La loi n’a jamais défini l’ancien délit d’outrage aux bonnes mœurs, laissant à la jurisprudence le soin de s’adapter, avec plus ou moins de réactivité, aux évolutions de la société. Dans ce domaine, le nouveau code pénal entré en vigueur en 1994 a voulu être plus restrictif et recentrer les débats relatifs à la moralité sexuelle autour de la question de la protection des mineurs.
Le terme de « pornographie », qui n’est cependant pas plus défini par la loi, n’apparaît en effet dans le code pénal que dans la section relative à « la mise en péril des mineurs », et ce à deux titres bien distincts, d’une part, pour les préserver de tout message pornographique, d’autre part, pour interdire toute forme de pédopornographie dont ils pourraient être l’objet.
Il convient toutefois de rappeler qu’une contravention de 4e classe, très peu appliquée, sanctionne plus généralement « le fait de diffuser sur la voie publique ou dans des lieux publics des messages contraires à la décence » .
A. UNE FAIBLE PROTECTION CONTRE LA PORNOGRAPHIE
[Code pénal, article 227-24]
La loi a voulu donner un champ très large à la protection des mineurs contre la pornographie, associer dans la même incrimination tout message violent ou dégradant pour la personne humaine, et ce par quelque moyen que ce soit (photo, vidéo, dessin, image de synthèse, texte écrit...) et quel qu’en soit le support matériel (papier, film, support numérique, Internet...).
Le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser ou de faire commerce de ce type de message est donc puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende « lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ».
Ces dispositions pénales visent à renforcer la réglementation administrative interdisant l’accès aux moins de 18 ans aux revues et commerces spécialisés ainsi qu’aux films classés « X ».
Les débats moraux portant sur la différence entre représentation artistique ou pornographique de la nudité peuvent apparaître dépassés aujourd’hui. Toutefois, sur ce fondement juridique de message pornographique susceptible d’être vu par des mineurs, cette question peut toujours rebondir, comme cela a été le cas à la suite de la plainte d’une association de protection de l’enfance visant les organisateurs d’une exposition d’art contemporain à Bordeaux (1).
Malgré l’étendue de cette incrimination, les poursuites sur ce fondement ne sont que peu mises en œuvre, particulièrement eu égard à l’explosion de l’offre.
En réponse à la question d’un parlementaire dénonçant le fait que les « couvertures des magazines érotiques ou pornographiques sont clairement visibles par tout un chacun sur la voie publique » et peuvent être de nature à choquer les mineurs comme les adultes, le garde des Sceaux a précisé que l’article 227-24 était jusqu’à présent rarement appliqué par les juridictions pénales, notamment en raison du faible nombre de plaintes formées de ce chef, mais que les réponses pénales étaient en augmentation (16 condamnations en 2002, 46 en 2007, dont 25 pour lesquelles cette seule infraction avait été poursuivie) (2).
Les quelques décisions rendues précisent qu’il est indifférent que ce message soit destiné à être vu par un mineur, ou qu’il ait été effectivement vu ou non par un mineur. Le seul fait qu’il soit « susceptible d’être vu ou aperçu » caractérise l’infraction, même s’il ne s’agit que d’un défaut de précaution. Ainsi la Cour de cassation a estimé qu’une cour d’appel avait justifié sa décision en déclarant coupable de ce délit un enseignant qui avait transféré des « photographies licencieuses » sur le disque dur de l’un des ordinateurs d’un collège, dans un dossier intitulé « perso » mais qui pouvaient être vues par tout utilisateur du réseau informatique de l’établissement, et notamment par des mineurs (3).
Aujourd’hui, Internet est indiscutablement le plus grand vecteur de messages pornographiques. C’est une industrie florissante, puisque, en 2006, on comptabilisait 4,2 millions de sites pornographiques, générant un chiffre d’affaires de 2,5 milliards de dollars. Internet se trouvant être le premier média des jeunes, l’accès à des contenus pornographiques par les mineurs est un risque important. Une étude menée dans plusieurs pays du nord de l’Europe a montré que 24 à 36 % des mineurs de 9 à 16 ans avaient eu accès par Internet à des contenus de nature sexuelle ou pornographique (4).
