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LA RÉFÉRENCE COMMUNE À L’INTÉRÊT COLLECTIF

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En raison de sa constitution récente, le secteur social et médico-social n’a pas été concerné directement par les débats doctrinaux sur la notion de service public, son champ et ses acteurs.
Si le droit des autorisations renvoie à la compétence des juridictions administratives, la discrétion du secteur commercial dans ce secteur – jusqu’à une date récente où il a investi fortement le champ des maisons de retraite – explique une jurisprudence peu abondante – à la différence de ce qui s’est passé dans le champ des établissements de santé où les demandes d’autorisation de lits d’hospitalisation par le secteur des cliniques a alimenté un contentieux très abondant.
Les autres catégories de contentieux, notamment celui de la responsabilité, relevaient et relèvent classiquement, quant à elles, des juridictions judiciaires pour les établissements de droit privé et des juridictions administratives pour les établissements publics, qu’ils soient autonomes ou gérés par un établissement hospitalier ou une collectivité territoriale.
S’agissant néanmoins d’établissements développant des activités répondant à un besoin collectif certain, la question de la qualification de leur activité ne pouvait manquer d’être posée. Elle l’a été lors de la discussion de la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.


A. LES TERMES DU DÉBAT

D’un côté, il y a la position des associations qui expriment, de façon récurrente, une double crainte :
  • celle du carcan du droit public, de statuts publics, de la réglementation des marchés, de la réglementation comptable ;
  • et surtout celle de l’instrumentalisation par les pouvoirs publics, d’un encadrement excessif, voire stérilisant toute possibilité d’initiative.
De l’autre, il y a la position des financeurs, que l’on entend exprimée à Bercy ou à la Caisse nationale d’assurance maladie, celle de dépenses mal contrôlées. Une note du mois de juillet 2009 du Centre d’analyses stratégiques, intitulée « L’externalisation des services publics, un moyen efficace pour réduire les dépenses de fonctionnement ? », illustre cette préoccupation (1). Certes, il y a un point d’interrogation, certes cette étude, qui compare la situation d’un certain nombre de pays de l’OCDE, convient dans une conclusion prudente que l’analyse comparée des différents modes de gestion du point de vue de la maîtrise des dépenses à moyen terme reste « souvent peu concluante », tout cela ne saurait faire oublier pour autant le tropisme ambiant en faveur du secteur commercial présenté généralement comme plus efficient.


