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LES CONSÉQUENCES DES MALADIES PSYCHIATRIQUES

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Selon l’Organisation mondiale de la santé, les maladies mentales se classent au troisième rang des maladies en termes de prévalence et sont responsables du quart des invalidités. Elles affectent une personne sur cinq chaque année et une sur trois si l’on se réfère à la prévalence sur la vie entière. L’OMS retient cinq maladies mentales parmi les dix pathologies les plus préoccupantes pour le XXIe siècle (schizophrénie, trouble bipolaire, addiction, dépression et trouble obsessionnel compulsif) (1). En France, avec 900 000 personnes en 2004, les troubles psychiatriques sont en quatrième position en termes de fréquence dans le dispositif des affections de longue durée (ALD) (2), juste après les maladies cardiovasculaires, les cancers et le diabète. En revanche, ils sont la première cause d’ALD pour les personnes de moins de 45 ans.
C’est dire l’importance des conséquences des maladies psychiatriques à l’échelle mondiale ou nationale. Après un aperçu des conséquences possibles pour les patients et leur entourage, il est important d’en aborder deux qui ne concernent pas tous les patients mais qui sont essentielles en matière de soins psychiatriques sans consentement : d’une part, la difficulté à consentir et, d’autre part, la question des comportements dangereux.


A. DE LOURDES CONSÉQUENCES



1. POUR LES PATIENTS

Pour le patient, les conséquences sont nombreuses et diverses car liées au type de trouble qui l’atteint mais aussi à l’évolution, sur un mode aigu ou chronique, de ce trouble (cf. supra, section 1, § 3). La manifestation clinique peut en effet être une simple angoisse passagère ou une tentative de suicide aboutissant à la mort, en passant par une perte d’autonomie temporaire ou par un handicap définitif. On peut assez facilement imaginer ce qu’une « perte de contact avec la réalité », comme dans une crise psychotique (cf. supra, section 1, § 2, B), peut entraîner sur le moment : risque de réagir violemment (en cas de délire contrarié par exemple) mais aussi risque de se faire abuser ou de se faire manipuler. Le sujet dans son monde, avec sa réalité interne, évolue dans notre réalité et peut se retrouver soit en situation de danger, soit en situation de créer un danger.
Souvent oublié, ce fragile équilibre, entre vulnérabilité potentielle et dangerosité potentielle, est inscrit depuis longtemps dans notre droit.
Sur un plan civil, la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle (3) sont des mesures visant à protéger les personnes en incapacité par exemple intellectuelle. Et cela dans un but d’éviter la banqueroute d’un patient souffrant d’achats inconsidérés comme dans l’accès maniaque (cf. supra, section 1, § 3) ou d’annuler un testament signé par quelqu’un qui ne serait plus en capacité.
Sur un plan pénal, le malade mental peut être victime ou auteur d’une infraction. La vulnérabilité apparente d’une victime constitue une circonstance aggravante pour l’auteur des faits. De même, il existe une dérogation au secret médical en cas de violence sur un majeur protégé (C. pén., art. 226-14). Quant au malade mental auteur d’une infraction, il bénéficie d’un régime particulier concernant sa responsabilité pénale, déterminée à partir d’une expertise cherchant à établir son discernement au moment des faits. Cette expertise n’est obligatoire qu’en matière de crime et d’infraction sexuelle, ce qui laisse de côté bon nombre d’infractions et qui peut expliquer en partie la proportion importante de détenus présentant des troubles mentaux (cf. supra, section 1, § 5).
Ces questions relevant de l’existence humaine, elles suscitent forcément des débats au cas par cas, et la question des soins psychiatriques sans consentement n’échappe pas à cette règle.
Quant au handicap des patients psychiatriques, sa version psychique n’est reconnue que depuis la loi du 11 février 2005 (4) pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Elle se distingue du handicap mental dans lequel la déficience est intellectuelle, plutôt stable et relevant du secteur médico-social plus que du secteur sanitaire. Dans le handicap psychique, les facultés intellectuelles ne sont pas atteintes mais c’est leur utilisation qui fait défaut (difficultés de concentration ou d’établir des relations par exemple). La nomenclature de l’Organisation mondiale de la santé de 1980 mettait l’accent sur le désavantage social pour mieux distinguer le handicap de la déficience (aspect lésionnel) et de l’incapacité (aspect fonctionnel) (5). Handicap et maladie ne sont pas synonymes, le désavantage social sera différent chez deux patients pourtant atteints d’une même maladie. Il en est de même pour la maladie et l’incapacité, c’est-à-dire que deux patients ayant la même maladie n’auront pas forcément le même degré d’incapacité, notamment à consentir (cf. infra, C).
Il existe différentes classifications visant à évaluer le degré de handicap, et c’est la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) qui gère toutes demandes le concernant : reconnaissance, allocations, etc. (6).
Repérée depuis longtemps (7), la mortalité des malades mentaux hospitalisés est trois fois supérieure à celle de la population générale. Cette surmortalité concerne les morts violentes (comme le suicide) mais aussi les morts dites naturelles comme les décès liés aux maladies cardiovasculaires et respiratoires. Elle serait plus marquée chez les patients hospitalisés longuement ou pour ceux qui vivaient en institution avant leur hospitalisation en psychiatrie (8). Ce constat alarmant a récemment été qualifié de « scandale » des pays à hauts revenus (9) car il ne constitue pas une priorité des pouvoirs publics. On se dit peut-être que le psychiatre hospitalier est censé veiller à l’état de santé physique de ses patients mais sérieusement, en dehors d’une urgence, combien d’assurés sociaux sains d’esprit confieraient leurs problèmes de santé à un psychiatre ? Un début de réponse est apporté par la loi du 5 juillet 2011 qui, durant la période d’observation (cf. infra, chapitre II, section 2, § 1, B), instaure un examen somatique obligatoire dans les 24 heures pour les patients admis sans consentement mais on peut s’étonner que cela ne concerne pas l’ensemble des patients admis en psychiatrie.
Enfin, les pathologies psychiatriques sévères exposent souvent les patients aux comorbidités d’abus ou de dépendance (tabac, alcool, cannabis) à l’isolement social et la précarité par des faibles ressources, un faible accès au logement et au travail adapté, ainsi qu’à la stigmatisation. Un autre lourd tribut payé par les patients psychiatriques concerne les soins surtout chroniques, qui peuvent leur paraître au pis contraignants, au mieux ritualisés. Les mesures de soins sans consentement ne sont pas toujours comprises, même a posteriori (cf. infra, B). La nécessité d’un traitement médicamenteux souvent au long cours n’est pas forcément bien vécue, d’autant plus qu’il peut exister des effets indésirables lourds qui mettent alors l’observance du traitement à rude épreuve.


