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LES LIMITES ET DIFFICULTÉS DES PRISES EN CHARGE THÉRAPEUTIQUES

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Les limites peuvent provenir de l’efficacité des prises en charge, de l’articulation difficile entre temps soignant et temps judiciaire, mais aussi du positionnement même de l’AIS envers ses soins. Enfin, elles tiennent aussi à la disponibilité ou non de soins spécialisés.


A. UN IMPACT THÉRAPEUTIQUE DIFFICILE À ÉVALUER

Evaluer l’efficacité d’une technique de soins pose des problèmes méthodologiques. Si l’efficacité d’un médicament peut être comparée à celle d’un placebo, il est beaucoup plus difficile d’étudier l’efficacité d’une psychothérapie. En 2004, l’INSERM a comparé l’efficacité de trois approches (psychanalytique, cognitivo-comportementale et systémique) dans les troubles psychiatriques les plus fréquents (hors délinquance sexuelle) à partir d’une synthèse de la littérature internationale. Le rapport de cette expertise collective est très controversé, les tenants de la psychothérapie, qui s’est révélée la moins efficace dans cette étude, dénonçent la méthodologie employée qui pénaliserait leur technique. Le rapport et sa controverse ont eu le mérite de sensibiliser à la fois les psychothérapeutes sur la nécessité d’évaluer leurs soins, et les chercheurs sur la nécessité de prendre en compte aussi les données « hors laboratoire » (1).
Il en est de même dans le domaine de la délinquance sexuelle où trop peu de travaux se sont attachés à étudier, avec une méthodologie rigoureuse, la validité des prises en charge. C’est le constat, en 2007, de la rédaction de la revue Prescrire (2) qui note que « l’évaluation comparative des prises en charge est peu développée. Les psychothérapies sont proposées comme traitement de référence, ce qui semble cohérent pour tenter d’améliorer à long terme un trouble du comportement, mais leur efficacité n’est pas démontrée » et qui conclut par : « En somme, la prise en charge des patients auteurs d’agression sexuelle est difficile. L’évaluation doit absolument se poursuivre pour répondre le mieux possible aux exigences de mieux soigner. »
La définition même de l’efficacité des soins n’est pas universelle, elle dépend de l’objectif que le thérapeute s’est fixé : pour certains, il s’agirait uniquement de soulager le patient et « tant mieux s’il ne récidive pas », pour d’autres, la priorité tiendrait dans l’absence de récidive, ce qui ne relève pas (que) de la médecine. Cela illustre le risque de confusion entre santé publique, d’une part, et sécurité publique, d’autre part.
L’efficacité des soins porte parfois sur des objectifs qui peuvent paraître minimes mais qui sont adaptés à l’AIS. Il peut s’agir certes de l’accompagner dans l’exploration de son fonctionnement inconscient, mais aussi en fonction des moments du suivi, de le préparer à l’éventualité d’une incarcération lorsque le jugement approche ou de l’amener à réguler ses pulsions ou son comportement dans une situation à risque, etc.


B. DES TEMPS SOIGNANTS DIFFÉRENTS DES ÉTAPES JUDICIAIRES

Le moment du début des soins dans le parcours pénal est variable : avant ou après le procès, pendant ou après l’incarcération... En fait, il n’y a pas de moment idéal pour commencer un soin, cela dépend juste du positionnement de l’auteur d’infractions sexuelles, qui est plus ou moins disposé à travailler sur sa problématique. Et il n’y a pas de règle ; pour certains, l’incarcération est un moment propice à initier une prise en charge, pour d’autres, c’est l’arrestation qui déclenche la réflexion. Pour la plupart, c’est le côté obligé des soins qui provoque la rencontre avec les soignants.
Quant à la durée des soins, elle est fixée par la justice, le plus souvent en même temps que la peine. Elle est déterminée vraisemblablement en fonction de la gravité de l’infraction et non de l’importance de la problématique sous-jacente. Cela explique les décalages souvent constatés, dans un sens ou dans l’autre, entre durée obligée et durée semblant adaptée. Au terme des soins obligés, la prise en charge thérapeutique peut naturellement se prolonger sur la base du volontariat et en dehors de tout cadre judiciaire. Le médecin coordonnateur informe le patient de cette possibilité, et, en pratique, les soignants l’en informent aussi, que l’intéressé soit en fin d’obligation de soins ou en fin d’injonction de soins.


C. LES LIMITES LIÉES AU POSITIONNEMENT DE L’AIS



1. LE DÉNI DES FAITS

En 2001, la conférence de consensus précise qu’il n’y a pas d’indication de soins si la personne nie les faits. En 2008, Piernick Cressard (3), pour le Conseil national de l’ordre des médecins, écrit : « Les soins ne peuvent avoir d’intérêt que si la personne reconnaît son comportement comme pathologique, qu’elle en fait la demande, afin d’être aidée à contrôler son comportement. »
Il existe une grande nuance entre ces deux positions : il est tout à fait possible en effet de prendre en charge un sujet qui, par exemple, reconnaît une problématique pédophilique et qui nie farouchement les faits d’agression sexuelle sur mineur qui lui sont reprochés ou pour lesquels il a été condamné. Il existe plusieurs niveaux de déni et si la matérialité de faits précis est fondamentale pour la justice, c’est la reconnaissance, même partielle, d’une problématique qui donne matière aux soignants.
Cependant, la prise en charge d’un négateur (niant à la fois les faits et toute problématique) tourne vite cours en thérapie individuelle, à moins... d’éviter de parler de la problématique et des faits. Pire, la poursuite d’un tel suivi risque de le conforter dans son positionnement (« je me soigne parce que je déprime d’avoir été condamné à tort ») et de donner l’illusion à la justice que le sujet, présent aux consultations, travaille véritablement. Une prise en charge groupale permet parfois de rendre les négateurs moins défensifs.