La responsabilité pénale des fournisseurs d’accès à Internet ou des hébergeurs de sites ne peut être engagée par la diffusion d’images pornographiques mettant en scène des adultes, qui n’ont pas en soit un contenu illicite, à la différence d’images pédopornographiques.
La loi tend donc à préserver le jeune internaute de ces multiples sites pornographiques en pénalisant la diffusion de messages pornographiques « susceptibles d’être vus ou perçus par un mineur ». C’est une formulation particulièrement large, puisqu’il suffit qu’un mineur ait pu avoir accès à ce type de message, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve qu’il l’ait effectivement vu ou perçu. Elle n’a cependant trouvé que très peu d’applications jurisprudentielles.
Un arrêt de la cour d’appel de Paris de 2002 a condamné un propriétaire de site pornographique au motif qu’il lui appartenait de « prendre les précautions qui s’imposent pour rendre impossible l’accès des mineurs à ces messages » (5). Il n’apparaît pas que de nouvelles condamnations de propriétaires de site soient intervenues sur ce fondement de l’article 227-24 du code pénal, bien que le dispositif de contrôle – généralement un simple « clic » valant déclaration que l’internaute est bien âgé de plus de 18 ans – soit particulièrement sommaire.
Toutefois, il faut convenir qu’un éditeur de site pornographique ne peut techniquement bloquer l’accès à des mineurs. Par ailleurs, ces sites étant pour la plupart hébergés hors de France, une stricte application de ces dispositions ne ferait que pénaliser les sites français, sans avoir d’effet sur la forte concurrence étrangère (6).
En pratique, il faut donc compter essentiellement sur les logiciels de filtrage mis à la disposition des parents ou des établissements accueillant des mineurs, permettant notamment de bloquer l’accès aux sites pornographiques. A défaut de tels logiciels mis en place par des établissements éducatifs, aucune responsabilité pénale n’apparaît toutefois pouvoir être recherchée, dans la mesure où il ne pourrait leur être reproché d’avoir eux-mêmes fabriqué, transporté ou diffusé le message pornographique.
B. UNE PROTECTION RENFORCÉE CONTRE LA PÉDOPORNOGRAPHIE
[Code pénal, article 227-23]
1. UN DISPOSITIF SPÉCIFIQUE DE LUTTE CONTRE LA PÉDOPORNOGRAPHIE PAR INTERNET
[Code de procédure pénale, article 706-47-3]
a. Un dispositif spécifique d’enquête
Internet n’a pas inventé l’exploitation de la pornographie infantile ou pédopornographie, mais a permis à cette forme de criminalité de se développer de façon phénoménale. Ainsi, au même titre que les infractions au droit de la presse, au piratage, à l’escroquerie ou la contrefaçon, la pédopornographie représente une part importante de la cybercriminalité. Celle-ci concerne « l’ensemble des infractions pénales susceptibles de se commettre sur ou au moyen d’un système informatique généralement connecté à un réseau » (7). Grâce à un marché mondialisé de téléchargement ou de partage de fichier (système « peer-to-peer ») ainsi qu’aux possibilités d’anonymisation des serveurs comme des utilisateurs, les images ou vidéos pornographiques mettant en scène des enfants ont pu se diffuser comme jamais auparavant.
Internet a multiplié les facultés de diffusion et donc d’accès à ce type d’images, mais les services d’enquête spécialisés ont parallèlement adapté leurs outils de surveillance.
1]. Dans l’Union européenne
De nouveaux moyens d’enquête se sont développés, avec le souci de surmonter l’obstacle que constituent les différentes législations nationales pour faire face à un phénomène ignorant les frontières. A cet égard, la convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité, entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2004 (8), a été une étape importante pour obliger chaque Etat signataire à incriminer la pédopornographie, pour favoriser l’harmonisation des législations nationales et des procédures, et mettre en place des outils d’entraide judiciaire efficaces. En outre, une décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie a entraîné de multiples transpositions en droit interne, notamment en matière de répression du délit de pédopornographie (9).