2. POUR L’ENTOURAGE

Soumis aux diverses manifestations, allant de la simple bizarrerie à la violence en passant par le retrait dépressif, la consommation de toxique, la détérioration intellectuelle..., en fonction du trouble, l’entourage du patient se sent logiquement démuni voire incrédule au début des troubles. Un cheminement est en effet nécessaire, qui comporte par exemple l’acceptation de la maladie, le deuil de certaines capacités mais aussi la compréhension des troubles et de leurs soins.
La prise de conscience est parfois brutale lorsqu’une personne, accompagnant pour la première fois un proche en souffrance aux urgences, se voit proposer de signer une demande de tiers (cf. infra, chapitre II, section 1, § 1, A, 1) du fait que le patient nécessite des soins et qu’il en refuse le principe. Ce cheminement prend du temps, qui est parfois rattrapé par une urgence et il est de plus en plus souvent accompagné, au travers de la personne de confiance, des programmes de « psychoéducation » qui s’adressent aussi à l’entourage, et surtout des associations de patients ou de famille de patients (comme la Fnapsy et l’Unafam).


B. UN VÉCU MITIGÉ DE L’HOSPITALISATION SANS CONSENTEMENT

Alors qu’il permet à la personne d’accéder aux soins, le principe des soins sans consentement n’est pas forcément apprécié par le patient ni parfois par son entourage. Si cela est compréhensible dans le contexte soudain de l’urgence, ce vécu négatif peut malheureusement se prolonger dans le temps, même après une nette amélioration clinique reconnue par tous. On peut en effet redouter que la mesure contraignante compromette la coopération future du patient au projet de soin. Mais on peut aussi parier que le patient, une fois soulagé, comprendra le bien-fondé de la mesure et sera rassuré de savoir que, malgré la maladie et les périodes de crise, des décisions sensées et adaptées sont prises pour l’aider et le protéger.
Les deux cas de figure existent en pratique puisque certains patients se montrent méfiants ou peu coopérants dans le suivi posthospitalisation tandis que d’autres demandent spontanément à être réhospitalisés, parfois après plusieurs années d’allers et retours en hospitalisation à la demande du préfet ou à la demande d’un tiers. La HAS recommande aux professionnels de veiller à réduire, autant que faire se peut, les conséquences d’une mesure sans consentement (10).


