d’indemniser les victimes. Le Conseil d’Etat a jugé qu’une assistante sociale d’un service public commettait une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat en ne prenant pas « de précautions suffisantes pour s’assurer que la famille, auprès de laquelle l’enfant allait séjourner, présentait toutes les garanties nécessaires à l’accueil d’un enfant en bas âge ». Dans les faits, l’assistante sociale avait conseillé à une mère de confier à une association de placement son enfant de 3 ans. Celui-ci est décédé à la suite de mauvais traitements dans sa famille d’accueil dans un pays étranger.


B. L’ERREUR MANIFESTE D’APPRÉCIATION

Comme l’information fautive, l’acte commis à la suite d’une erreur manifeste d’appréciation d’un salarié qui cause un dommage est également susceptible d’entraîner une condamnation des services. Le retrait de l’agrément d’une assistante maternelle peut être l’occasion d’une faute (3). Des fautes peuvent être commises dans le contrôle d’une association. Au cours d’un stage de canoë-kayak financé par l’Etat s’inscrivant dans le cadre de la politique d’insertion professionnelle et d’entrée dans la vie active, plusieurs stagiaires et un moniteur sont décédés. L’administration n’avait pas vérifié les aptitudes des candidats formateurs, et n’avait pas signé avec l’association la convention prévue par le code du travail. La cour administrative d’appel déclare que l’Etat est responsable du fait de l’importance des carences constatées dans l’exercice de sa mission de contrôle et qu’il existe « un lien de causalité direct entre la faute ainsi commise par l’administration de l’Etat et l’accident litigieux ». De plus, la cour admet une faute simple alors que, très souvent, une faute lourde est exigée (4).


C. LE NON-RESPECT D’UNE OBLIGATION LÉGALE OU CONTRACTUELLE

Le manquement par une assistante sociale à l’obligation de secret professionnel édictée par le code de l’action sociale et des familles constitue une faute de nature à engager la responsabilité de son employeur, tenu au versement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi (5). Des enfants pourraient également demander réparation à un service d’action éducative en milieu ouvert, estimant que les éducateurs de ce service n’effectuaient pas régulièrement les visites prévues contractuellement, qui aurait permis le signalement des mauvais traitements infligés par leurs parents.
Le non-respect d’un contrat ayant causé des préjudices à des tiers est toujours susceptible d’entraîner la responsabilité du contractant défaillant. Mais ces questions sont souvent traitées à la suite d’une condamnation pénale.


