Au cœur du projet des agences régionales de santé, la mise sous une responsabilité unique du secteur des soins et de celui de l’accompagnement médico-social suscite des inquiétudes. La crainte de voir le médico-social dissous dans un vaste marché est alimentée par la transposition en droit national de la directive « services » et par l’introduction, pourtant prudente et progressive, de processus d’évaluation externe perçue comme une volonté de contrôle par l’Etat des « produits et services » fournis par ce secteur. On oppose volontiers à toutes les démarches d’« optimisation » de la dépense de fonds publics – dépenser mieux avant de dépenser plus, rechercher les économies d’échelle en particulier par la réduction du nombre d’entités gestionnaires – les principes fondateurs d’un secteur jusqu’à présent largement protégé de l’extérieur :
- primauté de la prise en compte des besoins et des initiatives de la base ;
- primat du projet de vie opposé au projet de soins (jusqu’à ce que la montée des maladies chroniques rende ce distingo largement obsolète) ;
- rejet de la gestion hospitalière et de l’« hospitalocentrisme ».
A l’opposé de ces préoccupations, un courant d’idées, né dans l’administration sanitaire et sociale, a poussé, depuis le milieu des années 1990, à la mise en place d’une responsabilité unique sur les deux champs, sanitaire d’une part, médico-social d’autre part. La conférence des directeurs d’agence régionale de l’hospitalisation, par exemple, s’est prononcée de son côté très tôt pour la création d’agences régionales de santé.
A l’origine de ce courant, un constat : si la séparation, qui se voulait totale, du sanitaire et du médico-social dans les années 1970 était inévitable voire souhaitable et a permis la prise en compte de la situation d’un certain nombre de catégories sociales « oubliées » par l’hôpital et les pouvoirs publics, elle a aussi généré des effets pervers graves. Ainsi, des populations qui relevaient à la fois du soin et d’une prise en charge durable – comme les autistes, les victimes de traumatismes crâniens ou d’addictions, les malades mentaux stabilisés – se voyaient ignorées par les deux secteurs, et donc souvent victimes de conflits de compétences négatifs. Les tenants de ce courant d’idées ont été rejoints par la Fédération hospitalière de France, laquelle, sous l’impulsion de Gérard Vincent, son délégué général, s’est enfin investie concrètement sur ce secteur médico-social – pourtant géré largement par des établissements hospitaliers – qu’elle avait pendant longtemps totalement négligé. Ils ont été puissamment aidés par l’arrivée de la tarification à l’activité (T2A) : les recettes des établissements étant liées à leur activité, le développement de celle-ci impliquait que l’hôpital disposât de places d’« aval » dans le secteur sanitaire (soins de suite et de réadaptation et hospitalisation à domicile) et plus encore dans le secteur médico-social. L’avenir de l’hôpital passait donc par un secteur médico-social, longtemps vécu comme une verrue peu glorieuse réservée aux pauvres, et comme un archaïsme. De manière plus concrète encore, l’engorgement récurrent des services d’accueil des urgences plaide aussi en faveur de ce refus d’une logique du « tout hospitalier », qui devrait se traduire par trois séries d’actions dont on attend des agences régionales de santé qu’elles les mettent en œuvre.
Il s’agit, en premier lieu, de la fameuse « fongibilité asymétrique » (cf. encadré) – peu pratiquée ces dernières années faute sans doute d’un débat suffisant entre directeurs d’agence régionale de l’hospitalisation et directeurs régionaux des affaires sanitaires et sociales – qui consiste à transférer des dotations hospitalières vers le secteur médico-social, à charge pour ce dernier de créer les formules alternatives à l’hospitalisation.
On peut penser – et souhaiter – que la mise en place des agences régionales de santé ne manquera pas de faciliter cette forme de fongibilité : ce sera du reste un bon indicateur de leur réussite ou de leur échec.
En second lieu, les agences régionales de santé auront en main tous les leviers pour la mise en place de dispositifs que professionnels et même usagers parfois appellent de leurs vœux, comme les « filières » de prise en charge, notamment en gériatrie. L’organisation de telles filières devrait alléger, pour les uns comme pour les autres, cette sempiternelle et épuisante « recherche de places », tout en améliorant la prise en charge.
Enfin, le monde hospitalier doit aller jusqu’au bout d’une révolution culturelle engagée sous l’impulsion de la Fédération hospitalière de France, mais qui est loin d’avoir produit encore tous ses effets dans la mise en œuvre de prises en charge médico-sociales : il lui faut précisément oublier qu’il est « l’Hôpital » lorsqu’il gère des services médico-sociaux et rechercher une qualité qui n’a pas toujours été, loin s’en faut, au rendez-vous. Cette mutation est largement amorcée, en particulier dans un certain nombre d’hôpitaux locaux et de petits hôpitaux généraux. Encore faut-il bien concevoir que cette exigence de qualité porte non seulement sur les conditions d’hébergement et sur les soins mais aussi sur la vie quotidienne des pensionnaires. Etant précisé qu’il ne faut pas poser comme postulat que tout serait parfait de ce point de vue dans tous les établissements médico-sociaux relevant d’autres gestionnaires privés, qu’ils soient associatifs ou commerciaux.
Introduit dans la loi « HPST » au cours de son examen au Parlement, le dispositif de fongibilité asymétrique préconisée par la mission « Bur » vise à sanctuariser les crédits du médico-social. Une mesure visant à répondre aux inquiétudes des associations gestionnaires du secteur médico-social. Ces dernières craignaient que l’inclusion du secteur médico-social financé par l’assurance maladie dans le champ de compétences de l’agence régionale de santé entraîne des transferts d’enveloppe du médico-social vers le sanitaire ou encore des transformations de lits d’hôpitaux en places en établissements médico-sociaux sans transfert d’enveloppe.
Sur le premier point, le législateur a prévu que les moyens financiers dont l’attribution relève des agences régionales de santé, et qui correspondent à l’objectif global de dépenses d’assurance maladie des établissements et services médico-sociaux gérés par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ainsi qu’à l’objectif de dépense spécifique médico-social, hors champ CNSA (structures d’addictologie et lits halte soins santé), ne peuvent être affectés au financement d’établissements, services ou prestations autres que ceux qui sont inclus dans ces objectifs de dépenses.
Sur le second point, l’objectif est d’éviter que les transformations de lits d’hôpitaux en places en établissements médico-sociaux se fassent sans transfert d’enveloppe. Aussi, en cas de conversion d’activités entraînant une diminution des dépenses financées par l’assurance maladie, et dont le financement s’impute sur un des objectifs de dépenses sanitaires (1), en activités dont le financement s’impute sur l’un des objectifs de dépenses médico-sociales, les dotations régionales limitatives des établissements et services médico-sociaux sont abondées des crédits correspondant aux activités qui sont converties.
Etant précisé que le financement de l’activité de l’établissement ou du service médico-social qui résulte de cette conversion est établi en tenant compte du financement alloué aux établissements et services médico-sociaux qui fournissent des prestations comparables.
ce dispositif de fongibilité asymétrique s’applique également aux crédits dédiés à la prévention. Les moyens financiers, quelle qu’en soit l’origine, attribués à l’agence régionale de santé pour le financement des actions tendant à la promotion de la santé, à l’éducation à la santé, à la prévention des maladies, des handicaps et de la perte d’autonomie ne peuvent être affectés au financement d’activités de soins ou de prises en charge et d’accompagnements médico-sociaux (C. santé publ., art. L. 1434-6, al. 1).
[Code de la santé publique, article L. 1434-13]
(1)
Hors objectif prévisionnel des dépenses de soins de ville.