[Code de procédure pénale, articles 706-53-1 à 706-53-12 et R. 53-8-1 à R. 53-8-39 ; circulaire DACG n° CRIM 210-10/E8 du 19 mai 2010]
Le Fijais a été créé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dans le but d’éviter la récidive et de faciliter la recherche des auteurs d’infractions sexuelles, en recensant leur identité, en leur imposant de justifier régulièrement de leur adresse et en permettant à un certain nombre de services d’enquête, judiciaires ou administratifs, d’y accéder.
Ce fichier, placé sous l’égide du casier judiciaire national et relevant donc du ministre de la Justice, est opérationnel depuis juin 2005. Il a été remanié à plusieurs reprises depuis, notamment par la loi du 12 décembre 2005 sur la récidive des infractions pénales, qui a étendu le champ des infractions concernées en y incluant certaines infractions violentes.
A. UNE MESURE RÉTROACTIVE
A la différence de ce qu’elle a jugé au sujet du bulletin n° 2 du casier judiciaire (cf. supra, § 1), la Cour de cassation a estimé qu’une inscription au Fijais constitue non une aggravation de la peine mais une mesure ayant pour seul objet de prévenir le renouvellement des infractions sexuelles et de faciliter l’identification de leurs auteurs. En conséquence, l’inscription n’est pas soumise au principe de non-rétroactivité des lois de fond plus sévères, ainsi qu’elle l’a jugé en validant l’inscription au Fijais d’un internaute qui avait téléchargé des images pédopornographiques avant la création de ce fichier (1). Cette jurisprudence, qui était déjà conforme avec l’interprétation du Conseil constitutionnel (2), a récemment été confortée par la Cour européenne des droits de l’homme (3).
Donc, peu importe la date des faits et de la condamnation pour que les personnes concernées soient inscrites dans ce fichier. Opérant une reprise de données à partir du casier judiciaire, le fichier concernait 20 222 personnes lors de sa création. Au 30 octobre 2008, ce nombre était passé à 43 408 personnes (4).
B. LES PERSONNES CONCERNÉES
Il s’agit des personnes poursuivies pour une des infractions visées en qualité d’auteurs ou de complices, et qui ont fait l’objet :
- d’une condamnation, même non encore définitive ;
- d’une mesure éducative ou sanction éducative, même non encore définitive, rendue par jugement d’une juridiction pour mineurs (5) ;
- d’une mise en examen si celle-ci est accompagnée d’un placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, et que le juge d’instruction a ordonné l’inscription de la décision dans le fichier ;
- d’une composition pénale dont l’exécution a été constatée par le procureur de la République ;
- d’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Les informations sont effacées en cas de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement ou de cessation ou de mainlevée d’une mesure de contrôle judiciaire.
C. LES MENTIONS ENREGISTRÉES
Le Fijais enregistre l’identité des personnes concernées (nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance, nationalité, alias éventuel, dans certains cas la filiation), leur adresse ainsi que la décision de justice fondant l’inscription, et précisant la nature de l’infraction, les nature et date de la décision, les peines ou mesures prononcées, la juridiction les ayant prononcées, la date et le lieu des faits.
D. LES INFRACTIONS VISÉES
Toutes les infractions prévues par l’article 706-47 du code de procédure pénale (cf. supra, chapitre I), à savoir la quasi-totalité des infractions sexuelles, ainsi que certains meurtres ou assassinats aggravés ou commis en état de récidive légale donnent lieu à une inscription au Fijais.
Le champ des infractions concernées par le Fijais est plus restrictif que celui pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru. En effet, n’y figurent pas notamment certaines violences et dégradations dangereuses pour les personnes. Toutefois, toutes les infractions sexuelles pour lesquelles le suivi socio-judiciaire est encouru peuvent donner lieu à inscription au Fijais, à l’exception notable du délit d’exhibition sexuelle.
