Le juge des enfants, magistrat du siège, et le substitut chargé des mineurs, magistrat du parquet, ont chacun en ce qui les concerne, au sein du tribunal de grande instance, la charge essentielle du fonctionnement de la justice des mineurs. Mais il convient de souligner également le rôle des assesseurs des tribunaux pour enfants, des juges d’instruction chargés des affaires de mineurs et, à la cour d’appel, du délégué à la protection de l’enfance, qui sont également tous des magistrats spécialisés.
A. LE JUGE DES ENFANTS
[Code de l’organisation judiciaire, articles L. 252-1 à L. 252-5]
1. UN JUGE AUX POUVOIRS ÉTENDUS...
Le juge des enfants joue un rôle central dans toute la procédure pénale applicable aux mineurs. Depuis 1945, il cumule les fonctions d’instruction et de jugement dans l’immense majorité des procédures délictuelles concernant des mineurs, seules certaines affaires complexes ou qui impliquent à la fois des mineurs et des majeurs sont confiées au juge d’instruction des mineurs. Il juge tous les délits et les contraventions de 5e classe, soit seul en audience de cabinet, soit en tant que président du tribunal pour enfants. Il assure le suivi des mesures éducatives et des mesures de probation (sursis avec mise à l’épreuve, travail d’intérêt général) ordonnées par la juridiction de jugement. En outre, depuis la loi du 9 mars 2004 (1), il est également chargé de la mise en œuvre et du suivi des peines d’emprisonnement ferme, fonction dévolue jusqu’alors au juge de l’application des peines.
Outre la délinquance des mineurs, il est compétent en matière d’assistance éducative (protection judiciaire de l’enfance en danger), à laquelle il consacre une grande partie de son activité, ainsi que pour la tutelle aux prestations sociales enfants, devenue depuis la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs du 5 mars 2007 (2), « mesure d’aide judiciaire à la gestion du budget familial ».
Il est toujours compétent en matière de protection judiciaire civile des jeunes majeurs en vertu du décret n° 75-96 du 18 février 1975, même si cette attribution devient progressivement une coquille vide depuis que la protection judiciaire de la jeunesse, chargée d’exécuter et de financer cette mesure judiciaire, ne dispose plus de ligne budgétaire à ce titre et s’est retirée de ce champ d’intervention au profit du département (cf. infra, § 3). Cette concentration de compétences entre les mains d’un seul juge est symptomatique de la justice des mineurs « à la française », fondée sur le principe de continuité et de cohérence de l’action éducative. Que la porte d’entrée dans le judiciaire soit le danger encouru par l’enfant ou les actes de transgression qu’il commet, on retrouve tant en assistance éducative qu’au pénal le même souci de faire évoluer le comportement du mineur ou de ses parents par un énoncé pédagogique de la loi et l’intervention de professionnels de l’action éducative. Le juge des enfants est un juge spécialisé du tribunal de grande instance (TGI), nommé par décret à cette fonction. Il bénéficie des mêmes garanties statutaires d’indépendance et d’inamovibilité que tous les magistrats du siège. Il peut toutefois être conduit à participer à d’autres activités juridictionnelles au sein du tribunal où il exerce, d’ampleur variable selon la charge de son cabinet. Il bénéficie d’une formation spécifique, dispensée par l’Ecole nationale de la magistrature, tendant à parfaire ses connaissances, notamment en matière de sciences humaines, de psychologie de l’enfant et de formation à l’entretien judiciaire.
Le terme de « tribunal pour enfants » désigne à la fois la formation collégiale de jugement des mineurs délinquants, présidée par un juge des enfants assisté de deux assesseurs, et le service du TGI regroupant un ou plusieurs juges des enfants et leur greffe. Lorsqu’il y a plusieurs TGI dans un même département, tous ne sont pas dotés d’un tribunal pour enfants. Dans ce cas, le ressort de compétence d’un tribunal pour enfants englobe plusieurs TGI, et le juge des enfants peut être conduit à tenir des audiences dites foraines dans les tribunaux limitrophes (3).
Afin de favoriser la meilleure connaissance possible des mineurs et de leur famille, le juge des enfants se voit en outre affecter un secteur de compétence géographique. Lorsqu’il est seul juge dans le département, son ressort de compétence est celui du département ; dans les tribunaux plus importants, comprenant plusieurs cabinets de juges des enfants, un découpage géographique permet d’attribuer un secteur déterminé à chacun.
