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LA STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE

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Il s’agit du choix fait par les soignants parmi les nombreuses méthodes thérapeutiques à disposition. Ce choix se dessine après une évaluation clinique, au cas par cas, bien loin de la systématisation voulue par la loi du 10 août 2007 qui a créé la notion de suivi socio-judiciaire encouru, et bien loin du récent projet de loi qui souhaitait imposer la castration chimique. Sont décrits l’évaluation clinique préalable puis les choix de stratégie thérapeutique.


A. L’ÉVALUATION CLINIQUE INITIALE



1. SON INTÉRÊT, SON CONTENU

Théoriquement, la problématique propre à chaque auteur d’infractions sexuelles a dû être pré-identifiée par le médecin expert. Mais s’il pose l’indication générale des soins (soins opportuns ou non) et, le cas échéant, l’indication du cadre des soins (obligation ou injonction) l’expert ne se prononce pas, en principe, sur la nature des soins. Ce n’est en effet pas l’expert qui, en pratique, va prodiguer les soins, et les soignants restent indépendants dans leur démarche.
Dans ces conditions, les soignants recevant l’AIS procèdent à une nouvelle évaluation clinique, afin d’identifier sa (ou ses) problématique(s) et de déterminer ensuite les soins les plus adaptés à son cas, parmi de nombreuses méthodes possibles (cf. supra, § 2). Cette évaluation clinique a d’autant plus de sens qu’il existe un polymorphisme clinique des AIS (cf. supra, chapitre II, section 2).
L’enjeu de l’évaluation est de taille. Elle est comparable à celui de l’évaluation faite pour les toxicomanes : le diagnostic d’un simple abus donne lieu à une simple information sur les risques et les conséquences de l’abus, et celui d’une dépendance donne lieu à de véritables soins (nécessité d’un sevrage, d’une prévention des complications, de la gestion des rechutes, etc.).
L’évaluation clinique initiale vise, selon la Haute Autorité de santé, à « déterminer et [à] identifier les vulnérabilités et les ressources du sujet, et plus généralement des facteurs qui ont pu contribuer au développement des troubles et à les précipiter ».
L’évaluation est souvent différente d’une équipe à l’autre : du simple examen psychiatrique à des évaluations d’ordre général (tests projectifs, tests de personnalité, etc.) jusqu’à des outils très spécifiques, surtout à l’étranger (évaluation du risque de récidive, mesure de l’érection déviante, etc.) (1). La Haute Autorité de santé note qu’il existe de très nombreux outils mais que beaucoup n’ont pas été évalués sur des populations françaises. En France, si le Guide de l’injonction de soins n’aborde pas le contenu de l’évaluation initiale, la Haute Autorité de santé, dans ses recommandations professionnelles à propos des pédophiles, propose en annexe une liste, indicative et non exhaustive, des éléments à recueillir, qui comprend des données générales (socio-démographiques), cliniques (antécédents personnels et familiaux, trouble psychiatrique caractérisé, personnalité, paraphilie, etc.) et pénales (cadre légal des soins, informations sur l’acte).


2. DES EXEMPLES D’OUTIL, DE STRATÉGIE OU DE MOYEN D’ÉVALUATION

Le QICPAASS est un outil élaboré à l’occasion de la recherche initiée par le Dr Balier (cf. encadré, p. 115). Il s’agit d’un guide d’entretien structuré, fait de questions ouvertes, semi-ouvertes et fermées. Le reproche fait à cet outil est son temps de passation (environ cinq heures) et l’absence de cotation finale. En revanche, il n’est pas rare qu’il induise, dans la relation qu’il instaure au cours de sa passation, une véritable demande de soins de la part de l’AIS.
L’équipe du Dr Coutanceau (2) utilise une évaluation initiale pluridisciplinaire en cinq axes : psychiatrique, psychologique, psychopathologique, psycho-sexologique et psycho-criminologique. Elle aboutit à trois profils différents, qui relèvent de stratégies thérapeutiques différentes, avec la précision que cette évaluation « n’a pas la prétention d’établir la personnalité de base de l’AIS mais de dégager des sensibilités dans la manière dont la personnalité réagit à l’interpellation sociale ». Cette équipe utilise aussi un système de trois grilles (grille statistique, clinique et de niveaux d’évolution) afin d’évaluer le risque et le changement sous traitement des sujets pédophiles.
Le dossier pénal est volontairement ignoré par certains soignants et demandé par d’autres. La Haute Autorité de santé note qu’il convient d’avoir accès au dossier pénal « autant que possible ». Dans l’injonction de soins, le médecin coordonnateur le tient à la disposition du médecin ou du psychologue traitant. Dans les autres cas, il est toujours possible de demander au sujet d’apporter les documents à sa disposition. La qualification exacte des faits, le cadre légal et la durée du soin obligé, les conclusions d’expertise, l’enquête de personnalité, la déposition des victimes sont autant de sources d’informations qui contribuent à mieux cerner la problématique du sujet. Parfois, des éléments permettent de découvrir que le sujet banalise ou minimise les faits qui, en réalité, sont plus nombreux ou plus graves.