Tous les viols, quelles qu’en soient les circonstances, donnent automatiquement lieu à inscription au Fijais. Pour les délits, la peine encourue – et non la peine prononcée – est déterminante. En effet, les décisions concernant des délits pour lesquels la peine d’emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans ne sont inscrites que facultativement, si la juridiction le décide, par décision expresse . Par conséquent, une agression sexuelle sans circonstance aggravante ne donne donc pas lieu à inscription si la juridiction n’a rien précisé. En revanche, si une circonstance aggravante est retenue, l’inscription est automatique, même si la peine prononcée est inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement (cf. tableau, p. 22).
E. LA DURÉE DE L’INSCRIPTION
1. UNE INSCRIPTION À LONG TERME
Le principe d’un « droit à l’oubli » a manifestement cédé le pas devant les préoccupations sécuritaires à l’origine de ce fichier.
La loi prévoit en effet que les décisions enregistrées au Fijais sont retirées du fichier au décès de l’intéressé, ou à l’expiration d’un délai de 30 ans s’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement, de 20 ans dans les autres cas « à compter du jour où l’ensemble des décisions enregistrées ont cessé de produire tout effet ». L’amnistie ou la réhabilitation ainsi que les règles propres à l’effacement des condamnations figurant au casier judiciaire n’entraînent pas l’effacement de ces informations .
Cette durée d’inscription est donc particulièrement longue, sachant que le délai de 20 ou 30 ans ne commence qu’à l’expiration du délai du sursis simple ou du délai de mise à l’épreuve, ou à la libération de la personne incarcérée, ou à l’expiration d’un éventuel suivi socio-judiciaire. Ce point de départ du délai est également celui à partir duquel la condamnation ne peut plus servir de premier terme à une récidive, ou 40 ans pour une peine criminelle. Ainsi, pour une personne condamnée à dix années de réclusion criminelle pour viol, le délai de 30 ans ne commencera que 40 ans après sa libération.
2. UNE PROCÉDURE D’EFFACEMENT ANTICIPÉ... LE PLUS SOUVENT IRRECEVABLE
A la demande de l’intéressé, le procureur de la République peut ordonner l’effacement anticipé d’informations « si leur conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier, au regard de la nature de l’infraction, de l’âge de la personne lors de sa commission, du temps écoulé depuis lors et de la personnalité actuelle de l’intéressé ». En cas de refus par le procureur de la République, la personne concernée peut saisir le juge des libertés et de la détention, dont la décision peut être contestée devant le président de la chambre de l’instruction .
Toutefois, la demande d’effacement est irrecevable tant que les mentions concernées sont relatives à une procédure judiciaire qui est toujours en cours, tant que la personne n’a pas été réhabilitée ou que la mesure à l’origine de l’inscription n’a pas été réhabilitée. La réhabilitation légale étant associée à l’effacement des condamnations du bulletin n° 1 du casier judiciaire, cette dernière condition rend pour longtemps irrecevable la plupart des demandes. En effet, toute condamnation à une peine d’emprisonnement, même avec sursis, ou à un suivi socio-judiciaire, reste enregistrée au bulletin n° 1 du casier judiciaire pendant 40 ans, et ce encore si elle n’a pas été suivie d’une nouvelle condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle. L’intéressé peut toutefois solliciter, préalablement à toute demande d’effacement, une réhabilitation judiciaire qui peut être admise, sous certaines conditions, après un délai minimal de trois ans en matière correctionnelle ou de cinq ans en matière criminelle après l’expiration de la sanction subie.
F. LES MODALITÉS DE JUSTIFICATION D’ADRESSE ET LES SANCTIONS EN CAS DE NON-RESPECT
[Code de procédure pénale, article 706-53-5]
La personne inscrite au Fijais est tenue de justifier de son adresse, après avoir reçu notification de son inscription, ainsi que de tout changement dans un délai de 15 jours.
Elle doit également procéder régulièrement à une justification de son adresse à un rythme différent et selon des modalités diverses en fonction des faits pour lesquels elle a été condamnée.
La justification annuelle. Si la personne a été condamnée pour un délit pour lequel la peine encourue était inférieure à dix ans d’emprisonnement, elle doit justifier de son adresse tous les ans, soit par lettre recommandée avec accusé de réception au gestionnaire du fichier si elle réside à l’étranger (6), soit auprès du commissariat de police ou de la gendarmerie de son domicile.