La fonction de vice-président chargé du tribunal pour enfants (TPE) est exercée dans les tribunaux de moyenne ou de grosse importance par des juges des enfants de grade supérieur, mais sans pouvoir hiérarchique sur les autres juges des enfants qui conservent leur indépendance juridictionnelle.
En outre, plus récemment (4)a été créée la fonction de magistrat coordonnateur au sein de tous les tribunaux pour enfants comportant au moins deux juges des enfants. Ce magistrat, pouvant être un vice-président sans qu’il s’agisse pour autant d’une exigence légale, est désigné par le président du tribunal de grande instance, après avis de l’assemblée générale des magistrats du siège. Il est chargé d’organiser en interne le service de la juridiction des mineurs, et de coordonner les relations de celle-ci avec les services chargés de la mise en œuvre des mesures judiciaires (C. org. jud., art. R. 522-2-1). Cette innovation a été saluée par les partenaires de l’institution judiciaire qui souffraient depuis toujours de devoir composer avec autant d’interlocuteurs que de magistrats pour enfants. Si le juge coordonnateur n’a pas le pouvoir d’empiéter sur le pouvoir juridictionnel de ses collègues, il dispose désormais d’une véritable légitimité pour promouvoir une harmonisation des pratiques et permettre à la juridiction pour mineurs de présenter une image plus crédible et cohérente tant au sein du tribunal de grande instance qu’à l’égard de ses interlocuteurs extérieurs.
2. ... AU RISQUE DE LA PARTIALITÉ
Se fondant sur l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est-à-dire sur la notion de droit à un procès équitable, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg est à l’origine d’une jurisprudence très importante concernant la question de l’impartialité du juge en général. La Cour de cassation lui a emboîté le pas : elle vérifie régulièrement que le juge qui a statué sur une affaire n’a pas été conduit préalablement à prendre des décisions sur la même affaire, voire la même personne. Il en résulte en matière pénale en droit interne une interdiction stricte pour le même magistrat d’intervenir comme juge d’instruction dans une affaire et de siéger ensuite dans la formation de jugement (5).
a. Une injonction paradoxale pour le juge des enfants ?
Cependant, le système français de protection de l’enfance issu de l’ordonnance du 2 février 1945, complétée par l’ordonnance de 1958 relative à l’assistance éducative, semble par essence incompatible avec l’idée même d’un juge formellement impartial dès lors qu’il institue le juge des enfants comme garant de la continuité éducative. En d’autres termes, pour bien juger un mineur il faut bien le connaître.
C’est dans cet esprit que le juge des enfants s’est vu consacré à la fois dans une approche fonctionnelle horizontale, en ce qu’il appréhende la question de la protection de l’enfant aussi bien par le prisme de la transgression que par celui du danger, et dans une approche temporelle verticale, en ce qu’il intervient à tous les stades de la procédure pénale, depuis l’instruction jusqu’à l’application des peines.
L’impartialité du juge des enfants n’a jamais fait l’objet de recours devant les tribunaux au titre de sa « double casquette » civile et pénale, alors qu’elle pourrait très bien se poser quand, par exemple, le juge qui suit le mineur et sa famille depuis des années en assistance éducative se trouve conduit à juger le même enfant lorsqu’il enfreint la loi.
De même, lorsque la loi du 9 mars 2004 a transféré du juge de l’application des peines au juge des enfants la mise en œuvre des peines privatives de liberté, permettant ainsi au juge qui a condamné l’enfant de décider ou de refuser l’aménagement de sa peine, la question de l’éventuelle partialité de ce magistrat n’a même pas été évoquée, et n’est d’ailleurs toujours pas contestée à ce jour.
En revanche, la question de la compatibilité entre les fonctions d’instruction et de jugement réunies entre les mains d’un seul et même juge fait régulièrement débat depuis une vingtaine d’années, au motif principal que le mineur ne devrait pas bénéficier de garanties moindres que le majeur qui, lui, ne peut en aucun cas être jugé par celui qui a instruit son affaire.
