S’agissant du secret médical, et plus largement du secret professionnel, des dérogations sont prévues, légales et jurisprudentielles mais elles sont très encadrées.
A. UN PRINCIPE FONDAMENTAL POUR DES SOINS ACCESSIBLES ET DE QUALITÉ
Présent du serment d’Hippocrate au code pénal (secret professionnel), le secret médical fait partie des secrets absolus et porte sur tout ce qui est « confié mais aussi [...] vu, entendu ou compris » dans l’exercice de la profession . Il est instauré dans l’intérêt des patients car aucun patient n’irait décrire ses symptômes s’il n’était pas assuré que ce qu’il va confier demeurera secret. La qualité de la relation médecin-malade se fonde sur le respect de la confidentialité. Le but n’est donc pas de créer un quelconque pouvoir médical, notamment face à la justice, mais de faciliter l’accès aux soins pour tout patient, quelle que soit sa maladie.
Le secret médical persiste même après la mort du patient et, sauf dérogations légales, il ne peut être levé ni par le patient lui-même, ni par la police, un magistrat, un avocat, etc., En revanche, le secret médical n’est pas opposable au patient, ce qui signifie que le médecin ne peut se retrancher derrière lui pour ne pas répondre aux questions de son patient. Cela signifie aussi que le médecin peut remettre des certificats et attestations contenant des informations médicales « en mains propres », c’est-à-dire uniquement au patient.
Le secret médical peut être partagé, uniquement entre soignants du patient et à la demande ou avec l’accord du patient. Par extension, en milieu hospitalier, le « service » est tenu au secret comme le serait une personne unique. Enfin, si un médecin est mis en cause, il a le droit de révéler les éléments strictement nécessaires pour sa propre défense.
B. DES DÉROGATIONS TRÈS CADRÉES
Les dérogations au secret médical constituent un équilibre subtil entre intérêt particulier et intérêt public. Elles sont nombreuses mais très précises quant aux circonstances et à la qualité de la personne destinataire de l’information médicale comme les certificats médicaux d’hospitalisation d’office transmis à l’agence régionale de santé (ex-DDASS), le certificat de décès pour l’officier d’état civil. Certaines dérogations sont même anonymisées (par exemple, les maladies à déclaration obligatoire à l’agence régionale de santé, la deuxième partie du certificat de décès transmis à l’agence régionale de santé pour les statistiques médicales de l’Inserm). Il existe des dérogations légales, certaines obligatoires et d’autres possibles, et des dérogations jurisprudentielles.
La peine prévue en cas de révélation d’une information à caractère secret ne s’applique pas dans diverses situations où des mineurs ou des personnes vulnérables sont victimes , ce qui figure également dans le code de déontologie .
Depuis la loi du 17 juin 1998 et la création de l’injonction de soins (cf. supra, chapitre IV, section 1, § 5), le secret médical est régulièrement débattu à l’occasion des projets de loi. En l’état actuel, seule l’injonction de soins est concernée par des dérogations spécifiques (cf. tableau), ce qui n’est pas le cas de l’obligation de soins ou des soins demandés spontanément par un AIS.
Ces différences, posées uniquement par le cadre de soins (obligation ou injonction), rendent la pratique soignante complexe voire antinomique car ce n’est pas en fonction d’un état de santé ou d’une situation, mais d’un cadre, que la dérogation existe ou non. Face à une situation inquiétante quasi identique, le médecin traitant est alors en position d’équilibriste (cf. encadré, p. 120). Par ailleurs, la loi du 10 mars 2010 apporte un peu plus de confusion : elle fait référence à l’« interruption du traitement » et à l’« interruption du traitement [...] contre l’avis du médecin traitant », ce qui laisse supposer qu’il peut y avoir des situations où l’interruption se ferait avec l’avis du médecin traitant. En revanche, le « refus » du traitement n’existerait que contre l’avis du médecin traitant, alors que l’on sait bien que le médecin ne fait que proposer les soins qui lui semblent les plus adaptés au cas du patient.
Le Conseil national de l’ordre des médecins s’est prononcé contre le partage du secret médical entre médecin traitant et médecin coordonnateur, décision qui s’explique par le fait que le médecin coordonnateur n’est pas considéré comme un soignant. En dehors des difficultés, du refus ou de l’interruption de soins, le secret médical demeure absolu.
