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LA PROBLÉMATIQUE PARTICULIÈRE DES MINEURS AUTEURS D’INFRACTIONS SEXUELLES

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Au Canada, 15 à 30 % des agressions sexuelles sont commises par des mineurs (1) et deux adolescents sur mille présentent des comportements d’agression sexuelle entre 12 et 17 ans (2). Si cette problématique tend à augmenter ces deux dernières décennies, elle présente des points communs et des particularités par rapport à celle des AIS adultes (3).


A. LES POINTS COMMUNS

Comme pour les adultes AIS, il existe un polymorphisme clinique et psychopathologique, avec cependant des particularités propres aux mineurs développées ci-dessous.
Encore plus que pour les adultes, une infraction sexuelle commise par un mineur interpelle sur le risque de récidive et sur le devenir criminel. Cependant, comme pour les adultes, il peut s’agir d’un épiphénomène ou d’un acte qui s’inscrit dans la répétition. Entre banaliser l’acte et stigmatiser sans discernement le jeune délinquant, les écueils sont nombreux.
Des recherches semblent indispensables pour une meilleure compréhension du phénomène et une évaluation des thérapeutiques, dans le domaine des AIS tant mineurs qu’adultes.


B. LES PARTICULARITÉS

La délinquance sexuelle des mineurs revêt aussi certaines particularités en comparaison à celle des adultes.


1. UNE SEXUALITÉ EN DÉVELOPPEMENT

L’enfant est un être en développement, qui va acquérir sa maturité très progressivement, au fur et à mesure de l’âge et de ses expériences. A propos de la sexualité infantile, Freud qualifie l’enfant de « pervers polymorphe » (4) – et nous préférons d’emblée préciser « transitoire » – en ce sens que des pulsions partielles s’expriment naturellement (et transitoirement) dans le développement de l’enfant (intérêt pour la masturbation, tendances exhibitionnistes et voyeuristes, etc.). C’est naturel mais cela ne veut pas dire que l’enfant soit prêt à la sexualité, bien au contraire : l’enfant explore toutes sources potentielles de plaisir et apprend les barrières en ce domaine, petit à petit, au cours du développement et de l’éducation progressive. Aux adultes témoins de ces comportements incongrus, à « bien réagir », c’est-à-dire à trouver la juste mesure dans leurs réactions et explications (5). L’adolescence correspond à une période particulièrement délicate au cours de laquelle de nombreux remaniements s’accélèrent sur les plans physique, cognitif, affectif et sexuel. Les tendances sexuelles dans l’enfance et l’adolescence ne sont a priori pas fixées puisque le psychisme est en voie de maturation.


2. DES PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUES DIFFÉRENTES DE CELLES DES ADULTES

Les pathologies psychiatriques pouvant conduire à des troubles des conduites sexuelles sont différentes de celles des adultes : on peut certes diagnostiquer, rarement en fait, un trouble bipolaire ou une schizophrénie chez un mineur, mais on peut aussi rencontrer un trouble envahissant du développement, une déficience intellectuelle, des anomalies chromosomiques, etc. A noter que ces pathologies placent le plus souvent l’enfant en position de victime et non d’agresseur.
Si l’on prend l’exemple de jeunes sujets atteints de retard mental, la recherche maladroite, aussi bien d’une activité sexuelle que d’une relation affective, suscite malaise et rejet de la part des adultes. Ils peuvent adopter des attitudes sexuelles inadaptées, comme des exhibitions ou des comportements déplacés à l’égard d’individus eux-mêmes vulnérables. Ils possèdent peu d’informations sur la sexualité et, en fonction de leur niveau intellectuel, ont plus ou moins conscience de l’interdit mais leurs capacités ne leur permettent pas en général d’anticiper les conséquences pour eux-mêmes ou pour leur victime. La gestion de ces situations, en institution par exemple, est toujours difficile, d’autant plus que le plaisir sexuel ressenti est susceptible d’amener le sujet à répéter l’action (6).
Comme pour les adultes, des troubles psychiatriques peuvent être présents mais sans lien direct avec le trouble du comportement sexuel. Il s’agit de troubles dépressifs, de conduites addictives, mais aussi de troubles plus spécifiques à la pédopsychiatrie (DSM-IV-TR) : trouble déficit attentionnel / hyperactivité, trouble des conduites. Ces troubles peuvent influencer les comportements, notamment sexuels, mais ne sont pas directement en cause dans la commission de l’infraction sexuelle (7).