Cette convention a en outre eu le mérite d’apporter une définition objective de la pédopornographie, comme étant constituée par des images réalistes représentant un mineur, ou une personne qui apparaît comme un mineur, se livrant à un comportement sexuellement explicite.
2]. En France
En France, l’Office central de lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), relevant du ministère de l’Intérieur, est chargé de diligenter les enquêtes, en utilisant notamment la contribution des internautes eux-mêmes, invités à signaler tout contenu illicite sur le site www.internet-signalement.gouv.fr (10). Sous l’égide de la Gendarmerie nationale, le Centre national d’analyse des images pédopornographiques (CNAIP) permet de répertorier et d’identifier les échanges d’images pédopornographiques.
S’agissant des moyens d’enquête, la loi 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance prévoit la possibilité pour des « cyberpatrouilles » relevant de l’OCLCTIC de se livrer à des infiltrations dans les réseaux et forums de discussion pour recueillir notamment des preuves d’infractions en matière de pédopornographie. Un arrêté du 30 mars 2009 a fixé la liste des officiers de police judiciaire qui, dans les services centraux ou régionaux de police et de gendarmerie, sont habilités à lutter notamment contre les infractions à caractère sexuel commises sur Internet en participant sous un pseudonyme aux échanges électroniques, en se mettant en contact par ce moyen avec les auteurs susceptibles d’avoir commis ces infractions, d’extraire, et éventuellement de transmettre à leur demande expresse des fichiers à contenu illicite.
Le principe de loyauté de la preuve (11) proscrit toutefois tout mécanisme qui constituerait une provocation à commettre une infraction, en raison notamment d’un stratagème policier. Ainsi la Cour de cassation a annulé une condamnation pour importation et détention d’images pédophiles, à la suite de la connexion d’un internaute français sur un site pédopornographique monté de toutes pièces par la police de New York, la découverte de ces faits n’ayant été permise que « par la provocation à la commission d’une infraction organisée par les autorités américaines » (12). La loi du 5 mars 2007 a confirmé cette jurisprudence en prévoyant que les actes d’enquêtes ne peuvent constituer une incitation à commettre ces infractions sous peine de nullité.
Auparavant punissable sur la qualification de recel d’images pédopornographiques, le délit particulier de détention de matériel pornographique réalisé avec des mineurs a été créé par la loi du 4 mars 2002. Les éléments matériels ne posent pas difficulté en cas de détention de photographies, vidéos ou tout autre support « traditionnel » d’images à caractère pédophile.
Les perquisitions conduisant à des saisies et à des analyses de disques durs se sont développées, entraînant du même coup un nombre très important de poursuites sur ce fondement, souvent à l’occasion de « coups de filets » organisés sur le plan international. Ainsi en octobre 2007, 310 internautes ayant échangé des images pédophiles sur Internet ont été interpellés simultanément dans la France entière, 90 en mai 2009 (13). Ces opérations sont généralement le fruit d’une coopération internationale menée avec « Interpol et Europol relayées en France par l’OCLCTIC et les services d’enquêtes agissant au besoin sur commissions rogatoires » (14).
b. Un dispositif spécifique de responsabilité pénale pour les hébergeurs et fournisseurs d’accès
Le principe est que les hébergeurs de sites et fournisseurs d’accès à Internet, nommés « prestataires techniques », sont exonérés de toute obligation générale de surveillance et de recherche en ce qui concerne les contenus qu’ils hébergent, transportent ou stockent.
Toutefois, ils sont soumis à une obligation spéciale de concourir à la lutte contre les contenus illicites, identifiée comme étant la diffusion d’images pornographiques mettant en scène des mineurs, l’apologie de crimes de guerre et crimes contre l’humanité et l’incitation à la haine raciale. Les dispositions de l’article 6-I (7°) de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (15) prévoient qu’ils doivent, d’une part, mettre en place un dispositif permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données et, d’autre part, informer promptement les autorités publiques compétentes de toute activité illicite portée à leur connaissance. S’ils sont avertis de ce type de contenu, il leur appartient de retirer ces informations ou de les rendre inaccessibles, sous peine d’encourir une peine de un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende (16).
