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LA PÉNALISATION DE L’INCESTE

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[Code pénal, articles 222-31-1 et 227-27-2]
Les viols, agressions ou atteintes sexuelles sont désormais qualifiés d’« incestueux » lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.


A. UNE PROHIBITION ANCIENNE PAR D’AUTRES VOIES

La prohibition de l’inceste, posée comme principe universel de fondement de sociétés humaines, se traduisait juridiquement en France jusqu’à tout récemment par une prohibition purement civile. Celle-ci interdit le mariage ou le pacte civil de solidarité (PACS) entre ascendants et descendants, alliés, frères et sœurs, oncles ou tantes et neveux ou nièces, y compris en cas d’adoption. Elle exclut également l’établissement de la filiation à l’égard des deux parents lorsqu’il existe une interdiction absolue à mariage entre ceux-ci .
Une relation sexuelle incestueuse, qu’elle soit entre parents et enfants ou frères et sœurs, n’est pas constitutive d’une quelconque infraction à partir du moment où les choses se passent entre majeurs.
S’agissant des mineurs, la répression de tout comportement incestueux était assurée par la circonstance aggravante commune aux atteintes, agressions sexuelles ou viols commis « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité », cette dernière formule permettant de viser sans exclusive tout contexte incestueux de la part de frères, d’oncles, de beau-père, etc. La conception très large de contrainte ou de surprise donnée par la jurisprudence est particulièrement établie s’agissant de faits commis par des parents ou par les proches. De plus, la notion d’atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise est maintenue par la loi pour les mineurs au-delà de 15 ans dans ce même contexte, ce qui rend inopérant le consentement qui serait donné à des relations incestueuses jusqu’à l’âge de la majorité. Enfin, les règles de prescription très larges pour les mineurs victimes permettent à ceux qui ont été abusés dans une cadre intrafamilial de déposer plainte bien après leur majorité.
Au regard de ce droit positif, les magistrats et experts n’ont donc pas eu à déplorer de vide juridique, estimant qu’insérer le terme dans le code pénal ne constituerait « qu’un renfort symbolique et sémantique » (1).


