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LE DROIT À LA VIE PRIVÉE

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Le respect de la vie privée des personnes handicapées s’illustre en particulier dans leur droit à l’image mais également au travers du questionnement autour de leur intimité et de leur sexualité lorsqu’elles sont admises dans une structure.


A. LE DROIT À L’IMAGE

Depuis 1993, la Cour de cassation affirme le droit à l’image des personnes handicapées accueillies dans des établissements et services sociaux et médico-sociaux, en l’occurrence des personnes handicapées mentales dont la plupart faisaient l’objet d’une mesure de protection juridique (cf. supra, chapitre I, section 1, § 2, A, 1, a) (1).
En l’espèce, avec l’autorisation du directeur de centres accueillant des personnes handicapées mentales, un réalisateur avait élaboré un film documentaire concernant la vie de jeunes adultes handicapés mentaux, hébergés dans ces centres. Le film devait être diffusé sur des chaînes de télévision. L’association gestionnaire avait demandé par la suite le retrait de cette diffusion.
La Cour de cassation, après la cour d’appel, lui a donné raison. Elle a jugé, en effet, que « la reproduction d’images représentant des handicapés mentaux dans l’intimité de leur existence quotidienne à l’intérieur des établissements où ils vivent et ce, sans l’autorisation de leurs représentants légaux constitue, à elle seule, une atteinte illicite à l’intimité de leur vie privée ».


B. LE DROIT À L’INTIMITÉ

Le droit à l’intimité pose notamment la question du droit à la sexualité. Question qui aujourd’hui fait débat.


1. LES PRINCIPES

[Code de l’action sociale et des familles, articles D. 312-27, D. 312-28, D. 312-59-17, D. 344-5-3]
Le droit à l’intimité est un principe général garanti à tous les usagers des établissements et services sociaux et médico-sociaux (cf. supra, chapitre I, section 1, § 2, A).
En pratique, il constitue une préoccupation à intégrer dans la mise en place des installations. Certaines dispositions du code de l’action sociale et des familles y font explicitement référence s’agissant des établissements et services pour personnes handicapées.
Ainsi, dans les établissements et services qui accueillent et accompagnent des enfants ou des adolescents présentant un déficit intellectuel, la disposition des chambres doit préserver une intimité suffisante pour les enfants ou adolescents. A cet effet, ils doivent disposer des aménagements usuels existant dans un environnement familial, notamment d’une armoire, d’un placard et d’une armoire de toilette. En outre, d’une manière générale, les lieux d’accueil de l’enfant doivent présenter un aspect familial. Ces principes s’appliquent également, par jeu de renvoi de dispositions, aux établissements et services qui accueillent et accompagnent des enfants ou des adolescents présentant une déficience motrice, une déficience auditive grave, une déficience visuelle grave ou atteints de cécité et aux services de soins infirmiers à domicile (CASF, art. D. 312-82, D. 312-97, D. 312-110, D. 312-122).
De même, dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques, les locaux doivent permettre des prises en charge par petits groupes au sein d’unités de vie et créer un cadre favorisant le respect de chacun et de son intimité.
Enfin, relevons que dans les établissements et services accueillant des adultes handicapés qui n’ont pu acquérir un minimum d’autonomie, ces structures se doivent de garantir l’intimité en leur préservant un espace de vie privatif.


2. UN DROIT À LA SEXUALITÉ EN DÉBAT

a. Les mineurs handicapés

La question de la sexualité pour des mineurs handicapés soulève, juridiquement, à peu près les mêmes problématiques que pour tout autre adolescent (cf. supra, chapitre II, section 2, § 2, A).
Néanmoins, la vérification du consentement à l’acte sexuel doit être prise en compte de manière plus accrue, a fortiori lorsque le jeune a un handicap mental (cf. infra, b).
Elle doit également se conjuguer avec la prise en compte des risques en termes de santé publique (maladies transmissibles...).
Légalement, « une information et une éducation à la sexualité et à la contraception » devaient être notamment dispensées dans toutes les structures accueillant des personnes handicapées. Mais cette mention qui figurait à l’article L. 6121-6 du code de santé publique a disparu du fait de la suppression de cet article par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (2). Il reste toutefois possible d’organiser des ateliers d’éducation à la sexualité, des groupes de paroles, ce qui est d’ailleurs prévu dans nombre de structures. La mise en place des unités d’enseignement au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux est également un cadre possible d’éducation à la sexualité (C. éduc., art. D. 351-17). En effet, selon l’article L. 312-16 du code de l’éducation « une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ».