C. LA QUESTION DU CONSENTEMENT

En médecine, dans le contrat tacite liant patient et médecin, l’obtention d’un consentement libre et éclairé, après délivrance d’informations adaptées, est la règle avant tout acte médical (C. santé publ., art. L. 1111-4). Et pour qu’un acte médical soit réalisé, il faut aussi que l’acte soit justifié par l’état du patient. Dans les situations d’urgence, le consentement n’est pas toujours possible (des patients dans le coma par exemple), des gestes d’urgence peuvent alors être pratiqués si le pronostic vital immédiat est engagé. Dès que le patient recouvre la conscience ou que le danger immédiat est écarté, le médecin doit s’attacher à rechercher son consentement ou à s’entretenir avec la personne de confiance du patient pour la suite des soins.
Ce déroulement paraît logique mais fait parfois l’objet de contentieux, comme dans le cas de transfusion sanguine en urgence de patients témoins de Jéhovah (11). C’est le débat entre non-assistance à personne en péril avec obligation de moyen d’une part, et violation des droits du patient et de sa liberté à disposer de lui-même d’autre part.
Très ponctuel en médecine, ce débat est pluriquotidien en psychiatrie hospitalière car le psychisme se retrouve à la fois support du consentement et objet du soin. Cette particularité est de taille car elle génère une sorte de suspicion systématique sur le bien-fondé ou la forme des décisions qui vont être prises pour des personnes réputées vulnérables, ce qui conduit à l’organisation de multiples mesures de contrôle (cf. infra, chapitres II et III). Aussi, cette particularité peut interroger sur la compréhension véritable des informations délivrées ou sur la rationalité d’un consentement donné ou refusé (12). Un patient a le droit de refuser les soins mais si sa capacité à consentir aux soins peut être mise en doute, sa capacité à les refuser aussi. Ces interrogations nécessitent forcément du temps pour être étudiées puis confirmées ou levées, et la loi du 5 juillet 2011 a créé une période d’observation possible de 72 heures. Elle permet d’éliminer une cause organique par un examen somatique rendu obligatoire dans les 24 heures... en espérant cependant que le patient y consente. Elle permet aussi d’évaluer plus finement la conscience du trouble (13), la capacité à consentir et, in fine, si l’état de la personne nécessite vraiment une hospitalisation ou si une alternative peut être envisagée. Cela ne se fait pas toujours en un seul examen, mais cela constitue le véritable travail du médecin hospitalier qui évalue le rapport bénéfice-risque des soins pour le patient mais aussi pour la société, à la fois en termes de sécurité sociale et de sécurité publique, tout en, il faut aussi le souligner, gérant le manque chronique de lits (14).
En ne précisant pas les pathologies concernées par l’incapacité éventuelle à consentir, le législateur n’écarte aucun diagnostic a priori. De fait, la répartition des diagnostics en fonction des modes de placement (cf. supra, section 1, § 4, C, 2) montre que toutes les catégories diagnostiques sont représentées dans l’hospitalisation sans consentement. Au premier rang figurent les troubles psychotiques pour lesquels la perte de contact avec la réalité est un symptôme courant du diagnostic (cf. supra, section 1, § 2, B). Cependant, tous les patients psychotiques ne nécessitent pas une hospitalisation, notamment sous contrainte, et tous n’ont pas la même incapacité à consentir.
Si certains symptômes aigus (cf. supra, section 1, § 4, C, 1) aident à la décision d’hospitalisation sans consentement, il existe des situations plus complexes. C’est le cas des troubles de la personnalité et des troubles mentaux liés aux toxiques par exemple, où l’on ne relève pas de perte de contact avec la réalité. C’est le cas aussi du consentement fluctuant. En pratique, le patient accepte la prise en charge, ce qui permet de lever la mesure sans consentement, mais se ravise et demande à sortir sur-le-champ. Ce peut être le fait de patients hospitalisés en urgence pour des troubles majeurs du comportement lors d’une intoxication aiguë et qui font mine d’accepter les soins pour se substituer au plus vite à ce sevrage par la force des choses. Mais le consentement fluctuant peut aussi être le symptôme d’une pathologie psychotique ou d’un trouble de l’humeur notamment bipolaire, dont on connaît le caractère immotivé pour l’un et labile pour l’autre.
La littérature anglo-saxonne évalue la capacité à consentir à partir de la conscience du trouble, de l’hospitalisation et de ses modalités. Cette manière serait difficilement transposable en France et la HAS (15) recommande alors d’évaluer la capacité à consentir à partir de cinq dimensions : capacité à recevoir une information adaptée, capacité de compréhension et d’écoute, capacité de raisonner, capacité d’expression libre de décision, capacité de maintien de la décision dans le temps. Cependant, elle ne précise pas s’il faut que tous les critères soient réunis pour considérer que la personne est consentante.
Un patient a le droit de changer d’avis et de retirer son consentement à tout moment, ce qui doit entraîner de nouvelles informations et explications sur le trouble repéré et les soins proposés de la part du médecin. Mais le problème ici est celui du changement sur des intervalles de temps très courts, trop courts en fait pour permettre d’entreprendre réellement les soins ou pour constater une évolution sensible de l’état psychique. Le consentement valable doit être cohérent dans une durée raisonnable, durée elle-même en cohérence avec la sévérité et l’évolution des troubles qui sont appréciées au cas par cas.
S’il n’est pas illimité, le consentement aux soins n’est pas non plus un forfait, par lequel le patient qui a dit oui aux soins se serait abonné à dire oui à tout. Le consentement peut en effet porter sur le principe de l’hospitalisation ou sur celui des médicaments proposés ou encore sur celui des « consignes médicales » (cf. infra, chapitre II, section 2, § 2, C, 2, c) décidées à partir de l’état du patient mais qui doivent aussi veiller au respect de ses droits.
Enfin, dans le cas d’un majeur sous tutelle, le consentement préalable du tuteur n’est pas obligatoire pour une mesure en urgence de soins sans consentement, afin de ne pas empêcher le patient de recevoir les premiers soins. Mais le médecin doit informer de manière adaptée le patient, rechercher sinon son consentement du moins sa participation aux soins, et prévenir le tuteur le plus rapidement possible.


