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LES PATIENTS HOSPITALISÉS EN PSYCHIATRIE

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Mais qui sont les personnes hospitalisées en psychiatrie ? Globalement, la recherche épidémiologique en santé mentale en France est assez pauvre. Les efforts statistiques nationaux portent surtout sur des indicateurs à visée économique et les éléments diagnostiques sont assez sommaires, comme le constate l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé (1).
A.LEUR NOMBRE
En 2009 (2)
« Le panorama des établissements de santé - édition 2011 », DREES, préc.
, les hospitalisations temps plein en psychiatrie ont représenté environ 30 % de l’activité, loin derrière les 70 % de soins ambulatoires, autrement dit l’ensemble des soins effectués en dehors de toute hospitalisation complète. Il y a eu 592 379 hospitalisations complètes. Cela représente les admissions et non les patients car des personnes ont pu être hospitalisées à plusieurs reprises durant l’année étudiée. Parmi ces entrées, un peu plus de 87 % étaient sur un mode libre et moins de 13 % étaient sans consentement. Il y a eu ainsi une hospitalisation sur décision du préfet pour un peu plus de cinq hospitalisations à la demande d’un tiers et plus d’une quarantaine d’hospitalisations libres.
Les chiffres varient d’une année sur l’autre mais aussi selon que l’on se place sur une période donnée (comme une année) ou à un instant précis. Une étude (3)
Le Fur P., Lorand S., Lucas-Gabrielli V. et Mousquès J., « Les hospitalisations sans consentement en psychiatrie : caractéristiques sociodémographiques et morbidité des patients », in La prise en charge de la santé mentale, Coldefy M. (coordonné par), coll. « Etudes et Statistiques » , La documentation française, novembre 2007, pp. 223 à 231.
portant sur un jour donné de janvier 2003 relève ainsi que les hospitalisations sans consentement représentent au moins un cinquième des hospitalisations.
Le bilan sur l’année 2009 indique un taux national de 154 mesures de soins sans consentement pour 100 000 habitants de plus de 20 ans et il existe de grandes disparités d’un département à l’autre, allant du simple au quintuple. Cependant, contrairement à l’idée reçue, au fantasme même, que la psychiatrie française aurait tendance à recourir trop facilement aux soins sans consentement, le taux français est parmi les plus bas d’Europe. Il est, par exemple, 2,4 fois inférieur au taux suédois (4).


B. LEURS CARACTÉRISTIQUES SOCIODÉMOGRAPHIQUES

Selon la DREES (5), comparée à la population générale, la population hospitalisée en psychiatrie est majoritairement composée d’hommes (56 % contre 49 %), de 20 à 59 ans, le plus souvent célibataires (61 % pour 28 % dans la population générale). Ils sont rarement mariés (18 % contre 56 %) et plus souvent divorcés (12 % contre 7 %). Moins d’une personne sur deux a obtenu un diplôme contre huit personnes sur dix en population générale. Une personne sur cinq (19 %) ne saurait pas lire contre 4 % dans la population générale et presque deux personnes sur trois ont une reconnaissance d’incapacité. Près de deux personnes sur trois sont en dehors du marché de l’emploi et 40 % bénéficient de l’allocation aux adultes handicapés (AAH).
Comparés à ceux qui sont hospitalisés sur un mode libre, et d’après une autre étude (6), les patients hospitalisés sans consentement sont plus souvent des hommes (65,5 % contre 56,3 % pour les hospitalisations libres) et les hommes représentent même 81,8 % des hospitalisations à la demande du préfet. Les patients hospitalisés sans consentement sont plus jeunes en moyenne (42 ans contre 48 ans), sont plus nombreux à vivre seuls (39 % au lieu de 30 %) ou à être célibataires (68 % contre 64 %) et ceux qui ne vivent pas seuls habitent plus fréquemment chez leurs parents (21 % contre 11 %). En revanche, il n’est pas mis en évidence de différences concernant la fréquence des facteurs environnementaux associés à l’hospitalisation (difficultés avec le conjoint, les parents, solitude, exclusion, etc.) qui sont retrouvés chez environ un tiers des patients, quel que soit leur mode de placement.


C. LES TROUBLES CLINIQUES CONSTATÉS

Les troubles cliniques dont relèvent les patients hospitalisés en psychiatrie peuvent être présentés sous la forme des symptômes aigus susceptibles de relever d’un soin urgent sans consentement ou sous la forme des diagnostics, inégalement répartis suivant les différents modes d’hospitalisation possibles en psychiatrie.


