Elle est directement liée à son héritage historique (cf. Introduction) et à de grandes avancées, comme le développement des psychotropes et de la politique de secteur (cf. infra, B). Elle est également soumise à une culture comptable d’économie de la santé. La psychiatrie offre ainsi un large éventail de modalités de prise en charge dont les capacités, activités et perspectives sont en perpétuel débat.
A. LES DIFFÉRENTES MODALITÉS DE PRISE EN CHARGE
Elles sont diverses, répondant à la nécessité de graduer et d’adapter l’offre de soins aux besoins très variables de patients atteints de troubles divers et aux conséquences diverses. Certains parlent de lits (en hospitalisation à temps complet), de places (en prise en charge à temps partiel) et d’activités ambulatoires, mais l’hospitalisation de nuit qui, par définition, est une prise en charge à temps partiel, utilise bien... un lit. La classification des modalités de prise en charge peut ainsi se faire de différentes manières, selon que l’on se place d’un point de vue soignant ou d’un point de vue comptable dans un souci d’économie de la santé par exemple. Trois grandes catégories de prise en charge sont possibles en psychiatrie : les prises en charge à temps complet, à temps partiel et en ambulatoire. Chacune comprend différentes formes de mise en œuvre. On peut aussi les classer selon que les prises en charge comportent ou non un hébergement relevant du sanitaire, du médico-social, etc.
Les prises en charge à temps complet permettent des soins constants et comprennent l’hospitalisation à temps plein (ou hospitalisation complète, forme la plus répandue en temps complet) pour les situations aiguës et les malades les plus difficiles, les centres de crise et d’accueil permanents pour une prise en charge intensive et de courte durée des situations d’urgence, les centres de postcure pour prolonger à moyen terme les soins aigus et favoriser la réadaptation, les appartements thérapeutiques situés dans la cité pour des patients nécessitant une présence soignante au moins partielle dans un but de réadaptation sociale et, enfin, les placements familiaux thérapeutiques où les patients sont hébergés par une famille d’accueil, à moyen ou à long terme.
Les prises en charge à temps partiel sont moins continues que celles à temps complet et comprennent plusieurs formes possibles : les hôpitaux de jour accueillant les patients pour toute la journée ou une partie, les hôpitaux de nuit accueillant les patients en fin de journée et pour la nuit voire les week-ends, les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) axés plus sur le soutien notamment groupal que les soins, et les ateliers thérapeutiques qui entraînent à une activité sociale ou professionnelle. Il peut parfois exister des difficultés à différencier certaines activités des hôpitaux de jour, des CATTP et des ateliers thérapeutiques, ce qui amène à remplacer l’activité CATTP en hôpital de jour à temps partiel.
Les prises en charge en ambulatoire sont les plus courantes en psychiatrie. L’accueil se fait dans les centres médico-psychologiques (CMP), structures dépendant de l’hôpital mais situées à l’extérieur, au plus près du lieu de vie des patients, héritage de la judicieuse politique de secteurs. Les consultations de divers professionnels s’y pratiquent et l’activité ambulatoire des infirmiers de CMP comprend aussi les visites à domicile, dans les établissements médico-sociaux ou dans tout endroit où le patient se trouve afin d’assurer une continuité de la prise en charge et un relais auprès des autres acteurs (famille, entourage, curateur, tuteur, professionnels des secteurs social et médico-social, etc.). Certains CMP offrent un accueil en urgence, de première ligne, avant de passer rapidement le relais vers une hospitalisation complète.
Enfin, deux autres prises en charge psychiatriques existent. C’est la psychiatrie de liaison qui est activée lorsqu’un patient est hospitalisé dans un service de soins somatiques mais présente aussi des troubles psychiatriques. Son objectif est double : la consultation pour le patient concerné et la liaison avec le personnel soignant de l’unité. Il s’agit d’une activité ambulatoire mais qui dépend rarement d’un CMP. Quant à l’hospitalisation à domicile (HAD), elle occupe une place un peu à part. Elle se situe entre l’hospitalisation à temps complet et les visites à domicile, puisque les soins quotidiens qu’elle organise au domicile du patient sont plus complexes et fréquents que ceux des visites à domicile, et puisque les soins en HAD évitent l’hospitalisation complète ou en réduisent sa durée. Elle peut ainsi éviter la stigmatisation inhérente à l’hospitalisation en hôpital psychiatrique. Elle nécessite le passage au moins quotidien d’un soignant et une consultation au moins hebdomadaire avec le médecin prescripteur. Elle se fait avec le consentement du patient et en lien avec le médecin traitant, l’entourage du patient lorsqu’il existe et parfois les professionnels du social. Enfin, il faut entendre domicile au sens large puisque l’HAD peut avoir lieu dans les substituts de domicile (établissements médico-sociaux, etc.). Ce large éventail de prises en charge est possible grâce à l’organisation des secteurs de psychiatrie et suit une logique de graduation des soins mais le regard comptable, dans un souci de quantifier les activités, a tendance à rigidifier sa belle mécanique et à le scinder en deux : la partie extrahospitalière moins onéreuse et la partie intrahospitalière consommatrice de moyens et de lits. A l’heure actuelle, le passage d’une modalité à l’autre est facilement réalisable en quasi-temps réel. En revanche, cette souplesse n’est pas possible pour les soins ambulatoires avec programme de soins au cours desquels toute modification doit être transmise au directeur de l’établissement voire au préfet (cf. infra, chapitre II, section 2, § 2, A, 2).
