C’est donc à l’issue de la période d’observation que se décidera la forme de prise en charge du patient : soit le maintien en hospitalisation complète, soit une autre modalité de prise en charge alternative. La loi du 5 juillet 2011 a en effet innové en instaurant, à côté de l’hospitalisation complète, un régime de soins psychiatriques sans consentement, en dehors de l’hôpital. Après avoir exposé les différentes modalités de prise en charge prévues par la loi nouvelle et indiqué quelle est l’autorité décisionnaire, il sera fait un point rapide sur les différentes thérapeutiques mises en œuvre.
A. LES DIFFÉRENTES MODALITÉS DE PRISE EN CHARGE
La diversification des modalités de prise en charge en soins psychiatriques peut apparaître comme une innovation intéressante si elle a pour effet de limiter le nombre et les durées d’hospitalisation. Elle peut aussi légitimement inquiéter en ce qu’elle présente le risque majeur de voir se développer la contrainte en matière de soins psychiatriques au détriment du soin librement consenti qui doit rester le principe.
On peut craindre par ailleurs la lourdeur du nouveau dispositif et la perte de souplesse qui en résulte dans la transition, souvent nécessaire, entre hospitalisation et retour à domicile. Un programme de soins suppose en effet la mise en place de mesures sur la durée alors que des sorties d’essai ponctuelles, plus simples à mettre en œuvre, permettaient d’observer le comportement de l’intéressé et de réévaluer fréquemment les conditions de prise en charge si nécessaire.
1. L’HOSPITALISATION COMPLÈTE
L’hospitalisation complète signifie que le patient est pris en charge à temps complet dans l’établissement (c’est-à-dire 24 heures sur 24) et ne le quitte qu’en sortie de courte durée accompagnée.
Une personne admise en soins psychiatriques et prise en charge sous la forme de l’hospitalisation complète doit l’être dans un des établissements autorisés en psychiatrie spécialement désignés à cet effet par l’agence régionale de santé territorialement compétente (C. santé publ., art. L. 3222-1).
Lorsqu’elle a été admise sur décision du représentant de l’Etat ou sur décision judiciaire, elle peut être hospitalisée dans une unité pour malades difficiles (implantée dans un des établissements susmentionnés) si elle présente un danger pour autrui tel que les soins, la surveillance ou les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mises en œuvre que dans une unité spécifique (C. santé publ., art. L. 3222-3).
Une personne admise en soins psychiatriques sur décision du directeur de l’établissement ne peut donc pas être hospitalisée dans une unité pour malades difficiles sans que la mesure n’ait été au préalable transformée en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat. On perçoit là les inconvénients du régime dual – SPDT et SPDRE –, déjà relevés par le rapport Strohl (1). Un système qui impose de transformer la mesure pour pouvoir procéder à une hospitalisation en UMD, alors même que cette dernière n’est pas justifiée au regard des critères d’admission en SPDRE. Concrètement, le patient a besoin d’une prise en charge plus soutenue qu’en SPDT mais il ne présente pas de véritable dangerosité. Or, son hospitalisation en UMD entraîne de facto l’application du régime procédural dérogatoire pour lequel les conditions de mainlevée sont rendues plus difficiles par la loi du 5 juillet 2011.
L’admission en unité pour malades difficiles est prononcée par arrêté préfectoral sur proposition d’un psychiatre participant à la prise en charge du patient et avec l’accord du psychiatre responsable de l’unité pour malades difficiles selon une procédure particulière prévue par décret (C. santé publ., art. R. 3222-2). En cas de désaccord du psychiatre responsable de l’unité pour malades difficiles, il appartiendra à la commission du suivi médical de se prononcer (cf. infra, chapitre III).
Dans chaque territoire de santé, l’agence régionale de santé organise un dispositif de réponse aux urgences psychiatriques en relation avec les différents acteurs locaux (services d’aide médicale urgente, services départementaux d’incendie et de secours, services de la police nationale, unités de la gendarmerie nationale, établissements de santé autorisés en psychiatrie, groupements de psychiatres libéraux, personnes effectuant un transport sanitaire), permettant d’apporter aux personnes atteintes de troubles mentaux les premiers soins appropriés à leur état et d’assurer leur transport éventuel vers un établissement habilité. Ce transport pourra être effectué sans le consentement de la personne lorsque cela sera strictement nécessaire, avec usage éventuel de moyens de contention, sous réserve de l’admission préalable en soins psychiatriques ou, pour le moins, dans certaines hypothèses précédemment évoquées (C. santé publ., art. L. 3222-1-1, cf. supra, section 1, § 1, B, 2, a), de l’établissement d’un certificat médical attestant que les critères d’admission sont bien réunis.
2. LES AUTRES MODALITÉS DE PRISE EN CHARGE
S’il est pris en charge sous une autre forme que l’hospitalisation complète, le patient bénéficie d’un programme de soins élaboré par un psychiatre qui participe à sa prise en charge.
a. L’élaboration et la modification du programme de soins psychiatriques
[Code de la santé publique, articles L. 3211-2-1, 2°, et R. 3211-1]
Dès lors qu’une personne admise en soins psychiatriques est prise en charge, de manière contrainte, sous une autre forme que l’hospitalisation complète, quelle que soit la forme de prise en charge retenue, un programme de soins doit être établi par un psychiatre de l’établissement d’accueil. Le programme peut être modifié à tout moment par un psychiatre qui participe à la prise en charge de la personne concernée afin de l’adapter à l’évolution de l’état de santé du malade.
L’élaboration du programme, comme sa modification, doit être nécessairement précédée d’un entretien avec le malade au cours duquel le psychiatre recueille l’avis du patient, notamment sur le programme qu’il propose ou ses modifications, afin de lui permettre de faire valoir ses observations. Au cours de cet entretien, le psychiatre l’informe du projet de décision prononçant le maintien des soins ou définissant la forme de la prise en charge. Il lui indique en particulier que le programme de soins peut être modifié à tout moment pour tenir compte de l’évolution de son état de santé. Il est également averti que le psychiatre peut proposer son hospitalisation complète en cas d’inobservance de ce programme susceptible d’entraîner une dégradation de son état de santé.
La personne est présumée avoir déjà été informée, lors de son admission, de sa situation juridique, de ses droits et des voies de recours qui lui sont ouvertes. Il paraît cependant utile de renouveler cette information à un moment où le malade n’est généralement plus en état de crise et est davantage en capacité d’en percevoir le sens.