D. LA QUESTION DE LA DANGEROSITÉ



1. UN CONCEPT REGROUPANT DES COMPORTEMENTS POTENTIELS TRÈS VARIÉS

La dangerosité n’a pas de définition concrète et absolue. Elle est liée au temps : elle fluctue avec le sentiment d’insécurité d’une société, on l’évoque au présent, pour pronostiquer le futur mais c’est toujours après que l’on fait un diagnostic d’évidence. Est dangereux ce qui constitue une menace pour la sûreté des personnes ou des biens. La dangerosité est souvent assimilée au risque de violence dont les manifestations sont nombreuses en nature et en gravité. Il peut s’agir de violence dirigée contre les autres, contre les biens ou contre soi-même aussi. Si une personne tente de se suicider chez elle par pendaison par exemple, elle n’est dangereuse a priori que pour elle-même mais elle peut aussi choisir le suicide au gaz de ville ou emporter ses proches dans son suicide (homicide altruiste), ce qui compromet alors la sûreté des autres.
On distingue classiquement la dangerosité psychiatrique de la dangerosité pénale ou sociale ou encore criminologique. Il existe un consensus (16) pour dire que la dangerosité psychiatrique est la « manifestation symptomatique liée à l’expression directe de la maladie mentale » tandis que la dangerosité criminologique concerne « l’ensemble des facteurs environnementaux et situationnels susceptibles de favoriser l’émergence du passage à l’acte ». C’est dans le premier cas que la question de l’irresponsabilité pénale trouve son fondement. Le terme de « dangerosité psychiatrique » n’apparaît pas en tant que tel dans la loi du 5 juillet 2011 qui utilise les termes de troubles mentaux compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public (cf. infra, chapitre II, section 1, § 2, A).


