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LES LIEUX DE LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

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Les obligations et injonctions de soins n’existent qu’en milieu ouvert. En milieu fermé (établissement pénitentiaire), on parle d’incitation aux soins. La demande spontanée de soins peut se rencontrer dans les deux milieux. Pour la santé, les soins sont délivrés en « hospitalisation » ou en « ambulatoire », ce qui n’est pas synonyme de milieu « fermé » ou « ouvert » puisque, dans les unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) (cf. infra, B) par exemple, il s’agit bien de soins ambulatoires en établissement pénitentiaire.


A. LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE DES AIS HORS DE LA PRISON



1. L’HOSPITALISATION EN PSYCHIATRIE

Une hospitalisation en psychiatrie doit répondre à un motif médical sérieux. L’hospitalisation d’un auteur de violences sexuelles en psychiatrie est, et devrait rester, rarissime du fait à la fois de leurs troubles (cf. supra, chapitre II, section 2) et du contenu de la loi du 27 juin 1990 (1).
Chez les AIS, comme chez tout sujet, l’hospitalisation est indiquée en cas de trouble psychiatrique aigu (état délirant, état dépressif suicidaire, nécessité d’un sevrage, etc.). On tombe dans la psychiatrie classique, où l’hospitalisation peut se faire sur un mode libre ou sous contrainte (à la demande d’un tiers ou d’office), en fonction de l’état du sujet et de son acceptation ou non du principe de l’hospitalisation.
En l’absence de trouble psychiatrique aigu et dans le cas où il s’agirait d’une situation non médicale, le soignant peut proposer une hospitalisation qui serait librement consentie afin de lutter d’un commun accord contre une certaine problématique. Ce peut être le cas lorsqu’un pédophile commence à recherche la proximité de mineurs, ou que des fantasmes déviants deviennent plus fréquents. Si le sujet refuse cette proposition, une hospitalisation sous contrainte n’aurait pas de sens, les critères d’hospitalisation sous contrainte ne seraient pas remplis, puisque, dans plus de 95 % des cas, ces sujets n’ont pas d’abolition de leur discernement et qu’ils ont parfaitement conscience de leur trouble et des risques (cf. supra, chapitre II, section 2, § 1, A). En revanche, ce refus d’hospitalisation devrait théoriquement être assimilé à une « difficulté », voire à un « refus » des soins proposés, avec, à la clé, des conséquences judiciaires possibles dans le cas d’un soin pénalement ordonné.


2. LES SOINS AMBULATOIRES EN MILIEU OUVERT

L’immense majorité des soins prodigués aux auteurs d’infractions sexuelles se fait en ambulatoire.
Après la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, aucun moyen financier spécifique n’est venu appuyer le développement et la généralisation du processus des soins ni dans le cadre de l’injonction de soins, ni dans celui de l’obligation de soins. Le dispositif a donc reposé sur la psychiatrie traditionnelle. La psychiatrie libérale et la psychiatrie associative étant plutôt réticentes à s’inscrire dans un dispositif de soins obligés, c’est surtout la psychiatrie publique qui a été sollicitée.
Dans le cadre de la psychiatrie publique, c’est le principe de la sectorisation géographique qui s’applique, c’est-à-dire que tout patient, en fonction de son lieu de résidence, dépend d’un service donné. La psychiatrie publique a aussi cette force d’avoir implanté des centres médico-psychologiques (CMP) répartis sur chaque secteur afin de faciliter l’accès aux soins pour les patients. Malheureusement, ce maillage d’une psychiatrie publique déjà surchargée ne permet pas d’absorber les demandes toujours plus nombreuses de soins obligés. Des CMP, peu motivés, refusent même ce genre de prise en charge, partant du principe qu’ils ne sont pas compétents dans ce domaine ou que les sujets ne sont pas demandeurs de soins. Cela pose de sérieux problèmes concernant l’offre de soins et de sérieuses difficultés quant à l’application des soins obligés. Dans le monde hospitalier, l’avènement de pôles (mutualisation de plusieurs secteurs de psychiatrie) permettra peut-être de mieux organiser de telles prises en charge mais l’espoir est ténu.
En parallèle, des initiatives locales ont permis de développer une organisation plus spécifique des soins aux AIS, sans forcément de moyens supplémentaires (2). Des organisations spécialisées ont vu le jour plus récemment (3). Certaines de ces structures émanent des services médico-psychologiques régionaux (SMPR), d’autres de secteurs de psychiatrie pour adultes. Elles sont intersectorielles, c’est-à-dire qu’elles accueillent des AIS de tous les secteurs.
Des associations ont aussi été créées (cf. encadrés ci-dessous et ci-contre), visant à développer les prises en charge des AIS par le biais d’échanges professionnels, de formations, etc.
Enfin, en 2006 a été créé le principe de Centre ressource interrégional pour la prise en charge des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), principe modifié en 2008 (cf. encadré, p. 116).


B. LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE DES AIS EN PRISON



1. L’ORGANISATION GÉNÉRALE DES SOINS

Deux types de soins sont dispensés en détention : des soins généraux et des soins psychiatriques.
Les soins médicaux généraux sont assurés par l’unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), implantée dans chaque établissement pénitentiaire afin d’offrir aux détenus des soins équivalents à ceux qui sont disponibles pour la population générale. Lorsqu’un détenu nécessite une hospitalisation, celle-ci s’organise soit dans l’hôpital de rattachement de l’UCSA, soit dans une des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI).
Les soins psychiatriques en détention (4) sont assurés soit par les 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés en général dans les maisons d’arrêt (cf. encadré, p. 79), soit par un dispositif de soins psychiatriques (DSP) mis en place par l’hôpital psychiatrique le plus proche et qui est rattaché à l’UCSA. Lorsqu’un détenu nécessite une hospitalisation en psychiatrie, il est soit adressé avec son consentement à un SMPR disposant de lits, soit orienté en hospitalisation d’office à l’hôpital psychiatrique le plus proche ou en unité pour malades difficiles (UMD), soit transféré dans l’une des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), qui sont en cours d’implantation et déjà controversées (5). Un décret récent précise les modalités de garde, d’escorte et de transport des personnes détenues hospitalisées en raison de troubles mentaux (6) et la première UHSA vient d’être inaugurée à Lyon (7).
Le rôle de la psychiatrie pénitentiaire est de dépister et de soigner les troubles psychiatriques. L’exercice de la psychiatrie en détention est particulièrement complexe (8).


L’ASSOCIATION FRANÇAISE DE THÉRAPIE DES VIOLENCES SEXUELLES ET FAMILIALES

Après avoir travaillé au Centre national d’observation (CNO) de Fresnes, le Dr Roland Coutanceau a créé l’Antenne de psychiatrie et de psychologie légales (APPL) en 1990 sur un centre médico-psychologique de secteur.
A l’origine, l’APPL accueillait des auteurs d’infractions sexuelles incestueux ou pédophiles. Le public concerné s’est progressivement élargi aux violences conjugales et aux violences familiales. L’APPL comprend aussi un pôle de victimologie et les consultations sont réparties sur des lieux différents. L’APPL utilise beaucoup la prise en charge groupale des auteurs de violences. Le Dr Coutanceau a une position psycho-criminologique et prône le développement en France de consultations spécialisées pour les auteurs de violences.
En 1996, a été créée l’Association française de thérapie des violences sexuelles et familiales (AFTVS) (9) qui est une délégation régionale de la Ligue française pour la santé mentale (LFSM). Sont organisés des formations, séminaires, colloques, etc.