La mention de cet entretien doit être portée sur le programme de soins et au dossier médical du patient. Si le programme de soins doit être remis au patient, le décret du 18 juillet 2011 ne précise pas les modalités selon lesquelles ce dernier peut présenter ses observations. Pour s’assurer de l’effectivité de ce droit, il conviendrait que le psychiatre soit tenu de répondre à ces observations. Pour le moins, devrait-on prévoir de joindre au programme de soins remis au malade un document rappelant les obligations et les droits qui lui ont été notifiés lors de l’entretien.
Le programme de soins, proposé par le psychiatre, doit enfin être transmis au directeur de l’établissement (lequel devra lui-même le transmettre au préfet en cas d’admission en soins psychiatriques sur décision de celui-ci) pour décision sur le choix ou la modification des modalités de prise en charge. Lorsqu’un programme de soins est déjà en cours et que sa modification est envisagée par le psychiatre participant à la prise en charge du patient, cette transmission n’aura lieu d’être que si elle a pour effet de changer de manière substantielle la modalité de prise en charge.
b. Le contenu du programme de soins
[Code de la santé publique, article R. 3211-1]
Désormais, contrairement aux anciennes sorties d’essai dont les modalités laissées à l’entière discrétion du psychiatre n’avaient pas à être soumises à l’appréciation de l’autorité administrative décisionnaire, le programme de soins proposé doit exposer les modalités de prise en charge envisagées.
Il doit ainsi préciser :
- l’identité du psychiatre qui l’établit, celle du patient et le lieu de résidence habituel de ce dernier ;
- le type de soins retenu : hospitalisation à temps partiel (dans ce cas, il doit être indiqué s’il s’agit d’une hospitalisation en hôpital de jour, de nuit, de semaine), soins ambulatoires, soins à domicile, consultations ou activités thérapeutiques ;
- les lieux où se déroulent ces prises en charge, y compris lorsqu’elles sont dispensées dans le lieu de vie habituel du patient. A cet égard, le projet de décret relatif à la réinsertion sociale des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques, en cours d’élaboration, réglemente l’accès de l’équipe soignante au domicile du patient. Il est ainsi prévu que, « en cas de refus réitéré » de la personne « de laisser le libre accès à son domicile et après que l’équipe soignante a tenté d’obtenir l’assentiment du patient d’accéder à son domicile, le recours aux forces de l’ordre peut être sollicité par l’intermédiaire du directeur d’établissement ». Pour l’Union syndicale de la psychiatrie (USP) (2), ce texte « constitue une atteinte extrêmement grave à la vie privée et à l’inviolabilité du domicile » et fait des soignants « des auxiliaires de police » ;
- la fréquence des consultations ou des visites en ambulatoire ou à domicile et, si elle est prévisible, la durée pendant laquelle ces soins sont dispensés ;
- si un traitement médicamenteux a été prescrit.
A l’inverse, il ne doit pas mentionner, par respect du secret médical :
- la nature et le détail du traitement médicamenteux prescrit, notamment la spécialité, le dosage, la forme galénique, la posologie, la modalité d’administration et la durée ;
- la nature et les manifestations des troubles mentaux dont souffre le patient ;
- les observations cliniques, la mention ou les résultats d’examens complémentaires.
3. LE RÉGIME DES SORTIES
Sous l’empire de la loi du 27 juin 1990, la personne hospitalisée pouvait bénéficier de sorties accompagnées de courte durée pour motif thérapeutique mais aussi de sorties d’essai d’une durée maximale de trois mois renouvelable dans un souci de réadaptation ou de réinsertion sociale. La loi du 5 juillet 2011 maintient les premières et supprime les secondes.
a. Les sorties thérapeutiques
[Code de la santé publique, article L. 3211-11-1]
La loi du 5 juillet 2011 maintient le dispositif des sorties de courte durée pour les personnes admises en soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète, à l’exception des détenus. Il s’agit de sorties accompagnées (par un soignant, un membre de la famille ou la personne digne de confiance désignée par l’intéressé), d’une durée qui ne peut excéder 12 heures et ayant pour objet un motif thérapeutique ou des démarches extérieures nécessaires.
Si la personne concernée fait l’objet de soins psychiatriques sur décision du directeur de l’établissement, la sortie est accordée de droit par ce dernier dès lors que le psychiatre a émis un avis favorable.
Dans l’hypothèse où la personne fait l’objet de soins psychiatriques sur décision du représentant de l’Etat (3), l’autorisation de sortie est soumise à l’accord de ce dernier. Il pourra ainsi s’opposer à cette sortie ou, en fonction de l’état du patient, ne l’autoriser que si le malade est accompagné d’un membre du personnel de l’établissement plutôt que d’un membre de la famille ou d’une personne de confiance. La demande, accompagnée de l’avis du psychiatre participant à la prise en charge, doit être transmise au préfet 48 heures avant la date de sortie prévue. La sortie pourra avoir lieu s’il n’a pas manifesté son opposition avant le terme de ce délai.
b. Les autres sorties
La loi du 5 juillet 2011 a supprimé le dispositif de sorties d’essai fortement remis en cause à la suite du drame de Grenoble. Par une circulaire conjointe du 11 janvier 2010, le ministre de l’Intérieur et la ministre de la Santé formulaient de strictes recommandations méthodologiques destinées aux préfets à qui il était fermement rappelé qu’il leur appartenait de « s’assurer de la compatibilité de la mesure de sortie d’essai avec les impératifs d’ordre et de sécurité publics ». Ce rappel à l’ordre était manifestement suivi d’effet puisque le contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans un avis du 15 février 2011, constatait que « les craintes d’atteintes à l’ordre public rendent, dans un nombre croissant de départements, l’obtention des sorties d’essai plus difficile » (avis du 15 février 2011, JO du 20-03-11).
Désormais, toute autre sortie que de courte durée suppose la mise en œuvre d’un programme de soins. Tel devra être le cas pour une sortie d’un week-end en famille alors même qu’aucune modalité de soins autre qu’éventuellement la poursuite du traitement médicamenteux n’est envisageable sur une si courte période et sachant que les structures de type CMP sont en tout état de cause fermées le week-end...
Si les soins psychiatriques mis en œuvre dans le cadre d’un programme de soins permettent, à l’instar des sorties d’essai, la poursuite de soins contraints en dehors de toute hospitalisation, en revanche ils répondent plus difficilement aux objectifs de réadaptation et de réinsertion sociale que les sorties d’essai. La plus grande rigueur et complexité de ce nouveau mécanisme permet un contrôle plus strict des autorités décisionnaires mais le rend beaucoup moins souple dans son fonctionnement.