2. LE MALADE MENTAL, PLUS SOUVENT VICTIME QUE VIOLENT

L’amalgame entre malade mental et personne violente est très ancré dans l’imaginaire collectif. Près des trois quarts des personnes interrogées associent « folie » et « maladie mentale » à des « actes criminels ou violents » (cf. supra, section 1, § 1, B). On ne peut que constater que, tandis que la loi du 5 juillet 2011 judiciarise les soins sans consentement afin d’en contrôler le respect des libertés, de très nombreuses lois systématisent la psychiatrisation des actes de délinquance (17). La question de la dangerosité psychiatrique est ainsi polluée en permanence par celle de la dangerosité criminologique.
En matière de dangerosité psychiatrique, la stigmatisation est inversement proportionnelle au niveau de tolérance de la société envers ceux qui, de par leur pathologie, flirtent malgré eux avec les « normes ». Finis les gentils « fous du village » décalés mais tolérés, place aux « fous dangereux » de la République. La succession d’affaires dramatiques très médiatisées renforce l’impression que le mal se propage. Au point que notre pays s’est doté en 2008 d’une loi (18) qui fait cohabiter dans son intitulé la rétention de sûreté (prévue pour certains criminels considérés comme toujours dangereux à la fin de leur peine) et l’irresponsabilité pénale (qui concerne des personnes atteintes d’une maladie mentale qui a aboli leur discernement).
Pourtant, les malades mentaux sont plus souvent des victimes vulnérables que des agresseurs dangereux. En s’appuyant sur la littérature scientifique, la HAS (19) confirme qu’il existe une surestimation dans l’opinion générale du risque de comportement violent chez les personnes atteintes de troubles mentaux puisque seulement 3 à 5 % des actes violents seraient le fait de ces personnes. La violence dans notre société est donc, dans l’immense majorité des cas, le fait de personnes non malades mentales. A l’inverse, les personnes souffrant de troubles mentaux sont 7 à 17 fois plus fréquemment victimes de violence que la population générale.
Pour autant, il est reconnu que la présence d’un trouble mental fait augmenter le risque de violence (20) et la HAS s’est concentrée sur la violence envers autrui (ou hétéro-agressivité) survenant dans les deux pathologies les plus fréquentes en psychiatrie (21). Bien que très différents par leur nature (cf. supra, section 1, § 3), la schizophrénie et les troubles de l’humeur auraient les mêmes proportions de manifestations hétéro-agressives, et les patients qui en sont atteints sont 4 à 7 fois plus souvent auteurs de violences que les personnes indemnes de trouble mental. A partir de données scientifiques, la HAS isole des facteurs de risque communs aux troubles psychotiques et aux troubles de l’humeur, correspondant à des caractéristiques sociodémographiques (homme de moins de 40 ans, faible niveau d’éducation, célibat, précarité sociale), à des antécédents (violences agies et/ou subies, retard mental, etc.), à des facteurs contextuels récents (victime de violence, divorce et/ou absence d’emploi dans l’année écoulée) et enfin à des critères liés aux soins (retard dans l’accès au soin, faible niveau d’insight, rupture de suivi, mauvaise observance médicamenteuse, insuffisance du suivi en posthospitalisation, etc.). Il existe aussi des facteurs de risque cliniques propres à chacun des deux diagnostics et il est admis que leur association à un trouble de la personnalité de type antisocial ou à un abus ou une dépendance à un toxique psycho-actif majore le risque de survenue de comportements violents (cf. encadré, p. 18).