Dans un arrêt Nortier c/ Pays-Bas du 24 août 1993 (6), la CEDH avait refusé de condamner les Pays-Bas, qui connaissaient une procédure similaire à la nôtre, alors que le juge des enfants avait pourtant jugé le mineur après avoir ordonné son examen psychiatrique puis sa détention provisoire et le prolongement de celle-ci, au motif que les questions à trancher n’étaient pas les mêmes, l’application des critères du placement en détention provisoire n’emportant pas de préjugement sur la culpabilité.
La Cour de cassation avait, à plusieurs reprises (7), admis la légitimité d’un régime dérogatoire et sa conformité à l’article 6 de la Convention compte tenu des spécificités éducatives qui caractérisent la juridiction des mineurs, des principes internationaux en matière de justice des mineurs (8)et des garanties apportées par la procédure française (9). Elle reconnaît ainsi que le même juge des enfants puisse conduire l’instruction du dossier puis présider le tribunal pour enfants qui juge le mineur.
L’erreur de ces plus hautes juridictions fut peut-être de tenter de « sauver » un modèle de justice des mineurs par ailleurs adoubé par le droit international en esquivant la question centrale de l’incompatibilité manifeste entre ce modèle, reposant sur la spécialisation du juge et la continuité de son intervention, et le principe d’impartialité du juge consacré par l’article 6, 1, de la CEDH, et en se refusant de trancher entre ces deux logiques contradictoires.
b. Chronique de la fin annoncée du principe de continuité
L’argumentation développée jusqu’alors étant manifestement condamnée à terme, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans un arrêt du 2 mars 2010 (10), fait un grand pas dans le sens de l’impartialité objective. Elle a rappelé la légitimité d’un régime dérogatoire, la justice des mineurs devant nécessairement présenter des particularités par rapport au système de justice pénale applicable aux adultes, et a toléré que des actes d’instruction puissent être faits par un membre de la formation de jugement dans la mesure où « le juge en question n’avait presque pas entrepris d’activité d’instruction ». En revanche, elle a jugé contraire à l’article 6, 1, de la CEDH le fait qu’un même magistrat ait pu subséquemment conduire l’instruction, rassembler les éléments indiquant que le mineur était l’auteur des faits, puis présider la formation de jugement.
Le fruit était suffisamment mûr pour que le Conseil constitutionnel, s’autosaisissant de la question au détour d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclare non conforme à la Constitution l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire relatif à la composition du tribunal pour enfants, en ce qu’il n’exclut pas la possibilité pour le juge des enfants qui le préside d’avoir auparavant instruit l’affaire, portant ainsi atteinte au principe constitutionnel d’impartialité des juridictions. Il a toutefois reporté au 1er janvier 2013 la date de son abrogation, invitant ainsi le législateur à modifier ce texte (11).
Dans leur décision, les Sages ont toutefois entendu préciser les contours de leur censure : ce qui est jugé inconstitutionnel, c’est la direction d’enquête sur les faits reprochés au mineur et le préjugement qu’implique nécessairement la décision de renvoi du mineur devant le tribunal pour enfants, juridiction habilitée à prononcer des peines. En revanche, le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce que, pour la continuité du suivi éducatif, le juge puisse cumuler les fonctions d’instruction puis de jugement en audience de cabinet, dès lors qu’aucune peine ne pourra être prononcée. De même, ce ne sont pas les diligences accomplies en matière de personnalité du mineur, mais bien celles en vue de parvenir à la manifestation de la vérité qui sont stigmatisées, laissant ainsi entendre que le juge des enfants qui aurait renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants sans avoir accompli préalablement d’actes d’instruction en vue de la recherche de la vérité des faits pourrait présider la juridiction de jugement (12).
Pour autant, le législateur, invité par le Conseil constitutionnel à se conformer à ses prescriptions, ne s’est pas encombré de ces subtilités sémantiques. Issue d’un processus parlementaire accéléré, la loi du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants (13)a, à la suite d’un amendement gouvernemental, modifié l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire (COJ), désormais ainsi rédigé : « Le tribunal pour enfants est composé d’un juge des enfants, président, et de plusieurs assesseurs.
