Lorsque l’enfant a été physiquement confié à un tiers par décision judiciaire (prononcée par le juge des enfants, le juge d’instruction, le juge aux affaires familiales, le juge des tutelles, le tribunal de grande instance), la responsabilité de ce dernier peut être retenue dans les mêmes conditions que celle des parents, c’est-à-dire de plein droit, et sans autre possibilité d’exonération que la force majeure. C’est le cas lorsque l’enfant a été confié à une institution associative, à un membre de la famille ou à un tiers digne de confiance : leur responsabilité se substitue en quelque sorte à celle des parents, tant que la décision de justice s’applique. Il ne peut en tout cas y avoir de responsabilité cumulative des parents et du tiers.
En revanche, la situation se révèle plus délicate pour la victime lorsque l’enfant est placé auprès d’une institution publique (service de l’aide sociale à l’enfance, foyer de la protection judiciaire de la jeunesse). En ce cas, la responsabilité de l’Etat ou du département peut être engagée, mais seulement devant les tribunaux administratifs, le principe de la séparation des pouvoirs interdisant aux tribunaux de l’ordre judiciaire de condamner l’Etat dans ce type de situation. Or, pour la victime, une telle démarche se révèle beaucoup plus complexe que d’adresser un courrier et des justificatifs au tribunal pour enfants.
A. LES PARTICULIERS ET LES INSTITUTIONS PRIVÉES
[Code civil, article 1384]
1. UNE RESPONSABILITÉ SANS FAUTE
Les mineurs confiés par décision judiciaire sont considérés comme des personnes dont le tiers doit répondre. Les particuliers et les institutions privées qui les accueillent sont donc responsables des dommages qu’ils causent. La jurisprudence a en effet considéré que le premier alinéa de l’article 1384 du code civil énonçait un principe général de responsabilité du fait des personnes dont on a la charge (1).
Ce principe de responsabilité sans faute ne concerne que les services ou les personnes à qui les enfants sont physiquement confiés, et non les services de milieu ouvert. Si l’enfant était confié à un tiers au moment de la commission du dommage, ce dernier peut alors être cité en qualité de civilement responsable devant la juridiction pour mineurs (2), et la victime peut lui demander réparation, in solidum avec l’enfant.
Cette responsabilité sans faute prend naissance dès que la décision de placement lui est notifiée, et ne cesse qu’avec elle. Ainsi, le fait que l’enfant soit déclaré en fugue ou soit hébergé chez ses parents en week-end ou en vacances, ne permet pas au tiers de décliner sa responsabilité. La Cour de cassation a en effet tranché cette question controversée : « Une association chargée par décision [judiciaire] d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur demeure [...] responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative » (3).
Le fait que l’enfant ait été confié au tiers (association ou particulier) au titre de l’ordonnance de 1945 ne met pas ce dernier à l’abri de la demande d’indemnisation de la victime devant les tribunaux de l’ordre judiciaire. Dans un arrêt rendu le 7 mai 2003, la Cour de cassation (4)a déclaré civilement responsable une association, alors que les mineurs auteurs des dommages lui avaient été confiés au titre de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. Jusqu’alors, les associations pouvaient penser que leur responsabilité ne pouvait être recherchée puisque l’Etat reconnaissait la sienne.
Certes, la responsabilité de l’Etat pourra toujours être également recherchée (cf. infra, B), mais sans exclusive de celle du service gardien sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er. En quelque sorte, il s’agit d’une « cohabitation » de responsabilités, la victime pouvant demander réparation au gardien, particulier ou association, devant les tribunaux judiciaires, ou bien rechercher la responsabilité de l’Etat devant le tribunal administratif. Dans un arrêt rendu le 1er février 2006 (5), le Conseil d’Etat a reconnu expressément à une association, condamnée par les juridictions judiciaires à indemniser les conséquences des dommages causés par un mineur qui lui était confié au titre de l’ordonnance de 1945, une action en garantie contre l’Etat sur le fondement du risque spécial causé aux tiers.