3. UN DIAGNOSTIC PRÉDICTIF EN PLEIN DÉBAT MÉTHODOLOGIQUE

La grande question porte sur le choix et la fiabilité de la technique d’évaluation de la dangerosité psychiatrique. Plusieurs approches s’affrontent, parfois avec passion, au point de s’inviter dans le débat politique actuel portant sur l’évaluation de la dangerosité criminologique (22) : d’un côté, les partisans du jugement clinique ; de l’autre, ceux de la méthode actuarielle. Le même débat clinique existe en matière de dangerosité psychiatrique.
Le jugement clinique non structuré est une évaluation clinique libre, qui s’appuie sur la réflexion de l’observateur, en lien avec les concepts théoriques auxquels il adhère et qu’il a l’habitude de pratiquer. Cette approche réflexive, qui va tenter d’inscrire le risque dans la singularité de la personne, est liée à l’expérience de l’observateur mais possède aussi une part de subjectivité. La réponse (dangereux ou pas) est binaire (oui ou non).
Le jugement clinique structuré est également centré sur la personne, sur ce qui la constitue et sur ce qui l’entoure, mais il appuie son avis sur des facteurs connus, qu’ils soient facteurs de risque et facteurs de protection, pour déterminer le risque qui peut être faible, modéré ou élevé.
Les différentes échelles actuarielles s’appuient sur des combinaisons de critères de risque qui sont pondérés statistiquement. Elles déterminent la probabilité (inconnue) pour une personne en comparaison à l’évolution (connue) d’un groupe de personnes semblables. La réponse est un chiffre statistique de pourcentage de risque suivant le format « entre X % et Y % de risque à Z années ». En fonction des échelles, sont pris en considération des critères statiques (non modifiables) ou dynamiques (évolutifs) ou encore stables (évolutifs mais à long terme) et aigus (changeants très rapidement).
L’approche statistique est qualifiée d’impersonnelle car, en la comparant à d’autres, elle fait abstraction de la personne évaluée et de ses ressources personnelles. Une telle approche existe déjà en médecine, en cancérologie par exemple où l’on parle de taux de survie (de X % à Y % après Z années). Est-ce à dire que les cancérologues sont capables de prédire la date précise de l’issue fatale ? Les résultats statistiques permettent d’avoir une idée mais ne permettent de déterminer ni si quelque chose va se produire vraiment ou non, ni où, quand, comment et pourquoi cela se passerait... Si certaines échelles sont validées, elles le sont dans un cadre ? restreint et il faut être vigilant et rigoureux sur leur utilisation. Une échelle validée pour des hommes majeurs ne pourra être appliquée à une adolescente à problème... quitte à faire entrer la science (statistique) dans les comportements humains, autant le faire correctement.


4. DE LA PRISE EN COMPTE À LA PRISE EN CHARGE

Quelle que soit la méthode utilisée, l’évaluation de la dangerosité ne donne qu’une idée et n’a d’intérêt que si l’on peut y apporter des réponses graduées et dynamiques en termes de soins car la dangerosité a plusieurs niveaux et fluctue chez une même personne. Les personnes malades qui commettent des actes violents sont en fait peu nombreuses en valeur absolue car il s’agit assez souvent des mêmes patients. A défaut de pouvoir prévoir un acte isolé, inattendu ou immotivé, les soins doivent prendre en compte ces comportements répétitifs, non pas pour les stigmatiser mais pour définir une prise en charge adaptée. La HAS recommande par exemple un suivi psychiatrique plus soutenu les six mois suivant une hospitalisation complète, suivi qui s’attache à lutter contre les comorbidités (toxiques et trouble de la personnalité) et à dépister les signes d’alerte qui sont propres à la pathologie mais aussi propres au patient. Un travail avec le patient sur les violences agies ainsi que sur les violences subies peut être pertinent, comme pour désamorcer un cycle dans lequel il se serait inconsciemment inscrit. Une aide peut être apportée par l’entourage du patient, qu’il s’agisse de sa famille ou des aidants sociaux en relation avec lui.
En cas d’« alerte », le renforcement du suivi ambulatoire et l’hospitalisation si nécessaire (avec ou sans consentement) voire en UMD (cf. encadré, p. 31) sont des outils adéquats pour tenter d’enrayer un risque de passage à l’acte qui se précise. L’objectif n’est pas tant de protéger la société que de protéger le patient contre les mauvais tours que sa maladie peut lui jouer et qui peuvent le conduire à commettre l’irréparable, pour lui et pour autrui. Dans la même optique, après une hospitalisation sans consentement, la HAS (2011) recommande de « ne pas hésiter à recourir à des sorties d’essai pour inscrire les patients dans des suivis ambulatoires au long cours » (recommandation n° 23) afin d’éviter la rupture des soins qui est un facteur de risque. Cependant la même année, la réforme portée par la loi du 5 juillet 2011 a supprimé ces « sorties d’essai » et a instauré des soins ambulatoires avec programmes de soins (cf. infra, chapitre II, section 2, § 2, A, 2). Un état psychiatrique aigu peut rendre un patient dangereux et nécessiter alors sa « mise à l’écart » de la société pour qu’il reçoive les soins adaptés à son état, pour protéger à la fois le patient et la société tant que les soins n’ont pas encore donné de résultats. Cependant, le malade mental hospitalisé sans consentement, même potentiellement dangereux, devient aussi potentiellement vulnérable du fait de son état psychique et de la privation de liberté qui lui est imposée. Il faut donc réglementer son hospitalisation pour éviter d’éventuels abus sur sa personne et que ses droits soient respectés (cf. infra, chapitre III, section 1, § 1).
La régulation de la dangerosité psychiatrique participe en partie à la sécurité publique mais elle est surtout inscrite dans le code de la santé publique car il s’agit ici de maladies. Et on ne peut envisager une psychiatrisation systématique de tous les comportements dangereux ou violents de la société (dangerosité criminologique) car cela irait à l’encontre des principes éthiques et déontologiques du soin et car ce n’est pas l’essence de la psychiatrie dont le rôle est de faire la part entre ce qui relève de la maladie mentale et ce qui relève du « sujet-citoyen » (cf. supra, section 1, § 2).