2. LES SOINS AUX AIS DÉTENUS

Par rapport à la population carcérale générale, les auteurs d’infractions sexuelles détenus présentent quelques particularités, comme un âge plus avancé, un comportement en détention réputé « tranquille... de bon élève », une stigmatisation de la part des autres détenus, une propension à être dans le déni des faits (environ 50 %) et un risque suicidaire encore plus élevé que celui des autres détenus (cf. supra, chapitre II, § 2).
A l’origine, aucune des missions de la psychiatrie pénitentiaire ne porte spécifiquement sur les AIS, la prévention du risque suicidaire concernant l’ensemble des détenus. C’est la loi qui, en créant l’injonction de soins en milieu ouvert, a créé l’incitation aux soins pour les AIS durant leur détention.
Or les modalités de soins aux auteurs d’infractions sexuelles ne sont pas identiques dans toutes les prisons (10), comme l’illustre une étude réalisée en Aquitaine (cf. encadré, p. 117). Cette grande variabilité des pratiques serait liée aux différentes approches théoriques, à l’inégalité des moyens répartis entre SMPR et DSP et à des initiatives locales. Des équipes de psychiatrie pénitentiaire se sont en effet organisées dans la prise en charge des AIS, comme celle de la maison d’arrêt de Grenoble-Varces (11) pour un travail plus psychanalytique ou, plus récemment, celle du centre pénitentiaire de Fresnes (12) pour un travail plus cognitivo-comportementaliste.
En milieu carcéral, il existe des freins spécifiques à la demande de soins de la part des AIS, comme la crainte d’être repéré comme « pointeur » (cf. supra, chapitre IV, section 1, § 1, B, 1, b) ou d’être « déclassé » – c’est-à-dire de perdre la possibilité de travailler en prison – si les soins prennent trop de temps sur le travail. Des éléments peuvent aussi réduire ou perturber l’offre de soins : manque de personnels soignants, locaux exigus ne permettant pas la tenue d’un groupe, accessibilité au service de soins dépendant des surveillants ou de l’activité pénitentiaire, transfèrement imprévu d’un détenu pourtant pris en charge, confidentialité des soins à renforcer, etc. La spécialisation de certains établissements pour peine devrait permettre de prendre en compte ces obstacles.
Parfois, le moment de l’incarcération est propice à entreprendre un travail sur soi et, au minimum, tous les autres moments clés (comme l’approche du procès ou de la libération, la survenue d’un événement de vie négatif, etc.) devraient être l’occasion de proposer un accompagnement, sinon des soins aux auteurs d’infractions sexuelles.
Il semble désormais se dessiner deux types de prises en charge en prison : les soins psychiatriques traditionnels, c’est-à-dire dispensés à des patients ayant un trouble psychiatrique caractérisé, et où, à l’extrême, le soignant peut faire abstraction de l’infraction les ayant conduits en prison (à l’image de l’UCSA qui n’a pas besoin de connaître le motif d’incarcération pour soigner une maladie), et des soins de plus en plus incités par la justice dans un but de prévention de la récidive. Certains soignants s’en offusquent et refusent. D’autres tentent d’approcher ces détenus et de les amener à réfléchir sur leur comportement et sur ce qui les anime afin de les aider à avancer. Dans ce cas-là, les soins sont nécessairement orientés par le type d’infraction commise, ce qui n’empêche pas d’établir une relation thérapeutique globale, une personne ne se résumant pas à son comportement. Pour autant, la Haute Autorité de santé rappelait, en 2009, que les soins sont fondés sur le consentement du détenu et que « dans le cadre présentenciel, le praticien doit rester vigilant et respecter la présomption d’innocence ».
Enfin, la continuité des soins pose problème (cf. encadré, p. 117) que ce soit durant la détention car les transfèrements surviennent souvent de manière imprévue pour les soignants, ou à la libération puisque les structures psychiatriques extérieures ne sont pas très disponibles ou disposées à prendre en charge les AIS (cf. supra, A, 2). Les informations utiles à la continuité des soins comprennent au minimum les évaluations réalisées en détention, les avancées du sujet et les difficultés repérées.


L’ASSOCIATION DE RECHERCHE ET DE TRAITEMENT DES AUTEURS D’AGRESSIONS SEXUELLES

En 1993, avec le soutien de la direction générale de la santé, Claude Balier, André Ciavaldini et Martine Girard-Khayat du SMPR de Grenoble-Varces ont mené une étude sur la population carcérale des agresseurs sexuels, avec la participation de nombreux services médico-psychologiques régionaux en France. Cette étude a conduit en 1995 au rapport « Balier » (13) et au développement d’un outil d’évaluation, le QICPASS.
A la suite de cette étude, en 1996, a été créée l’Association de recherche et de traitement des auteurs d’agressions sexuelles (Artaas) (14) qui réunissait à l’origine les services de psychiatrie pénitentiaire qui y avaient participé.
Suivant son fondateur Claude Balier, l’Artaas vise à promouvoir les soins aux AIS, notamment l’art-thérapie, et à valoriser l’orientation psychanalytique et psycho-dynamique des soins aux AIS tout en restant ouvert aux autres approches.
Les activités de l’Artaas s’organisent en journées nationales (formation, colloque, etc.) et régionales (diffusion d’information, rencontres cliniques, formations, etc.).