Les difficultés pratiques rencontrées rendront vraisemblablement nécessaire de compléter le dispositif actuel en créant, à côté des sorties thérapeutiques de courte durée et en dehors de tout programme de soins, un nouveau mécanisme de sorties d’essai dont la durée pourrait ne pas excéder 48 heures, non accompagnées, destiné à s’assurer des capacités de réinsertion ou de réadaptation sociale de l’intéressé avant la mise en œuvre d’un programme de soins. C’est d’ailleurs l’une des propositions des députés Serge Blisko (PS) et Guy Lefrand (UMP) dans leur rapport sur la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011 (4).
A noter :
le projet de décret relatif à la réinsertion sociale des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques prévoit qu’une convention (5) définisse les modalités de coopération entre les personnels de l’hôpital prenant en charge le patient et les professionnels des services sociaux et médico-sociaux, afin de définir et de mettre en œuvre le projet de réinsertion sociale de la personne. Cette convention doit préciser les principes de leur collaboration « en matière d’échanges d’information, de formation et en cas de réadmission des patients en hospitalisation complète ». En outre, ce projet de décret indique que le psychiatre prenant en charge le patient doit informer les professionnels sociaux et médico-sociaux intervenant dans la réinsertion « des caractéristiques du patient ainsi que de ses difficultés et de ses besoins en matière d’insertion sociale », des modifications dans son programme de soins ainsi que des lieux et horaires relatifs aux modalités de sa prise en charge. Estimant qu’il porte atteinte au secret médical et à la vie privée du patient, l’Union syndicale de la psychiatrie, le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) et le Syndicat des psychiatres d’exercice public (Spep) réclament le retrait du projet (6).
c. La question des sorties à l’étranger
Dans le silence de la loi, certains considéraient qu’il était possible, dans le cadre d’une sortie d’essai, d’interdire au patient de sortir du territoire national, voire du département. La loi du 5 juillet 2011 n’apporte aucun éclaircissement sur ce point mais l’on doit considérer que, par opposition à l’hospitalisation complète, le programme de soins permet à la personne d’aller et venir librement en dehors des périodes d’hospitalisation partielle éventuellement fixées. Une telle interdiction ne peut ainsi valablement figurer dans un programme de soins pas plus qu’il ne peut valablement être fait grief à un patient d’avoir quitté son domicile, le département ou le pays pour solliciter, sur ce seul motif, sa réadmission en hospitalisation complète.
La seule question utile en l’espèce est celle de la compatibilité du déplacement envisagé avec le respect des modalités du programme de soins. Si le déplacement implique une interruption de la prise en charge, il nécessitera une modification du programme de soins qui, s’agissant indiscutablement d’une modification substantielle, devra être soumise à l’autorité administrative décisionnaire.
4. LA SITUATION PARTICULIÈRE DES DÉTENUS
[Code la santé publique, article L. 3214-1]
Une personne détenue ne peut être admise en soins psychiatriques que sous la forme d’une hospitalisation complète, à l’exclusion de toute autre modalité de prise en charge.
Elle devra, par ailleurs, être hospitalisée dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) (7) au sein de l’un des établissements « autorisés en psychiatrie » par l’agence régionale de santé ; cette exigence n’est pas applicable aux mineurs détenus lorsque leur intérêt le justifie.
Il convient cependant d’observer qu’à ce jour seulement deux unités de ce type sont ouvertes en France, et que, en conséquence, les détenus sont hospitalisés en unité classique, le plus souvent, en unités pour malades difficiles (cf. encadré, p. 31).
Pour le surplus, le régime de cette hospitalisation sera celui qui est prévu pour les hospitalisations sur décision du représentant de l’Etat dans le département.
B. LA DÉCISION SUR LES MODALITÉS DE PRISE EN CHARGE
[Code de la santé publique, article L. 3212-4, alinéa 2]
Par un mécanisme de parallélisme des formes, cette décision appartient à l’autorité ayant prononcé l’admission en soins psychiatriques, à l’exception de la situation d’admission sur décision judiciaire où, à l’issue de la période d’observation, la décision appartient au représentant de l’Etat.
1. EN MATIÈRE DE SOINS PSYCHIATRIQUES SUR DÉCISION DU DIRECTEUR D’ÉTABLISSEMENT
C’est le directeur – auteur de la décision initiale d’admission en soins psychiatriques – qui décide, à l’issue de la période d’observation, des modalités de prise en charge. Cette décision répond aux mêmes exigences de forme que la décision initiale (nécessité d’un écrit).
Mais il s’agit, concernant le directeur, d’une compétence liée sachant qu’il doit s’en tenir à l’avis médical. Si les deux certificats de 24 heures et de 72 heures ont conclu à la nécessité de poursuivre les soins, le directeur doit prononcer le maintien des soins sous la forme de prise en charge proposée par le psychiatre et joindre éventuellement à sa décision le programme de soins établi.
En l’attente de la décision du directeur, c’est-à-dire pendant la durée totale de la période d’observation, à savoir au maximum 72 heures (8), la personne est prise en charge sous la forme d’une hospitalisation complète.
2. EN MATIÈRE DE SOINS PSYCHIATRIQUES SUR DÉCISION DU REPRÉSENTANT DE L’ÉTAT
[Code de la santé publique, article L. 3213-1, II]
Comme dans la situation précédente, la décision appartient à l’autorité qui a prononcé l’admission en soins psychiatriques, à savoir le représentant de l’Etat.
Cependant, dans cette hypothèse, le représentant de l’Etat n’est pas tenu de suivre l’avis du psychiatre quant à la forme de la prise en charge proposée. Il tiendra compte de cet avis mais doit aussi prendre en compte, lui rappelle la loi, les exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public.
La décision du préfet doit intervenir dans un délai de trois jours francs (9) à compter de la réception du certificat des 72 heures. Le programme de soins, s’il est retenu, doit être joint à la décision.
En l’attente de cette décision, c’est-à-dire pendant une durée de 72 heures à laquelle il convient d’ajouter la durée maximale de trois jours francs pour la prise de décision, la personne malade est prise en charge sous la forme d’une hospitalisation complète.
C. LES DIFFÉRENTES THÉRAPEUTIQUES MISES EN œUVRE
Quel que soit le mode de prise en charge, ambulatoire ou intrahospitalier, libre ou sans consentement, à la demande d’un tiers ou du représentant de l’Etat, la nature des soins dépend uniquement de l’état du patient.