B. LES CHOIX STRATÉGIQUES DE LA THÉRAPIE

Dans l’idéal, la stratégie thérapeutique intervient après une évaluation clinique (cf. supra, A) et est ensuite élaborée en équipe. Le médecin coordonnateur (injonction de soins) et les CRIAVS (cf. encadré p. 116) peuvent conseiller les soignants à leur demande.
La stratégie thérapeutique tente de définir les soins les plus adaptés pour un AIS en particulier, et est donc indépendante du cadre légal des soins (obligation ou injonction) dans lequel il se trouve. En revanche, elle ne peut pas faire l’économie des passages à l’acte antérieurs, notamment d’une éventuelle récidive en cours de soins, car la stratégie doit tenir compte des limites d’une prise en charge antérieure. Elle tient également compte d’éventuelles non-indications et d’éventuelles contre-indications des différentes techniques possibles (cf. supra, § 2) et dépend, au final, du consentement du sujet à ce qui lui est proposé.
Le choix de la thérapeutique se fait au cas par cas : c’est la technique qui s’adapte à l’AIS et non l’inverse. Mais souvent le panel des soins disponibles est réduit du fait d’un manque de formation ou d’expérience des thérapeutes, ce qui est moins le cas des équipes spécialisées pluridisciplinaires.
Après évaluation, plusieurs questions se posent : une prise en charge classique (non spécifique) suffit-elle ou faut-il envisager une prise en charge spécifique ? En cas de prise en charge spécifique, quel type de psychothérapie semble plus adapté au cas du sujet ? Un traitement médicamenteux doit-il être envisagé ?


1. LE TYPE DE PSYCHOTHÉRAPIE

L’idée d’une prise en charge non spécifique est que, en soulageant l’AIS d’un trouble même annexe à sa problématique – comme la prise en charge d’un alcoolisme ou d’une phobie sociale par exemple – on favorise chez lui une amélioration globale et par là même une possible mise à distance de son comportement sexuel inadapté. La prise en charge spécifique est centrée sur le comportement problématique de l’AIS, mais tient compte aussi du sujet dans son ensemble.
Le choix du type de psychothérapie dépend notamment de l’objectif des soins. Pour simplifier, la psychanalyse cherche à savoir pourquoi, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) cherchent à savoir comment. La première est plus axée sur la recherche d’un conflit interne inconscient, préalable supposé au passage à l’acte, les secondes sont ciblées sur la réalité quotidienne, la gestion des fantasmes, le repérage de situations à risque. La première est singulière au sujet et peut-être longue, les secondes ont un aspect pragmatique et un impact plus rapide. Par ailleurs, la psychanalyse requiert, chez l’AIS analysé, des capacités intellectuelles correctes avec accès à la symbolisation, à l’élaboration, etc. Chez l’analyste, elle nécessite des capacités d’interprétation et de mise en lien avec l’inconscient. Les thérapies cognitives-comportementales ont une indication plus large car leur contenu s’adapte au niveau intellectuel du patient. Toutefois, elle exige, à travers ses exercices, une implication très active de sa part, parfois difficile à obtenir.
Les thérapies familiales sont surtout indiquées dans les problématiques incestueuses ou chez les AIS adolescents. D’autres techniques sont utilisées en complément d’une prise en charge principale : la psycho-éducation qui s’adresse plutôt aux AIS adolescents ou aux AIS déficitaires ; la thérapie EMDR qui est indiquée quand il existe un antécédent traumatique identifié chez l’AIS ; les entretiens avec les proches, entretiens de couple ou entretiens familiaux en fonction du milieu de vie de l’AIS, dont les buts sont multiples : restaurer un dialogue souvent mis à mal par la transgression, avoir une idée de la réalité de sa vie affective et sexuelle, évaluer l’impact des soins et son évolution dans sa vie quotidienne, etc.