C. LES DIFFÉRENTES OPTIONS POUR DÉVELOPPER LES SOINS AUX AIS

Pour pallier les difficultés de mise en place de ces soins, le ministère de la Santé a décidé de développer le principe des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) (cf. encadré, p. 116) qui, sans délivrer de soins, conseillent les soignants dans leurs prises en charge en milieux ouvert et fermé.
L’autre solution développée est la constitution, en milieu ouvert et en milieu fermé, d’équipes spécialisées dans ce type de soins.
Avec l’incitation aux soins durant la détention, la possibilité de rétention de sûreté à la libération, et la spécialisation de 22 établissements pour peines (cf. encadré, p. 80), les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire se trouvent particulièrement sollicités. Or, de nombreux établissements pour peines, notamment spécialisés, ne disposent pas de SMPR et sont éloignés des grandes agglomérations. Cela pose des problèmes de recrutement de soignants, et donc d’organisation des soins. Une solution est le développement d’équipes mobiles de soins aux AIS détenus (cf. encadré, p. 117) suggéré par la circulaire du 8 décembre 2008 (15).
Cependant, si des moyens sont donnés pour les soins en détention, il ne faut pas, pour autant, oublier de développer et de renforcer les prises en charge en milieu ouvert car c’est bien le lieu des récidives. Un rapport de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale recommande de généraliser les « consultations post-pénales » pour les personnes majeures placées sous main de justice (16).


(1)
Loi n° 90-257 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation. Un projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » visant à réformer la loi de 1990, a été présenté par la ministre de la Santé et des Sports, le 5 mai 2010, en conseil des ministres.


(2)
C’est le cas du PARI à Grenoble (psychothérapies, applications et recherches intersectorielles, Dr Cohen et Ciavaldini) de l’APPL à la Garenne-Colombes (antenne de psychiatrie et de psychologie légales, Dr Coutanceau), de consultations spécialisées à l’hôpital Foch de Suresnes (Dr Cordier) ou au CHU de Rouen (Pr Thibaut), etc.


(3)
Par ordre alphabétique et sans être exhaustif, à Angoulême, Bordeaux, La-Celle-Saint-Cloud, Niort, Poitiers, etc.


(4)
A noter, l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP), présidée par le Dr Catherine Paulet.


(5)
Dubret G., « UHSA : un formidable effort dans la mauvaise direction », L’Information psychiatrique, 2008, vol. 84, n° 6.


(6)
Décret n° 2010-507 du 18 mai 2010, JO du 19-05-10.


(7)
UHSA « Simone Veil » inaugurée le 20 mai 2010.


(8)
De Beaurepaire C., « Soins psychiatriques en milieu carcéral : spécificités, paradoxes et questions éthiques », Actualités en psychiatrie, n° 17, 2000.


(9)
AFTVS, président : Dr Roland Coutanceau : Tél . 01 56 47 03 49 / Fax : 01 56 47 03 68 – Site www.psylegale.com


(10)
Brahmy B., « La prise en charge des auteurs d’infractions sexuelles en milieu pénitentiaire », Actualité juridique-pénal, n° 2, Dalloz, 2004.


(11)
Emeraud P. Y., « Un dispositif de soins adapté aux détenus », Soins psychiatrie, n° 267, mars/avril 2010, vol. 31.


(12)
Bodon-Bruzel M., « Stratégies de prise en charge thérapeutique en milieu carcéral des auteurs d’infractions à caractère sexuel », in Coutanceau R. et Smith J., La violence sexuelle : approche psycho-criminologique – Evaluer, soigner, prévenir, coll. « Psychothérapies », Ed. Dunod, Paris, 2010.


(13)
Balier C., Ciavaldini A. et Girard-Khayat M. « Rapport de recherche sur les agresseurs sexuels (QICPAAS) », La Documentation Française, novembre 1996.


(14)
ARTAAS, président : Bernard SAVIN, psychologue – Tél. 06 10 04 69 83 – Site Internet : www.artaas.org


(15)
Circulaire DHOS/F2/F3/DSS/1A n° 2008-356 du 8 décembre 2008, BO Santé-Protection sociale-Solidarités n° 2009/1 du 15-02-09.


(16)
Rapport d’information n° 1811 sur la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes majeures placées sous main de justice, juillet 2009, téléchargeable sur www.assemblee-nationale.fr

SECTION 1 - L’ORGANISATION DES SOINS

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