2. LE CAS PARTICULIER DU PLACEMENT PAR L’INTERMÉDIAIRE DE L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE
Une difficulté subsiste encore : les particuliers et les institutions privées sont-ils responsables lorsque le mineur, préalablement remis par le juge à l’aide sociale à l’enfance (ASE), leur a ensuite été confié par cette dernière ?
Depuis un arrêt rendu le 7 octobre 2004 (6), la Cour de cassation considère que, dès lors que le département ne s’est pas vu imposer par le juge le lieu du placement, c’est lui qui est investi de la charge d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie du mineur. En l’espèce, une jeune fille, qui avait déclenché volontairement un incendie, était confiée par le juge des tutelles au département du Maine-et-Loire, lequel l’avait remise à un foyer associatif. La cour a considéré que la responsabilité, fondée sur l’article 1384, alinéa 1er, incombait au département nommé tuteur par décision judiciaire et non à l’association à qui ce dernier l’avait confiée, seul le tuteur ayant le pouvoir de garde et de contrôle à titre permanent du mode de vie de l’enfant.
Cette solution semble en effet logique dans la mesure où le département est dans la même situation que des parents qui confient volontairement leur enfant à un tiers et qui doivent de ce fait assumer les conséquences de ce choix.
Elle peut être a priori étendue à tous les mineurs confiés à l’ASE par décision judiciaire. En conséquence, les juridictions pour mineurs doivent écarter la responsabilité civile des associations ou familles d’accueil qui seraient citées devant elles en qualité de civilement responsables, et renvoyer les victimes à exercer leur action devant la juridiction administrative, seule habilitée à condamner un département.
B. LES INSTITUTIONS PUBLIQUES ET L’ETAT
La responsabilité de l’administration est susceptible d’être engagée en cas de dommage commis par un mineur confié par décision judiciaire, dans trois hypothèses :
- l’enfant est confié au département, service de l’aide sociale à l’enfance ;
- l’enfant est confié directement par le magistrat à une institution publique (foyer de la protection judiciaire de la jeunesse, par exemple) ;
- l’enfant est placé au titre de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée auprès d’une institution ou d’un particulier, public ou privé.
Cette responsabilité de l’administration (département ou Etat selon les cas) ne peut être recherchée que devant les tribunaux administratifs. Le président du conseil général ou le préfet ne peuvent être convoqués devant les juridictions pour mineurs en qualité de civilement responsables et donc, a fortiori, être condamnés.
La responsabilité de l’administration n’est pas nécessairement exclusive de celle de l’association ou du particulier qui prend en charge effectivement l’enfant. Ainsi, lorsqu’il est confié directement par un juge à un foyer associatif ou à un tiers au titre de l’ordonnance de 1945, un double régime de responsabilité peut être appliqué, l’un devant les juridictions de l’ordre judiciaire, l’autre devant les tribunaux administratifs : « il appartient également aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître des actions en responsabilité engagées à raison des fautes imputées aux organismes de droit privé [...], auprès desquels un mineur est placé [...] ; il appartient également au juge administratif de connaître de la responsabilité d’un organisme de droit public auquel la garde d’un mineur est confiée [...] » (7). Toutefois, pour la victime, la première solution est plus accessible.
Le régime de la responsabilité de la puissance publique du fait des actes commis par les mineurs placés a longtemps différé selon le régime juridique du placement.
1. LE MINEUR PLACÉ AU TITRE DE L’ORDONNANCE DE 1945
Depuis un arrêt rendu par le Conseil d’Etat en 1956, la victime d’un mineur qui était placé au titre de l’ordonnance de 1945 peut obtenir réparation de son préjudice en assignant l’Etat devant le tribunal administratif, sans avoir à prouver une faute quelconque de la personne ou du service gardien.
Ce principe de responsabilité sans faute de l’Etat, particulièrement avantageux pour les victimes, est dérogatoire aux principes généraux de responsabilité de la puissance publique. Il est justifié par le « risque spécial pour les tiers » (voisinage notamment) les « méthodes nouvelles de rééducation, caractérisées par la substitution au régime antérieur d’incarcération d’un système plus libéral d’internat surveillé » (8).
