La nouvelle place importante du juge des libertés et de la détention conduit à s’interroger sur le contrôle qu’il va exercer sur les mesures de soins psychiatriques avant d’examiner plus précisément le type de mesures qu’il est autorisé à prendre.
A. QUEL CONTRÔLE ?
Deux questions essentielles doivent être évoquées car elles font débat : celle de la légitimité du juge à intervenir dans une mesure de soins et celle, plus ou moins en lien, de l’effectivité de ce contrôle.
1. LA LÉGITIMITÉ DU JUGE
L’intervention systématique du juge pour contrôler les mesures de soins constitue un véritable bouleversement, tant pour les établissements de soins et les psychiatres que pour les magistrats amenés à intervenir dans un univers et une matière plutôt méconnus. Cette situation a pu susciter chez les uns ou les autres des interrogations sur la légitimité du juge à autoriser ou pas la poursuite d’une mesure d’hospitalisation sans disposer d’aucune compétence en matière médicale, à prendre une décision juridique à partir de pathologies médicales.
Cette objection tombe toutefois rapidement si l’on examine avec attention la fonction du juge des libertés et de la détention dans cette procédure. Il ne lui est pas demandé en effet de contrôler le soin, sa qualité, voire sa pertinence mais de statuer sur le bien-fondé de la contrainte aux soins, et éventuellement de la privation de liberté qui l’accompagne, dans le cadre de son rôle constitutionnel de gardien des libertés individuelles. Le juge ne se prononce donc pas sur la nécessité des soins mais va questionner le psychiatre sur la nécessité de la contrainte pour l’exercice des soins : il va « contraindre » le psychiatre à en justifier au regard des critères définis par la loi pour autoriser une admission en soins psychiatriques.
2. L’EFFECTIVITÉ DU CONTRÔLE
Les mêmes se sont souvent interrogés sur l’effectivité de ce contrôle, sorte de caution ou d’alibi judiciaire, le juge, incompétent en matière médicale, n’ayant pas d’autre choix que celui de suivre l’avis du psychiatre.
Les statistiques communiquées par le ministère de la Justice et des Libertés pour les trois premiers mois d’application de la loi du 5 juillet 2011 vont manifestement à l’encontre de cette affirmation. Ils révèlent en effet un taux de mainlevée de mesures de 6,5 % en matière de contrôle systématique et de 7,6 % en matière de recours facultatif, ce qui n’est pas négligeable. Par ailleurs, ces statistiques ne comptabilisent pas précisément le nombre de décisions « sans objet » faisant suite à des décisions de mainlevée administrative de la mesure, en cours de procédure (dont une bonne part anticipe une mainlevée judiciaire). Le nombre important de décisions de mainlevée au 1er août 2011, date d’entrée en vigueur de la loi, confirme l’impact indéniable de la mise en œuvre du contrôle systématique sur les pratiques médicales en matière d’hospitalisation contrainte.
Ces chiffres ne doivent toutefois pas faire oublier les difficultés précédemment évoquées (audition de la personne, assistance ou représentation par un avocat, modalités d’organisation des audiences) susceptibles d’influer de manière négative sur l’effectivité du contrôle exercé par le juge.
B. QUELLE DÉCISION ?
Avant de faire le point sur la nature des décisions susceptibles d’être rendues par le juge des libertés et de la détention, on relèvera que ce n’est que très récemment que le juge s’est vu imposer en la matière des délais stricts pour statuer.
1. LES DÉLAIS POUR STATUER
Ils doivent être brefs pour répondre aux exigences de la jurisprudence européenne mais seront différents selon que le juge statue dans le cadre d’un recours facultatif ou dans celui du contrôle systématique qu’il doit désormais exercer sur toutes les mesures de soins prenant la forme d’une hospitalisation complète.
a. En cas de recours facultatif
[Code de la santé publique, article R. 3211-16]
La Cour européenne des droits de l’homme, dans plusieurs arrêts, dont le dernier en date du 18 novembre 2010 (1), a condamné la France à raison du délai excessif de ses juridictions pour statuer tant sur la légalité des internements psychiatriques que sur les demandes de sortie immédiate. Elle sanctionne ainsi le non-respect du « bref délai » de l’article 5, § 4, de la Convention.
Ce n’est effectivement que par un décret du 20 mai 2010 qu’a été imposé au juge un délai strict pour statuer de 12 jours, pouvant être porté à 25 jours en cas d’expertise.