2. LA MISE EN Œuvre DE LA PSYCHOTHÉRAPIE

Les principales psychothérapies peuvent être mises en œuvre sur un modeindividuel ou groupal.

a. La psychothérapie individuelle

La psychothérapie individuelle est adaptée chez les AIS ayant des capacités d’auto-analyse et d’autocritique, culpabilisant et demandant des soins. Elle s’adresse donc aux AIS ayant un fonctionnement plutôt névrotique. La relation duelle se révèle en effet assez superficielle ou malmenée avec les AIS à personnalité narcissique, imprégnée de perversité ou psychorigide. En l’absence de possibilité de groupe, un suivi par deux thérapeutes est tout à fait légitime lorsque, par exemple, une relation d’emprise sur le soignant semble s’installer en lieu et place de la relation thérapeutique.

b. La psychothérapie groupale

La psychothérapie groupale cherche à ce que les interactions entre participants au groupe soient thérapeutiques et facilitent le travail psychique des sujets plutôt fermés à la thérapie individuelle. Le groupe offre un cadre régulier, sécurisant (pour des AIS sur la défensive) et solide (pour des personnalités difficiles). Il stimule le fonctionnement psychique de chaque AIS, en facilitant à la fois des processus d’identification (aux autres AIS qui ont une problématique semblable) et des processus de différenciation (la même problématique est en fait vécue et gérée différemment par les autres). Il faut donc, au moment de la constitution du groupe, créer une dynamique qui respecte à la fois une certaine homogénéité, en regroupant uniquement des AIS pédophiles par exemple (facilitant l’identification) et une certaine hétérogénéité, en regroupant des AIS ayant des lectures différentes de leur problématique (facilitant la différenciation). Cela contribue à la prise de conscience à la fois de l’altérité et de son propre fonctionnement. Le groupe sort aussi l’AIS de son isolement déviant et de son évitement habituel, tout en renvoyant la réalité des autres et les limites fixées par le cadre. L’émotion individuelle, rarement supportée par l’AIS en relation duelle, est ici diluée dans celle des autres membres du groupe, et l’interpellation par un pair est mieux acceptée que celle d’un thérapeute individuel. Enfin, les AIS peuvent se conseiller entre eux au sujet de solutions alternatives au passage à l’acte.
La thérapie groupale est très utile lorsque la prise en charge individuelle s’essouffle, que le sujet est ambivalent aux soins ou que sa personnalité envahit la relation duelle. Son indication est plus ou moins large selon l’expérience des thérapeutes animateurs. En fonction de leur formation théorique, elle peut être d’inspiration psychodynamique ou d’inspiration cognitivo-comportementale et utiliser des supports (films, reportages, témoignages télévisés de victimes, jeux de rôles, etc.). Elle est contre-indiquée en cas de décompensation aiguë (épisode dépressif, etc.) et de phobie sociale sévère. Ses limites tiennent parfois aux AIS (manque d’implication, histoire personnelle trop complexe ou trop traumatique) et souvent à la manière dont le groupe a été constitué (dynamique à réfléchir en amont).
Enfin, la thérapie groupale est différente des programmes de prévention de la récidive (cf. encadré p. 48) en ce sens qu’il s’agit d’une relation thérapeutique visant à soigner le sujet, à le soulager de sa problématique en travaillant sur ses affects, tandis que les PPR s’inscrivent dans une dimension criminologique, utilisant plutôt des mesures éducatives centrées sur l’infraction, sa commission, ses conséquences (notamment sur la victime) et sa prévention.


