La frontière entre le « social » et le « médico-social » est, comme nous le verrons, souvent incertaine, parfois arbitraire. On admettra néanmoins que c’est certainement la densité de soins spécifiques qui permet de faire la différence entre le « social » dont la mission est étrangère au champ du soin, même s’il arrive qu’on y soigne, et le « médico-social » qui, même si sa raison d’être est d’offrir une alternative à l’hospitalisation, en est issu, et où des soins sont délivrés, au demeurant plus centrés sur le « care » que sur le « cure ».
A. DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAINTIEN SOUS LA MÊME RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE DES DEUX CHAMPS...
Un certain nombre de considérations poussaient à laisser associés, c’est-à-dire sous la même responsabilité administrative, le « social » et le « médico-social ».
D’abord le fait qu’il faut soigner dans le secteur social : on pense en particulier aux besoins de soins – parfois importants – des populations en voie d’exclusion, à l’accueil des SDF à l’hôpital. Afin d’organiser dans chaque région une réponse collective, la loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions a instauré des programmes régionaux d’accès à la prévention et aux soins (PRAPS) et a créé dans les établissements de santé des permanences d’accès aux soins de santé (PASS), cellules de prise en charge médico-sociale.
Autre considération : l’identité d’un secteur fondée, depuis 50 ans, sur l’articulation des réponses sanitaires et sociales conçues comme totalement complémentaires ; l’accès aux soins passe par du « social », c’est-à-dire à la fois par un régime de protection sociale, par une organisation collective de l’offre de soins et par une attention spécifique portée aux plus vulnérables ; le niveau de vie d’une population, depuis l’accès à une eau potable jusqu’à la qualité de son alimentation et de ses logements, pèse autant, sinon plus, sur son état de santé que le niveau de l’offre de soins stricto sensu. Ignorer la composante sociale de la santé publique signifierait une régression particulièrement grave de notre politique de santé. Il ne saurait y avoir de progrès social sans que le droit à la santé, à tout le moins l’accès à des soins de qualité, devienne, soit ou reste une réalité. Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, affirmait ainsi dans son discours prononcé lors d’Hôpital Expo, le 19 mai 2010, « la santé contribue au lien social en donnant chair et en faisant vivre la solidarité nationale, puisque c’est la collectivité qui assure et prend en charge le risque en santé ». Et d’ajouter : « la santé – faut-il le rappeler ? – est fondamentalement créatrice de lien social ».
La recherche de la simplicité des organisations, qui anime en principe nos décideurs, plaidait également pour le maintien d’une association avec laquelle tant le public que les acteurs d’un domaine complexe étaient familiers.
On mentionnera aussi que certaines professions, certaines formations, certaines conventions collectives sont communes aux deux champs ; l’articulation social/médico-social repose largement sur une communauté d’intervenants, voire sur une certaine communauté d’idées et de représentations.
B. ... QUI N’ONT PAS EMPORTÉ LA DÉCISION
Ces arguments n’ont pas été retenus. La décision d’autonomiser le social répond à deux séries de préoccupations que l’on aurait tort de considérer comme négligeables. D’abord, il était évident, en particulier pour le corps préfectoral, que l’Etat ne pouvait se priver d’un service à vocation « sociale » dans le département, le besoin de ce service dépassant très largement les sujets les plus « immédiats » comme les hospitalisations sous contrainte ou les enquêtes sociales. Faut-il y voir le poids de la crise économique et de ses inévitables conséquences sur la vie quotidienne des Français ? Le fait que les DDASS étaient devenues progressivement un des services avec lesquels les préfets travaillaient le plus ? La réalité du pôle « social » des services territoriaux de l’Etat, dont la DDASS était naturellement le cœur ?
Ensuite, en termes directement opérationnels, il est clair que les partenaires privilégiés du « pôle social » des DRASS et des DDASS n’étaient pas ceux du secteur du soin mais d’autres partenaires, comme les services de l’emploi et du logement pour les politiques de lutte contre l’exclusion, le secteur bancaire, notamment la Banque de France, concernant le surendettement des ménages, les grands opérateurs nationaux fournisseurs d’énergie pour prévenir les coupures d’électricité ou de gaz...
Ces préoccupations l’ont emporté dans les discussions interministérielles puis, sans grand débat, au Parlement. Restait donc à organiser une nouvelle administration sociale qui a été mise en place dans le cadre de la RGPP et dont on peut craindre qu’elle soit fragile (cf. supra, chapitre I), et à organiser ses relations avec les agences régionales de santé car la coupure des anciennes DDASS et DRASS va poser de nombreuses questions de frontières aux services qui les remplacent.