Le Guide de l’injonction de soins va même plus loin puisqu’il considère que les médecins et psychologues traitants « n’ont pas à transmettre les informations qui les incitent à entrer en contact avec le médecin coordonnateur ou avec le JAP [...] ils n’ont pas à justifier leur position ou à argumenter leur point de vue ; ils doivent simplement (leur) permettre de réinterroger l’évolution de la personne et les besoins d’accompagnement ou de contrainte » (1). Ce qui signifierait qu’un signalement est possible mais que les raisons du signalement doivent être tues. Dans ce cas, il incombe aux magistrats et aux médecins coordonnateurs à deviner ce qui se passe. De la même manière, le médecin traitant peut proposer au juge de l’application des peines d’ordonner une expertise mais, si la position très catégorique du Guide de l’injonction de soins est appliquée à la lettre, le magistrat va se retrouver bien seul lorsqu’il va rédiger les questions de ladite expertise. Et le risque est grand d’une expertise inutile.
En parallèle, des soignants adoptent des pratiques très souples : « Il est important que le JAP soit informé de l’évolution du condamné, mais il est inutile d’entrer dans le détail des “confidences” du patient. Il suffit de donner le strict minimum utile au bon fonctionnement de la mesure (présence ou non, régularité, évolution ou stagnation, respect des obligations). Pour se faire, l’attestation est généralement remise en mains propres à l’intéressé pour qu’il la transmette lui-même aux juridictions pénales de contrôle » (2).
Par ailleurs, la situation où un soignant comprend qu’un AIS en soins est au bord d’un passage à l’acte semble relever de la jurisprudence. En effet, l’article 226-14 du code pénal parle des violences au passé, ce qui signifie qu’elles seraient déjà commises. De plus, le consentement de la victime (majeure et non vulnérable) est recherché, ce qui suppose que le médecin est en contact avec la victime. Or ce n’est pas le cas lorsque l’on soigne un AIS. Et la réalisation d’une confrontation « pour savoir ce qui s’est passé » est vivement déconseillée car assimilée à une enquête, qui est du ressort exclusif de la justice.
[Code de la santé publique, article L. 3711-3 dans sa rédaction issue de la loi du 10 mars 2010]
Malheureusement, les recommandations de la Haute Autorité de santé ne donnent aucune indication sur ces points précis, elle se contente de signaler la difficulté déontologique pour le praticien, tiraillé entre « d’une part, l’obligation de respecter le secret professionnel [...] (et) d’autre part, l’obligation légale de porter assistance à une personne en péril et l’urgence de signaler les mauvais traitements sur un mineur de 15 ans ou une personne vulnérable, lorsqu’elle est en danger » (5).
Il apparaît alors urgent qu’il y ait une réflexion approfondie à propos de ces sujets, en partenariat avec le Conseil de l’ordre des médecins. Car faut-il signaler une difficulté (par exemple) sans la décrire ? ou faut-il la décrire de manière circonstanciée – comme les certificats d’hospitalisation sans consentement – tout en ne dévoilant que le strict nécessaire au signalement ?
EXEMPLES DE VIGNETTES CLINIQUES
Deux vignettes cliniques relatant une même situation préoccupante (sujets pédophiles fréquentant des mineurs durant leur soin pénalement ordonné) sont exposées ici mais dans des cadres légaux différents.
EN OBLIGATION DE SOINS ...
Monsieur X, condamné à dix ans de réclusion criminelle pour viol, agression sexuelle et corruption de mineurs, bénéficie d’une libération conditionnelle avec obligation de soins. Il a un suivi psychiatrique ambulatoire. Un an et demi après le début de sa conditionnelle, il révèle à l’occasion d’une consultation médicale qu’il encadre depuis peu des enfants en tant que bénévole dans un club de sport. Il explique alors que cela l’occupe le week-end, que c’est un bon test pour voir où il en est de sa problématique et qu’il y a toujours deux adultes en même temps pour encadrer les jeunes sportifs.
Le psychiatre est alors préoccupé par cette situation. Il amène son patient à réfléchir sur l’aberration de cette nouvelle activité au vu de ses antécédents pénaux, et lui conseille de l’interrompre. En parallèle, le psychiatre s’interroge sur la marche à suivre en pareille circonstance : faut-il prévenir la justice et selon quelle procédure ? Le patient lui indique qu’aucune interdiction d’entrer en relation avec des mineurs n’était prévue lors de la libération conditionnelle, mais le psychiatre n’est pas en mesure de le vérifier, n’ayant pas accès aux pièces du dossier pénal. Pour cette même raison, il ne peut avoir de précisions sur les circonstances des infractions antérieures qui auraient peut-être permis de dégager un éventuel modus operandi dans l’approche des mineurs, qui était peut-être en train de se reproduire.
