En janvier 2010, lors des 6e Etats généraux de la famille organisés par le Conseil national des barreaux, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, a lancé un dispositif expérimental de « double convocation » (juge-médiateur) s’inscrivant ainsi dans la continuité de l’une des propositions du rapport Guinchard. Cette expérimentation vient seulement de prendre corps avec la parution d’un décret, le 12 novembre 2010, uniquement dans le champ de la médiation familiale parentale. Toutefois, il manque encore la parution d’un arrêté fixant les juridictions impliquées dans cette démarche. L’objectif est de donner la possibilité au juge aux affaires familiales, dès qu’il est saisi d’un litige, d’inviter les parties à rencontrer un médiateur familial, le temps qui précède l’audience pouvant ainsi être mis à profit pour tenter de trouver un accord et, à défaut, pour progresser dans la résolution du litige grâce au processus de médiation. Cette procédure d’information préalable à l’audience était déjà pratiquée par certains tribunaux. Pour les associations ou fédérations de médiateurs familiaux, elle reste en cohérence avec les principes de la médiation familiale en respectant le consentement des intéressés.
Parallèlement, certaines juridictions expérimentent une médiation familiale obligatoire, dite rapide, différente de la médiation familiale classique relativement longue. Il s’agit, dans certains dossiers, d’ordonner une médiation préalable à l’examen de la requête par le juge aux affaires familiales.
A. LES EXPÉRIENCES MENÉES AUTOUR DE LA « DOUBLE CONVOCATION »
1. LES EXPÉRIENCES DE TERRAIN ANTÉRIEURES
En réalité, certaines juridictions mettaient déjà en œuvre avant même cette annonce ministérielle une telle pratique. Sans pouvoir être exhaustif, il en est ainsi, par exemple, au « tribunal de grande instance de Bobigny, [...] où, pour les affaires sélectionnées par les magistrats, il a abouti dans la moitié des cas à un accord, total ou partiel », relevait ainsi le rapport Guinchard (1) tout en soulignant que « le succès de la “double convocation” passe toutefois par un lien étroit entre la juridiction et les services de médiation concernés, à l’effet d’assurer une permanence de médiateur ».
Il en est de même au tribunal de grande instance de Paris qui a mis en place ce système depuis octobre 2009. « Pour des affaires préalablement sélectionnées dans le cadre de requêtes post-divorce [...] ou concernant des enfants nés “hors mariage”, le juge aux affaires familiales adresse, dans un même courrier, la convocation à l’audience et l’invitation à rencontrer (environ six semaines avant l’audience) un médiateur », raconte maître Virginie Calteau-Peronnet, avocate au Barreau de Paris et médiatrice familiale (2). « Ce sont le plus souvent des requêtes liées à la résidence des enfants, à leur scolarité, à leurs activités, à leur éducation, à la pension alimentaire », poursuit Marie-Odile Redouin, médiatrice familiale (3). Dans ce courrier, le magistrat invite les parties à assister à une séance d’information, sans pour autant attacher de conséquences juridiques au fait de ne pas s’y rendre.
De son côté, le tribunal de grande instance de Créteil a participé à cette expérience de la double convocation. « A Créteil, les parties reçoivent deux courriers, le premier leur demandant de se rendre à une date et heure précise au tribunal, sorte de “rendez-vous” », dans la salle dédiée à la médiation familiale pour rencontrer une personne nommément désignée, issue d’une association travaillant en collaboration avec le tribunal. Cette information est organisée un mois après le dépôt de la requête. Le second courrier fixe la date de convocation pour l’audience devant le JAF. Un délai de trois mois entre les deux dates est prévu. Ce délai de trois mois est de toute façon celui qui est nécessaire à l’audiencement des dossiers qui ne sont pas soumis à la « double convocation », explique Bénédicte Gilet, juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance de Créteil (4). « Les dossiers objets de la double convocation sont ceux quiont été sélectionnés par le juge aux affaires familiales principalement sur le critère de l’intérêt del’enfant », explique-t-elle. Ainsi, de mai 2008 au 30 avril 2010, 458 situations ont été orientées en double convocation.
2. LE CADRE JURIDIQUE DE L’EXPÉRIMENTATION LANCÉE
[Décret n° 2010-1395 du 12 novembre 2010, article 1er, JO du 16-11-10]
Même si cette technique de la double convocation était déjà pratiquée par un certain nombre de juridictions de manière informelle, le décret du 12 novembre 2010 vise à l’expérimenter de manière officielle dans le champ de la médiation familiale parentale, c’est-à-dire dans le cadre de l’injonction à rencontrer un médiateur prévue par l’article 373-2-10 du code civil (cf. supra, § 1, A). Un arrêté doit encore fixer la liste des tribunaux de grande instance qui devraient mettre en place cette initiative jusqu’au 31 décembre 2013. En tout état de cause, un bilan de cette expérimentation est prévu quatre mois avant l’issue de l’expérimentation, soit en septembre 2013.