Toutefois, si des informations sont faussement présentées comme illicites, et ce en connaissance de cause, pour en obtenir la suppression ou en empêcher l’accès, le dénonciateur peut lui-même être poursuivi . Il est donc recommandé de s’adresser au site www.Internet-signalement.gouv.fr, qui permet aux services d’enquête de faire les vérifications nécessaires, avant de dénoncer tout contenu susceptible d’être illicite aux hébergeurs de site ou fournisseurs d’accès à Internet.
Le projet de loi dit Loppsi 2, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 16 février 2010, reprécise dans son article 4 les modalités de filtrage des sites diffusant des images pédopornographiques. Les fournisseurs d’accès à Internet se verront notifier qu’il doivent empêcher l’accès à une « liste noire » de sites définis par l’autorité administrative – en pratique par l’Office central de lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication, relevant du ministère de l’Intérieur. Cette notification n’interviendra toutefois que sous réserve d’une validation préalable de cette liste par un juge, et ce compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (17) relative à la loi « Hadopi 1 » ayant déclaré que les atteintes à la liberté d’accès à Internet devaient être contrôlées par l’autorité judiciaire. Un décret doit préciser les modalités de l’opération, concernant notamment la compensation des surcoûts induits par un tel dispositif pour les fournisseurs d’accès.
De nombreux spécialistes de l’Internet comme certains fournisseurs d’accès paraissent douter de l’efficacité de ce dispositif pour empêcher l’accès aux contenus pédopornographiques compte tenu des nouveaux procédés utilisés par les diffuseurs de contenus pédopornographiques et du coût représenté. Une autre crainte est que des contenus n’ayant rien à voir avec la pédopornographie se voient bloqués en raison des imprécisions de ces mêmes dispositifs (18).
2. UNE INCRIMINATION LARGE DE LA PRODUCTION ET DE LA DIFFUSION COMME DE LA CONSULTATION
Au regard de la relative bienveillance de la loi et de la rareté des poursuites en matière d’images pornographiques de personnes majeures, les choses sont très différentes dès que ces images concernent des mineurs, qu’il s’agisse de leur diffusion ou de leur consultation.
a. La production et la diffusion
Le code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende le fait de fixer, d’enregistrer ou de transmettre toute image ou représentation pédopornographique, en vue d’une diffusion, par quelque moyen que ce soit. Si ce moyen de diffusion est un réseau de communications électroniques, concrètement si cette image est mise sur Internet, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende. Une simple tentative est punissable.
Le délit de pédopornographie tend clairement à prévenir toute utilisation sexualisée de l’image d’un enfant. Il est donc avant tout un outil de protection de mineurs victimes de mises en scène directement pédophiles, dans le cas de photographies ou de vidéos d’actes sexuels entre enfants, entre adultes et enfants, voire entre enfants et animaux. Même en l’absence de mise en scène d’actes sexuels, les attitudes suggestives imposées aux enfants victimes entrent naturellement dans le cadre de l’incrimination.
Une simple production privée d’image pédopornographique sans qu’elle soit faite en vue d’une diffusion, par exemple une photographie de mineure dans des positions pornographiques ne visant à assurer que les fantasmes du seul photographe, ne ferait encourir pour cette infraction que deux années d’emprisonnement, sous réserve des peines encourues sous la qualification de « corruption de mineurs » (qui paraîtrait constituée en l’espèce et ferait donc encourir cinq ou sept années d’emprisonnement selon l’âge de la victime). Toutefois, la Cour de cassation a estimé que la preuve de l’objectif de diffusion pouvait être déduite par la seule possession par le prévenu d’un ordinateur dont le contenu est libre d’accès sur Internet via un logiciel de partage « peer to peer » (19). On peut donc considérer qu’il existe une présomption d’objectif de diffusion d’une image pédopornographique à partir du moment où ce type de logiciel est installé sur l’ordinateur de celui qui détient une telle image.