Enfin, la modalité de prise en charge choisie pour un patient ne préjuge pas de la nature des soins qui lui sont délivrés (cf. infra, chapitre II, section 2, § 2, C, 1).
B. LA PSYCHIATRIE EN TERMES DE CAPACITÉS, D’ACTIVITÉS ET DE PERSPECTIVES
Une hospitalisation en psychiatrie peut s’effectuer dans un centre hospitalier spécialisé (CHS), l’unité psychiatrique d’un centre hospitalier général, un établissement privé à but lucratif (clinique) ou d’intérêt collectif (ESPIC). Le service public prend en charge les troubles les plus sévères et c’est en général dans les 90 CHS, héritages de la loi de 1838 dans presque tous les départements, que sont reçues les personnes en soins psychiatriques sans consentement. Cependant, c’est l’agence régionale de santé qui désigne, dans chaque territoire, les établissements autorisés en psychiatrie chargés d’assurer cette mission de service public (C. santé publ., art. L. 3222-1). Enfin, certaines structures sont particulièrement adaptées à recevoir des patients « difficiles » (cf. encadré).
A la fin de 2009 (1), la majorité des patients des services de psychiatrie sont pris en charge en ambulatoire (70 %), c’est-à-dire dans les 3 800 centres médico-psychologiques, en visites à domicile ou en psychiatrie de liaison. Cela représente plus de un million de personnes, chiffre en constante augmentation, ce qui, en l’absence d’adaptation des moyens, allonge les files d’attente pour une première consultation.
Les autres prises en charge reposent sur 57 600 lits d’hospitalisation complète, 28 000 places d’accueil en hôpital de jour ou de nuit, 1 000 places d’HAD et 1 700 centres d’accueil thérapeutique à temps partiel.
Depuis 30 ans, la tendance est à la fermeture des lits d’hospitalisation complète par souci d’économie et de développement d’alternatives. Il s’agit d’un mouvement général, toutes les disciplines étant concernées, mais la réduction a été particulièrement marquée pour la psychiatrie, qui a vu sa capacité en lits divisée par deux sans pouvoir développer les alternatives à la même hauteur. Les 57 600 lits d’hospitalisation restants accueillent environ 600 000 entrées par an, ce qui signifie que le turn-over est important. La durée moyenne de séjour a diminué de près de 50 % en 20 ans, pour atteindre 30 à 40 jours en moyenne.
Cependant, un quart à un cinquième de ces lits serait occupé au long cours par plus de 10 000 patients (2), ce qui allonge considérablement la durée moyenne de séjour. Certains patients le nécessitent du fait d’un état psychiatrique difficile à stabiliser, d’autres le sont par manque de relais possibles vers des structures médico-sociales, comme des établissements pour personnes âgées, qui font défaut. Si c’est le CHS qui accueille ainsi la majorité des patients hospitalisés au long cours par défaut de structures en aval, ces patients ne forment donc pas un groupe hérité d’une tradition asilaire passée car cette population se renouvelle en permanence, lentement mais sûrement (3).
LES SECTEURS DE PSYCHIATRIE
L’ensemble du territoire national est découpé en secteurs géographiques, au sein desquels une équipe pluridisciplinaire prend en charge les patients psychiatriques à tous les niveaux de leurs soins, au cours de leur hospitalisation mais aussi en ambulatoire. Apparus dans les années 1960 (circulaire du 15 mars 1960), ces secteurs, appelés secteurs de psychiatrie, ont pour objectif de favoriser la réinsertion des malades mentaux dans la société.
En pratique, cette organisation a permis de quitter un fonctionnement asilaire jugé sclérosant en développant l’offre de soins en ambulatoire. Un secteur s’occupe ainsi de tous les types de pathologies psychiatriques d’une population d’environ 70 000 habitants et articule ses prises en charge avec les acteurs du médico-social. Pour les patients et leur entourage, les soins psychiatriques deviennent facilement identifiables en ambulatoire avec le développement des centres médico-psychologiques et autres structures de soins. Ce principe de sectorisation semble contrarier le principe du libre choix mais des libres choix peuvent s’y opérer et, surtout, il facilite grandement la continuité des soins entre l’hospitalisation et le retour à domicile. n
[Code de la santé publique, articles L. 3221-1 à L. 3221-6 et R. 3221-1 à R. 3221-17]
A l’heure actuelle et depuis 1960, le dispositif de soin en psychiatrie publique est fondé sur le principe des secteurs (cf. encadré), système qui n’est pas parfait (4) mais qui a le mérite de répondre aux besoins des malades en tenant compte de leur particularité.
