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LA FOLIE PERÇUE PAR LA SOCIÉTÉ

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L’historique de la psychiatrie en France donne déjà des indications sur les manières avec lesquelles notre société a considéré et géré les « fous » au fil du temps. Le concept de la folie dans le champ social peut aussi être abordé selon deux approches : la question des normes pour distinguer ce qui est normal de ce qui ne l’est pas et les représentations sociales de la folie dans notre société contemporaine.


A. LES FRONTIÈRES ENTRE LE NORMAL ET L’ANORMAL

Il existe classiquement plusieurs approches et critères, pour définir la « norme » et déduire, par voie de conséquence, ce qu’est l’« anormalité », ce qui dévie de la « norme ».
La première approche, la plus manifeste, est la norme socioculturelle qui se définit par les règles régissant une société : lois, règlements mais aussi coutumes, croyances, éthiques et « bon sens ». Ces règles sont valables uniquement sur une période donnée du fait de leur caractère évolutif. Elles permettent une cohésion car elles s’appliquent, et sont censées être respectées, dans un groupe qui partage ces valeurs et qui s’articule ainsi autour d’une identité commune. En fonction du thème traité, cette identité commune est à une échelle plus ou moins grande : nationale (citoyen), européenne, mondiale, régionale ou communautaire (religion).
L’anormalité socioculturelle regroupe alors les comportements, les idées, les motivations et les forces qui les animent (sur le fond et/ou sur la forme) qui sont isolés et qui sortent des sentiers battus. Tel est le cas des anarchistes sur un plan politique, des terroristes et antimondialistes sur un plan international, des délinquants sur un plan sécuritaire ou encore des intégristes sur un plan religieux. L’originalité est souvent suspecte car déviante voire irrespectueuse des us et coutumes, et plus rarement considérée comme précurseur ou visionnaire. La psychiatrie en France est censée s’organiser de manière uniforme, suivant le code de la santé publique, et appliquer les recommandations et bonnes pratiques définies par la Haute Autorité de santé. Même s’il existe des disparités dans son organisation et son fonctionnement (1), on est cependant loin des dérives de prise en charge psychiatrique constatées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans certains pays (2) ou des internements psychiatriques d’opposants politiques dans certains régimes. Il existe ainsi dans notre pays des valeurs communes, comme celle de consacrer un budget à la prise en charge des malades mentaux.
Une deuxième approche, mathématique, est celle de la norme statistique. La distribution statistique d’un phénomène, comme la taille, un comportement ou une croyance, fait apparaître sa plus grande fréquence (la moyenne, considérée comme la norme) mais aussi ses extrêmes (les écarts, considérés comme « hors norme »).
Un troisième critère classique de distinction est d’ordre fonctionnel, c’est-à-dire fonction de l’aboutissement ou non à un « idéal » en termes de réussites personnelle et professionnelle par exemple. Cet idéal est individuel même s’il est souvent façonné par la société à laquelle on appartient. Il a le mérite de donner des buts, des aspirations aux individus et une certaine cohérence à la société.
A l’opposé, la personne qui ne remplit pas ces critères peut vite être considérée comme « marginale » mais rien ne prouve, en fait, qu’elle ne remplisse pas ses propres critères de vie. Alors faut-il pour autant la considérer comme anormale ou déviante, et la « soigner » voire lui « imposer des soins » ? Ce débat entre exclusion sociale et pathologie psychiatrique est séculaire. Si en 1656, Louis XIV créait le premier Hôpital général destiné à lutter contre le vagabondage, Henri Ey écrivait au XXe siècle : « Le problème du clochard n’est pas psychiatrique dans son essence et il serait proprement dérisoire de penser que les clochards sont tous des malades, des névrosés et des psychopathes » (3).


B. LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA « FOLIE »



1. UNE IMAGE PÉJORATIVE ET MANIFESTEMENT VIOLENTE

Loin des images amusées et compatissantes de la personne portant un entonnoir sur la tête ou de celle qui se prend pour un certain Napoléon, les représentations populaires de la folie sont plutôt péjoratives et axées sur les comportements violents.
C’est ce qui ressort d’une étude (4) portant sur les représentations sociales du « fou », du « malade mental » et du « dépressif », réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population française métropolitaine. Les réponses des 36 000 personnes interrogées indiquent que le « fou » est presque considéré comme un être irréel, tant il sort de toute logique, de tout schéma ou semblant d’organisation, au point de « se demander s’il répond (encore) aux lois de la physique » comme l’attraction terrestre. Le « malade mental » est aussi perçu comme un être très différent mais, contrairement au « fou », il bénéficie d’une explication, plus socialement acceptable, qu’est la maladie, comme un délire, des hallucinations ou une déficience intellectuelle. Le « dépressif » est lui considéré d’abord et avant tout comme une personne en souffrance (97 % contre 77 % pour le « malade mental » et 55 % pour le « fou ») en raison, non pas d’un problème médical, mais surtout d’événements environnementaux (problèmes affectifs, familiaux, relationnels) (5).
Les personnes interrogées distinguent ainsi clairement le fou et le malade mental d’une part, le dépressif d’autre part. D’un côté, « des êtres anormaux, irresponsables, inconscients, exclus, peu guérissables, à soigner contre leur gré par médicaments et hospitalisation ». De l’autre, un « personnage plus familier, souffrant guérissable, qu’on peut soigner par soutien relationnel, parfois par des médicaments, mais qui ne requiert pas d’hospitalisation ».
Le panel attribue fréquemment les comportements violents au « fou » et encore plus souvent au « malade mental », signe d’un amalgame particulièrement ancré dans l’imaginaire collectif.
L’éventualité de soins sans consentement s’envisage plus facilement pour un « malade mental » (75 %) ou pour un « fou » (67 %) que pour un « dépressif » (60,5 %). D’ailleurs, le panel conseillerait aux deux premiers de rencontrer un psychiatre dans 70 % des cas et ce chiffre tombe à 50 % s’agissant d’un « dépressif ».