B. LE SECTEUR SOCIAL ET MÉDICO-SOCIAL NE REMPLIT PAS UNE MISSION DE SERVICE PUBLIC

Fabrice Heyriès déclarait, le 15 janvier 2010, dans une interview aux Actualités sociales hebdomadaires : « Nous reconnaissons les associations comme des opérateurs du service public, dans le cadre d’une relation contractuelle et non plus d’une relation où l’Etat se déleste d’un sujet en subventionnant des structures jalouses de leur autonomie » (2). Cette position est certainement positive et importante en termes politiques ; elle n’est pas tout à fait exacte en termes strictement juridiques.
Cette question est en effet venue en débat à l’Assemblée nationale le 31 janvier 2001 dans le cadre de la discussion du projet de loi rénovant l’action sociale et médico-sociale. Alors que le projet du gouvernement introduisait un article L. 311-1 au code de l’action sociale et des familles indiquant que « l’action sociale au sens du présent code s’inscrit dans les missions d’intérêt général et d’utilité sociale suivantes » (suivait l’énumération de six séries de missions), un amendement du groupe communiste proposait de substituer aux mots « d’intérêt général et d’utilité sociale » les mots « de service public ». Dans sa défense de l’amendement, Patrice Carvalho, alors député (PC), indiquait qu’il s’agissait de faire reconnaître le caractère de mission de service public aux missions remplies par les acteurs du secteur social et médico-social. Pour lui en effet, il s’agissait « bel et bien de missions de service public, qu’elles soient effectuées par des personnes publiques ou privées. Ajoutons, dit-il, que cette reconnaissance du caractère de missions de service public implique un régime juridique précis en droit administratif. Les notions de “mission d’intérêt général” et de “mission d’utilité sociale” obéissent à un régime juridique beaucoup plus flou ».
Dominique Gillot, alors secrétaire d’Etat à la santé et aux handicapés, fit valoir que « à l’exception notable du secteur des personnes âgées, où les établissements publics, notamment hospitaliers, sont largement majoritaires, le secteur qui accueille des personnes handicapées, des enfants handicapés – celui de la lutte contre l’exclusion – est, lui, principalement porté par les établissements privés à but non lucratif. [...] Par conséquent, la notion de “mission d’intérêt général et d’utilité sociale” paraît mieux adaptée que celle de “mission de service public”, qui rappelle trop le secteur hospitalier, au sein duquel les établissements publics de santé sont prédominants. » Elle demanda et obtint le rejet de l’amendement.
Il est également utile de citer l’intervention le même jour de Pascal Terrasse, député (PS) et auteur d’un rapport paru en mars 2000 sur la réforme de la loi n° 1975-535 du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales, où il y affirmait le caractère de service public de l’action médico-sociale. Défenseur de l’amendement du groupe communiste, il souligna que la « notion de mission de « service public » qui figure dans les lois de 1991 concernant le secteur sanitaire [...] peut tout à fait se transposer à l’ensemble des secteurs. Elle peut être mise en avant [...] par délégation dans le secteur associatif. Pourquoi, ajoute-t-il, introduire cette mission de service public ? On voit bien qu’un certain nombre d’actions et de règlements concernent, au niveau européen, le secteur médico-social. Et je ne voudrais pas qu’à terme ce secteur-là entre dans le secteur marchand traditionnel. Il me semble donc que cette notion de mission de service public peut protéger les associations mais aussi l’ensemble de celles et de ceux qui interviennent dans le champ médico-social. »
Commentant ce débat dans leur ouvrage sur la loi du 2 janvier 2002 Jean-François Bauduret et Marcel Jaeger (3) estiment que le législateur a fait preuve de sagesse pour deux séries de raisons :
  • en premier lieu, la proportion « public-privé » n’est pas la même dans le champ hospitalier et dans le secteur social, médico-social ;
  • en second lieu, la nature des obligations du service public hospitalier n’est pas « exportable en l’état dans le champ social » : « Rappelons que l’article L. 6112-2 du code de la santé publique définit dans le droit hospitalier l’obligation de service public “en termes d’admission de jour et de nuit, y compris en urgence”, et de “non-discrimination entre les malades en ce qui concerne les soins”. Ces notions sont soit inadaptées, soit peu opérationnelles dans le champ social : l’admission de nuit ou en urgence est plus limitée dans un secteur où les prises en charge sont au long cours et le plus souvent programmées. Par ailleurs, le secteur social relève plus de la notion de discrimination positive (apporter des réponses adaptées à des populations bien précises) que de celui de la non-discrimination au sens de la loi hospitalière (non-sélection des personnes en fonction de leurs revenus ou au regard de leurs pathologies). »
Enfin, ajoutent-ils, « dans le secteur du handicap, l’admission en établissement ou l’accès à un service résulte d’une orientation d’instances extérieures (CDES, Cotorep) [NDLR : désormais CDAPH] s’imposant à la structure d’accueil ».


C. L’INTÉRÊT COLLECTIF, COMMUN AUX SECTEURS SANITAIRE ET MÉDICO-SOCIAL

Le débat a été relancé avec la loi n° 2009-879 dite « HPST ». Dans une première mouture, en effet, la notion de participation au service public hospitalier (PSPH) a disparu dans le cadre du passage d’une notion organique du service public à une notion purement fonctionnelle.
Les réactions d’une partie du monde hospitalier conduisirent gouvernement et parlementaires à s’accorder sur l’introduction d’un concept jugé équivalent, celui de l’intérêt collectif, qui ne préjuge pas de l’exercice de missions de service public mais constitue un label qui entraîne un certain nombre d’obligations. Ce concept d’intérêt collectif a été étendu au secteur médico-social, mais avec, semble-t-il, des conséquences différentes.