En pratique, l’article 1er de ce décret prévoit que les parties seront « informées de la décision du juge leur enjoignant de rencontrer un médiateur familial soit par courrier, soit à l’audience ». A cette occasion, il leur sera indiqué :
- le nom du médiateur familial ou de l’association de médiation familiale désigné ;
- les lieux, jour et heure de la rencontre.
Lorsque la décision sera adressée par courrier, il leur sera en outre rappelé la date de l’audience à laquelle l’affaire sera examinée. Lors de celle-ci, le juge pourra soit homologuer, le cas échéant, l’accord intervenu, soit à défaut d’accord ou d’homologation, trancher le litige.
B. L’EXPÉRIENCE DE LA MÉDIATION FAMILIALE RAPIDE
Au tribunal de grande instance d’Arras, c’est une expérimentation distincte, de médiation familiale rapide, qui a été menée, plus décriée par certains médiateurs familiaux en ce qu’elle ne laisse pas le temps nécessaire, selon eux, de régler le conflit.
Dans le cadre de cette expérience, le choix a été fait de recourir uniquement à ce type de médiation pour les requêtes hors ou après divorce. En pratique, le juge saisi d’une requête en ce sens en fait une analyse et un tri et décide d’en soumettre certaines à ce type de médiation. Sont exclus « les gros contentieux au bénéfice des parents qui font une requête mal définie où il est difficile de savoir ce que le requérant demande (“il me rend les enfants sans leurs vêtements propres”, “mon fils ne supporte plus son ami” par exemple) ou de ceux qui recherchent de manière récurrente le rendez-vous judiciaire pour pouvoir discuter de leurs enfants avec persistance d’un même type de conflit (après une ou plusieurs décisions déjà rendues notamment dans un bref délai) mais aussi des parents qui ont une entente apparente sur les modalités d’organisation de la vie de leur(s) enfant(s) avec de manière plus exceptionnelle, le jeune majeur qui demande une pension alimentaire à ses parents », explique Myriam Rogez-Morange, médiatrice familiale (5). En pratique, « le président ou le juge ordonne une tentative de médiation lorsque la situation exposée dans la requête l’autorise, par simple mention au dossier de la procédure. La tentative de médiation exige, bien évidemment, la comparution personnelle des deux parties » mais « est sans comparution devant le juge mandant », en principe, ajoute Daniel Coquel, président du tribunal de grande instance d’Arras, le juge respectant la confidentialité du contenu de la médiation (6).
La médiation se déroule au sein même du tribunal, dansun « lieu neutre du Palais de justice, aux jours et heures fixées par le médiateur qui dispose de 50 minutes pour aboutir à un accord ». Un seul renvoi de la séance est possible. Elle « s’exécute sans consignation ni frais pour les parties, le médiateur étant rémunéré par la structure associative dont il dépend, celle-ci bénéficiant de subventions spécifiques notamment du CDAD [NDLR : conseil départemental de l’accès au droit] ». De septembre 2008 au 22 mars 2010, 67 permanences de médiationpréalable à l’audience du juge aux affaires familiales ont été assurées permettant de connaître 459 dossiers, soit 918 parentsorientés vers la médiation familiale rapide.
(1)
Guinchard S., « L’ambition raisonnée d’une justice apaisée », rapport au garde des Sceaux, La Documentation française, 2008, p. 167.
(2)
Calteau-Peronnet V., « La double convocation : questionnement d’avocats », Le médiateur familial, n° 62, mars 2009, p. 12.
(3)
Redouin M.-O., Libre propos in « Expériences croisées autour de l’orientation en médiation familiale avant l’audience du juge aux affaires familiales – Arras-Créteil », Le médiateur familial, numéro spécial, juillet 2010, p. 35.
(4)
Gilet B., « Quand médiateurs familiaux et magistrats s’interrogent mutuellement », Le médiateur familial, numéro spécial, juillet 2010, p. 17.
(5)
Rogez-Morange M., « Quand médiateurs familiaux et magistrats s’interrogent mutuellement », Le médiateur familial, numéro spécial, juillet 2010, p. 17.
(6)
Coquel D., intervention au colloque sur la médiation familiale organisé par le CDAD d’Arras le 26 mars 2010, Le médiateur familial, numéro spécial, juillet 2010, p. 5.