1. LES SYMPTÔMES AIGUS

Les symptômes aigus comprennent les états d’agitation (7), la crise suicidaire, le délire aigu ou encore la crise d’angoisse pourvoyeuse du classique « raptus anxieux » (8).
En 2005, la Haute Autorité de santé (HAS) a validé des recommandations professionnelles portant sur les indications d’une hospitalisation sans consentement (9). Si ces indications sont posées à partir de symptômes manifestes plus que de véritables diagnostics psychiatriques, la HAS rappelle cependant deux principes fondamentaux.
Tout d’abord, certains troubles du comportement ne relèvent pas d’une hospitalisation sans consentement à moins qu’il n’existe des troubles mentaux sous-jacents (cas de l’incurie, qui est l’absence totale de soin de soi et d’hygiène) ou des antécédents (non précisés) de passage à l’acte ou un risque « prévisible » pour le patient ou autrui (cas de la prise d’alcool ou de toxique). Notons que la question complexe des troubles de la personnalité n’est même pas évoquée dans les recommandations.
Ensuite, plus que le diagnostic, c’est la prise en compte de critères de gravité qui permet de guider la décision d’une mesure d’hospitalisation en urgence voire sans consentement. Même le délire et les hallucinations ne justifient pas à eux seuls une telle mesure s’ils sont résiduels et n’entraînent pas de trouble du comportement par exemple. En revanche, la HAS cite des signes de gravité liés au degré d’adhésion et de vécu (avec notamment notion de passage à l’acte antérieur), au thème (persécuteur désigné, ruine, culpabilité, etc.), au mécanisme (idées ou actes imposés) ou à l’association avec un trouble du cours de la pensée, une prise de toxique, etc. L’évaluation d’un risque suicidaire doit être sensible à certains critères, notamment l’âge supérieur à 75 ans, la détermination du sujet, la planification du geste, l’accès immédiat à un moyen létal, l’isolement social, la permanence de la douleur morale, le sentiment d’incurabilité, le comportement agité ou, au contraire, trop calme, etc. Enfin, en plus du risque suicidaire, une sensibilisation est faite au sujet des troubles de l’humeur quant à la présence d’une exaltation maniaque ou d’un délire mégalomaniaque.
L’évaluation psychiatrique repose sur la clinique mais aussi nécessairement sur des observations de l’entourage, des forces de l’ordre ou de témoins, ce qui ne doit pas rendre pour autant influençable ou partiale la décision du clinicien. On perçoit alors toute la difficulté pour le psychiatre, pris entre influence extérieure et indépendance professionnelle, entre obligation de moyen et internement abusif (10), entre principe de précaution et non-assistance à personne en danger...
Finalement, un marginal désocialisé, qui serait alcoolisé et incurique, ne relève pas d’une hospitalisation sans consentement en l’absence d’une pathologie psychiatrique sous-jacente (cas de l’incurie) et d’un trouble du comportement (cas de la prise de toxique). De même, un sujet présentant un retard mental ne relève d’une hospitalisation sans consentement à l’hôpital psychiatrique que s’il devient, par exemple, agressif envers lui-même ou les autres. Bien entendu, si l’un des deux patients acceptait l’hospitalisation, ne serait-ce que pour procéder à une observation plus poussée, il serait admis sur un mode libre mais, en réalité, le défaut chronique de lits disponibles donne peu de marge de manœuvre aux psychiatres des services d’accueil en urgence.
Enfin, les recommandations de la HAS rappellent la nécessité d’un bilan somatique avant de déclarer une origine psychiatrique (cf. infra, section 2, § 1, A) à un trouble du comportement ou avant d’adresser en psychiatrie une personne en état d’intoxication aiguë. Un diabète mal équilibré par exemple peut se manifester par des troubles psychiatriques de type confusion mentale avec agitation ou encore propos délirants. C’est pourquoi, la récente loi sur les soins psychiatriques a judicieusement rendu obligatoire l’examen somatique dans les 24 premières heures d’hospitalisation (cf. infra, chapitre II) mais on ne peut que regretter le fait que cette mesure ne concerne que les patients admis sans consentement.


