Plusieurs dispositifs ont été mis en place en vue de protéger les mineurs victimes d’abus sexuels au cours de la procédure.
A. L’ENREGISTREMENT DE L’AUDITION DU MINEUR VICTIME
[Code de procédure pénale, article 706-52 ; circulaire Crim. 99-04 F1 du 20 avril 1999, BOMJ n° 74, 1er avril-30 juin 1999]
Au cours de l’enquête et de l’information, l’audition d’un mineur victime d’abus sexuels fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel, qui peut être exclusivement sonore sur décision du procureur ou du juge d’instruction, si l’intérêt du mineur le justifie. Si l’enregistrement ne peut être effectué en raison d’une impossibilité technique, il en est fait mention dans le procès-verbal d’audition qui précise la nature de cette impossibilité. Si l’audition intervient au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire, le magistrat en est immédiatement avisé.
Une copie de l’enregistrement est versée au dossier, et sur décision du juge d’instruction, l’enregistrement peut être visionné ou écouté au cours de la procédure, par les parties, les avocats ou les experts, en présence du juge d’instruction ou d’un greffier. A l’expiration d’un délai de cinq ans qui suit l’extinction de l’action publique (décès du suspect ou procès du prévenu ou de l’accusé), les enregistrements sont détruits.
Les services de police, de gendarmerie et l’autorité judiciaire ont signé différents protocoles locaux ayant pour objet la mise en œuvre de cet enregistrement, en termes de conditions d’utilisation des matériels d’enregistrements, d’aménagements spécifiques des locaux, qui doivent présenter une neutralité, voire une convivialité suffisante pour faciliter la verbalisation de l’enfant, et de formations spécifiques d’enquêteurs volontaires sur la conduite d’entretiens non suggestifs. L’organisation de la procédure pénale classique exige que la victime renouvelle à plusieurs reprises, tout au long de l’enquête, et parfois en présence de l’auteur présumé, ses déclarations initiales. Au regard du risque évident de « survictimisation » que cette situation est susceptible d’engendrer et du fait que la victime peut penser que l’on doute de sa parole, la loi a mis en place un mécanisme d’enregistrement de la première audition du mineur victime d’abus sexuels. Celui-ci a le mérite de limiter le nombre d’auditions, de faciliter l’expression de l’enfant, et d’y intégrer les éléments non verbalisés. Afin de le rendre le plus effectif possible, cet enregistrement du mineur victime est en principe obligatoire et systématique, sans sélection possible entre les affaires, sauf lors du jugement de l’affaire.
L’expérience révèle toutefois que la loi n’a pas parfaitement atteint son objectif, de nombreuses victimes étant toujours amenées à devoir déposer à plusieurs reprises devant les enquêteurs, le magistrat instructeur et enfin devant la juridiction de jugement. La commission Viout avait également relevé en 2005 l’application « contrastée » de ce dispositif, certains services présentant un taux de refus des enfants de 90 % alors que d’autres présentaient des taux d’acceptation de 80 %, traduisant à l’évidence une forme de réticence implicite à la mise en œuvre de ce dispositif (1).
Cet enregistrement se double de l’obligation traditionnelle pour les enquêteurs ou les juges d’établir un procès-verbal retraçant les propos de la victime, ce qui peut se révéler délicat à réaliser pour les enfants en bas âge, la loi n’exigeant pas toutefois une retranscription intégrale, les enquêteurs peuvent établir un compte rendu synthétique de l’enregistrement le plus fidèle possible. Cette obligation ne s’étend pas au mineur simple témoin ni aux victimes devenues majeures au moment de leur audition.
Les juges peuvent fonder une condamnation pénale sur l’examen de cet enregistrement en cours de délibéré, dès lors que la personne poursuivie a été mise en mesure de solliciter le visionnage de l’enregistrement et d’en discuter le contenu en cours de procédure (2).
UNE PROTECTION PARTICULIÈRE DES MINEURS VICTIMES DE TOURISME SEXUEL
Afin de lutter contre le fléau du tourisme sexuel, qui correspondrait à 10 % des destinations de voyage à l’étranger selon l’OMS, et qui serait la troisième forme de commerce illégal après les trafics de drogue et d’armes, et clairement proscrit par la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (3), la loi française a été adaptée en facilitant les poursuites pénales au profit des victimes mineures de viols, d’agressions sexuelles, ou d’atteintes sexuelles, de corruption de mineur, d’images pédopornographiques, de proxénétisme ou encore de recours à la prostitution.