« Le juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction. Lorsque l’incompatibilité prévue au deuxième alinéa et le nombre de juges des enfants dans le tribunal de grande instance le justifient, la présidence du tribunal pour enfants peut être assurée par un juge des enfants d’un tribunal pour enfants sis dans le ressort de la cour d’appel et désigné par ordonnance du premier président. » Dans le même esprit, le deuxième alinéa de l’article 24-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 a été modifié pour insérer des dispositions identiques concernant le tribunal correctionnel pour mineurs (TCM), nouvellement institué.
A noter :
l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions est fixée par la loi au 1er janvier 2013.
c. Une loi pour rien ?
Présentées comme la simple mise en œuvre des prescriptions posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 juillet 2011, ces dispositions sur l’impartialité du juge des enfants n’ont guère fait débat au Parlement, à la différence de la question du service citoyen. Dans son rapport sur la proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, le député Eric Ciotti se contente de préciser que « cette incompatibilité ne concerne que le juge des enfants qui a renvoyé l’affaire » (14). Elle ne s’appliquera donc pas lorsque le juge des enfants qui préside la juridiction de jugement a déjà connu le mineur dans des procédures distinctes ni lorsque le tribunal pour enfants a été saisi par le procureur de la République selon la procédure de présentation immédiate. Pourtant, il est d’ores et déjà évident que ces nouvelles dispositions comportent en germe des incertitudes et des incohérences qui ne manqueront pas d’alimenter à l’infini les contestations ultérieures.
Parmi elles, deux difficultés viennent immédiatement à l’esprit. Tout d’abord, il est fréquent dans les tribunaux pour enfants disposant de plusieurs juges des enfants que ceux-ci interviennent successivement dans un dossier, de sorte que celui qui a mis en examen le mineur, dans le cadre d’une permanence par exemple, ne sera pas nécessairement celui qui accomplira les actes d’instruction ultérieurs et qui signera l’ordonnance de renvoi devant le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs. Le principe d’impartialité, dans sa conception défendue par le Conseil constitutionnel, pourra-t-il s’accommoder de la présidence de la juridiction par un juge qui aura accompli tous les actes de procédure sauf la signature de l’ordonnance de renvoi ? De même, l’exclusion de la procédure de présentation immédiate est surprenante. Comment pourra-t-on envisager dans un tel contexte que le juge des enfants qui a décidé de l’incarcération provisoire du mineur puisse ensuite présider l’audience de jugement ? Quant aux juges des enfants officiant seuls dans leur juridiction, ils ne pourront plus présider leur propre tribunal pour enfants puisqu’ils auront nécessairement signé toutes les ordonnances de renvoi, ce qui remet fortement en cause leur existence à terme.
Alors qu’il n’y avait apparemment aucune urgence à légiférer puisque la loi elle-même a prévu son report d’application à un an, il est regrettable qu’une telle réforme emportant des enjeux considérables pour la justice des mineurs en France ait ainsi été conduite de façon aussi précipitée et improvisée.
B. LE PARQUET
[Code de l’organisation judiciaire, article L. 212-6]
Le parquet est constitué au sein de chaque tribunal de grande instance du procureur de la République et, sous son autorité, des autres magistrats du ministère public (procureur adjoint, vice-procureur, substituts). Au nom des intérêts de la société, il a pour mission essentielle de traduire les auteurs d’infractions devant la justice pénale et de requérir des peines.
Le parquet connaît également une spécialisation en matière de mineurs, malgré un principe d’indivisibilité qui permet indifféremment à tout magistrat du parquet de représenter le procureur de la République. L’article R. 212-13 du code de l’organisation judiciaire prévoit que, au sein de chaque tribunal de grande instance dans le ressort duquel un tribunal pour enfants a son siège, un ou plusieurs magistrats du parquet sont spécialement chargés des affaires de mineurs. Le même principe de spécialisation s’applique au parquet de la cour d’appel, appelé « parquet général » (cf. infra, C, 2).