Progressivement, le terme de santé mentale se substitue à celui de psychiatrie, porté en cela par l’Organisation mondiale de la santé qui définit la santé comme : « un état de complet bien-être physique, mental et social », ne consistant « pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Ce terme démystifie le recours à la psychiatrie mais a aussi pour effet d’ouvrir largement ses domaines d’intervention (détresse sociale, victimologie, deuils, divorces, « conjugopathies », échec scolaire des enfants, crises des adolescents, burn-out et autre fatigue professionnelle, harcèlement au travail, etc.).
Déjà animée par des débats internes sur les orientations théoriques, l’efficacité de tel ou tel traitement, etc., la psychiatrie a été, ces dernières années, l’objet de drames médiatisés, de stigmatisations, de critiques, puis d’orientations par des rapports publics et un plan national, tout en s’adaptant aux politiques de réforme concernant la santé en général. La résultante est épinglée par la Cour des comptes qui relève dans un rapport sur l’organisation des soins psychiatriques (5) que la base juridique des secteurs a été estompée tandis que la loi HPST de 2009 a omis de définir une mission de service public psychiatrique.
LES PERSONNELS DES ÉTABLISSEMENTS AUTORISÉS EN PSYCHIATRIE
Plus de 113 000 personnes sont salariées des établissements autorisés en psychiatrie et chaque secteur de psychiatrie public est doté d’une équipe pluridisciplinaire composée à part variable de psychiatres, d’infirmiers, de psychologues, d’ergothérapeutes, de psychomotriciens, d’aides-soignants, d’assistants de service social, d’assistants médico-administratifs, de cadres de santé, etc. et dont l’objectif est de pouvoir répondre aux divers besoins des patients. Très récemment, un programme expérimental de « pairs-aidants » a vu le jour (6). Si la France métropolitaine compte 13 645 psychiatres, 60 % sont salariés en général en hôpital. Les hôpitaux respectent la parité homme-femme depuis une féminisation croissante de la profession. La répartition des psychiatres hospitaliers est cependant inégale sur le territoire et il existe un grand nombre de postes vacants (de 20 à 40 %) qui crée des déserts au sein de la psychiatrie publique. Cette situation risquant de s’aggraver compte tenu des perspectives de diminution du nombre de psychiatres hospitaliers (départs à la retraite, installations en libéral, etc.), le numerus clausus des internes en psychiatrie a été relevé.
[Cour des comptes, « L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan « Psychiatrie et santé mentale 2005-2010 », rapport public thématique, décembre 2011, consultable sur www.ccomptes.fr]
LES UNITÉS POUR MALADES DIFFICILES
Les unités pour malades difficiles (UMD) sont des structures hospitalières publiques à la sécurité renforcée, qui ont pour vocation de n’accueillir que des patients en hospitalisation complète à la demande du représentant de l’Etat, en raison d’une particulière difficulté (dangerosité) à les prendre en charge dans les CHS. Le rythme d’ouverture des UMD s’est récemment accéléré – il en existe huit en France (7) – et elles ont un recrutement national. Dans son rapport sur l’organisation des soins psychiatriques de décembre 2011, la Cour des comptes recommande d’harmoniser la conception, la répartition et l’emploi des UMD. En attendant une augmentation du nombre de lits et de structures d’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) – unité sanitaire dont la sécurité externe est assurée par l’administration pénitentiaire psychiatrique, les UMD accueillent aussi les détenus souffrant de troubles psychiatriques.
Enfin, les UMD se distinguent des unités de soins intensifs psychiatriques (USIP), des unités pour malades agités et perturbateurs (UMAP) ou des unités psychiatriques intersectorielles départementales (UPID) qui sont des structures intermédiaires entre les services de soins classiques et les UMD. Elles ont un recrutement départemental et accueillent des patients hommes et femmes en soins à la demande du représentant de l’Etat mais aussi d’un tiers, pendant une durée maximale de deux mois. Contrairement aux UMD, les sorties de ces structures ne sont pas soumises à la Commission du suivi médical.
(1)
« Le panorama des établissements de santé – Edition 2011 », DRESS, préc.
(2)
Cour des comptes, « L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan “Psychiatrie et santé mentale” 2005-2010 », rapport public thématique, décembre 2011, p. 32, consultable sur www.ccomptes.fr
(3)
Chapireau F., « Les personnes hospitalisées en psychiatrie en 1998 et en 2000 », DREES, préc.
(4)
Coldefy M., Le Fur P., Lucas Gabrielli V., Mousques J., « Cinquante ans de sectorisation psychiatrique en France : des inégalités persistantes de moyens et d’organisation », Institut de recherche et documentation en économie de la santé, Questions d’économie de la santé, n° 145, août 2009.
(5)
Cour des comptes, « L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan “Psychiatrie et santé mentale” 2005-2010 », préc.
(6)
Colomb N., « Les services psychiatriques s’ouvrent aux “médiateurs de santé-pairs” », Actualités Sociales Hebdomadaires, n° 2739 du 30-12-11, p. 20.
(7)
Les huit UMD sont : Villejuif (1910), Montfavet (1947), Sarreguemines (1957), Cadillac (1963), Plouguernével (2008), Monestier-Merlines (2011), Bron (2011) et Albi (2011). Les deux UHSA en activité sont : Bron (2010) et Toulouse (2012).