L’article R. 3211-16 du code de la santé publique, issu du décret du 18 juillet 2011, confirme ces dispositions, précisant que l’ordonnance du juge est rendue dans un délai de 12 jours qui court à compter de l’enregistrement de la requête au greffe. Ce délai est porté à 25 jours si une expertise (ou deux selon la situation) a été ordonnée, qu’elle l’ait été sans débat à réception des pièces ou à l’issue de l’audience.
En cause d’appel, il doit être statué dans les mêmes délais à compter de la saisine du premier président, sous réserve des dispositions particulières prévues par l’article L. 3211-12-4 du code de la santé publique en cas de recours suspensif du ministère public (délai de trois jours à compter de la déclaration d’appel, cf. infra, C).
Il sera simplement observé que, contrairement aux dispositions relatives au délai en matière de recours systématique, ni la loi ni le décret ne prévoient de sanctions en cas de non-respect de ce délai (sauf dans l’hypothèse du recours suspensif).
b. En cas de contrôle systématique
[Code de la santé publique, article L. 3211-12-1]
La loi ne fixe pas, comme en matière de recours facultatif, un délai au juge pour statuer à compter de l’enregistrement de la requête mais prévoit des délais stricts avant l’expiration desquels il doit avoir exercé son contrôle et donc rendu sa décision (selon le cas, 15 jours ou six mois à compter de la décision d’admission). Si le juge décide, à titre exceptionnel, d’ordonner une expertise avant l’expiration de ce délai, celui-ci est prolongé d’une durée maximale de 14 jours à compter de l’ordonnance.
En cause d’appel, le délai pour statuer sera respectivement de 12 jours ou de 25 jours à compter de la saisine du premier président, comme en matière de recours facultatif, sous réserve là aussi des dispositions prévues en cas de recours suspensif (cf. infra, C).
Le non-respect de ces délais est sanctionné par la mainlevée de la mesure.
2. LES DÉCISIONS POSSIBLES
Même si les pouvoirs du juge vont être sensiblement les mêmes, qu’il statue sur un recours facultatif ou dans l’exercice de son contrôle systématique des mesures d’hospitalisation complète, de petites nuances existent qui imposent, pour la clarté de l’exposé, d’examiner successivement la question au regard des conditions de la saisine du juge.
a. En cas de recours facultatif
L’article L. 3211-12 du code de la santé publique, qui définit les conditions et modalités d’exercice de ce recours, s’applique, de manière large, à toute demande de mainlevée de la mesure de soins psychiatriques, quelle que soit la forme sous laquelle elle s’exerce. Cette disposition autorise ainsi le juge à se prononcer sur le bien-fondé d’une mesure de soins contrainte s’exerçant en ambulatoire (alors que cette mesure ne fait l’objet d’aucun contrôle systématique). Il peut alors décider, éventuellement après expertise (obligatoire dans certaines circonstances), de rejeter ou de faire droit au recours ; dans cette dernière hypothèse, la mesure de soins sera levée immédiatement.
Dans l’hypothèse d’une mesure s’exerçant sous la forme d’une hospitalisation complète, une autre option est offerte au juge : il peut ainsi rejeter le recours ou lever la mesure de soins mais aussi se limiter à la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète. Dans ce dernier cas, il peut décider, au vu des éléments du dossier et par décision motivée, que la mainlevée ne prendra effet que dans un délai maximal de 24 heures afin qu’un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi. La mainlevée de l’hospitalisation complète prendra alors effet dès l’établissement du programme de soins ou, au plus tard, à l’issue du délai de 24 heures. Si aucun programme de soins n’est établi dans le délai, la mesure de soins prendra nécessairement fin avec la levée de la mesure d’hospitalisation complète (C. santé publ., art. L. 3211-12-1, III).
Le juge peut aussi décider, s’il l’estime nécessaire au vu de la requête et des pièces transmises, d’ordonner, éventuellement avant tout débat, une mesure d’instruction. Cette mesure d’instruction devient obligatoire si le juge envisage d’ordonner la mainlevée d’une mesure de soins concernant un malade appartenant à l’une des catégories pour lesquelles un régime procédural dérogatoire est défini par la loi du 5 juillet 2011 (cf. supra, chapitre II, section 3, § 3) ; il doit alors recueillir l’avis de deux experts.
Il convient d’observer que la loi se borne à exiger du juge qu’il ordonne deux expertises, qui doivent être réalisées séparément par deux psychiatres qui n’exercent pas dans l’établissement d’accueil de la personne concernée, mais n’a pas repris les anciennes dispositions de l’article L. 3213-8 du code de la santé publique qui subordonnaient la levée de la mesure à la décision conforme des deux médecins. Bien lui en a pris puisque le Conseil constitutionnel a récemment déclaré ces dispositions contraires à la Constitution en ce qu’elles méconnaissent l’indépendance et les attributions du juge judiciaire garanties par ses articles 64 et 66 (2).