On retrouve au parquet la double compétence (pénale-assistance éducative) du juge des enfants. Le parquet des mineurs joue à cet égard un rôle important puisque c’est lui qui, dans ces deux domaines de compétence, est à l’initiative, sur le plan local, des conventions ou protocoles de signalement à l’autorité judiciaire (en partenariat notamment avec l’Education nationale en cas d’incident en milieu scolaire). C’est également lui qui apprécie, au cas par cas, l’opportunité de saisir le juge des enfants, à partir des éléments des signalements d’enfants en danger, dont la plupart transitent par lui. Depuis une vingtaine d’années, le traitement de la délinquance des mineurs en amont de la saisine du juge des enfants s’est considérablement développé, conférant ainsi au parquet un pouvoir parajuridictionnel par le biais des réponses alternatives aux poursuites et de la composition pénale qui concernent désormais plus de la moitié des infractions commises par des mineurs. Pour exercer ces nouvelles missions, des délégués du procureur ont été institués, parmi lesquels certains se sont de facto spécialisés pour les mineurs, et qui agissent sous la direction et l’autorité du procureur de la République qui les a recrutés.
Dans sa circulaire relative à la politique pénale en matière de délinquance des mineurs (15), Dominique Perben, alors garde des Sceaux, avait rappelé son attachement au principe de spécialisation des parquets des mineurs. Si cette spécialisation est généralement effective dans les gros tribunaux où les parquetiers spécialisés « mineurs » tiennent des permanences, elle peut être toute relative dans les juridictions de moindre importance où la permanence est assurée à tour de rôle par tous les substituts. Dans le cadre du traitement direct des procédures, désormais généralisé, des magistrats du parquet non spécialisés sont ainsi conduits à adresser aux services d’enquête les instructions nécessaires à l’orientation des procédures, qu’il s’agisse de mineurs ou de majeurs.
UNE INSTANCE DE COORDINATION QUI FAIT POLÉMIQUE : LE « TRINÔME JUDICIAIRE »
Le garde des Sceaux a voulu généraliser par circulaire (16)des instances de coordination associant parquets, juges des enfants et protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) sur le ressort d’un tribunal ou d’un secteur géographique. Ce « trinôme judiciaire » a pour vocation de repérer les cas difficiles en termes de réitération des faits délictueux, de s’assurer de l’effectivité des mesures ordonnées, de s’informer sur l’état des actions éducatives en cours et de « se concerter sur les stratégies judiciaires adaptées en matière de défèrement, de jugement, de condamnation ».
Les procureurs de la République, les présidents du TGI, qui peuvent être représentés par les magistrats coordonnateurs des tribunaux pour enfants, et les directeurs territoriaux de la PJJ ont ainsi été invités à signer un protocole préalable précisant les critères de sélection des mineurs faisant l’objet d’un suivi dans le cadre de ce trinôme, la périodicité des réunions et les modalités de suivi des situations.
A la différence d’autres instances de concertation comme les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, il s’agit là d’évaluer la situation individuelle des mineurs susceptibles de comparaître devant une juridiction pénale et de contribuer à y apporter des réponses, hors audience. Les termes de cette circulaire n’ont donc pas manqué de susciter des inquiétudes tant de la part des juges des enfants, soucieux de leur indépendance, que de celle des avocats exclus de cette concertation, laquelle se heurte au principe du contradictoire.
C’est notamment en termes d’exigence d’une justice impartiale que la participation du juge des enfants à cette instance avec le parquet a été conjointement dénoncée par le syndicat de la magistrature (SM) et le syndicat des avocats de France (SAF) en ces termes : « Le déséquilibre ainsi institué au profit de l’autorité de poursuite et au détriment de la défense est flagrant et ne manquera pas d‘être invoqué sur le fondement du droit au procès équitable » (17).
Comme pour répondre à ces critiques, une nouvelle circulaire commune du directeur de la PJJ et de la directrice des services judiciaires (18)est venue atténuer la portée de la précédente en affirmant que « l’instance tripartite de coordination des acteurs de la justice des mineurs n’est en rien un lieu de décision ou de contrôle ». Il y est précisé que ce trinôme vise essentiellement à s’assurer de la mise en œuvre effective et rapide des mesures ordonnées, sans empiétement sur les compétences de chacun, et que le principe du contradictoire est garanti par le versement au dossier de personnalité du mineur de tout document issu de ces réunions. Les juges des enfants et les services éducatifs sont invités à informer les mineurs concernés, leurs parents et leur avocat de l’examen de leur situation par cette instance.