B. UNE VOLONTÉ DU LÉGISLATEUR DE « NOMMER L’INCESTE » DANS LE CODE PENAL

Depuis 2004, des initiatives parlementaires se sont succédé pour inscrire l’inceste comme infraction spécifique. Une proposition de loi déposée en novembre 2004 par Christian Estrosi, alors député des Alpes-Maritimes, a été suivie d’une mission parlementaire qui lui a été confiée, avec dépôt d’un rapport au Premier ministre en juillet 2005. A la suite de la création d’une mission de lutte contre l’inceste du groupe UMP de l’Assemblée nationale, Marie-Louise Fort, députée de l’Yonne, déposait le 2 avril 2009 une proposition de loi qui deviendra la loi n° 2010-121 du 8 février 2010 « tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux ».
Elle prévoit des mesures en faveur de la prévention de l’inceste à l’école et par l’audiovisuel public, avec une mission d’information sur les violences et une éducation à la sexualité dans les établissements scolaires. Les constitutions de partie civile par les associations de lutte contre l’inceste seront dorénavant recevables, comme le sont déjà les associations de protection de l’enfance. Aucun dispositif nouveau de prise en charge des victimes n’a été retenu pour des raisons budgétaires (2).
L’objet de cette loi est essentiellement d’introduire le terme d’« inceste » dans le code pénal, en limitant les faits répréhensibles à ceux dont les mineurs seraient victimes. Il n’y a donc toujours par de prohibition pénale de l’inceste commis entre adultes.
Un des effets recherchés devrait être de permettre de mesurer plus précisément le phénomène des abus sexuels intrafamiliaux dans les statistiques judiciaires, puisque actuellement les faits de nature incestueuse ne sont pas identifiés en tant que tels. Toutefois, la définition telle qu’elle est retenue dans la version finale du texte apparaît en définitive très proche de la qualification classique de l’atteinte ou de l’agression sexuelle par ascendant ou personne ayant autorité. C’est le contexte intrafamilial qui en fait la seule spécificité et non le lien biologique existant entre l’auteur et la victime. Toute personne ayant autorité peut se voir reprocher un inceste, à partir du moment où les faits se produisent au sein de la famille, celle-ci pouvant s’entendre de façon extensive.
Ainsi que l’indique la circulaire d’application du 9 février 2010 (3), le texte distingue trois hypothèses de faits incestueux commis sur un mineur au sein de la famille :
  • les crimes et délits sexuels sont commis par un ascendant ;
  • les faits sont commis par son frère ou sa sœur. Dans ce cas, la qualification d’inceste n’exige pas que le frère ou la sœur auteur des faits ait une autorité de fait sur la victime ;
  • les faits sont commis par toute personne ayant autorité, la circulaire précisant que la notion de faits commis au sein de la famille « exclut notamment les actes commis, sans lien de famille, par une personne ayant autorité, comme une nourrice ou toute autre personne par qui l’enfant était gardé ».
En renvoyant explicitement aux articles existants du code pénal réprimant les atteintes ou agressions sexuelles, la circonstance incestueuse des faits ne modifie pas les éléments constitutifs de l’infraction. Il s’agit, comme l’indique la circulaire d’application, d’une forme de « surqualification »d’inceste, qui se superpose aux qualifications et circonstances aggravantes existantes en matière de viols, d’agressions et d’atteintes sexuelles .
Par ailleurs, les possibilités de retrait de l’autorité parentale figurant dans cette nouvelle loi ne sont pas récentes mais ont été réécrites (4).
Cette loi n’a donc pas voulu modifier les pénalités existantes, « qui sanctionnent déjà ces comportements de façon suffisamment sévère » . La peine encourue pour agression sexuelle ou viol incestueux sera la même que celle qui était encourue pour viol par ascendant ou par personne ayant autorité. De la même façon, les règles de prescription ne sont pas modifiées. De telles aggravations n’auraient pu s’appliquer que pour les crimes et délits incestueux commis à partir de la promulgation de la loi, en raison du principe de non-rétroactivité de la loi pénale, alors que, en l’état des modifications intervenues, ces dispositions sont d’application immédiate. Ces qualifications nouvelles s’imposent également aux faits commis avant la parution de la loi pour les juridictions d’instruction ou de jugement.
Il en résulte « un subtil et curieux équilibre qui consiste à modifier la loi pénale dans un sens qui paraisse favorable aux victimes sans que s’ensuivent trop de conséquences juridiques tangibles » (5).
Il n’est pas certain que la volonté de « consacrer et clarifier la jurisprudence relative aux notions de contrainte et de personne ayant autorité », affichée comme un des objectifs de la loi par la circulaire d’application, soit véritablement atteinte. En effet, la doctrine relève au contraire un « brouillage de la qualification d’inceste par sa référence à l’autorité » (6), dans la mesure où l’inceste n’est pas défini exclusivement par le lien de sang ou d’alliance, mais aussi par celui d’autorité dans le cadre familial, notion que la jurisprudence devra préciser. En faisant d’une circonstance aggravante un élément constitutif de l’infraction, cela « signifie au mieux, que la loi nouvelle ne change rien à la situation précédente, au pire, la complique encore » (7).


(1)
Coutanceau R., « Insérer l’inceste dans la loi, un acte symbolique », propos recueillis par J. Vachon, ASH n° 2607 du 1-05-09, p. 38.


(2)
La proposition de loi visait à doter au moins un établissement de santé public par département d’un centre de référence pour les traumatismes psychiques des victimes, associant à la fois psychiatres, personnels médicaux, psychologues, assistants sociaux et conseillers juridiques. Ces dispositions ont été déclarées irrecevables par la commission des finances de l’Assemblée nationale au regard de l’article 40 de la Constitution, qui rend impossible la création d’une charge publique par une proposition de loi.


(3)
Circulaire DACG n° CRIM10–3/E8 du 9 février 2010, BOMJ n° 2010-01 du 28-02-10.


(4)
Le nouvel article 222-31-2 du code pénal ne faisant que remplacer les anciens articles 222-31-1 et 227-28-2 du même code. Sur le retrait de l’autorité parentale, cf. infra, A savoir aussi, section 1, § 2, D.


(5)
Lepage A., « Réflexions sur l’inscription de l’inceste dans le code pénal par la loi du 8 février 2010 », La Semaine juridique édition générale, n° 12, 22 mars 2010, 335.


(6)
Lepage A., préc.


(7)
Guéry Ch., « Définir ou bégayer : la contrainte morale après la loi sur l’inceste », AJ pénal, mars 2010, p. 126 à 128.

SECTION 2 - UN DISPOSITIF SPÉCIFIQUE DE PROTECTION DES MINEURS

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