Les modalités de l’enregistrement et surtout l’utilisation faite de photographies ou de films d’enfants dénudés peuvent également déterminer un caractère pédopornographique alors que le contexte initial ne l’était pas. C’est ce qui résulte notamment d’une condamnation à la suite de l’enregistrement d’images d’enfants dans un camp de naturistes, à l’aide d’une caméra dissimulée dans un sac, images vendues par le biais d’annonces sur Internet et d’envois postaux (20).
S’agissant également d’images virtuelles, l’objet du délit vise à incriminer tout ce qui peut alimenter les fantasmes à caractère pédophile, alors même que ces images ne sont issues que de l’imagination de créateurs.
La diffusion de mangas japonais érotiques ou pornographiques mettant en scène des animations virtuelles de fillettes prépubères, appelés « lolicons », a ainsi permis de donner tout son sens au terme d’image ou de représentation à caractère pédopornographique. La Cour de cassation a justifié la condamnation d’un importateur français de ce type particulier de dessins animés, dont un personnage présentant « incontestablement les caractéristiques d’un jeune enfant » avait des relations sexuelles avec des femmes adultes (21).
La diffusion d’images pornographiques de mineurs n’est toutefois pas limitée aux productions commerciales ou strictement pédophiles : la justice a ainsi sanctionné sur le fondement de l’article 227-23 du code pénal (outre celui d’atteinte à la vie privée) la diffusion sur Internet à un public non déterminé d’images d’une mineure âgée de 17 ans, consentante à une relation sexuelle avec un partenaire d’une vingtaine d’années mais filmée à son insu par celui-ci lors de cette relation (22).
b. La consultation
Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une image ou représentation pédopornographique ou de détenir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 500 000 € d’amende lorsque ces faits sont commis en bande organisée.
Les tribunaux correctionnels ont surtout à connaître des applications de l’article 227-23 du code pénal en matière de consultation ou de détention d’images pédopornographiques. Tant la loi que la jurisprudence ont réduit les possibilités de relaxe de personnes poursuivies sur cette prévention.
La loi établit une véritable présomption de minorité fondée sur l’apparence, en indiquant que ces dispositions « sont également applicables aux images pornographiques d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur » . Pour échapper aux poursuites, il ne suffit donc pas de prétendre que malgré une apparence juvénile, l’image litigieuse concernait en réalité un majeur. Il appartient dans ce cas à celui qui consulterait ces images de rapporter la preuve que la personne concernée était âgée de 18 ans au moment de leur enregistrement. Cette preuve est évidemment particulièrement difficile à rapporter s’agissant de photographies ou de vidéos anonymes produites à l’étranger, qui constituent l’essentiel de la production.
L’incrimination prévoyait initialement seulement la fixation ou l’enregistrement de l’image ou de la représentation du mineur. Cela a entraîné la relaxe d’internautes ayant seulement consulté des sites pédophiles, consultations décelées par la trace des sites consultés dans la mémoire temporaire de l’ordinateur, sans aucun enregistrement sur un support numérique (23). L’article 29 de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a voulu en conséquence étendre le délit au « fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation » . La seule discussion possible quant à la caractérisation de l’infraction pourrait donc concerner aujourd’hui le caractère habituel ou pas de cette consultation.
La jurisprudence examine de façon très restrictive les moyens de défense liés à des mobiles étrangers à la volonté de satisfaire des fantasmes illicites. Ainsi, elle n’a pas retenu l’argumentation d’un psychiatre intervenant dans le cadre d’une association de protection de l’enfance sur mandat du juge des enfants, qui prétendait avoir des motivations professionnelles pour mieux connaître les fonctionnements incestueux, en téléchargeant et en échangeant par Internet des images à caractère pédophile (24).
Une décision récente de la Cour de cassation démontre enfin que les moyens de s’exonérer de sa responsabilité pénale en invoquant l’absence d’élément intentionnel sont difficilement admis en matière de partage de fichiers contenant des images illicites. La chambre criminelle a ainsi rejeté le pourvoi d’un internaute qui affirmait avoir téléchargé des images pédophiles à son insu à partir d’un logiciel « peer-to-peer », en estimant sans autres motifs que la cour d’appel avait « caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu’intentionnels les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable » (25).