L’obligation de soins ne comporte pas de dérogation au secret médical et l’absence de médecin coordonnateur ne lui permet pas de signaler cette « difficulté » rencontrée au cours du suivi. Le psychiatre est tenu de respecter le secret professionnel qui lui interdit de révéler ce que le patient lui a livré lors des entretiens . Une solution envisageable est le signalement au procureur de la République, le secret professionnel n’étant pas applicable en cas d’atteintes sexuelles sur mineurs . Or, le patient n’a pas verbalisé de trouble du comportement ou d’intention suspecte particulière à l’égard de mineurs.
Finalement, sept mois après, monsieur X annonce qu’il a arrêté son activité bénévole, devenue « une corvée » selon lui, sans que le psychiatre ne puisse démêler le vrai du faux. Et deux mois plus tard, il est placé en garde à vue à l’occasion d’un flagrant délit d’agression sexuelle sur mineur, dans un tout autre cadre que celui du club de sport. Il est alors condamné à trois ans d’emprisonnement pour agression sexuelle sur mineur de 15 ans en récidive. Par la suite, il expliquera qu’il a arrêté son bénévolat car il se sentait attiré par un des sportifs mineurs.
... ET EN INJONCTION DE SOINS
Monsieur Y est condamné, par le tribunal correctionnel, à trois ans d’emprisonnement et sept ans de suivi socio-judiciaire assorti d’une injonction de soins, pour agression sexuelle sur mineure de 15 ans par ascendant ou personne ayant autorité. La peine encourue en cas de non-respect des obligations est fixée à deux ans d’emprisonnement.
Après une incarcération effective de deux ans, le juge de l’application des peines lui notifie les obligations relatives à son suivi socio-judiciaire, désigne le médecin coordonnateur, et saisit le SPIP. Monsieur Y bénéficie d’un suivi psychiatrique, sous la forme d’entretiens psychothérapiques mensuels. Vu les nombreuses condamnations antérieures pour agressions sexuelles sur mineures, et cela malgré plusieurs suivis, son psychiatre lui propose un traitement anti-hormonal que Monsieur Y accepte sous forme injectable, après avoir été informé des modalités thérapeutiques et des effets indésirables.
A l’occasion d’une consultation, monsieur Y apprend à son psychiatre qu’il a hébergé une mineure mais lui assure que cette situation est terminée et qu’elle ne se reproduira plus. Quatre jours après, le SPIP rend un rapport ponctuel de situation au juge de l’application des peines, l’informant que monsieur Y a été vu le jour même, entrant dans son domicile avec une mineure. Le SPIP en informe également le psychiatre traitant, qui comprend alors que l’hébergement de cette mineure est toujours d’actualité. Le psychiatre signale la difficulté dans le suivi au médecin coordonnateur, et fait directement un signalement judiciaire auprès du parquet, sur le fondement de l’article 226-14 du code pénal.
Trois jours après, le médecin coordonnateur convoque monsieur Y pour lui rappeler son interdiction de fréquenter des mineurs et en informe le psychiatre traitant. Puis, c’est le conseiller d’insertion et de probation qui, le même jour, lui rappelle à son tour les obligations du suivi socio-judiciaire ainsi que les conséquences encourues en cas de non-respect. A cette occasion, monsieur Y reconnaît plusieurs hébergements mais se défend de tout acte sexuel, pulsion ou fantasme, envers la mineure.
Une semaine après, le juge de l’application des peines ordonne une incarcération provisoire, puis, à l’issue du débat contradictoire, il rend un jugement ordonnant la mise à exécution partielle à hauteur de six mois de la peine d’emprisonnement encourue pour non-respect de l’interdiction d’entrer en relation avec une mineure. En parallèle, l’enquête conduite par le parquet n’a pas mis en évidence d’infractions sexuelles à l’encontre de la mineure hébergée.
(1)
Guide de l’injonction de soins, ministère de la Santé et des Sports, ministère de la Justice, septembre 2009.
(2)
Hanni C., « Le cadre légal de la prise en charge des auteurs d’agressions sexuelles », in Coutanceau R. et Smith J., La violence sexuelle : approche psycho-criminologique – Evaluer, soigner, prévenir, préc.
(3)
SPIP : service pénitentiaire d’insertion et de probation.
(4)
MC : médecin coordonnateur.
(5)
Haute Autorité de santé, « Prise en charge des auteurs d’agression sexuelle à l’encontre de mineurs de moins de 15 ans », recommandations et argumentaire, juillet 2009, téléchargeable sur www.has-sante.fr