(1)
Couty E., « Misions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie », rapport public, janvier 2009, p. 82.


(2)
Les ALD sont des maladies nécessitant un traitement prolongé et coûteux qui ouvre droit à une prise en charge complète pour ces soins sur la base du tarif de la sécurité sociale. Elles sont inscrites sur une liste établie par le ministre de la Santé.


(3)
André S., « La protection des majeurs vulnérables », Numéro juridique ASH, mars 2010, 2e éd.


(4)
Loi n° 2005-102 du 11 février 2005, JO du 12-02-05.


(5)
Cette approche de 1980 a été revisitée avec une nouvelle classification internationale en 2001, qui a notamment introduit la notion de facteurs environnementaux susceptibles d’influer sur le handicap.


(6)
Julien-Lecas A., « Les droits des personnes handicapées », Numéro juridique ASH, octobre 2009, 2e éd.


(7)
Casadebaig F. et Quemada N., « Mortality in psychiatric inpatients », Acta Psychiatrica Scandinavica, 1989, voL. 79, n° 3, pp. 257-264.


(8)
Chapireau F., « Les personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998 et en 2000 », DREES, préc.


(9)
Thomicrof G., « Physical health disparities and mental illness : the scandal of premature mortality », British Journal of Psychiatry, 2011, 199, pp. 441-442.


(10)
Haute Autorité de santé, « Modalités de prise de décision concernant l’indication en urgence d’une hospitalisation sans consentement d’une personne présentant des troubles mentaux », préc.


(11)
Pour illustrer : Conseil d’Etat, 16 août 2002, req. n° 249552, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(12)
Par exemple, le cas d’un patient délirant se sentant persécuté dans la cité et acceptant volontiers l’hospitalisation afin de ne plus être confronté à ses persécuteurs imaginaires. Il sera admis sur un mode libre mais son consentement repose entièrement sur son idée délirante.


(13)
Certains professionnels utilisent la notion d’insight dont le niveau est déterminé en fonction de la capacité à se reconnaître malade et à accepter les soins appropriés.


(14)
En matière de sécurité sociale, les praticiens sont fortement incités à diminuer les dépenses de santé (alternatives à l’hospitalisation, médicaments génériques, etc.) ; la sécurité publique renvoie, quant à elle, au cas de trouble à l’ordre public.


(15)
Haute Autorité de santé, « Modalités de prise de décision concernant l’indication en urgence d’une hospitalisation sans consentement d’une personne présentant des troubles mentaux », préc.


(16)
Fédération française de psychiatrie, « Expertise psychiatrique pénale », Audition publique et Recommandations, Haute Autorité de santé, janvier 2007.


(17)
Tendance à la systématisation des soins pénalement ordonnés – qui va à l’encontre de l’individualisation des peines – par le biais de l’obligation de soins (1958), de l’injonction thérapeutique (1970), de l’injonction de soins pour les infractions sexuelles (1998) et pour d’autres infractions (2005 et 2007), puis dispositions de sûreté comprenant des soins (2008).


(18)
Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental complétée par la loi n° 2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale.


(19)
Haute Autorité de santé, « Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur », audition publique, rapport d’orientation et recommandations de la commission d’audition, mars 2011.


(20)
Bénézech M., Le Bihan P. et Bourgeois M.-L., « Criminologie et psychiatrie », Encycl. Méd. Chir., Editions scientifiques et médicales Elsevier SAS, Paris, Psychiatrie, 37-906-A-10, 2002.


(21)
Le travail de la HAS ne porte que sur l’hétéro-agressivité, la question de l’auto-agressivité a été volontairement exclue de ce travail.


(22)
Projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, adopté définitivement par l’Assemblée nationale le 29 février 2012 (TA n° 872). Ce texte fait l’objet d’un recours devant le conseil constinutionnel.

SECTION 2 - LES CAUSES ET LES CONSÉQUENCES DE LA FOLIE

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