(1)
A la suite d’une plainte de l’association la Mouette, deux directeurs de musée et un commissaire d’exposition ont été mis en examen pour avoir présenté en 2000 au musée d’Art contemporain de Bordeaux « des photographies équivoques d’enfants et des images pornographiques susceptibles d’avoir été vues par des mineurs ». Au bout de dix années de procédure, l’affaire a été conclue par un non-lieu prononcé par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux le 2 mars 2010, « Pas de procès pour l’exposition « Présumés innocents » », Le Monde, 3 mars 2010.
(2)
Question écrite n° 53286, Réponse publiée au JOAN (Q) du 04-08-09, p. 7717.
(3)
Crim. 12 octobre 2005, Bull. crim., n° 258.
(4)
Chiffres cités par Quéméner M. et Ferry J., Cybercrimalité, défi mondial, Ed. Economica, 2009, p.153.
(5)
Paris, 2 avril 2002, document disponible sur le forum des droits sur l’Internet, www.forumInternet.org
(6)
Quéméner M. et Ferry J., préc., p. 163.
(7)
Quéméner M. et Ferry J., préc., p. 3.
(8)
Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, article 9.
(9)
Décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 décembre 2003, JO n° L 013 du 20-01-04 ; cf. circulaire CRIM 2006-10 E8/ 19-04-2006 présentant les dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, articles 3.3 et suivants, BOMJ n° 102 (1er avril au 30 juin 2006).
(10)
OCLCTIC, 101, rue des Trois-Fontanot, 92000 Nanterre, Tél . 01 49 27 49 27 ; Chopin F., « Les politiques publiques de lutte contre la cybercriminalité », AJ pénal n° 3/2009, Ed. Dalloz, mars 2009.
(11)
Principe jurisprudentiel, consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article préliminaire du code de procédure pénale.
(12)
Crim. 7 février 2007, n° 06-87.753, Bull. crim., n° 37.
(13)
AFP 12 octobre 2007 et 26 mai 2009, cf. aussi http://www.defense.gouv.fr/gendarmerie/actualite_et_dossiers/operation_arc_en_ciel
(14)
Quéméner M. et Ferry J., préc., p. 158.
(15)
Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 qui prévoit notamment que les personnes physiques ou morales concernées « ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible ».
(16)
Chopin F., préc., p. 103.
(17)
Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, JO du 13-06-09, censurant les dispositions de la loi dite Hadopi 1.
(18)
Cf. notamment http://bugbrother.blog.lemonde.fr/11/02/2010, « Les pédophiles n’ont rien à craindre de la Loppsi. Les internautes si » et l’analyse de Fabrice Epelboin « Les pédophiles (eux aussi) sont pour la Loppsi », http://fr.readwriteweb.com/ 29-01-10.
(19)
Crim. 29 mars 2006, n° 05-85.857, Juris-Data n° 2006-033128.
(20)
Montpellier, 3e ch. corr., 26 février 2009, Juris-Data n° 2009-004673 cité par Lepage A., « Un an de droit pénal des nouvelles technologies », Droit pénal, n° 12, décembre 2009, chron. 11.
(21)
Crim. 12 septembre 2007, inédit, n° de pourvoi 06-86763.
(22)
Paris, 20e ch., sect. A, 24 avril 2007 : Juris-Data n° 2007-341490 cité par Lepage A., « Un an de droit pénal des nouvelles technologies », Droit pénal, n° 12, décembre 2007, chron. 6.
(23)
La Cour de cassation ayant jugé que la simple consultation de sites pornographiques mettant en scène des mineurs ne suffisait pas à caractériser le délit, Crim. 5 janvier 2005, Bull. crim., 2005, n° 9.
(24)
Paris, 21 novembre 2006, Juris-Data n° 2006-327988 cité par Lepage A., préc.
(25)
Crim. 21 janvier 2009, n° 08-84.001, inédit, cité par Quemener F., « Réponses pénales face à la Cyberpornographie », préc., p. 108.