2. LA STIGMATISATION, FONCTION SOCIALE

On perçoit une identification, très naturelle, du panel vers le « dépressif », la dépression étant plus facile à accepter car plus fréquente, plus proche de soi. Les personnes sondées déclarent d’ailleurs avoir été elles-mêmes soignées pour « dépression » dans 19 % des cas contre moins de 1 % pour la « maladie mentale » et la « folie ». Trois quarts des personnes interrogées disent aussi connaître un « dépressif » dans leur entourage plus ou moins proche (contre environ un tiers pour un « malade mental » et un sixième pour un « fou »).
Aussi, en s’identifiant au dépressif, on s’éloigne de l’univers morbide du malade mental et de celui presque dématérialisé du fou, sans chercher à comprendre. Pas besoin d’en savoir plus d’ailleurs, puisque le « fou » et le « malade mental » s’identifient avant tout par leurs comportements réduits à des actes de violence : le meurtre pour le fou, les agressions sexuelles pour le malade mental.
Il s’agit là de mécanismes de défense bien naturels que de trouver des explications simplistes à ce qui sort de la norme et encore plus lorsque l’anormalité fait horreur (crime, viol), mais cela ne signifie pas que les idées reçues se révèlent toujours exactes (cf. infra, section 2, § 2). Le manque de connaissance crée un climat de méfiance et un mouvement de stigmatisation. Et si, contrairement au « fou », le « malade mental » bénéficie de l’excuse d’un problème médical, cela ne rassure pas pour autant l’opinion publique qui le juge globalement plus violent. Le « malade » est peut-être ici victime de la représentation sociale de la psychiatrie qui mériterait d’être étudiée plus en profondeur.
En l’état, plusieurs indices semblent émerger : près des trois quarts du panel ne conseilleraient pas à un proche « dépressif » d’être hospitalisé ; l’entourage et le soutien relationnel seraient suffisants pour le soigner avant même la psychothérapie, et la « dépression » serait la résultante d’événements de vie négatifs plus qu’un problème médical. Ces trois éléments permettent de creuser plus largement le fossé entre la « dépression » si familière et la « maladie » relevant de la psychiatrie.
Ces logiques d’identification, de différentiation ou de stigmatisation ne sont pas de simples compassions, prises de distance ou étiquetages mais ont des fonctions sociales (6) visant à conserver sa propre place dans la société, à se protéger de ce qui est différent ou de ce qui fait peur ou horreur.
Il existe ainsi une « folie sociale », apparaissant dès que la norme sociale est franchie, et la violence en est le franchissement le plus manifeste. Or la lecture médicale de la « folie » est différente, par exemple elle n’assimile pas automatiquement l’« acte fou » à l’« acte d’un fou » (7). Cette nuance, pourtant fondamentale et inscrite dans le code pénal (8), semble souvent mal comprise par l’opinion publique (9). Tous les « malades mentaux » ne sont pas violents, loin s’en faut, mais la stigmatisation, qui « combine des problèmes de connaissance (ignorance), des attitudes (préjugés) et des comportements (discrimination) » (10), ne facilite pas le recours spontané au soin psychiatrique et n’est pas sans conséquence sur les attitudes d’une société à l’égard de l’intégration des patients présentant des troubles psychiatriques.


(1)
« Le panorama des établissements de santé », DREES, préc., p. 108 et 110.


(2)
Organisation mondiale de la santé, rapport sur la santé dans le monde – « La santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs », 2001, p. 51.


(3)
Ey H. (1900-1977) cité par la Mission nationale d’appui en santé mentale, « Rapport sur l’organisation de la psychiatrie au centre hospitalier Charles-Perrens », 2003, p. 160.


(4)
Roelandt J.-L., Caria A., Defromont L., Vandeborre A et Daumerie N., « Représentations sociales du “fou”, du “malade mental” et du “dépressif” en population générale en France », L’Encéphale (2010), supplément 1 au n° 3, pp. 7-13.


(5)
En réalité, il existe bien des dépressions caractérisées pour lesquelles aucun facteur environnemental n’est identifié.


(6)
Kleinman A., « Santé et stigmate. Note sur le danger, l’expérience morale et les sciences sociales de la santé », Le Seuil, Actes de la recherche en sciences sociales, 2002/3, n° 143, pp. 97-99.


(7)
Bénézech M., « Des crimes fous commis par des fous et les autres », Forensic, janvier 1994, n° 5, pp. 41-44.


(8)
Article 122-1, alinéa 1 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »


(9)
Dalat A., « Troubles psychiatriques : La question de l’irresponsabilité pénale », d’après un entretien avec le Dr D. Zagury, Le quotidien du médecin, n° 9059, 15-12-11, p. 12.


(10)
Roelandt J.-L., Caria A., Defromont L., Vandeborre A. et Daumerie N., « Représentations sociales du “fou”, du “malade mental” et du “dépressif” en population générale en France », préc.

SECTION 1 - LE CONCEPT DE LA FOLIE

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