b. Les personnes handicapées mentales

[Circulaire DAS/TS1 n° 96-743 du 10 décembre 1996, NOR : TASA9630699C, BO n° 1997/03]
La question de la sexualité des personnes handicapées mentales pose, au premier chef, celle de leur consentement, ce qui n’appelle pas une réponse simple au vu de la diversité des situations de handicap mental.
Mais quel que soit le cas, si le consentement n’est pas réel, le risque est que l’acte en question tombe sous le coup du droit pénal (viol, agression sexuelle...). Pour Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences à la faculté de droit de Nancy, « la question qui se pose finalement est de savoir à quel degré le consentement est éclairé ou s’il y a lieu de considérer à chaque fois la relation déséquilibrée et donc de parler d’agression sexuelle » (3).
Cette question du consentement est d’autant plus prégnante quand le rapport a lieu avec une personne dite valide. Pour ce chercheur, « dans l’interprétation de la règle de droit, rien ne s’oppose à ce qu’une personne valide entretienne des relations avec une personne handicapée mentale. J’ai cependant souligné que le handicap mental ainsi que l’existence d’une relation d’autorité entre le handicapé et le valide laissent en effet apparaître une présomption d’abus sexuel et de contrainte ».
Il importe donc, là encore, pour les structures de mener un questionnement éthique. Les recommandations de l’ANESM peuvent être un utile support en la matière (4). Cette démarche doit être collective, associant une pluralité de points de vue (usagers ou représentants d’usagers, proches, professionnels, personnes ressources...), et déclenchée par des situations concrètes et singulières où entrent en contradiction des valeurs ou principes d’intervention d’égale légitimité. La réflexion éthique permet de prendre des décisions les plus justes possibles, c’est-à-dire la décision la plus appropriée, en référence aux valeurs et normes communément reconnues, en tenant compte de la personnalité des acteurs et des contraintes rencontrées. La recommandation ne souhaite toutefois pas imposer un mode d’emploi, [...] encore moins une obligation de faire ou de penser » mais invite les acteurs du secteur « à une démarche de questionnement pragmatique ». Pour ce faire, plusieurs prérequis lui apparaissent nécessaires : la volonté politique des instances dirigeantes, le positionnement de la réflexion éthique par rapport au projet d’établissement... Il importe également, pour l’agence, d’identifier « un espace collégial et pluriel qui consacre un temps à la réflexion distinct du temps de l’action et soit un lieu ressource pour l’ensemble des acteurs » et d’inscrire cette démarche dans la durée.
Un autre aspect de la question a trait à la prévention de l’infection au VIH. A cet égard, l’administration a émis, il y a une quinzaine d’années, des instructions sur la prévention de cette infection dans les établissements et services accueillant des personnes handicapées mentales jugeant que « la seule dimension sanitaire s’avère insuffisante pour toute personne dont le handicap accroît la vulnérabilité à l’infection à VIH, ce qui conduit à prévoir la mise en place d’un accompagnement éducatif et social par des personnes compétentes et formées, en particulier les éducateurs spécialisés ». Cette circulaire s’adresse à l’ensemble des établissements et services publics ou privés prenant en charge des personnes handicapées mentales, notamment les établissements ou services qui accueillent des enfants et des adolescents (instituts médico-éducatifs, et en particulier les IMPRO), les établissements ou services pour adultes (les établissements et services d’aide par le travail, les maisons d’accueil spécialisées et les foyers d’hébergement) ainsi que les services de suite et d’accompagnement qui sont appelés à prendre en charge ces personnes.
En premier lieu, l’administration reconnaît le « droit à la sexualité pour la personne handicapée mentale » ainsi que celui « à l’éducation sexuelle ».
Elle recommande, dès lors, de développer la prévention « dans le cadre d’actions conduites dans la durée » ainsi que « de renforcer et de développer la dimension d’accompagnement dans les projets individualisés de prise en charge », ce qui suppose la formation des personnels et la mise en œuvre d’actions de sensibilisation des différents partenaires à l’intérieur des institutions. De même, par la place qu’ils occupent, la famille et les proches doivent être associés aux actions de formation et de prévention afin de garantir la cohérence et la continuité de l’action.
Chaque structure, qu’elle dépende d’une association ou d’une collectivité publique, doit ainsi définir « une stratégie adaptée à cet objectif de prévention de l’infection à VIH ainsi que les moyens qui seront mis en œuvre à cet effet ». Cela peut notamment revêtir la forme d’un document particulier qui prenne sa place dans le cadre plus général du projet d’établissement et qui comprenne deux axes :
  • l’un précisant ce qui ressort de la nécessaire information tant des personnes handicapées que des différents acteurs qui peuvent concourir à la prévention. Il peut également définir les moyens de mise à disposition de préservatifs dans les lieux qui paraîtront les plus adéquats ;
  • l’autre visant à définir un cadre cohérent d’action.
En termes d’organisation, « l’efficacité [...] commande de développer une logique de compétence pluridisciplinaire mobilisant les différents professionnels autour d’une personne-ressource. Celle-ci représente le référent, nommé sur la base du volontariat par le directeur et reconnu comme tel par l’équipe, et chargé de veiller à ce que la prévention du VIH soit une préoccupation permanente pour chacun des professionnels. Dans la mesure où la prise en charge éducative et sociale constitue la finalité principale des établissements, c’est donc en priorité le personnel éducatif et particulièrement un éducateur spécialisé qui pourrait assurer ce rôle avec le concours du personnel médical ou paramédical ».
Cette personne-ressource a un rôle de relais de l’information. « Son action vise à sensibiliser, à faciliter l’expression, à apporter les conseils souhaitables, à prendre en compte les demandes de formation. Elle doit pouvoir prendre en charge l’animation de réunions de synthèse au sein de l’institution dans un but de confrontation des différentes pratiques professionnelles développées par les intervenants. »

