Au-delà d’un évident effet de mode venu d’Amérique, la création des agences répond à un besoin de renouvellement des outils de l’Etat pour un Etat plus efficace.
A. UN OBJECTIF D’EFFICACITÉ
Pour une plus grande efficacité de l’action publique, les agences présentent ou sont censées présenter les avantages de la structure spécialisée sur la structure généraliste. Elles sont également supposées apporter davantage :
- de moyens. La mise en place, par exemple, des agences régionales de l’hospitalisation (ARH) en 1997 s’était traduite par la création de 250 à 300 emplois, et souvent des emplois plus spécialisés que ceux qui sont présents dans les services déconcentrés « traditionnels » de l’Etat. Les agences, au demeurant, peuvent choisir leurs collaborateurs, à la différence des administrations de l’Etat où le choix se fait sur le plan national dans un cadre largement « verrouillé » par les commissions administratives paritaires. Il conviendra, avec le recul, de dresser un bilan de la création des ARS, laquelle intervient dans un contexte beaucoup plus difficile que celle des ARH, en termes d’emplois ;
- de pouvoirs de décision dans le cadre d’une réelle déconcentration. Les ARH en bénéficièrent, les directeurs généraux des ARS ont encore davantage de pouvoirs mais il reste à vérifier si l’administration centrale, qui s’est réorganisée pour un meilleur suivi des agences, entend jouer le jeu de la déconcentration ou ne tendra pas, en lien avec un contexte financier d’une extrême tension, à faire remonter un certain nombre de décisions ;
- d’indépendance par rapport aux considérations de politique locale ;
- de coordination technique par la composition des instances de l’agence qui permet d’associer de façon « organique » d’autres partenaires que les seuls représentants de l’Etat ;
- de visibilité pour les partenaires et les usagers ;
- d’intervention publique, lorsque les agences se substituent à des acteurs professionnels défaillants (comme ce fut le cas pour la transfusion sanguine et les transplantations d’organes).
B. L’IMPORTANCE DU PHENOMENE...
Les ministères « sociaux » ont été particulièrement concernés par les créations d’agences, non sans lien bien évidemment avec leur faiblesse récurrente. Ce phénomène a été massif dans le secteur de la santé publique, il est présent dans le secteur de la solidarité. Il faut également distinguer ces opérateurs nouveaux des autorités administratives indépendantes.
1. DANS LE SECTEUR SANITAIRE
Le législateur a, ces dernières années, créé un certain nombre d’agences ou d’instituts sanitaires jouant un rôle important dans leurs domaines. Il s’agit, pour l’essentiel, d’établissements publics de l’Etat placés sous la tutelle du ministère de la Santé. Lequel a d’ailleurs mis en place un portail, piloté par la DGS, qui fédère ces agences (1). Sans être exhaustif, citons notamment :
- la nouvelle Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Née de la fusion de l’Agence française de sécurité sanitaire (AFSSA) et de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), cette institution est juridiquement opérationnelle depuis le 1er juillet 2010, à la suite de la parution du décret d’application de l’ordonnance du 8 janvier 2010 instituant sa création (2). Reprenant les missions, les moyens et le personnel de chacune de ces deux agences, l’ANSES aura une vision transversale sur l’ensemble des risques sanitaires, qu’ils soient liés à l’environnement, au travail ou à l’alimentation ;
- l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) (ex-agence du médicament). Cet établissement a un rôle d’évaluation et d’expertise des bénéfices et des risques liés à l’utilisation des produits de santé, des médicaments et des dispositifs médicaux ;
- l’Institut de veille sanitaire (INVS). Créé en 1999 par transformation du réseau national de santé publique, il réunit les missions de surveillance, de vigilance et d’alerte dans tous les domaines de la santé publique (maladies infectieuses, effets de l’environnement sur la santé, risques d’origine professionnel, maladies chroniques et traumatismes...) et a vu son champ d’action élargi par la loi du 9 août 2004 afin de répondre aux nouveaux défis révélés par les crises sanitaires récentes et les risques émergents ;
- l’Agence de biomédecine (ex-Etablissement français des greffes). Elle est compétente dans les domaines du prélèvement et de la greffe d’organes, de tissus et de cellules mais aussi dans ceux de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines (C. santé publ., art. L. 1418-1 à L. 1418-8) ;
- l’Établissement français du sang. Créé le 1er janvier 2000, il assume principalement le monopole des activités de collecte, de préparation, de qualification et de distribution des produits sanguins labiles aux établissements de soins et assure la promotion du don de sang en veillant au respect des principes éthiques (bénévolat, anonymat, non profit) ;
- l’Institut national du cancer (INCA). Groupement d’intérêt public placé sous tutelle des ministères de la santé et de la recherche, cette agence sanitaire et scientifique, chargée de coordonner les actions de lutte contre le cancer, a été créée par la loi de santé publique du 9 août 2004 dans le cadre du Plan cancer ;
- l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). Créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, il s’est constitué à partir de la transformation du Comité français d’éducation pour la santé. Il a pour principales missions d’exercer une fonction d’expertise et de conseil en matière d’éducation et de promotion pour la santé et d’assurer le développement de l’éducation pour la santé et l’éducation thérapeutique en France ;
- l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ;
- l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ;
- l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) ;
- le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière ;
- l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP). Instituée par la loi « HPST » du 21 juillet 2009 et officiellement créée en octobre de la même année, elle regroupe les expertises du Groupement pour la modernisation du système d’information hospitalier (GMSIH), de la Mission nationale d’appui à l’investissement hospitalier (MAINH) et la Mission nationale d’expertise et d’audit hospitalier (MEAH). Elle a pour principales missions l’appui et l’accompagnement des établissements de santé et médico-sociaux, notamment dans le cadre de réorganisations internes ou de recompositions hospitalières ou médico-sociales, l’évaluation, l’audit et l’expertise des projets hospitaliers ou médico-sociaux, le pilotage et la conduite d’audits sur la performance de ces établissements ainsi que l’appui aux agences régionales de santé dans leur mission de pilotage opérationnel et d’amélioration de la performance des établissements ;
- l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP) ;
- l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH).