2. LA RÉPARTITION DES DIAGNOSTICS SUIVANT LE MODE D’HOSPITALISATION

En ne précisant pas les maladies mentales susceptibles de soins sans consentement, les textes législatifs successifs (lois du 30 juin 1838, du 27 juin 1990 et du 5 juillet 2011) n’écartent a priori aucune pathologie laissant logiquement cette question « technique » et clinique à l’appréciation du professionnel de santé (psychiatre hospitalier mais aussi médecin de famille, psychiatre libéral) tandis que le regard également « technique » du juge des libertés et de la détention est spécialisé dans les questions de libertés (cf. supra, chapitre III).
Toutes les catégories diagnostiques sont retrouvées en hospitalisation et, quel que soit le diagnostic, le mode libre est de loin le mode d’hospitalisation le plus fréquent. Ce qui signifie aussi que tous les diagnostics ont une part d’hospitalisation sans consentement variant de 8 % à 32 %.
Les six diagnostics les plus fréquemment rencontrés en hospitalisation psychiatrique sont, par ordre décroissant, les psychoses (35 %), les troubles de l’humeur (16 %), ceux qui sont liés aux toxiques (11 %), les troubles de la personnalité (11 %) et enfin les diagnostics de retard mental (10 %) et de troubles organiques (6 %).
Cependant, cet ordre change si l’on s’attarde plus en détail aux différents modes d’hospitalisation : hospitalisations libre (HL) ou sans consentement (HSC).
Trois diagnostics sont beaucoup plus courants en HL : il s’agit des troubles organiques, du retard mental et des troubles de l’humeur. Trois diagnostics ont une proportion forte dans les soins sans consentement : c’est le cas des psychoses, des troubles de la personnalité et du retard mental.
Enfin, les troubles liés à un toxique occupe une place intermédiaire.
Les deux diagnostics de la démence et du retard mental ont en commun la question du déficit intellectuel et peuvent logiquement soulever la question de l’incapacité à consentir (cf. infra, section 2, § 2, C). Pourtant, chaque diagnostic est largement plus représenté en mode libre qu’en soin sans consentement. Trois explications possibles : le niveau de déficit autorise tout de même un consentement (retard mental léger, début de démence), les soignants parviennent à convaincre le patient en délivrant une information adaptée à son état, ou la passivité, la non-opposition à l’hospitalisation est interprétée comme un consentement sur le principe du « qui ne dit mot consent ». Le soin sans consentement est rare mais il se fait alors plutôt sur décision du préfet pour le retard mental et plutôt à la demande d’un tiers pour les troubles organiques.
Les diagnostics liés aux toxiques et aux troubles de la personnalité ont des fréquences très proches, que ce soit en HL ou en HSC. Cependant en HSC, si l’admission à la demande d’un tiers est plus fréquente pour les troubles liés aux toxiques tandis que les troubles de la personnalité se retrouvent presque deux fois plus en hospitalisation à la demande du préfet. Cette proportion n’est pas négligeable puisqu’elle fait arriver les troubles de la personnalité en deuxième place pour les soins sur décision préfectorale juste après les psychoses et devant les troubles de l’humeur. Les troubles liés à l’alcool seraient un peu plus fréquents dans les soins libres et ceux qui sont liés aux autres drogues dans les soins sans consentement (11).
Les psychoses puis les troubles de l’humeur sont les deux diagnostics les plus fréquents en hospitalisation, que ce soit en HL ou en HSC. A noter tout de même que les patients hospitalisés pour une psychose le sont plus de deux fois sur trois en hospitalisation libre, environ une fois sur cinq à la demande d’un tiers et seulement une fois sur 10 à la demande du préfet, ce qui confirme bien que les soins libres sont le mode le plus fréquent en psychiatrie même pour la psychose.
La différence entrenévrose et psychose (cf. supra, § 2, B), qu’elle soit théorique ou clinique, s’illustre clairement en matière d’hospitalisation en psychiatrie. La névrose est nettement moins représentée en hospitalisation que la psychose (5 % contre 35 %) et encore moins lorsqu’il s’agit de soins sans consentement (3 % contre 51 %). Aussi, presque neuf patients névrosés hospitalisés sur dix le sont sur un mode libre tandis que près de un patient psychotique hospitalisé sur trois l’est sans son consentement.
A noter enfin que l’ensemble de ces chiffres ne concerne que les hospitalisations, qui représentent la modalité de soin la moins fréquente en psychiatrie puisque 70 % des patients étaient pris en charge en ambulatoire en 2009 (12). Cet élément impose de relativiser le nombre des diagnostics rencontrés en hospitalisation mais la répartition statistique des diagnostics en soins ambulatoires n’est pas connue.


(1)
Milon A., Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, « Rapport sur la prise en charge psychiatrique en France », n° 328, 8 avril 2009, p. 9.


(2)
Haute Autorité de santé, « Modalités de prise de décision concernant l’indication en urgence d’une hospitalisation sans consentement d’une personne présentant des troubles mentaux », Services des recommandations professionnelles, avril 2005, p. 8, diponible sur www.has-sante.fr


(3)
Chapireau F., « Les personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998 et en 2000 », DREES, « Etudes et résultats », n° 206, décembre 2002.


(4)
Le Fur P., Lorand S., Lucas-Gabrielli V. et Mousquès J., « Les hospitalisations sans consentement en psychiatrie : caractéristiques sociodémographiques et morbidité des patients », préc.


(5)
L’agitation représente 28,2 % des motifs d’admission en hospitalisation d’office dans « Etude descriptive de la pratique des sorties d’essai d’hospitalisation d’office dans le département de la Gironde », L’information psychiatrique, vol. 84, n° 8, octobre 2008, p. 753.


(6)
C’est-à-dire, un passage à l’acte soudain sous l’effet d’une angoisse majeure insupportable.


(7)
Haute Autorité de santé, « Modalités de prise de décision concernant l’indication en urgence d’une hospitalisation sans consentement d’une personne présentant des troubles mentaux », préc.


(8)
L’internement « arbitraire » ne respecterait pas le formalisme administratif mais pouvait être médicalement fondé tandis que l’internement « abusif » se révélerait (finalement) infondé sur un plan médical alors que le formalisme administratif était respecté.


(9)
Le Fur P., Lorand S., Lucas-Gabrielli V. et Mousquès J., « Les hospitalisations sans consentement en psychiatrie : caractéristiques sociodémographiques et morbidité des patients », préc.


(10)
« Le panorama des établissements de santé, édition 2011 », DREES, préc.

SECTION 1 - LE CONCEPT DE LA FOLIE

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