c. Les personnes lourdement handicapées physiques

Pour les personnes lourdement handicapées physiques, la question de la sexualité ne se pose pas en termes de consentement mais plutôt de droit à la sexualité.
« Depuis quelques années, une nouvelle demande est apparue [...] relative à une “égalité sexuelle” entre personnes handicapées et valides », relève Jean-Baptiste Thierry (5). De fait, plusieurs colloques ont été organisés ou des livres et articles de journaux ont été rédigés autour de cette question.
L’idée de l’assistance sexuelle « est relativement simple », poursuit Jean-Baptiste Thierry, « les personnes handicapées n’ayant pas la possibilité d’avoir des relations sexuelles se voient offrir un service d’éveil à la sensualité, allant de simples caresses à des relations sexuelles consommées ».
A l’échelle européenne, certains pays semblent faire une place au principe de cette assistance. Les Pays-Bas ont été les précurseurs avec la création d’un service d’aide à la vie sexuelle, suivi de l’Allemagne, de la Suisse et du Danemark. En Suisse, par exemple, une formation d’assistance sexuelle est proposée par l’association Sexualité et handicaps pluriels (SEHP) (6) « Pour autant, relève Jean-Baptiste Thierry, il semble qu’aucun de ces pays n’ait une législation spécifique à l’assistance sexuelle et que la reconnaissance dont il est question soit en réalité celle de la prostitution. »
En France, certaines voix s’élèvent pour réclamer une telle législation. Un collectif Handicaps et Sexualités, créé en mars 2008 (7), a mis en place, en janvier 2011, une association nationale « CH(S)OSE » dont l’objectif est de militer en faveur de cet accès effectif à la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap, notamment à travers la création de services d’accompagnement sexuel. Pour les partisans de cette requête, Marcel Nuss, en tête, « le droit à la sexualité peut être considéré comme un droit fondamental » (8).
Ces derniers s’appuient sur la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006, ratifiée par la France le 18 février 2010 qui défend, selon eux, le droit à la sexualité des personnes handicapées. En effet, le préambule de ce texte souligne « la nécessité d’intégrer le principe de l’égalité des sexes dans tous les efforts visant à promouvoir la pleine jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales par les personnes handicapées ».
Toutefois, à ce jour, « aucune norme n’impose aux Etats une obligation positive d’assurer aux personnes handicapées ou aux personnes valides une sexualité effective », souligne Jean-Baptiste Thierry. Pour Pierre Dubus, « la sexualité, et la manière dont elle est vécue par chacun, fait l’objet d’une libre appréciation laissée aux individus : fondamentalement, elle relève des mœurs et non d’une codification réglementaire. Elle se traite dans un échange [au sein de la structure médico-sociale] faisant la part de chaque demande ou cas particulier, au travers de dispositions institutionnelles visant à préserver la dignité, l’intégrité, la vie privée, l’intimité... ». Certaines pratiques doivent donc être prohibées « particulièrement les modes de prise en charge relevant d’une rationalisation déshumanisante (par exemple, les toilettes et les douches collectives) ou d’une conception protectrice abusive (entrer dans les chambres ou appartements sans frapper, interdire les visites, etc.) » (9).
De leur côté, leurs adversaires s’opposent, d’abord, à ce qu’ils estiment être de la prostitution, certes non réprimée par la réglementation (10). Un argument balayé par les tenants de cette revendication qui estiment que « l’assistance sexuelle diffère de la prostitution en ce qui concerne le mobile : dans un cas, il s’agit d’éveiller à la sexualité, d’apporter un certain bien-être, dans l’autre, il s’agit d’obtenir une rémunération contre une prestation sexuelle », reprend Jean-Baptiste Thierry.