1. LA NATURE DES SOINS
Les soins proposés sont fondés sur le trépied bio-psycho-social, formule imagée qui désigne les trois dimensions prises en compte pour chaque patient et complémentaires les unes des autres dans un esprit pluridisciplinaire bien nécessaire pour les patients. Quant à l’électro-convulsivo-thérapie, elle constitue un soin distinct.
a. Le trépied bio-psycho-social
L’approche biologique utilise les psychotropes qui sont des médicaments agissant sur le cerveau. Il existe de nombreuses classes en fonction de leurs effets et mécanismes : les neuroleptiques et antipsychotiques pour lutter contre les psychoses, les thymo-régulateurs pour les troubles bipolaires, les antidépresseurs pour les dépressions, les anxiolytiques pour les angoisses, les hypnotiques pour les troubles du sommeil, etc. Il existe aussi des médicaments visant à lutter contre l’alcool et d’autres dits de substitution contre la dépendance aux opiacés. Chaque psychotrope a ses contre-indications, précautions d’emploi et surtout effets indésirables (prise de poids, contractures, etc.) qui, malgré les mesures possibles pour les contrer, peuvent constituer un poids supplémentaire pour le patient et compromettre son observance du traitement à court, moyen ou long terme. La question de l’observance est cruciale, les médicaments nécessitant des prises régulières. Elle se pose parfois en intrahospitalier (patient qui déjoue la vigilance des infirmiers) et surtout en ambulatoire. Certains médicaments se présentent sous une forme injectable retard, c’est-à-dire que l’injection aura un effet sur plusieurs semaines.
Avant toute prescription, le médecin en évalue l’intérêt dans un rapport bénéfice-risque. Le recours à un médicament n’est pas systématique mais les troubles rencontrés en hospitalisation surtout publique conduisent bien souvent à une prescription (cf. encadré). Ne pas les utiliser, notamment pour les troubles psychotiques ou les troubles graves de l’humeur, équivaudrait en effet à revenir un siècle en arrière, c’est-à-dire au temps de l’asile (cf. Introduction) alors que les orientations décidées pour la psychiatrie sont depuis plusieurs années tournées vers la fermeture de lits (cf. supra, chapitre I, section 3, § 2, B). Enfin, même si aucune autorisation de mise sur le marché des différents psychotropes ne le précise, aucun médicament n’est prescrit seul, sans accompagnement psychothérapique.
Derrière le terme générique de psychothérapie se trouvent diverses techniques et pratiques visant à soulager le patient de sa souffrance à travers la parole et la relation thérapeutique. La plus courante est la psychothérapie de soutien qui invite le patient à exprimer sa souffrance et qui conduit au soutien actif du soignant dans un esprit de neutralité bienveillante. Les autres types de psychothérapies, qui correspondent à l’approche théorique à laquelle elles se réfèrent, ne sont pas adaptés dans les états aigus conduisant à une hospitalisation. Leur rôle est d’amener un patient plutôt stabilisé à travailler plus en profondeur sur l’origine inconsciente des ses troubles (psychanalyse), sur la gestion consciente de ses symptômes et de ses comportements (cognitivisme et comportementalisme) ou sur les échanges dysfonctionnels au sein de sa famille (systémique). Enfin, la psychoéducation est très en vogue et se voit de plus en plus réglementée. Elle s’adresse aux patients et à leur entourage et vise à les informer sur la maladie et sa prise en charge afin de les rendre acteurs. Le patient ou son entourage est alors plus à même de dépister précocement une rechute et d’agir de manière adaptée.
La prise en charge sociale faite dans les secteurs de psychiatrie s’appuie sur les capacités du patient tout en les complétant. Elle vise à ce que les patients, malgré leur maladie, se maintiennent dans leurs droits et dans la société, en les accompagnant dans des demandes de prestations sociales, de reconnaissance de leur handicap, de logement ou d’hébergement, d’emploi, etc. Les assistants de service social procèdent aussi à une évaluation sociale des patients dans le cadre des demandes de mesures de protection juridique et sont des relais logiques et avertis avec le curateur ou tuteur d’un patient hospitalisé.
b. L’électro-convulsivo-thérapie
Enfin, l’électro-convulsivo-thérapie (ECT) ou sismothérapie participe à l’image sulfureuse de la psychiatrie (les « électrochocs »). Il est vrai que son principe – faire passer un courant électrique à travers le cerveau afin de provoquer une crise comitiale (épileptique) – et que son application à l’homme (par Cerletti et Bini en 1938, à partir d’observations faites sur des animaux avant abattage) ne constituent pas des critères très engageants. Le procédé peut paraître barbare aux yeux des profanes, mais il faut savoir que l’ECT a sauvé et continue (10) à sauver des personnes. Pratiquée auparavant au lit du patient et sans anesthésie, la technique a fortement évolué avec salle dédiée digne d’un bloc opératoire, anesthésie générale de quelques minutes, curarisation pour diminuer les contractions musculaires et donc les douleurs, surveillance par électroencéphalographie pendant et après la crise, salle de réveil, etc. Ses principaux effets indésirables sont des troubles de la mémoire portant sur les périodes autour des séances.
Son mécanisme demeure inconnu (effet de l’électricité ou de la crise convulsive) et ses indications sont l’état mélancolique surtout, puis l’accès maniaque, la dépression résistante (11) et le trouble schizo-affectif (cf. supra, chapitre I, section 1, § 3, A). Dans un tiers des cas, il s’agit d’une ECT curative qui traite un état aigu en plusieurs séances sur deux ou trois semaines. Mais dans les deux tiers des cas, il s’agit d’une ECT préventive ou d’entretien, c’est-à-dire qui permet d’éviter la rechute : le patient vient alors passer une journée par mois à l’hôpital pour faire sa séance ... puis rentre chez lui. Dans tous les cas, comme pour toute thérapeutique, le consentement du patient est recherché ainsi que celui de son entourage.