3. LE RECOURS AUX TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX

Côté médicament (cf. supra, § 2, B), les antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) sont indiqués quand il existe une dimension obsessionnelle, dépressive ou compulsive chez l’auteur d’infractions sexuelles.
Les traitements anti-hormonaux concerneraient de 0 à 20 % environ des AIS, en fonction des praticiens et du profil de leurs patients. Communément, il est admis que les traitements anti-hormonaux, aussi appelés « aides à la maîtrise pulsionnelle » (3), peuvent « créer une situation favorable à la mise en place des prises en charge psychothérapiques » (4). Les arguments pouvant conduire à proposer un traitement anti-hormonal sont divers et mériteraient de faire l’objet d’une étude nationale des pratiques. On peut retenir la sévérité de la paraphilie (antécédent de récidive malgré la sanction pénale et/ou malgré les soins), la gravité de la paraphilie (pédophilie, sadisme), l’inefficacité de prises en charge antérieures, un risque élevé de passage à l’acte malgré d’autres soins en cours, un niveau intellectuel limité compromettant une psychothérapie, etc. Dans un même ouvrage (5), Coutanceau réserve ce type de traitement aux cas où la déviance est obsédante ou aux sujets se sentant incapables de résister à leurs pulsions (prétexte souvent déculpabilisant pour l’AIS) tandis que Cordier note qu’il est parfois demandé par des sujets n’étant jamais passés à l’acte et donc pour lesquels il n’y a ni soin obligé ni pression judiciaire.
La Haute Autorité de santé propose un algorithme de la prise en charge médicamenteuse de la pédophilie, en fonction de son degré de sévérité. Six niveaux sont ainsi distingués, définissant l’objectif des soins et les indications médicamenteuses. Les molécules non spécifiques apparaissent dès le 2e niveau (IRS), les produits spécifiques aux 3e et 5e niveaux (respectivement Androcur® puis Salvacyl®. Enfin, le 6e et dernier niveau associe Androcur® et Salvacyl® chez un même AIS. La HAS a repris en fait les données établies par la World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP), ce qui peut expliquer que, paradoxalement, les IRS (pourtant hors AMM) sont préconisés avant les traitements anti-hormonaux (ayant l’AMM).
Enfin, un médicament ne peut pas être prescrit en présence d’une contre-indication. C’est pourquoi le traitement anti-hormonal n’est pas envisageable chez des AIS mineurs par exemple car ils n’ont pas terminé leur croissance osseuse.


4. LES AIDES DÉCISIONNELLES

Si la littérature est riche en descriptions et réflexions psychopathologiques, elle est nettement moins informative sur les stratégies thérapeutiques. Le Guide de l’injonction de soins ne donne pas de stratégie particulière et la Haute Autorité de santé décrit surtout la stratégie médicamenteuse dans la pédophilie. Constatant la difficulté d’évaluer l’impact thérapeutique des différentes méthodes, la conférence de consensus (2001) recommande simplement d’associer différentes approches chez un même AIS. Roland Coutanceau invite aussi à la « créativité thérapeutique » et propose les stratégies suivantes :
  • AIS incestueux : suivi individuel ou de groupe et, si possible, entretiens en couple voire entretiens familiaux ;
  • pédophiles extrafamiliaux : thérapie de groupe, et, si possible, entretiens de couple ;
  • AIS avec fixation pédophilique obsédante, ou se disant « victimes » de leurs pulsions ou déficients mentaux : traitement anti-hormonal et psychothérapie de soutien (individuelle ou groupale) ;
  • AIS sur majeurs : thérapie de groupe, et, si possible, entretiens de couple.
Par stratégie thérapeutique, on entend l’association de techniques mais aussi l’adaptation dynamique de ces techniques selon que le sujet semble tirer un bénéfice des soins, demeure dans un immobilisme peu productif ou fait évoquer une issue inquiétante. Elle tient compte aussi de nouvelles données recueillies chez l’AIS en cours de soin, qui viennent compléter son évaluation initiale (accès au dossier pénal, éléments verbalisés en groupe ou en entretiens de couple, etc.). Elle adapte les techniques utilisées aux caractéristiques du patient, en puisant dans la « boîte à outils » constituée par le trépied bio-psycho-social (cf. supra, § 2).
Enfin, on peut imaginer la meilleure stratégie, avec tous les moyens nécessaires et disponibles, mais la bonne marche et le résultat des soins dépendront toujours du consentement du sujet et de sa véritable participation ou non à ses propres soins. Car il existe des récidivistes malgré les soins, tout comme il existe des non-récidivistes n’ayant jamais été soignés.


(1)
Pham H. T. (sous la direction de), « L’évaluation diagnostique des agresseurs sexuels », Evaluation et diagnostic, coll. « Pratiques psychologiques », Editions Mardaga (Belgique), 2006.


(2)
Coutanceau R., « De l’évaluation à la prise en charge thérapeutiques », in Coutanceau R. et Smith, J., La violence sexuelle : approche psycho-criminologique – Evaluer, soigner, prévenir, préc.


(3)
Bodon-Bruzel M. « L’aide à la maîtrise pulsionnelle, un outil de plus », propos recueillis par J. Vachon, préc.


(4)
Conférence de consensus (2001).


(5)
Coutanceau R. et Smith J., La violence sexuelle : approche psycho-criminologique – Evaluer, soigner, prévenir, préc.

SECTION 3 - LES MODALITÉS DE LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE

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