Leurs contradicteurs s’appuient ensuite sur la législation pénale et considèrent qu’une telle pratique tombe sous le coup du proxénétisme. En effet, selon les articles 225-5 et 225-6 du code pénal, « le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui, de tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement à la prostitution ou d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle se prostitue ou continue à le faire ». « Est assimilé au proxénétisme [...] le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit de faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui ». Du fait de cette définition large incriminant le fait de jouer un « rôle d’intermédiaire », de nombreux directeurs d’établissements médico-sociaux feraient preuve d’une « opposition marquée [...] à l’introduction et l’activité de prostituées dans le cadre de leurs institutions » (11).
Ce débat éveille en tout cas l’attention des pouvoirs publics. Jean-François Chossy, alors député UMP de la Loire, avait ainsi promis de déposer une proposition de loi spécifique relative à la sexualité des personnes handicapées. S’étant vu confier, en novembre 2010, une mission par le Premier ministre, François Fillon, sur « l’évolution des mentalités et le changement de regard de la société sur les personnes handicapées », il a quitté son poste de député en mai 2011. Ce n’est donc pas par cette voie qu’une évolution législative est susceptible d’être initiée. Reste que son rapport qui a été présenté le 6 décembre 2011 pourra relancer la question. Le débat est donc loin d’être clos, d’autant que l’association CH(s)OSE et le magazine Faire Face (de l’APF) ont lancé, le 14 septembre 2011, « un appel pour dire oui à l’assistance sexuelle des personnes en situation de handicap en France ».


(1)
Cass. civ. 1re, 24 février 1993, req. n° 91-13.587.


(2)
Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, art. 120, JO du 22-07-09.


(3)
Thierry J.-B., « Sexualité des personnes handicapées, le tabou juridique », in L’école des parents, n° 575, décembre 2008-janvier 2009.


(4)
ANESM, « Le questionnement éthique dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux », recommandations de bonnes pratiques professionnelles, octobre 2010, disponible sur www.anesm.sante.gouv.fr


(5)
Thierry J.-B., « L’assistance sexuelle pour les personnes handicapées », Lamy Droit de la santé, n° 104, mars 2011, p. 1.




(7)
Il regroupe la Coordination handicap et autonomie, Handicap international, l’Association française contre les myopathies, l’Association des paralysés de France (APF) et le Groupement pour l’insertion des personnes handicapées physiques.


(8)
Nuss M., « Enjeux politiques et juridiques de l’accompagnement sexuel », Reliance, 2008, n° 29, p. 29.


(9)
Dubus P., « Vie privée et sexualité des adultes handicapés résidant en établissement médico-social », VST, n° 97, mars 2008, numéro spécial « Habiter », p. 71.


(10)
Il s’agit, par exemple, du Mouvement du nid (www.mouvementdunid.org) ou de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir (FDFA). Sur cette question, cf. aussi Giami A., « L’assistance sexuelle ne résout pas le problème de la vie en institution », ASH n° 2729 du 21-10-11, p. 36.


(11)
Dubus P., « Vie privée et sexualité des adultes handicapés résidant en établissement-médico-social », préc.

SECTION 1 - LES DROITS DES PERSONNES HANDICAPÉES

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