2. EN HOSPITALISATION COMPLÈTE
L’hospitalisation complète est un temps clé dans un parcours de soin et répond à des objectifs précis. C’est également du temps passé, à la fois en cohabitation et en institution, avec des règles et des consignes. C’est enfin le temps du soin parfois très intensif. L’hospitalisation complète tente de rythmer ces logiques de manière cohérente ... avec plus ou moins de succès.
a. Les objectifs de l’hospitalisation
Le tout premier « soin » que va effectuer le psychiatre, est celui de rédiger les certificats médicaux en temps et en heure, vu les nombreuses obligations en la matière durant les deux premières semaines d’une hospitalisation complète (cf. supra, § 1). A côté de cette part administrative toujours plus lourde, le soin en hospitalisation complète revêt un caractère soutenu car il s’adresse à des patients en crise, en dehors de ceux qui sont stabilisés et en attente de place en aval de l’hospitalisation. Les troubles rencontrés en hospitalisation complète sont des symptômes aigus, pour lesquels une adaptation en temps réel est nécessaire, ou qui commencent à s’amender, ce qui permet d’entrevoir la sortie. Il peut paraître surprenant de prime abord de faire sortir un sujet qui, au cours d’un délire, a été à l’origine d’un trouble à l’ordre public par exemple. Cependant, les soins sont en général efficaces, l’expérience en grandeur nature et sur plus d’un siècle a montré que l’« asile » entretenait et fixait la pathologie, et la politique moderne de gestion des moyens hospitaliers favorise de toute façon les prises en charge sans lit. L’objectif est alors de soigner la phase aiguë puis de préparer la sortie afin de lutter contre une chronicisation et une désocialisation.
b. La vie au quotidien
En attendant la sortie, une hospitalisation complète en psychiatrie se déroule avec la gestion du quotidien car, contrairement aux services de médecine, obstétrique et chirurgie (MCO), les patients ne restent pas alités dans leur chambre et sont plutôt invités à entrer en interaction avec les soignants et les autres patients, pour sortir de l’isolement où les confine leur maladie (12). En psychiatrie, les patients prennent leur repas dans une salle commune, il y a également une salle avec une télévision, ce qui pose bien sûr problème lorsque deux patients choisissent des programmes différents... La liberté d’une personne étant limitée par celle des autres, c’est bien souvent le personnel soignant qui est amené à gérer des conflits entre patients. On pourrait se dire qu’il suffit d’introduire un système privé de location de téléviseurs, afin de ne pas amputer les finances publiques. Mais comment fera le patient sans ressources ? Et qui sera redevable si un patient détruit le téléviseur qui, même éteint, continue de l’insulter ou de lui envoyer des messages ? Une des rares études nationales évoquant la qualité hôtelière des hôpitaux psychiatriques publics (13), malgré le développement de très nombreuses démarches qualité, relève que plus d’une personne sur deux est hébergée en chambre commune, que seule une personne sur deux bénéficie d’une salle de bains ou d’un cabinet de toilette dans sa chambre et plus d’une sur trois ne dispose ni de salle de bains, ni de cabinet de toilette, ni de toilettes, ni de téléphone, ni de télévision, ni de poste de radio individuel dans sa chambre. Notons que cette étude ne porte pas spécifiquement sur les hospitalisations sans consentement et que la commission des relations avec les usagers (cf. A savoir aussi, p. 91) est une instance visant à améliorer les conditions d’hospitalisation. Un autre exemple de la gestion du quotidien est la pratique religieuse. Si la charte de la personne hospitalisée précise que les croyances et l’intimité du patient doivent être respectées, impliquant des possibilités de recueillement, de rencontres avec un ministre de son culte, de nourriture particulière, etc., la circulaire ministérielle (14) qui l’accompagne précise aussi que cette activité religieuse ne doit pas porter atteinte au fonctionnement du service, à la qualité des soins, aux règles d’hygiène et à la tranquillité des autres patients et proches. Tout prosélytisme est par exemple interdit.
c. Les « consignes médicales »
Cette gestion du quotidien est rythmée aussi par les « consignes médicales » qui concernent les sorties, les visites, le téléphone, les affaires personnelles, etc. Le fondement des consignes semble provenir d’un mélange complexe entre habitudes héritées des asiles (cf. Introduction) et nécessité de mettre en place des actions préventives et adaptées à l’état d’un patient (obligation de moyen). Sans tomber dans les procédures rencontrées en garde à vue, il existe parfois des similitudes lors de l’admission d’un patient en crise avec, par exemple, le retrait de sa ceinture afin qu’elle ne puisse pas lui servir à se suicider.
En matière de soins sans consentement, les sorties sont soumises à avis médical et à autorisation du directeur de l’établissement ou du représentant de l’Etat. C’est bien sûr le cas des sorties définitives (ou levées de la mesure) (cf. infra, section 3, § 2) mais aussi des sorties temporaires qui ne peuvent prendre que deux aspects (cf. supra, A, 3). L’interdiction de sortir est une atteinte évidente à la liberté d’aller et venir mais ce n’est manifestement l’apanage ni de la psychiatrie (15) ni de la psychiatrie publique (16), et cela sans dispositif législatif particulier. Cette question a d’ailleurs fait l’objet d’une conférence de consensus (17). Selon les autorités, la seule logique admissible en psychiatrie serait que les patients en hospitalisation libre puissent aller et venir librement tandis que les patients hospitalisés sans consentement soient en service fermé. En pratique, outre les problèmes d’architecture et de lits disponibles, les soignants se heurtent au fait qu’un patient contraint mais qui s’améliore devrait pouvoir bénéficier d’un aménagement progressif et souple, tandis qu’un patient consentant mais qui amènerait du cannabis pour toute l’unité à chacune de ses sorties devrait logiquement se voir limité dans ses allers et venues, non pour le punir mais pour protéger les autres patients. Et si ce patient consent par ailleurs à ses soins personnels, il n’y a aucun argument pour déclencher une mesure de soins sans consentement...
Dans tout hôpital, les visites extérieures sont soumises à des horaires pour des raisons d’organisation des soins, et la restriction peut aussi être liée à l’état du patient (isolement sceptique, soin de réanimation, etc.). La psychiatrie n’échappe pas à ces deux règles. Parfois, l’état aigu du patient l’a conduit à être menaçant ou violent envers ses proches, ce qui a motivé son admission. Une telle situation nécessite de mettre une certaine distance entre eux dans un premier temps, pour que la famille s’en remette et que l’état du patient s’améliore. Ce temps n’empêche pas un lien avec la famille, ne serait-ce que pour la rassurer, tout en respectant le secret médical. La conciliation, entre volonté du patient et exigence de la famille, conduit parfois à des situations « hallucinantes » (18).