Il s’agit de faits commis à l’étranger par une personne de nationalité française ou résidant habituellement en France à l’égard d’enfants mineurs, la législation prévoyant alors plusieurs dérogations importantes par rapport au droit commun :
- il suffit que les faits soient punissables au regard de la loi française, indépendamment de la législation où les faits ont été perpétrés ;
- il suffit d’une poursuite du procureur de la République, sans nécessité d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation officielle de l’Etat où les faits ont été commis ;
- lorsque les poursuites portent sur une image pédopornographique, dont l’origine est la plupart du temps en provenance d’un pays étranger, il suffit que l’aspect physique soit celui d’un mineur, sauf à la personne poursuivie à démontrer que la victime était âgée de plus de 18 ans au jour de la fixation ou de l’enregistrement de l’image .
Cet élargissement bienvenu du filet pénal au-delà de nos frontières et sans condition particulière ne doit pas conduire à surestimer l’efficacité des poursuites en la matière.
En effet, l’identité des victimes figurant sur les images pédopornographiques est difficile à établir de même que le lieu de commission des faits d’une part, et le tourisme sexuel exige nécessairement une très forte collaboration entre les autorités judiciaires des Etats concernés d’autre part.
[Code pénal, articles 222-22, 225-11-2, 225-12-3 et 227-27-1]
B. L’INFORMATION RÉCIPROQUE DES ACTEURS ADMINISTRATIFS ET JUDICIAIRES
[Code de procédure pénale, article 706-49 ; code de l’action sociale et des familles, articles L. 221-1 et suivants et L. 226-2-1 et suivants]
L’expérience révèle que les différents professionnels interviennent traditionnellement de manière cloisonnée, ce qui peut nuire gravement à la qualité globale de leur intervention cumulée. Afin de faciliter leur collaboration, les pouvoirs publics ont créé de multiples passerelles qui dépassent largement la question des abus sexuels.
Ainsi, le service social de l’aide sociale à l’enfance est chargé de recueillir et d’évaluer tous les éléments susceptibles de constituer une situation d’enfant en danger. Les différents professionnels mettant en œuvre la politique de protection de l’enfance ou lui apportant son concours peuvent partager les informations confidentielles, dans le cadre d’un secret professionnel partagé.
Le président du conseil général, le procureur de la République et le juge des enfants doivent réciproquement s’informer, et une coordination entre les services du département et les services chargés de l’exécution de la mesure judiciaire doit être organisée.
Parallèlement, le procureur de la République ou le juge d’instruction informe sans délai le juge des enfants de l’existence d’une procédure concernant un mineur victime d’abus sexuels et lui en communique toutes pièces utiles, dès lors qu’une procédure d’assistance éducative a été ouverte à l’égard de ce mineur. Une information générale et réciproque doit être également organisée entre le juge des enfants, le juge aux affaires familiales et le juge des tutelles, afin de mieux coordonner leurs actions respectives.
Pour rendre effective cette circulation de l’information, des protocoles doivent être établis entre l’autorité judiciaire et les partenaires institutionnels, au sein d’une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations.
En principe, les parents doivent être informés, sauf intérêt contraire du mineur dans certains cas.
C. L’EXPERTISE MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE DU MINEUR VICTIME
[Code de procédure pénale, article 706-48]
Le mineur victime d’abus sexuels peut faire l’objet d’une expertise médico-psychologique destinée à apprécier la nature et l’importance du préjudice subi et à établir si celui-ci rend nécessaires des traitements et des soins appropriés. Elle peut être ordonnée dès le stade de l’enquête par le procureur de la République.
Le même expert peut être désigné pour examiner la personne mise en cause et la victime, ce qui permet d’avoir une vision globale des interactions entre eux, notamment dans un contexte d’abus intrafamiliaux, dès lors que l’expert conserve une rigueur et une éthique lui évitant de rompre avec le principe d’impartialité auquel il est tenu (4).
A la suite de l’affaire dite d’Outreau, au cours de laquelle une partie des révélations effectuées par les enfants s’était révélée mensongère, bien que des experts aient jugé leurs propos crédibles, la commission Viout a largement débattu de la question de l’expertise dite de crédibilité, le terme « crédibilité » ne figurant pas dans la loi du 17 juin 1998 mais étant utilisé par l’administration dans la circulaire d’application du 20 avril 1999. Elle a préconisé la suppression du terme de « crédibilité » pour évaluer les déclarations de l’enfant et a proposé un modèle de mission d’expertise qui pourrait se décliner selon les six chapitres suivants (5) :
- relever les aspects de la personnalité du plaignant ; dire s’il présente des troubles ou anomalies susceptibles d’affecter son équilibre psychique. Indiquer son niveau d’intelligence ;
- analyser les circonstances et le contexte de la révélation ; rechercher les facteurs éventuels de nature à influencer les dires du plaignant ;
- décrire le retentissement éventuel et les modifications de la vie psychique depuis les faits en cause. Peuvent-ils être évocateurs d’abus sexuels ?