D. LE SIGNALEMENT « FAUTIF »

La recherche de la faute dans le signalement est toujours appréhendée par les acteurs de la protection de l’enfance. Il convient de mentionner un arrêt de 2010 (6). Un couple ayant adopté deux sœurs jumelles d’origine étrangère font appel aux services sociaux de leur département à la suite des difficultés relationnelles qu’ils rencontrent à l’adolescence des deux enfants. Une mesure d’assistance éducative est confiée au service de l’association La Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence. Puis, à la suite d’une fugue et devant leur refus de réintégrer leur famille, les deux jeunes filles sont confiées à un établissement jusqu’à leur majorité contre l’avis de leurs parents. Ceux-ci décident alors d’intenter une action devant le tribunal de grande instance pour engager la responsabilité de nombreuses personnes intervenues à différents titres dans cette situation familiale. Ainsi ils assignent en responsabilité l’association qui a effectué la mesure d’assistance éducative et plusieurs personnes physiques, l’assistante sociale scolaire où étaient scolarisés les enfants, les personnes qui ont apporté des informations et des témoignages, le référent du département et même la mère d’une amie de leurs filles. Ils demandent au tribunal, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, de condamner solidairement toutes ces personnes à leur verser des dommages et intérêts « pour le préjudice moral résultant de leurs difficultés relationnelles avec leurs filles » et ce qu’ils qualifient de « sinistre judiciaire ». La cour d’appel de Lyon non seulement rejette toutes ces demandes, mais condamne même les deux époux à verser à toutes les personnes assignées à tort 200 € à titre de dommages et intérêts et 500 € pour appel abusif. La Cour de cassation confirme le rejet des demandes des deux époux à l’encontre des personnes assignées, les condamne aux dépens, mais estime que leur propre condamnation à des dommages et intérêts ne se justifie pas, les motifs invoqués « ne suffisent pas à caractériser une faute faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice ».
Reprenons cependant les moyens utilisés envers les différents professionnels. Concernant l’assistante sociale de santé scolaire, qui a effectué le signalement aux autorités administratives et judiciaires, les parents lui reprochent de n’avoir pas procédé à la moindre vérification, de n’avoir pas entendu les frères des jeunes filles ou le professeur principal, et d’avoir fait le signalement sans le moindre contact avec eux... Mais les magistrats à la suite de l’examen des 193 pièces produites jugent que ce travailleur social n’a commis aucune faute car il était tenu de révéler ces faits en raison de leur gravité aux autorités administratives et judiciaires « seules à même d’apprécier la suite à donner à ces révélations... ». De toute façon, la responsabilité personnelle de cette assistante sociale aurait difficilement pu être engagée. De statut sans doute public, il aurait fallu que la juridiction administrative alors saisie admette une faute personnelle. Il en est de même pour les autres personnes qui ont apporté des informations et des témoignages. Soulignons que les parents estimaient qu’une aide matérielle avait été apportée par ces professionnels pendant la fugue de leur fille. Mais ce fait n’a pu être prouvé. De même, il ne peut être question de diffamation, aucune personne n’a volontairement divulgué des informations qu’elle savait fausses ou n’a manipulé les enfants, ni ne s’est immixée dans l’éducation des enfants, comme l’évoque un moyen du pourvoi...
Concernant l’agent du département chargé de suivre la situation des jeunes filles confiées par la juge des enfants, celui-ci n’a pas commis de faute personnelle détachable du service qui seule, comme pour l’assistante sociale de santé scolaire, aurait pu engager sa responsabilité personnelle également devant la juridiction administrative alors sollicitée.


(1)
Cf. Cass. soc., 5 novembre 1999, n° 97-19054, CPAM des Hauts-de-Seine : rejet d’une demande de condamnation pour une mauvaise information ayant entraîné un retard dans le versement d’une assurance veuvage (disponible sur www.legifrance.gouv.fr).


(2)
Conseil d’Etat, 23 septembre 1987, époux Ouaras, n° 64037, RDSS, 1988 p. 349.


(3)
Pour une condamnation, cf. CAA Lyon, 19 septembre 1989, M. B. c/ministre des Affaires sociales et de l’Emploi ; pour un rejet d’une demande de versement de dommages et intérêts, cf. Cour d’appel de Nancy, 7 avril 2005, n° 02 MC 00494. D’une façon générale à propos de l’analyse des fautes dans le secteur social, on peut regretter qu’à l’inverse d’autres secteurs techniques, les magistrats ne fassent pas appel ou trop rarement à des experts et critiquent même le vocabulaire utilisé par les professionnels. Or quand, dans un rapport social, il est écrit que l’enfant fait l’objet d’« un surinvestissement par sa famille d’accueil », tous les professionnels peuvent comprendre les conséquences de ce fait sur les rapports de l’enfant avec sa famille naturelle.


(4)
CAA Bordeaux, 19 décembre 2002, Société d’assurance mutuelle des collectivités locales (SMACL), AJDA, 14 juillet 2003, p. 1348.


(5)
CAA Lyon, 30 décembre 1992, n° 91LY00520, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(6)
Cass. civ. 2e, 1er juillet 2010, n° 09-66404 (cf. annexe, p. 90).

SECTION 2 - LA RESPONSABILITÉ DANS LE SECTEUR DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE

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