La justification semestrielle. Si elle a été condamnée pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement, elle doit justifier de son adresse une fois tous les six mois en se présentant à cette fin soit auprès du commissariat ou de l’unité de gendarmerie de son domicile, soit auprès du groupement de gendarmerie départemental ou de la direction départementale de la sécurité publique de son domicile ou auprès de tout autre service désigné par la préfecture. La justification par correspondance n’est pas possible.
La justification mensuelle. La fréquence de présentation est devenue mensuelle depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007 si la personne a été condamnée pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement mentionné à l’article 706-47 du code de procédure pénale dans deux hypothèses :
- si la dangerosité de la personne le justifie. Dans ce cas c’est soit la juridiction de jugement, soit le juge de l’application des peines qui apprécient souverainement de l’opportunité de cette présentation mensuelle ;
- si la personne a été condamnée en récidive légale pour un crime ou pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement mentionné à l’article 706-47 du code de procédure pénale. Dans ce cas, la décision de condamnation doit obligatoirement mentionner une telle mesure. Toutefois, en l’absence de mention expresse, le régime de présentation semestriel est applicable (7).
Ces dispositions relatives à la justification mensuelle ne sont pas rétroactives, et ne sont donc applicables que pour les faits commis à compter du 8 mars 2007. A compter du 12 mars 2010, l’application de ces dispositions de justification semestrielle ou mensuelle est mise en œuvre dès la condamnation, sans attendre l’expiration des voies de recours .
La personne inscrite dans le fichier peut solliciter auprès du procureur de la République que la fréquence de présentation soit réduite de tous les ans à tous les six mois, ainsi que de tous les six mois à tous les mois. En cas de refus, la décision peut être contestée devant le juge des libertés et de la détention.
Le fait de ne pas respecter ces obligations de présentation est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende . S’il apparaît que la personne ne se trouve plus à sa dernière adresse indiquée, le procureur de la République peut la faire inscrire au fichier des personnes recherchées.
G. LES PERSONNES POUVANT AVOIR ACCÈS AU FICHIER
[Code de procédure pénale, articles 706-53-7 et R. 53-8-24]
Les informations contenues dans le fichier sont directement accessibles par l’intermédiaire d’un système de télécommunication sécurisé :
- aux autorités judiciaires ;
- aux officiers de police judiciaire, dans le cadre de procédures concernant un crime d’atteinte volontaire à la vie, d’enlèvement ou de séquestration, ou une infraction mentionnée à l’article 706-47 du code de procédure pénale, ainsi que pour la mise à jour des adresses ;
- aux préfets et aux administrations de l’Etat dont la liste a été fixée par décret (8), à savoir :
- les préfets et les agents de préfecture habilités,
- les chefs de service ou agents individuellement désignés et spécialement habilités des administrations de l’Etat suivantes :
- La direction chargée de la gestion des ressources humaines du ministère chargé de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur,
- Les rectorats et les inspections académiques,
- La direction de la protection judiciaire de la jeunesse et ses directions régionales,
- La direction de l’administration pénitentiaire et les directions interrégionales des services pénitentiaires,
- La direction de la jeunesse et de l’éducation populaire et la direction des sports,
- les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, les directions départementales de la cohésion sociale et les directions départementales interministérielles chargées de la cohésion sociale,
- Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte, unités territoriales) ;
- les directeurs généraux des agences régionales de santé.Il est précisé que la consultation du fichier par les préfets et les administrations de l’Etat indiquées ne peut être faite qu’« à partir de la seule identité d’une personne ayant formé une demande de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation concernant une activité ou une profession impliquant un contact avec des mineurs ou dont l’exercice d’une telle activité ou profession doit être contrôlé » ;
- aux agents des greffes spécialement habilités par les chefs d’établissement pénitentiaire.