3. DE LA PRUDENCE DANS LE DIAGNOSTIC DE PERVERSION OU DE TROUBLE DE LA PERSONNALITÉ CHEZ UN MINEUR

Contrairement à la plupart des adultes, le mineur est un être en voie de construction. Il est alors difficile de porter chez un mineur un diagnostic de paraphilie ou de trouble de la personnalité car un comportement déviant n’est pas forcément fixé et sa personnalité n’est pas encore tout à fait constituée.
Si selon certains auteurs (8), les conduites déviantes débutent fréquemment au cours de l’enfance ou de l’adolescence, le DSM-IV-TR, à propos de la pédophilie, stipule que le sujet doit avoir un âge minimal de 16 ans, et qu’il doit avoir au moins 5 ans de plus que l’enfant victime, ce qui écarte beaucoup de situations entre mineurs.
Deux tendances de personnalité se dégageraient chez les mineurs auteurs d’infractions sexuelles, sans pour autant être spécifiques : mineurs inhibés (faible estime de soi, inhibition des pensées et des émotions, angoisses, relations interpersonnelles pauvres voire évitées, rejet de la part des pairs, expériences sexuelles réduites) et mineurs instables, psychopathiques (impulsivité, intolérance à la frustration, accès de colère, défiance, manipulation, manque d’empathie, labilité émotionnelle, mise en danger répétée, surestimation de soi, consommation de toxiques, antécédents pénaux divers). Enfin, d’autres traits seraient plus spécifiques des mineurs AIS : immaturité psychoaffective, gestion inadéquate des émotions et difficulté à contrôler l’agressivité (9). Dans ce contexte où les relations interpersonnelles fluctuent entre peur de l’abandon et crainte de l’intimité, le mineur AIS repérerait peu la transgression et réduirait la victime à un objet, une opportunité (10).


4. DEUX PROFILS CRIMINOLOGIQUES TRÈS DIFFÉRENTS SELON L’ÂGE DES VICTIMES

Ces deux profils représentent la majorité de la délinquance sexuelle juvénile.

a. Le cas des conduites sexuelles abusives à l’égard d’enfants plus jeunes qu’eux

L’âge des victimes est variable, de 8 ans en moyenne, et il peut s’agir de garçons ou de filles, mais les victimes de sexe masculin seraient plus fréquentes. La victime appartient le plus souvent à l’entourage sociofamilial de l’auteur, ce qui explique que le passage à l’acte ait lieu en général au domicile de l’agresseur ou de la victime. L’agression sexuelle consiste fréquemment en des attouchements. On constate rarement l’usage de la force physique, l’agresseur faisant plutôt preuve de persuasion, de manipulation ou de chantage sur la victime.
Ces adolescents présentent en général une faible estime d’eux-mêmes et des difficultés à établir des relations amicales ou sentimentales avec leurs pairs.
L’inceste fraternel, qu’on pourrait éventuellement classer dans cette catégorie, revêt quelques spécificités : il s’agit de jeunes délaissés par leur entourage familial, présentant des carences affectives, pour qui le passage à l’acte s’inscrit dans une recherche d’affection et apparaît comme un acte d’amour avec un désir de fusion, de possession, déniant le refus de l’autre (11). La motivation au passage à l’acte peut également se situer dans des enjeux de rivalités fraternelles voire de haine.

b. Le cas des agressions sexuelles sur des femmes adultes ou des jeunes filles de leur âge

Ces adolescents choisissent de préférence des sujets de sexe féminin, le plus souvent inconnus quand il s’agit de femmes adultes, et familiers quand il s’agit d’adolescentes. L’agression sexuelle peut se dérouler dans un lieu public et consiste fréquemment en un viol. Le niveau de violence est en général élevé (12) (force, menaces avec arme, etc.). Souvent, ces adolescents ont un parcours émaillé de délits ou de crimes, sans notion d’agression sexuelle, et présentent des traits appartenant au champ de la psychopathie (13).
C’est dans cette catégorie que l’on retrouve la pratique des viols collectifs (ou « tournantes ») qui représentent un quart à un tiers des agressions sexuelles commises par des mineurs. Il s’agit d’un aspect très spécifique de la délinquance sexuelle juvénile puisque les auteurs de « tournantes » sont presque exclusivement des mineurs ou des jeunes majeurs (14). Toutefois, on distingue parmi eux les sujets ayant un profil de « meneur » qui sont à l’initiative du geste, et ceux qui ont un profil de « suiveur » dont l’estime est plus fragile et qui utilisent l’acte transgressif pour affirmer leur virilité et leur appartenance au groupe. Ces agressions en réunion, qui soulèvent de nombreuses interrogations, sont imprégnées d’un aspect culturel et social plus que pathologique.