C. LES AUTRES MAGISTRATS SPÉCIALISÉS
1. LE JUGE D’INSTRUCTION CHARGÉ DES AFFAIRES DE MINEURS
[Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée, article 9]
Lorsqu’une affaire délictuelle complexe ou réunissant des auteurs majeurs et mineurs justifie de réelles investigations sur les faits, le parquet peut ouvrir une information non pas devant le juge des enfants mais devant le juge d’instruction. Celui-ci doit également répondre au principe de spécialisation ; l’article R. 213-13 du code de l’organisation judiciaire prévoit qu’un ou plusieurs juges d’instruction spécialement chargés des affaires concernant les mineurs sont désignés par le premier président de la cour d’appel.
Cette spécialisation est importante pour prendre en compte la problématique éducative pendant la phase préalable au jugement lorsque le parquet a fait le choix d’une ouverture d’information devant le juge d’instruction. Mais, en pratique, elle est généralement moins marquée que celle du juge des enfants, les affaires mettant en cause des mineurs sont peu nombreuses dans les cabinets des juges d’instruction. De plus, dans certaines juridictions, tous les juges d’instruction sont habilités à instruire les affaires concernant les mineurs, ce qui relativise davantage cette idée de spécialisation.
2. LA CHAMBRE SPÉCIALE DES MINEURS DE LA COUR D’APPEL ET LE DÉLÉGUÉ À LA PROTECTION DE L’ENFANCE
[Code de l’organisation judiciaire, article L. 312-6]
La cour d’appel connaît, elle aussi, une spécialisation lorsqu’il s’agit de statuer sur les appels formés contre les jugements rendus par le tribunal de police ou le juge de proximité, le tribunal pour enfants, le tribunal correctionnel pour mineurs ou le juge des enfants statuant en chambre du conseil ou dans le cadre de ses attributions postsententielles. Chaque cour d’appel comprend en effet une chambre des mineurs compétente pour juger en appel aussi bien les affaires pénales que les affaires d’assistance éducative.
Un conseiller de la cour d’appel délégué à la protection de l’enfance préside cette formation ou y siège en qualité de rapporteur et présente à l’audience un rapport verbal de l’affaire aux autres magistrats. Ce conseiller spécialisé siège également comme membre de la chambre de l’instruction lorsque des affaires de mineurs y sont évoquées.
La chambre de l’instruction statue en appel sur toutes les ordonnances du juge d’instruction, du juge des libertés et de la détention ou du juge des enfants avant jugement, à l’exception des ordonnances relatives aux mesures éducatives provisoires dont l’appel relève de la compétence de la chambre spéciale des mineurs (ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée, art. 24, al. 2).
Le rôle de la chambre de l’instruction est important puisque y sont notamment instruits les appels (formés par les mineurs ou le parquet) concernant la détention provisoire.
3. LES ASSESSEURS DES TRIBUNAUX POUR ENFANTS
[Code de l’organisation judiciaire, articles L. 251-4 à L. 251-6 et R. 251-5 à R. 251-13]
Les assesseurs sont des juges non professionnels qui participent au jugement des mineurs délinquants poursuivis devant le tribunal pour enfants. Ce tribunal se compose du juge des enfants, qui le préside, et de deux assesseurs non professionnels, selon le principe dit de l’échevinage (19). Pour chaque juge des enfants, deux assesseurs titulaires sont désignés ainsi que, en principe, quatre assesseurs suppléants.
Nommés par le garde des Sceaux pour quatre ans renouvelables par moitié tous les deux ans, après avoir présenté leur candidature au juge des enfants de leur ressort, les assesseurs titulaires et suppléants sont choisis parmi les personnes âgées de plus de 30 ans, de nationalité française, résidant dans le ressort du tribunal et qui se sont signalées par l’intérêt qu’elles portent aux questions de l’enfance et par leurs compétences (cf. encadré, p. 36). Cette définition très large permet à des professions et à des personnalités très diverses de participer au fonctionnement de la justice des mineurs.
Comme tous les magistrats, les assesseurs prêtent serment « de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de garder religieusement le secret des délibérations ». Ils perçoivent une indemnité forfaitaire lorsqu’ils assurent le service de l’audience, égale au trentième du traitement mensuel moyen d’un magistrat.