Dans l’hypothèse où une expertise est ordonnée, compte tenu des délais très brefs prévus pour sa réalisation, l’expert n’est pas tenu de convoquer toutes les parties ou de susciter leurs observations, il se contente d’examiner la personne concernée. Le rapport est déposé au secrétariat de la juridiction où les parties, et elles seules, peuvent le consulter. Une copie peut également leur être délivrée à leur demande.
Enfin, l’article R. 3211-26 du code de la santé publique autorise le juge à rejeter sans tenir d’audience les demandes répétées si elles sont manifestement infondées.
b. En cas de contrôle systématique
L’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique dispose que l’hospitalisation complète d’un patient ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention n’ait statué sur cette mesure : c’est donc sur la poursuite de cette forme de prise en charge (et sur la privation de la liberté d’aller et venir qu’elle implique) qu’il est demandé au juge des libertés de la détention de se prononcer et non sur la poursuite de la mesure de soins elle-même.
Pour autant, si le juge n’autorise pas la poursuite de la mesure d’hospitalisation complète, il a la possibilité, comme en matière de recours facultatif, de différer la prise d’effet de sa décision de 24 heures au maximum afin qu’un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi. Cela signifie, en conséquence, que, comme en matière de recours facultatif, s’il a levé la mesure d’hospitalisation complète sans faire usage de cette option, la mesure de soins contraints sera elle-même levée en même temps que la mesure d’hospitalisation complète.
Ainsi, en matière de contrôle systématique comme en cas de recours facultatif, le juge des libertés et de la détention peut décider de la mainlevée de la mesure de soins ou simplement de la mesure d’hospitalisation complète. Et, dans les deux cas, le pouvoir de décider de la mise en place du programme de soins et de ses modalités appartient au médecin.
Dans l’hypothèse particulière où la personne faisant l’objet de la mesure de soins sous la forme de l’hospitalisation complète est détenue, la levée de cette mesure aura pour conséquence son retour en détention.
Par ailleurs, comme en matière de recours facultatif, et selon les mêmes modalités, le juge peut avoir recours à une expertise s’il l’estime nécessaire, étant toutefois précisé que l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique dispose que, hormis les cas où cette expertise est obligatoire quand le juge envisage la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète (cf. pour les personnes relevant du régime procédural dérogatoire), il ne doit y recourir qu’à titre exceptionnel. Si une expertise a été ordonnée, l’hospitalisation complète du patient est maintenue jusqu’à la décision du juge statuant après expertise, à moins qu’il y ait été mis fin par ailleurs.
Comme cela a été exposé précédemment, le juge des libertés et de la détention, saisi d’une requête aux fins de contrôle systématique, peut, si un recours facultatif a été parallèlement formé, statuer par une même décision suivant la procédure prévue pour le contrôle.
c. Les sanctions en cas de non-respect des délais
[Code de la santé publique, article L. 3211-12-1, IV]
Elles concernent essentiellement les délais prévus pour l’exercice du contrôle systématique des mesures.
Ainsi, lorsque le juge des libertés et de la détention n’a pas statué avant l’expiration des délais prévus pour ce contrôle, la mainlevée est acquise à l’issue de chacun de ces délais et doit être constatée par le juge s’il est saisi tardivement.
De la même manière, en cas de non-respect de son délai de saisine (à savoir trois jours pour le contrôle à quinzaine et huit jours pour le contrôle à six mois), le juge doit constater sans débat que la mainlevée de l’hospitalisation complète est acquise. Il peut toutefois ne pas mettre en œuvre cette sanction s’il lui est justifié de circonstances exceptionnelles à l’origine de la saisine tardive et si le débat peut néanmoins avoir lieu dans le respect des droits de la défense (un simple oubli ne constitue pas une circonstance exceptionnelle).
Dans l’hypothèse où la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète serait acquise au regard des dispositions qui précèdent, le patient peut néanmoins continuer à bénéficier de soins psychiatriques contraints (si les critères nécessaires pour l’admission sont toujours réunis) sous réserve que soit établi un programme de soins. Il ne peut cependant pas faire l’objet d’une réhospitalisation à moins que des faits nouveaux n’interviennent.
Les statistiques produites par le ministère de la Justice et des Libertés pour les trois premiers mois d’application de la loi du 5 juillet 2011 montrent que ces saisines tardives restent exceptionnelles puisqu’elles ne représentent que 1,3 % de l’ensemble des saisines.