1. L’INTÉRÊT COLLECTIF DANS LE CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE

[Code de la santé publique, articles L. 6161-5, D. 6161-2 à D. 6161-4]
Sont qualifiés d’établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) les centres de lutte contre le cancer ainsi que les établissements de santé privés gérés par des organismes sans but lucratif qui en font la déclaration auprès de l’agence régionale de santé.
Ces établissements sont soumis à l’obligation de garantir à l’ensemble de leurs patients les avantages et principes inhérents aux missions de service public : égal accès à des soins de qualité, permanence de l’accueil et des soins, opposabilité des tarifs pratiqués aux caisses d’assurance maladie. Il renoue donc avec la notion de service public organique.
Le décret d’application n° 2010-535 du 20 mai 2010 apporte un cadre procédural simple pour la procédure déclarative et impose à l’organe délibérant du gestionnaire d’un ou plusieurs ESPIC de se doter d’un « projet institutionnel » dont le contenu s’apparente au projet d’établissement d’un établissement public (politique générale de l’établissement, projet relatif à l’évolution des prises en charge des patients en cohérence avec les activités sociales et médico-sociales gérées par la personne morale, actions et projets de coopération, actions de prévention, politique générale relative au système d’information, modalités d’association des usagers et de leurs associations représentatives).


2. L’INTÉRÊT COLLECTIF DANS LE CODE DE L’ACTION SOCIALE ET DES FAMILLES

La loi crée la notion d’établissement et service social et médico-social privé d’intérêt collectif (ESmsPIC), alter ego de l’établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) du secteur sanitaire. On regrettera que le décret du 20 mai 2010 ne fasse aucune réfé-rence au code de l’action sociale et des familles, dont l’article L. 311-1 – introduit par l’article 124-V de la loi « HPST » – qualifie d’établissements et services sociaux et médico-sociaux d’intérêt collectif, dans le cadre d’une procédure déclarative pour laquelle un décret est attendu, les établissements et services privés qui :
  • exercent leurs missions sociales et médico-sociales dans un cadre non lucratif et dont la gestion est désintéressée ou exercent leurs missions dans un cadre lucratif mais en ayant conclu une convention d’aide sociale ;
  • inscrivent leur action dans le cadre d’un projet institutionnel validé par l’organe délibérant de la personne morale de droit privé gestionnaire, qui décrit les modalités selon lesquelles les établissements et services qu’elle administre organisent leur action en vue de répondre aux besoins sociaux et médico-sociaux émergents ou non satisfaits, d’une part, et de limiter le reste à charge des personnes accueillies ou accompagnées, dès lors qu’une participation financière est prévue par les textes en vigueur, d’autre part ;
  • publient leurs comptes annuels certifiés ;
  • établissent, le cas échéant, des coopérations avec d’autres établissements et services sociaux et médico-sociaux pour organiser une réponse coordonnée et de proximité aux besoins de la population dans les différents territoires, dans un objectif de continuité et de décloisonnement des interventions sociales et médico-sociales réalisées au bénéfice des personnes accueillies ou accompagnées.
Les personnes morales de droit privé gestionnaires d’établissements et services sociaux et médico-sociaux privés adoptent le statut d’intérêt collectif par une délibération de leur organe délibérant transmise à l’autorité ayant compétence pour délivrer l’autorisation. La qualité d’établissement et service social et médico-social privé d’intérêt collectif se perd soit par une nouvelle délibération de l’organe délibérant de la personne morale de droit privé gestionnaire, transmise à l’autorité ayant enregistré l’engagement initial dans l’intérêt collectif social et médico-social, soit du fait d’une appréciation de l’autorité ayant délivré l’autorisation.
Les rédactions des deux codes sont, on le voit, assez voisines et nullement incompatibles ; on voudrait être sûr qu’elles ont été concertées.


(1)
Bénard S., Guilloux A., « L’externalisation des services publics, un moyen efficace pour réduire les dépenses de fonctionnement ? », CAS, note de veille n° 148, juillet 2009, consultable sur www.strategie.gouv.fr


(2)
Heyriès F., « Notre regard va changer de dimension », propos recueillis par Maryannick Le Bris, ASH n° 2642 du 15-01-10, p. 31.


(3)
Bauduret J.-F., Jaeger M., Rénover l’action sociale et médico-sociale – Histoire d’une refondation, Dunod, 2005.

SECTION 3 - LES LEVIERS DU RAPPROCHEMENT

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