Avant l’audience, les assesseurs peuvent consulter les dossiers des affaires qu’ils auront à juger. Pendant l’audience, ils siègent aux côtés du juge des enfants et délibèrent avec lui sur la culpabilité du mineur et, le cas échéant, sur la mesure ou la peine qu’il convient de prononcer. Chaque assesseur dispose d’un pouvoir de décision égal à celui du juge des enfants puisque les décisions du tribunal pour enfants sont prises à la majorité des voix.
Le rôle des assesseurs est toutefois appelé à décroître dans la mesure où ils sont exclus de la composition du nouveau tribunal correctionnel pour mineurs compétent pour juger les jeunes récidivistes de plus de 16 ans (cf. infra, § 2, D), qui constituaient traditionnellement le « coeur de cible » des tribunaux pour enfants.
(1)
Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, version en vigueur consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(2)
Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, version en vigueur consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Le débat est récurrent depuis de nombreuses années entre les tenants du regroupement des juridictions pour mineurs au nom de l’efficacité par la réunion des moyens et ceux qui prônent à l’inverse la création d’un tribunal pour enfants au sein de chaque TGI, au nom de la proximité du justiciable. Au début des années 2000, ces derniers ont obtenu, dans le sillage de la création des juges de proximité, la création d’une quinzaine de nouveaux tribunaux pour enfants (décret n° 2002-576 du 23 avril 2002, modifié par le décret n° 2002-1332 du 31 octobre 2002, JO du 8-11-02). Mais la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui prohibe le cumul des fonctions d’instruction et de jugement, conjuguée avec la rationnalisation des moyens de la justice signifient la condamnation à terme des tribunaux pour enfants à juge unique. Cette sectorisation géographique se trouve toutefois remise en cause dans certaines juridictions pour mineurs au profit d’un système de permanence pénale des juges des enfants. Ainsi les mineurs récidivistes ou réitérants, pour lesquels la cohérence dans la réponse judiciaire et éducative est essentielle, peuvent se voir confrontés à des juges des enfants différents - et donc à des discours et à des réponses différents - à l’occasion des diverses mises en examen et audiences de jugement.
(4)
Décret n° 2008-107 du 4 février 2008, JO du 6-02-08.
(5)
Aux termes de l’article 49, alinéa 2, du code de procédure pénale, le juge d’instruction « ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d’instruction ».
(6)
CEDH, 24 août 1993, Nortier c/Pays-Bas, req. n° 13924/88, consultable sur www.echr.coe.int/
(7)
Cass. crim., 7 avril 1993, Bull. crim. n° 152 ; Cass. crim., 8 novembre 2000, pourvoi n° 00-80377, inédit, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(8)
L’article 14 du Pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques, et les règles de Beijing qui reconnaissent la spécificité du droit pénal des mineurs (cités par l’arrêt de la chambre criminelle du 7 avril 1993).
(9)
En l’espèce, l’arrêt du 7 avril 1993 faisait référence à la présence dans la composition du tribunal pour enfants des deux assesseurs qui n’ont pas instruit l’affaire, et de la possibilité d’interjeter appel du jugement devant une cour objectivement impartiale.
(10)
CEDH, 2 mars 2010, Adamkiewicz c/Pologne, req. n° 54729/00, point 103 et suivants de la décision, consultable sur www.echr.coe.int/.
(11)
Conseil constitutionnel, décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011, JO du 9-07-11.
(12)
Le considérant 11 de la décision est ainsi rédigé : « Le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation ; que toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution ; que, par suite, l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est contraire à la Constitution. »
(13)
Loi n° 2011-1940 du 26 décembre 2011, JO du 27-12-11.
(14)
Rap. AN, n° 3777, Ciotti, 28 septembre 2011, p. 53.
(15)
Circulaire CRIM 2002-15-E8 du 7 novembre 2002, NOR : JUSD0230177C, BOMJ n° 88.
(16)
Circulaire du 22 juillet 2010, NOR : JUSF1020759C, BOMJL n° 2010-06.
(17)
SM et SAF, « Constitution de « trinômes judiciaires » : lettre ouverte au garde des Sceaux », 4 décembre 2010, disponible sur www.syndicat-magistrature.org
(18)
Circulaire du 30 juin 2011, NOR : JUSF1119115C, BOMJL n° 2011-07.
(19)
Le terme « échevinage » désigne la composition d’une juridiction qui associe magistrats professionnels et non professionnels.