2. LE MANQUE D’INVESTISSEMENT DANS LES SOINS

Les AIS sont rarement en demande spontanée de soins. Le DSM-IV-TR note que « les paraphiles se présentent rarement d’eux-mêmes pour un avis et n’entrent habituellement en contact avec les professionnels de la santé que lorsqu’ils sont entrés en conflit avec leurs partenaires sexuels ou avec la société du fait de leur comportement ».
Dans ces conditions, le soin obligé (obligation ou injonction de soins) peut être une condition favorable, sinon à la demande, du moins à l’acceptation des soins. Le caractère opportuniste du consentement n’est pas obligatoirement une contre-indication à entreprendre une relation thérapeutique. Il existe d’ailleurs des périodes favorables à l’initiation des soins, comme le jugement, l’incarcération, un moment dépressif, etc., qui sont à saisir pour proposer au sujet de se réconcilier avec son fonctionnement psychique.
Cependant, plus que la demande ou le consentement, c’est un minimum d’adhésion authentique aux soins (une participation au processus thérapeutique) qui est attendu au cours d’une psychothérapie. Cela suppose un désir plus ou moins conscient de compréhension ou de changement.
Concernant les négateurs, une équipe les prend en charge « avec la perspective d’une évolution vers davantage de reconnaissance des faits et/ou un repérage de leur propre problématique » (4) en les introduisant progressivement dans des groupes thérapeutiques suffisamment solides.
Le soin, obligé par la justice et proposé par la santé, est tantôt vraiment investi, tantôt poliment toléré, tantôt cyniquement détourné par l’AIS.


3. LE DÉTOURNEMENT DES SOINS

Certains auteurs d’infractions sexuelles, contraints, consultent régulièrement mais n’envisagent absolument pas de changer et cherchent une caution ou des excuses auprès des soignants. D’autres imaginent faire l’économie de la « case justice » en consultant en urgence après un acte transgressif. D’autres encore réclament des soins, notamment la « castration chimique », juste avant leur procès alors qu’ils n’ont jamais fait aucune démarche de soins avant ou depuis leur interpellation.
Ces trois situations, non exhaustives, montrent qu’à côté des incitations, obligations et injonctions de soins, il existe aussi l’« illusion » du soin, tellement les soins sont devenus un enjeu dans le débat pénal. Que ce soit en milieu ouvert ou en milieu fermé, il est souvent difficile pour les soignants de distinguer une demande de soins authentique d’une demande purement utilitaire.
Bien sûr la demande, quelle que soit sa réelle motivation, est l’occasion d’une rencontre, d’une tentative d’accrochage aux soins, mais lorsque la situation perdure, les soignants se trouvent bien souvent dans une position inconfortable. L’orientation de l’AIS en prise en charge groupale peut parfois faire évoluer progressivement son investissement tout en contenant plus facilement ses tentatives de manipulation.
Quelle que soit la participation réelle aux soins, l’attestation de soins sera la même car elle se contente de déclarer la présence aux consultations. Délivrée au patient, à sa demande, elle sera la même, que le sujet soit soigné pour une « dépression réactionnelle » au fait d’être un « innocent accusé à tort », qu’il soit suivi pour un trouble psychique indépendant de ses conduites sexuelles inadaptées ou qu’il travaille réellement sa problématique. L’attestation de soins n’est donc pas du tout le garant que le sujet réfléchit à sa problématique l’ayant amené en prison ou devant la justice. Dans l’injonction de soins cependant, le médecin (ou le psychologue) traitant peut considérer comme une « difficulté » le fait de tenter de soigner quelqu’un qui manipule le soin, et signaler cette situation au médecin coordonnateur.


D. LE MANQUE DE MOYENS SANITAIRES

L’état actuel de l’organisation des soins (cf. supra, section 1) met en évidence une grande variété de l’offre des soins tant en milieu ouvert qu’en milieu fermé. Cela signifie dans l’absolu que des soins spécialisés pourront ou non être proposés en fonction du territoire de santé, et non en fonction des problématiques présentées par les auteurs d’infractions sexuelles. Il est d’ailleurs surprenant que les textes de loi fassent autant abstraction des difficultés d’application des lois précédentes car les indications des soins dépendent aussi, et malheureusement, de la réalité des moyens sanitaires existants.


(1)
Thelliez P., « Il faut affiner davantage l’évaluation des psychothérapies », d’après un entretien avec le Dr J.-M. Thurin, Le Quotidien du médecin, n° 7611, 14 octobre 2004.


(2)
Collectif de la rédaction, « Auteurs d’agressions sexuelles : une évaluation indigente des prises en charge », La Revue Prescrire, mars 2007, n° 281, p. 207 à 209.


(3)
Cressard P., « Les soins et les injonctions de soins en milieu pénitentiaire et leurs conséquences sur la situation pénale de l’intéressé », Rapport préc.


(4)
Coutanceau R. et Smith J., La violence sexuelle : approche psycho-criminologique – Evaluer, soigner, prévenir, préc.

SECTION 3 - LES MODALITÉS DE LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

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