L’accès au téléphone est tout aussi complexe. A l’époque des seuls téléphones fixes, les appels n’étaient possibles que par l’intermédiaire des infirmiers et à certains horaires pour respecter une organisation cohérente des soins. Avec les téléphones portables, les patients retrouvent leur liberté d’appeler, ce qui soulage le travail des infirmiers [...] en apparence. Car les cordons électriques pour recharger les batteries étant susceptibles d’être utilisés pour une tentative de pendaison par le patient lui-même ou par un autre patient, le bureau infirmier devient parfois une véritable centrale de recharge des portables. Enfin, dans un esprit soignant, on ne peut décemment pas laisser un patient désinhibé lors d’une crise maniaque par exemple (cf. supra, chapitre I, section 1, § 3, A) « exploser » son forfait (19) en téléphonant vingt fois par jour à son entourage qui risque de se sentir quelque peu harcelé ou en se laissant emprunter voire voler son téléphone par des patients dans le besoin, peu scrupuleux ou ayant eux-mêmes une restriction concernant le téléphone. Bien entendu, tout patient quel que soit son état conserve le droit absolu d’entrer en communication avec certaines personnes chargées du contrôle des libertés et il n’existe aucune restriction concernant les courriers (20) (cf. infra, chapitre III, section 1, §1, D).
Le port du pyjama ne choque pas dans les hôpitaux généraux mais il revêt un caractère stigmatisant en psychiatrie du fait que les patients sont invités à sortir de leur chambre. Il rappelle aussi le temps de l’asile où les patients devaient laisser leurs vêtements personnels au vestiaire et ne porter que la tenue fournie par l’institution, institution sommée par les autorités d’éviter les « évasions ». Parfois, c’est le patient lui-même qui préfère être en pyjama durant son hospitalisation.
Les consignes limitent la liberté des patients et il faut veiller à ce qu’elles correspondent à une raison médicale et non à une habitude ou à une systématisation de la prise en charge. Mais si elles sont adaptées à chaque patient, il faut aussi trouver une cohérence à l’échelle de l’unité d’hospitalisation afin que les patients ne se sentent pas traités différemment. Une exception concerne les consignes des détenus hospitalisés : le téléphone, les visites, les sorties et même le courrier, relèvent du pouvoir judiciaire, et il est vivement conseillé aux soignants de s’informer auprès du greffe de l’établissement pénitentiaire d’origine afin de ne pas commettre d’impair.
Chaque consigne est source potentielle de grief entre patients et équipe, surtout si elle est mal comprise. A partir d’un seul élément, un patient s’estimant lésé ou incompris peut aller jusqu’à remettre en cause son hospitalisation et saisir le juge des libertés et de la détention à cette fin alors que la commission des relations avec les usagers est une instance de conciliation visant à améliorer la qualité de la prise en charge dans son intégralité (cf. A savoir aussi, p. 91).
d. Les soins proprement dits
Quant aux soins en hospitalisation complète, ils sont de même nature que ceux qui sont utilisés en hospitalisation libre et en ambulatoire, exception faite de deux mesures qui participent à l’image péjorative de la psychiatrie mais qui peuvent être nécessaires.
L’isolement consiste à confiner un patient dans sa chambre – ou dans une chambre dédiée à cet usage – afin de l’écarter des autres patients. Contrairement à ce qu’annonce l’IGAS (21), il se pratique dans d’autres disciplines médicales (en cas d’infection contagieuse, après une greffe, etc.) et l’ANAES – devenue la Haute Autorité de santé – précise en 1998 les indications en psychiatrie (22) : prévention d’une violence imminente de la part du patient, prévention d’un risque de rupture thérapeutique, isolement à la demande du patient, dans le cadre d’un programme thérapeutique ou pour le soustraire aux stimulations extérieures. En 2005, la Haute Autorité de santé (23) établit un guide de l’isolement en psychiatrie, et très récemment la Cour des comptes (24) recommande d’harmoniser la conception, la répartition et l’emploi des chambres d’isolement car leur utilisation lui est apparue très variable malgré les recommandations de l’ANAES (25) et de la HAS et elles peuvent parfois servir de simple chambre (en laissant la porte ouverte) en l’absence de lit disponible. Quant à la contention physique, elle est le fait de maintenir un patient afin de limiter ses mouvements. En général, il s’agit de liens fixés au lit et qui maintiennent deux à quatre de ses membres. Elle existe aussi dans d’autres disciplines que la psychiatrie comme les services de réanimation et de gériatrie. D’ailleurs, il est d’usage de respecter les recommandations de l’ANAES alors que celles-ci ne concernent que les patients de plus de 65 ans et que la contention lors de troubles mentaux non liés à l’âge est exclue de ce travail.
Ces deux mesures sont distinctes. Historiquement, l’isolement est venu se substituer à la contention en permettant de gérer un patient en crise sans l’attacher. Et quand l’isolement ne suffit pas, la contention peut être associée. Enfin, un patient maintenu en psychiatrie est forcément mis en isolement dans une chambre afin de le protéger des autres patients. Ces mesures ne se font que sur prescription médicale préalable ou dans l’heure de leur mise en place. Elles requièrent une surveillance accrue du patient car elles peuvent être délétères ou dangereuses (complication d’un alitement forcé, blessure au niveau des liens, nécessité d’une libération rapide en cas d’incendie, etc.). Le but de ces mesures est thérapeutique car elles visent à canaliser l’impulsivité ou l’agitation d’un patient en crise. C’est parfois le patient lui-même qui, en préventif, demande à être isolé dans sa chambre voire à être maintenu. Il ne s’agit pas de masochisme (ce qui serait une contre-indication) mais d’une demande d’aide après prise de conscience qu’il risque d’être débordé par ses troubles. Dans ces cas-là, un entretien et/ou un médicament d’appoint lui sont d’abord proposés pour éviter d’aller jusqu’à ces mesures. Il ne s’agit pas non plus de sadisme de la part des soignants (ce qui serait contraire à l’éthique) mais bien de protéger le patient, les autres patients, les visiteurs et les soignants contre des troubles du comportement en cours ou imminents. C’est pourquoi ces deux mesures sont souvent perçues comme sécuritaires plutôt que thérapeutiques. En tout cas, elles ne doivent pas venir pallier un manque de personnel soignant ou servir de « sanction » et le vécu du patient (stress, pertede liberté voire de dignité) doit être pris en considération.
