Contrairement à la plupart de ses homologues européens, le juge français n’exerce qu’un contrôle a posteriori sur les mesures de soins psychiatriques.
Jusqu’à la loi du 5 juillet 2011, ce contrôle ne présentait par ailleurs aucun caractère systématique. Il intervenait uniquement sur requête et était soumis au dualisme juridictionnel français (juge administratif, juge judiciaire).
Cette répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction a donné lieu à une jurisprudence abondante et a été précisée par une décision de principe du tribunal des conflits, rendu sous l’empire de la loi de 1838, aux termes de laquelle « s’il appartient à la juridiction administrative de connaître de la régularité de la décision administrative par laquelle l’autorité préfectorale ordonne un internement dans un établissement d’aliénés, l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu de la loi du 30 juin 1838, pour apprécier la nécessité de cette mesure et les conséquences qui peuvent en résulter » (1).
Le juge des libertés et de la détention a été créé par la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes (2). Il s’est vu tout d’abord confier le contentieux de la détention provisoire, qui relevait précédemment du juge d’instruction, puis un nombre très important d’attributions en matière de protection de la liberté individuelle. C’est ainsi qu’il est compétent pour se prononcer en matière de rétention administrative des étrangers et a remplacé le président du tribunal de grande instance dans ses attributions concernant le contentieux des hospitalisations sous contrainte.
Le juge des libertés et de la détention est un magistrat du siège du tribunal de grande instance, ayant rang de président ou de vice-président, désigné par le président de la juridiction (3). Contrairement à d’autres magistrats, comme le juge des enfants ou le juge d’instruction, il ne bénéficie pas d’un statut particulier et peut donc être déchargé de ses fonctions à tout moment par le président de la juridiction, pour des motifs ou dans des conditions qui ont pu paraître parfois contestables (4).
Le juge administratif est donc compétent pour se prononcer sur la régularité externe d’une mesure d’hospitalisation alors que seul le juge judiciaire le sera pour en apprécier le bien-fondé ; ce principe a récemment été réaffirmé par le tribunal des conflits (5).
Cette situation de par sa complexité, qualifiée par certains de « désordre des deux ordres » (6), contrarie le libre exercice de son droit de recours par la personne faisant l’objet d’une mesure de soins. C’est cette articulation difficile entre la compétence du juge judiciaire et celle du juge administratif quant aux voies de recours offertes par le droit français au malade qui a d’ailleurs conduit à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Baudoin, la cour ayant constaté que « dans les circonstances très particulières de l’espèce... [cette articulation n’avait] pas permis au requérant d’obtenir une décision d’un tribunal pouvant statuer sur la légalité de sa détention et ordonner sa libération si la détention est illégale » (7).
Le Conseil constitutionnel, s’il ne remet pas, lui non plus, clairement en cause l’éclatement du contentieux entre les deux ordres de juridiction, apparaît cependant tout aussi conscient de la difficulté et rappelle que, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », le législateur demeure libre « d’unifier les règles de compétence juridictionnelle [...] » (8).
Le législateur, dans ce domaine, a manifestement pris la mesure du problème ; à compter du 1er janvier 2013 (9), la régularité des décisions administratives prises en matière de soins psychiatriques ne pourra plus être contestée que devant le juge judiciaire (10). C’est le juge des libertés et de la détention qui connaîtra de ces contestations dans le cadre des instances introduites sur requête ou du contrôle systématique qu’il exerce. La loi précise cependant qu’une éventuelle irrégularité ne pourra entraîner la mainlevée de la mesure que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l’objet. Cette évolution constitue un indéniable progrès en faveur de l’accès au juge et de l’effectivité du recours.
Mais l’autre innovation majeure de la loi du 5 juillet 2011 ? est l’introduction tant attendue d’un contrôle systématique du juge des libertés et de la détention, exigée par le Conseil constitutionnel dans ses décisions précitées du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011. On aurait pu souhaiter que le législateur profite de l’occasion qui lui était donnée pour aligner la législation française sur celle de la plupart des pays européens en créant un réel contrôle a priori des mesures de soins mais celui-ci, pour des motifs tenant vraisemblablement tant au pragmatisme qu’à l’idéologie, n’a pas voulu étendre la judiciarisation au-delà de ce qui était exigé par le Conseil constitutionnel. Il n’a donc retenu qu’un contrôle a posteriori en faveur des seules mesures d’hospitalisation complète.
Ce rôle nouveau du juge des libertés et de la détention suscite des interrogations sur la nature du contrôle exercé par le juge. Il impose par ailleurs, au-delà des difficultés matérielles de mise en œuvre, une réflexion et une prise en compte des problématiques de chacun pour faciliter l’organisation des nombreuses audiences générées par ce contrôle et s’assurer de son effectivité.
(1)
Tribunal des conflits, 6 avril 1946, Sieur Machinot c/ Préfet de police, Rec. Lebon, p. 326.
(2)
Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, version consolidée consultable sur www.legifrance.gouv.fr
(3)
Exceptionnellement, car la philosophie initiale du texte était de confier ces contentieux importants à des magistrats ? « expérimentés », cette fonction peut être confiée à un simple juge lorsque aucun autre magistrat n’est disponible.
(4)
Le Monde, 15 juin 2010.
(5)
Tribunal des conflits, 26 juin 2006, n° C3513, disponible sur www.legifrance.gouv.fr
(6)
Fossier T., « Contrôle de légalité et responsabilité en matière d’internement des aliénés : le désordre des deux ordres ? », RDSS n° 3/2005, mai-juin 2005, p. 450.
(7)
CEDH, Baudoin c/ France du 18 novembre 2010, n° 35935/03.
(8)
Conseil constitutionnel, décision n° 2010/71 QPC du 26 novembre 2010, préc.
(9)
Dispositions transitoires de l’article 18, II, de la loi du 5 juillet 2011.
(10)
Code de la santé publique, article L. 3216-1, en vigueur au 1er janvier 2013. Sur ce sujet, cf. Farinetti A., « L’unification du contentieux des soins psychiatriques sans consentement par la loi du 5 juillet 2011 », RDSS n° 1/2012, janvier-février 2012, p. 111.