5. LA NÉCESSITÉ D’UNE PRISE EN CHARGE ADAPTÉE

La personnalité et les comportements déviants étant moins fixés que chez l’adulte, ils sont plus susceptibles d’être mobilisés par une prise en charge adaptée, judiciaire et sociale, mais aussi psychothérapeutique et éducative. A noter que la thérapie familiale peut être particulièrement indiquée, cette prise en charge travaillant sur les liens au sein de la cellule familiale, et que le traitement anti-hormonal est contre-indiqué chez le mineur dont la croissance osseuse n’est pas terminée (on considère que l’âge minimal de prescription est de 16 ans (15)). Lorsque celui-ci est indiqué, les consentements, à la fois de l’adolescent et de l’autorité parentale, sont des prérequis indispensables avant toute prescription.


(1)
Lemitre S. et Coutanceau R., « Trouble des conduites sexuelles à l’adolescence. Clinique, théorie et dispositif thérapeutique, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence », 2006, vol . 54, n° 3, p. 183 à 188.


(2)
James A. C., Neil P., Juvenil sexual offending : one year period prevalence study within oxfordshire. Child Abuse Negl, 1996, 20(6), p. 477 à 485.


(3)
Remerciements au Dr Virginie Mandon, ERIOS (CRIAVS Aquitaine) et à l’équipe « Mission Mineurs AVS » (F. Mulliez, E. Pomes, E. Rouveyrol et S. Raymondaud).


(4)
In Freud – Choix de textes, recueillis par M.-T. Laveyssière, Médecine et Psychosomatique, Ed. Masson, Paris, 2003, p. 83 et 84.


(5)
Au contraire, certains pédophiles interprètent, plus ou moins consciemment, de tels comportements enfantins comme des invites à la sexualité ou comme des provocations de la part de l’enfant.


(6)
De Becker E., « De l’adolescent déficient mental qui pose des actes sexuels transgressifs », Annales médico-psychologiques, 2006, 164, p. 557 à 564.


(7)
Fédération française de psychiatrie, 5e conférence de consensus, « Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles », préc.


(8)
Hornick J.-P. et al., « Young offenders and sexual abuse of children », Ottawa, ministère de la Justice, Canada, 1994 ; Pithers W. D. et al., « Children with sexual behavior problems, adolescent sexual abusers, and adult sex offenders : assessment and treatment », Int Review Psychiatry, 1995, 14, p. 779 à 818.


(9)
Lemitre S. et Coutanceau R., « Trouble des conduites sexuelles à l’adolescence. Clinique, théorie et dispositif thérapeutique », préc. p. 183 à 188.


(10)
Fédération française de psychiatrie, 5e conférence de consensus, « Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles », préc.


(11)
De Becker E., « Transgressions sexuelles au sein de la fratrie », Psychothérapies, 2005, 3, p. 173 à 186.


(12)
Gerardin P. et Thibaut F., « Epidemiology and treatment of juvenile sexual offending », Pediatric Drugs, 2004, 6(2), p. 79 à 91.


(13)
Hunter J. A., « Understanding juvenile sex offending : research findings and guidelines for effective management and treatment », Juvenile Justice Fact Sheet. Institute of law, psychiatry, and public policy, university of Virginia, 2000.


(14)
Galloyer-Fortier A., Chocard A. S. et al., « A propos de 34 expertises angevines de viols ou d’agressions sexuelles commises en réunion par des adolescents », Forensic, 2004, 18, p. 40 à 44.


(15)
Gerardin P. et Thibaut F., « Epidemiology and treatment of juvenile sexual offending », préc.

SECTION 2 - LES ASPECTS PSYCHIATRIQUES

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