Enfin, ces mesures ne sont pas réservées aux hospitalisations sans consentement. Elles se prennent en urgence souvent, quel que soit le mode de placement du patient. En revanche, le patient et son entourage doivent en être informés, elles doivent durer le moins longtemps possible et si elles devaient se prolonger, la mise en place des formalités de soins sans consentement relatant la situation précise (26) est nécessaire dans les 24 heures.
e. Entre liberté, sécurité et... échecs
Entre gestion du quotidien, consignes et modalités de soins, l’hospitalisation complète est source de nombreuses restrictions potentielles à la liberté des patients. De ce fait, ces mesures ne doivent pas être systématiques mais réfléchies au cas pas cas, argumentées par l’état du patient et non par un manque de moyen, limitées au strict nécessaire afin de respecter la dignité du patient et, enfin, consignées dans le dossier médical. C’est leur systématisation ou l’absence d’argument thérapeutique qui violerait la liberté des patients. Un patient qui s’estime injustement traité a notamment la possibilité d’en faire part au représentant légal de l’établissement voire de saisir la commission des relations avec les usagers (cf. A savoir aussi, p. 91). Malgré tous ces efforts, l’IGAS (27) évalue le nombre annuel de fugues entre 8 000 et 14 000 pour les patients en soins sans consentement, et le nombre annuel d’« évasions » de l’ordre d’une quarantaine pour les détenus hospitalisés en psychiatrie. Elle estime que ce sont le confinement, la négation de la vie privée et l’utilisation abusive des chambres d’isolement qui augmentent le risque de fugue et d’agression « hautement prévisible ». A partir de cas référencés dans son enquête, mais où ne figure jamais le moindre élément clinique, l’IGAS établit 66 recommandations réaffirmant le droit des patients mais renforçant aussi l’aspect sécuritaire (contrôler les accès à l’hôpital au moyen de badges et de sas, éviter la mixité, prévoir des locaux vastes pour déambuler mais fermés pour éviter les sorties sans autorisation, etc.).
3. EN SOINS AMBULATOIRES AVEC PROGRAMME DE SOINS
La psychiatrie est habituée au suivi ambulatoire et certains éléments cliniques poussent effectivement à envisager un cadre plus strict de suivi. Cela dit, son application à la lettre lève plusieurs questions.
a. Les objectifs et les moyens d’un suivi ambulatoire
Les objectifs du soin ambulatoire en général, c’est-à-dire avec programme de soins ou non, sont de maintenir et de continuer à améliorer l’état psychique du patient et de lutter contre sa désocialisation, tout en surveillant d’éventuelles décompensations de sa maladie. Les moyens à disposition s’appuient à la fois sur le trépied bio-psycho-social (cf. supra, 1, a) et sur les différentes modalités de soins possibles (cf. supra, chapitre I, section 3, § 2, A). Un suivi médical posthospitalisation est proposé sous la forme d’un relais avec le médecin généraliste, un psychiatre libéral, un médecin de l’établissement d’accueil ou le secteur extrahospitalier de psychiatrie. En général, le suivi ambulatoire s’articule aussi avec le réseau médico-social.
b. Les arguments cliniques
Un patient peut toutefois nécessiter que la mesure de soins sans consentement prise lors de son admission se prolonge en ambulatoire. Certes, il s’est amélioré sinon son hospitalisation complète aurait été prolongée. Mais il est cliniquement admis que les ruptures de soins dans la schizophrénie par exemple aggravent l’évolution de la maladie. Dans son rapport sur la dangerosité psychiatrique, la HAS (28) recommande de ne « pas hésiter à recourir à des sorties d’essai (29) pour inscrire les patients dans des suivis ambulatoires au long cours » (recommandation n° 23). Elle sensibilise aussi sur le fait que durant les six mois suivant une hospitalisation (libre ou sans consentement) un suivi rapproché, sanitaire et social, est nécessaire (recommandation n° 24). Avant la réforme de juillet 2011, peu de travaux se sont en fait intéressés aux motivations des psychiatres à prolonger la mesure sans consentement en ambulatoire plutôt que de la lever. Une étude de terrain (30) de 2008 relève que la motivation est « de fixer un cadre thérapeutique à des patients n’ayant peu ou pas conscience des troubles et dont le consentement à prendre le traitement et à venir en consultation est partiel ou inexistant, en donnant aux psychiatres la possibilité de demander leur réintégration en cas de rupture de suivi et de décompensation de la maladie ». Cette étude indique aussi que plus de la moitié (51,3 %) des patients dans ce contexte bénéficient d’un traitement (neuroleptique) par injection retard, que 65,8 % sont atteints de schizophrénie et 15,8 % de troubles de l’humeur, et que plus d’un patient sur trois présente une comorbidité addictive à l’alcool ou au cannabis tandis que les troubles uniquement liés à l’alcool et les troubles de la personnalité sont rarement orientés vers ce type de prise en charge. Ces éléments correspondent à certains critères de dangerosité psychiatrique définis par la HAS en 2011.
c. L’application, tout un programme...
Le programme de soins poursuit le régime dérogatoire au consentement initié en hospitalisation complète car si la loi fait obligation au médecin d’informer le patient sur le contenu du programme, elle ne semble pas attendre de réponse de la part de ce dernier. Ce point est crucial car certaines modalités de soins requièrent clairement le consentement du patient dans leur règlement, comme l’hospitalisation à domicile par exemple... Le programme de soins risque de naviguer dans un univers potentiellement instable côté juridique mais logique côté sanitaire. A noter que les soins ambulatoires avec programme de soins échappent à tout contrôle du juge des libertés et de la détention.
Le programme de soins formalise, en quelque sorte, les mesures soignantes pour chaque sujet, comme un contrat par lequel le patient s’engagerait devant le médecin, et le médecin devant le préfet ou le directeur d’établissement. Car si en cas d’aggravation, le médecin a le réflexe de recourir à une hospitalisation (programme de soins ou pas), les cas de non-respect et de rupture de la part du patient, tout comme les modifications faites par le psychiatre, vont devoir être signifiés au préfet ou au directeur d’établissement suivant les cas. On sent bien pointer la question de la responsabilité professionnelle des soignants en cas de survenue d’un drame avec un patient – ou un psychiatre – qui n’aurait pas respecté le programme à la lettre.
Cela dit, la même question se posait pour les ex-sorties d’essai et les demandes de réintégration en intrahospitalier, faites par le psychiatre sous la forme d’un certificat, n’étaient pas toujours suivies d’effet avant le 1er août 2011 et ne le sont pas non plus depuis... C’est peut-être pour remédier à cette situation que le projet de décret d’application « relatif à la réinsertion sociale des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques » (cf. supra, A, 3, b) prévoit surtout d’établir par conventions les procédures à mettre en œuvre pour transporter le patient en urgence à l’hôpital.
IMPOSER UN MÉDICAMENT ?
Le fait qu’un patient soit en hospitalisation complète sans consentement ne décharge pas le médecin de l’informer et de recueillir son accord quant à la prescription d’un médicament. L’information doit être adaptée à l’état du patient, ce qui n’est pas toujours évident pour un patient en crise. Cependant, un tel patient qui refuserait systématiquement le traitement n’est logiquement pas prêt à sortir, à moins que son état ne s’améliore spontanément. Un grand travail des équipes soignantes est d’amener le patient à consentir à ce soin, et à tout ce qui l’accompagne, à travers les explications et la négociation.