Il sera enfin rappelé que :
- en matière de soins psychiatriques sur décision du directeur de l’établissement, le défaut de production d’un des certificats médicaux, des avis médicaux ou des attestations exigées pour la prolongation de la mesure de soins par l’article L. 3212-7 du code de la santé publique entraîne la levée de cette mesure ;
- en matière de soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat dans le département, la levée de la mesure de soins est acquise en l’absence de décision de celui-ci à l’issue de chacun des délais prévus pour le renouvellement de la mesure par l’article L. 3213-4 du code de la santé publique (selon le cas, premier mois, quatrième mois, dizième mois) (cf. supra, chapitre II).
3. LA NOTIFICATION DES DÉCISIONS
Les modalités de notification des décisions sont identiques en matière de recours facultatif ou de contrôle systématique.
Elles différeront selon que la décision est rendue « sur le siège », c’est-à-dire immédiatement, ou mise en délibéré.
Si le juge rend sa décision sur le siège, elle est notifiée contre récépissé ou émargement aux parties présentes à l’audience. Le délai et les modalités d’exercice de l’appel leur sont alors notifiés verbalement. Il apparaît souhaitable, dans cette hypothèse, que l’imprimé de notification émargé par les personnes présentes ou le procès-verbal d’audience mentionne que cette information a bien été délivrée.
La notification aux personnes avisées qui ne se sont pas présentées, ainsi qu’au ministère public, doit être faite dans les meilleurs délais et par tout moyen permettant d’en établir la réception (lettre recommandée avec accusé de réception, télécopie, remise contre émargement).
Si la décision est mise en délibéré, elle est notifiée à l’ensemble des personnes qui ont été avisées de l’audience dans les meilleurs délais par tout moyen permettant d’en établir la réception.
Il est important de remarquer que la décision n’est pas notifiée qu’aux seules parties mais à l’ensemble des personnes ayant été avisées de l’audience, ce qui inclut le tiers demandeur à la mesure de soins.
C. LES VOIES DE RECOURS
[Code de la santé publique, articles L. 3211-12-4, R. 3211-18 à R. 3211-20]
Toutes les décisions rendues par le juge des libertés et de la détention, en matière de recours facultatif ou de contrôle systématique, sont susceptibles d’appel devant le premier président de la cour d’appel, ou son délégué, dans un délai de dix jours à compter de leur notification. Ce droit est ouvert aux parties à l’instance devant le juge des libertés et de la détention.
La saisine se fait par une déclaration d’appel motivée transmise par tout moyen au greffe de la cour d’appel ; les dispositions précédemment exposées en matière de convocation à l’audience, de tenue des débats et de notification des décisions sont applicables à la procédure d’appel (cf. supra, § 2).
Cet appel n’est en principe pas suspensif. Le législateur a cependant prévu que, lorsque le juge des libertés et de la détention ordonne la mainlevée d’une mesure de soins s’exerçant sous la forme d’une hospitalisation complète ou constate la mainlevée de cette mesure, le procureur de la République peut demander au premier président de la cour d’appel, ou à son délégué, de déclarer ce recours suspensif en cas de risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade ou d’autrui.
Pour faire usage de cette prérogative, le ministère public dispose d’un délai de six heures à compter de la notification de l’ordonnance au procureur de la République. Le premier président, ou son délégué, doit alors statuer sur le caractère suspensif de cet appel sans délai et sans débat, par une décision motivée insusceptible de recours. Le patient est maintenu sous le régime de l’hospitalisation complète jusqu’à ce que cette ordonnance soit rendue et, si elle donne un effet suspensif à l’appel, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le fond. S’il a été donné un effet suspensif à l’appel, le premier président de la cour d’appel, ou son délégué, doit statuer au fond dans un délai de trois jours à compter de la déclaration d’appel (délai qui peut être prorogé de 14 jours en cas d’expertise).
(1)
CEDH, 18 juin 2002, Delbec c/ France, n° 43125/98 ; CEDH 27 juin 2002, D.M. c/ France, n° 41376/98 ; CEDH 27 juin 2002, L.R. c/ France, n° 33395/96 ; CEDH 5 novembre 2002, Laidin c/ France, n° 43191/98 ; CEDH, 27 octobre 2005, Mathieu c/ France, n° 68673/01 ; CEDH 18 novembre 2010, Baudoin c/ France préc.
(2)
Conseil constitutionnel, décision n° 2011/185 QPC du 21 octobre 2011, JO du 22-10-11.