2. DANS LES SECTEURS SOCIAL ET MEDICO-SOCIAL
Si les agences sont moins nombreuses dans les secteurs social et médico-social, elles existent tout de même. Citons notamment :
- l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm). Créée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, l’ANESM est née de la volonté des pouvoirs publics d’accompagner les établissements et services sociaux et médico-sociaux dans la mise en œuvre de l’évaluation interne et externe, instituée par la loi du 2 janvier 2002. Installée en mai 2007, elle a succédé au Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale. L’objet de l’agence est de développer, à travers la promotion des pratiques d’évaluation, une culture de la bientraitance au sein des établissements et services qui accueillent des personnes vulnérables (personnes âgées, handicapées, enfants et adolescents en danger et personnes en situation d’exclusion). Elle a pour missions principales de valider, d’élaborer ou d’actualiser des procédures, des références et des recommandations de bonnes pratiques professionnelles et de les diffuser et d’habiliter les organismes extérieurs qui procèdent à l’évaluation externe des activités et de la qualité des prestations des établissements ou services visés à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles. Pour l’exercice de ses missions, l’ANESM est notamment chargée de favoriser et de promouvoir toute action d’évaluation ou d’amélioration de la qualité des prestations délivrées dans le domaine social et médico-social ;
- la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Mise en place en mai 2005, la CNSA est chargée de financer les aides en faveur des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées, de garantir l’égalité de traitement sur tout le territoire et pour l’ensemble des handicaps, d’assurer une mission d’expertise, d’information et d’animation pour suivre la qua-lité du service rendu aux personnes. C’est donc à la fois une « caisse » chargée de répartir les moyens financiers et une « agence » d’appui technique (CASF, art. L. 14-10-1 et s. et R. 14-10-1 et s.) ;
- l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE). En réponse à la crise des banlieues de l’automne 2005, l’ACSE a été créée par la loi du 31 mars 2006 pour renforcer l’action de l’Etat en faveur des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville, de l’intégration des personnes immigrées et issues de l’immigration et de la lutte contre les discriminations. A ces deux missions principales s’ajoutent la responsabilité du service civil volontaire, la lutte contre l’illettrisme et la gestion du fonds interministériel de prévention de la délinquance. L’ACSE s’est substituée au Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild) (CASF, art. L. 121-14 et s. et R. 121-13 et s.).
3. DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES
A côté des agences, existent des autorités administratives indépendantes. Citons principalement :
- la Haute Autorité de santé (HAS). Autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale, la HAS a été créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie et a été mise en place en janvier 2005. Elle est notamment chargée d’évaluer scientifiquement l’intérêt médical des médicaments, des dispositifs médicaux et des actes professionnels et de proposer ou non leur remboursement par l’assurance maladie, de promouvoir les bonnes pratiques et le bon usage des soins auprès des professionnels de santé et des usagers de santé, et d’améliorer la qualité des soins dans les établissements de santé et en médecine de ville, de veiller à la qualité de l’information médicale diffusée ;
- le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). Il a pour mission de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé. Sa première mission est de produire des avis et rapports sur les questions dont il est saisi. Si les questions posées par l’assistance médicale à la procréation et l’expérimentation sur l’homme sont parmi les premiers sujets abordés par le CCNE, sa réflexion s’étend aussi à d’autres thèmes tels que la recherche sur l’embryon humain, l’accès à l’informatique génétique, ou encore la notion de consentement (C. santé publ., art. L. 1412-1 à L. 1412-6) ;
- l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
C. ... ET SES RISQUES
Ce mouvement n’est toutefois pas sans inconvénients ni risques.
Le premier est celui de la complexité du paysage administratif qui se met en place de manière parfaitement empirique et sans lisibilité d’ensemble. La question délicate, mais centrale, des relations de ces agences avec les services de l’Etat, notamment sur le plan territorial, doit être en particulier soulignée. Comment le préfet peut-il, dans ces conditions, assurer son indispensable fonction de coordination ?
Le second réside dans la difficulté technique et politique pour l’Etat et ses services à exercer des contrôles sur ces organismes. On ne saurait sous-estimer, en particulier, les risques de doublons et de rivalités, voire d’incohérence, mais aussi ceux d’une certaine connivence dans l’action qui viderait de son contenu la fonction de contrôle de l’Etat et de ses services.
(1)
Portail des agences sanitaires, www.sante.fr. Il a pour but de valoriser les informations de santé publique des sites de ces agences. Il traite de sécurité sanitaire mais aussi d’informations pédagogiques et documentaires en santé.
(2)
Décret n° 2010-719 du 28 juin 2010, JO du 30-06-10.