Dans une situation d’urgence (agitation, risque imminent d’agressivité, etc.) (cf. supra, chapitre I, section 1, § 4, C, 1), une prescription médicamenteuse peut être imposée à un patient sans son consentement (injection intramusculaire en général) car il s’agit alors de mettre très rapidement en œuvre les moyens d’éviter de graves complications liées à son état (violences envers lui-même et/ou envers les autres). Aux urgences générales, on ne comprendrait pas qu’un médecin attende le consentement d’un patient dans le coma... Dans les situations d’urgence vitale, l’obligation de moyens dévolue aux médecins l’emporte sur l’abstention thérapeutique, qui pourrait être assimilée à de la non-assistance à personne en danger.
Enfin, l’indépendance professionnelle du médecin fait que ni le patient ni une loi ne peuvent lui imposer de prescrire tel ou tel médicament.
(1)
Le rapport Strohl, qui préconisait la création d’un seul statut d’hospitalisation sous contrainte, précisait que « ni du point de vue des pathologies génératrices des troubles mentaux, ni du point de vue des soins requis, ni du point de vue du pronostic à la sortie, les populations hospitalisées en hospitalisation d’office et celles en hospitalisation à la demande d’un tiers, voire même en hospitalisation libre ne diffèrent ».
(2)
USP : 52, rue Gallieni – 92240 Malakoff – Tél. 01 46 57 85 85 – site Internet : www.uspsy.fr
(3)
Tel est également le cas pour les personnes admises en soins psychiatriques par décision judiciaire dont le régime est identique, (cf. C. proc. pén., art. 706-135).
(4)
Blisko S et Lefrand G., « Rapport d’information sur la mise en oeuvre de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », n° 4402, Assemblée nationale, février 2012, p. 56.
(5)
Conclue entre le directeur de l’établissement de santé, le préfet de département, les représentants des collectivités territoriales et leurs groupements compétents sur les territoires de santé correspondants et le directeur général de l’agence régionale de santé.
(7)
Le programme interministériel santé-justice prévoit 17 UHSA sur tout le territoire français, totalisant 705 lits (source ministère de la Justice et des Libertés).
(8)
A moins que le certificat de 24 heures ait conclu que l’état de la personne ne justifiait plus la mesure de soins (cf. infra, section 3, § 2, A, 2).
(9)
La notion de jours francs et de délais est appréciée au vu des dispositions du droit administratif.
(10)
Auriacombe M. et al., « L’électroconvulsivothérapie : un traitement qui reste d’actualité », La Revue du praticien, Médecine générale, 2000, tome 14, n° 501, pp. 1043-1050.
(11)
C’est-à-dire qui ne s’est pas améliorée malgré plusieurs médicaments bien conduits.
(12)
Pour la même raison, un médecin prescrivant un arrêt de travail en ambulatoire pour motif psychiatrique a tendance à accorder des horaires libres de sorties autorisées, ce que la Sécurité sociale n’apprécie pas toujours.
(13)
Chapireau F., « Les personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998 et en 2000 », DREES, préc.
(14)
Circulaire n° DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/ SD4A/2006/90 du 2 mars 2006, NOR : SANH063011C, disponible sur circulaire.legifrance.gouv.fr
(15)
Le pourcentage des patients ayant « l’interdiction de sortir » est de 31 % dans les services de longue durée des établissements hospitaliers, de 24 % en psychiatrie, de 17 % en établissement pour personnes âgées et de 12 % en établissement pour adultes handicapés. In Chapireau F., « Les personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998 et en 2000 », préc.
(16)
La population des cliniques privées et des foyers de post-cure « a moins souvent l’interdiction de sortir » que celle des hôpitaux psychiatriques. In Chapireau F., « Les personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998 et en 2000 », préc.
(17)
Fédération hospitalière de France et ANAES, « Liberté d’aller et venir dans les établissements sanitaires et médico-sociaux, et obligation de soins et de sécurité », Conférence de consensus, novembre 2004.
(18)
Un homme exige de voir son frère hospitalisé en urgence pour un premier épisode délirant. Le patient souhaite aussi le voir mais « pas dans cet état ». La visite se déroule alors avec un patient assis sur son lit et qui s’est dissimulé sous un drap tel un fantôme... Le frère est rassuré mais plutôt par la rencontre avec l’équipe que par la bizarrerie encore manifeste du patient. Epilogue : le patient va mieux, il poursuit ses soins en ambulatoire et son frère est devenu un allié thérapeutique dans la prise en charge.
(19)
Ce qui risque de lui coûter cher alors que les soignants doivent penser à protéger ses intérêts.
(20)
Un patient présentant une graphorrhée (besoin impérieux d’écrire) risque d’écrire et de diffuser des choses incohérentes qu’il va probablement regretter une fois la crise résolue. Cependant, même si le patient en fait part aux soignants, il n’y a pas de possibilité légale de l’en empêcher, juste la tentative de l’en dissuader en lui expliquant son état actuel et l’amélioration recherchée.
(21)
Lalande F. et Lépine C., « Analyse d’accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter », rapport IGAS, mai 2011, p. 51.
(22)
ANAES, « L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie », Evaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé, juin 1998.
(23)
HAS, « Critères d’évaluation des pratiques, Isolement en psychiatrie, Troubles mentaux et comportementaux », 2005, non disponible.
(24)
Cour des comptes « L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan Psychiatrie et santé mentale 2005-2010 », rapport public thématique, décembre 2011.
(25)
ANAES, « Limiter les risques de la contention physique de la personne âgée », Evaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé, octobre 2000.
(26)
Un patient en audience devant le juge des libertés et de la détention : « On m’a attaché, je suis puni car je m’étais échappé. » Le patient omet cependant de dire au juge qu’il a blessé trois infirmiers pour s’échapper. Ce détail figurait dans son dossier médical mais pas sur le certificat médical à destination du juge...
(27)
Lalande F. et Lépine C., « Analyses d’accidents en psychiatrie et propositions pour les éviter », préc.
(28)
Haute Autorité de santé, « Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur », audition publique, rapport d’orientation et recommandations de la commission d’audition, mars 2011.
(29)
Loi du 27 juin 1990 à l’époque.
(30)
Couhet G., Cochez F., Mériglier L. et Verdoux H., « Etude descriptive de la pratique des sorties d’essai d’hospitalisation d’office dans le département de la Gironde », L’information psychiatrique, vol 84, n° 8, octobre 2008, pp. 753-759.