La responsabilité de l’Etat peut être engagée, même si le mineur était placé auprès d’une association ou d’un particulier. Si ce tiers (ou son assureur) a indemnisé la victime, il dispose alors d’une action en garantie contre l’Etat (9). Doit par ailleurs être notée une évolution importante de la jurisprudence administrative qui admet désormais que la seule décision de liberté surveillée prise à l’égard d’un mineur peut également engager la responsabilité de l’Etat (10)(4).
2. LE MINEUR CONFIÉ À L’ADMINISTRATION SUR UN AUTRE FONDEMENT QUE L’ORDONNANCE DU 2 FÉVRIER 1945
Les mineurs peuvent être confiés à l’administration à un autre titre que celui de l’ordonnance du 2 février 1945.
Il s’agit notamment :
- des mineurs confiés à l’aide sociale à l’enfance ou à un foyer de la protection judiciaire de la jeunesse au titre de l’assistance éducative ;
- de ceux qui ont fait l’objet d’une délégation d’autorité parentale au profit de l’ASE (compétence du juge aux affaires familiales) ;
- des pupilles de l’Etat.
La jurisprudence administrative avait toujours refusé, pour déterminer le régime de responsabilité de la puissance publique, d’assimiler ces mineurs aux mineurs délinquants et d’indemniser le préjudice créé sans considérer la faute de l’administration.
Toutefois, à partir de 1990, il appartenait à l’administration de démontrer qu’elle n’avait pas commis de faute, et non à la victime de prouver celle-ci. La faute de l’administration (Etat ou département) était donc présumée, à charge pour elle de démontrer le contraire. Depuis un arrêt rendu le 11 février 2005 (11)par le Conseil d’Etat, la jurisprudence administrative reconnaît le principe de la responsabilité sans faute de l’administration, comme l’avait fait la Cour de cassation : « en raison des pouvoirs dont l’Etat se trouve investi [...] lorsque le mineur a été confié à un service ou établissement qui relève de son autorité, sa responsabilité est engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers par ce mineur ».
Désormais, quel que soit le fondement de la décision confiant un mineur à l’administration, la victime peut obtenir réparation de son préjudice auprès du tribunal administratif sur la base d’une responsabilité sans faute de la puissance publique.
(1)
Cass. ass. plén., 29 mars 1991, pourvoi n° 89-15231, Blieck, Bull.civ. n° 1.
(2)
Le tiers civilement responsable peut être cité es -qualité à l’audience par la victime, voire d’office par le parquet.
(3)
Cass. civ. 2e, 6 juin 2002, préc.
(4)
Cass. civ 2e, 7 mai 2003, pourvois n° 01-15607 et n° 01-15923, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(5)
Conseil d’Etat, 1er février 2006, req. n° 268147, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(6)
Cass. civ. 2e, 7 octobre 2004, pourvoi n° 03-16078, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(7)
Tribunal des conflits, 17 décembre 2001, décision n° 01-03275, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(8)
Conseil d’Etat, 3 février 1956, Sieur Thouzellier, RAJSJDJ, n° 223, mars 2003, p. 56.
(9)
Conseil d’Etat, 1er février 2006, req. n° 268147, préc. ; Conseil d’Etat, 17 mars 2010, req. n° 315866, disponibles sur www.legifrance.gouv.fr
(10)
Conseil d’Etat, 16 juin 2008, décision n° 285385, Montjoie : condamnation de l’Etat à rembourser à une association condamnée par le tribunal pour enfants les sommes versées à la victime en qualité de civilement responsable d’un mineur confié en assistance éducative, au motif que ce dernier faisait par ailleurs l’objet d’une mesure pénale de liberté surveillée, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(11)
Conseil d’Etat, 11 février 2005, req. n° 252169, disponible sur www.legifrance.gouv.fr