La loi du 25 février 2008 a également étendu aux administrations territoriales un accès au Fijais. En effet, les maires, les présidents de conseil général et les présidents de conseil régional sont également destinataires, par l’intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier. Cette information ne peut être donnée que pour les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation concernant des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs ainsi que pour le contrôle de l’exercice de ces activités ou professions.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés, consultée dans le cadre du projet de décret éten-dant la consultation de ce fichier, a estimé que « compte tenu de la gravité des conséquences qui peuvent résulter de sa consultation à des fins administratives, les modalités selon lesquelles il est prévu d’ouvrir le Fijais aux administrations doivent faire l’objet d’un encadrement particulièrement rigoureux [...] et rendent indispensable l’adoption de mesures de confidentialité particulièrement strictes » (9). Elle regrettait notamment que ne soient pas énumérées les professions et activités visées, qui fondent la compétence de l’administration concernée en matière d’agrément, et que ne soient pas précisées les conséquences individuelles, à l’égard de la situation professionnelle de ces personnes, d’une consultation du Fijais qui se révélerait positive.
Les demandes de consultation qui ne répondraient pas aux cas prévus par la loi peuvent être en principe punies de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende et un enregistrement des demandes de consultation est assuré pendant trois ans pour éviter les abus.
L’ACCÈS AUX ANTÉCÉDENTS JUDICIAIRES DES PROFESSIONNELS EN CONTACT AVEC LES MINEURS
Faisant suite à une affaire d’atteintes sexuelles sur mineurs commises par des chauffeurs de bus scolaires, des précisions ont été apportées par le garde de Sceaux en réponse à la question d’un parlementaire portant sur l’accès au casier judiciaire de tels professionnels pouvant être en contact avec des mineurs (10). A cette occasion, la nécessité de porter à la connaissance des employeurs de personnes en contact avec les mineurs les antécédents judiciaires des postulants a été rappelée, ainsi que les dispositifs dérogatoires prévus dans ce sens en ce qui concerne l’accès au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Le garde des Sceaux a toutefois reconnu que les chauffeurs employés comme chauffeurs de bus scolaires par des sociétés privées n’entraient pas dans les prévisions spécifiques d’accès au bulletin n° 2. Il était toutefois renvoyé dans ce cas aux dispositions du Fijais, étant précisé que « les maires, les présidents de conseil général et les présidents de conseil régional sont également destinataires, par l’intermédiaire des préfets, des informations contenues dans le fichier, pour les décisions administratives [...] concernant des activités ou des professions impliquant un contact avec les mineurs, ainsi que pour le contrôle de l’exercice de ces activités ou professions. Dans ce cadre, les antécédents des chauffeurs de bus scolaires peuvent être vérifiés. »
Il se confirme ainsi que le Fijais est une source d’information plus efficace, mais aussi beaucoup moins confidentielle, que le bulletin n° 2 du casier judiciaire quant aux antécédents judiciaires des auteurs d’infractions sexuelles.
(1)
Crim, 21 janvier 2009, n° 08-84.001, Juris-Data n° 2009-047167.
(2)
Décision n° 2004-492 du 2 mars 2004.
(3)
CEDH 17 déc. 2009, nos 22115/06, 5535/06, 16428/05.
(4)
Voir http://www.cnil.fr
(5)
A partir de l’âge de 13 ans et uniquement pour les crimes pour les mineurs de moins de 16 ans, en vertu de la décision du Conseil constitutionnel n° 20046492 DC du 2 mars 2004, cf. Gebler L., Guitz I., « Le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs », supplément ASH, mars 2007, p. 92.
(6)
Une boîte postale spécifique, à l’intitulé volontairement anonyme, étant dédiée tant aux partenaires du Fijais qu’aux personnes inscrites : ministère de la Justice, SGFD, 107, rue du Landreau, BP 22406, 44324 Nantes cedex 3.
(7)
Circulaire DACG n° CRIM 08-16/Q du 29 octobre 2008, BOMJ n° 2008/6 du 30-12-08.
(8)
Notamment les décrets n° 2008-1023 du 6 octobre 2008, JO du 7-10-08 et n° 2010-344 du 31 mars 2010, JO du 1-04-2010.
(9)
Délibération n° 2007-326 du 8 novembre 2007 de la CNIL portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat modifiant la partie réglementaire du code de procédure pénale et relatif au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) et au casier judiciaire national automatisé, JO du 7-10-08.
(10)
Réponse du garde des Sceaux à la question écrite n° 50554 de Jacques Remiller, député (UMP) de l’Isère, JOAN(Q) du 1-09-09.