- faire toute remarque utile sur le récit du plaignant et sur son évolution depuis la révélation, sous l’angle psychologique ou psychopathologique ;
- indiquer le degré de connaissance et de maturation du plaignant en matière sexuelle ;
- formuler, si c’est possible, un pronostic sur le retentissement observé. Est-il opportun de conseiller un suivi thérapeutique ?
La Commission a également préconisé notamment d’imposer aux experts désignés le suivi d’une formation spécifique initiale et continue, de faciliter leur accès au dossier pénal, d’exiger le visionnage de l’enregistrement audiovisuel pour l’accomplissement des opérations d’expertise, et d’instaurer une obligation de déclaration d’appartenance à une association de victimes, dès lors que cette dernière pourrait se constituer partie civile.
L’expertise psychiatrique d’une victime d’abus sexuel est rémunérée dans les mêmes conditions que celles du mis en cause (cf. supra, chapitre III, section 1).
D. L’ASSISTANCE ET LA REPRÉSENTATION DU MINEUR VICTIME
1. L’ASSISTANCE LORS DES AUDITIONS ET DES CONFRONTATIONS
[Code de procédure pénale, article 706-53 ; circulaire Crim. 99-04 F1 du 20 avril 1999]
L’audition du mineur victime ou la confrontation avec l’auteur présumé peut s’effectuer en présence d’un membre de sa famille, de l’administrateur ad hoc (cf. infra, 2), d’un psychologue ou d’un médecin spécialistes de l’enfance ou encore d’un éducateur, afin de tenir compte de la personnalité des enfants. Il s’agit concrètement de reconnaître à l’enfant le droit de ne pas être seul pendant la procédure et de bénéficier d’un soutien moral.
La Chancellerie indique que cette présence est facultative et limitée à un seul intervenant, les magistrats compétents décidant quelle personne assistera à l’audition ou à la confrontation en cas de difficulté.
De même, le rôle de l’intervenant est entièrement passif ; il ne doit pas répondre aux questions de l’enquêteur à la place du mineur, ni interroger l’enfant à la place de l’enquêteur. Il en résulte que la conduite conjointe de l’audition par un officier de police judiciaire et un professionnel du domaine médico-psychologique est radicalement impossible, bien qu’elle puisse être utile dans certaines hypothèses.
La présence d’un psychothérapeute, non mentionné parmi les personnes précitées, n’a pas d’incidence sur la régularité de l’audition du mineur, dès lors que cette personne n’est pas intervenue pendant l’audition (6).
2. LA REPRÉSENTATION PAR UN ADMINISTRATEUR AD HOC ET/OU PAR UN AVOCAT
[Code de procédure pénale, articles 706-50 à 706-51-1]
Les autorités judiciaires (procureur de la République ou juge d’instruction), saisies notamment de faits d’infractions sexuelles à l’égard d’un mineur à tous les stades de la procédure, de l’enquête au jugement de l’affaire, doivent désigner un administrateur ad hoc lorsque la protection de ses intérêts n’est pas complètement assurée par ses parents ou par l’un d’entre eux.
Cette protection a pour objet de remédier entre autres à la situation de l’enfant victime de faits de nature incestueuse commis par un de ses parents, en général par le père, tandis que la mère demeure ambivalente et hésitante entre la préservation des intérêts de l’enfant et le soutien apporté à son conjoint.
Cet administrateur est désigné par le magistrat compétent soit parmi les proches de l’enfant, soit sur une liste établie au niveau de chaque cour d’appel. Il assure la protection des intérêts de ce mineur et exerce, s’il y a lieu, au nom de celui-ci, les droits reconnus à la partie civile, et dans ce cas un avocat doit être désigné d’office, si le mineur n’est pas déjà assisté d’un conseil.
Bien évidemment, l’intervention de l’administrateur prive les parents de leur droit d’intervenir dans le cadre de la procédure pénale au nom de leur enfant.
En tout état de cause, tout mineur victime d’abus sexuel entendu par un juge d’instruction doit être assisté d’un avocat, au besoin désigné d’office.
E. LE RETRAIT DE L’AUTORITÉ PARENTALE : UNE MESURE CIVILE DE PROTECTION
[Code de procédure pénale, articles 222-31-2 et 227-27-3 ; code civil, articles 371-1, 378 et 379-1]
Lorsque le viol incestueux, l’agression ou l’atteinte sexuelles incestueuses, est commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l’autorité parentale, en pratique le père ou la mère de l’enfant, le tribunal correctionnel ou la cour d’assises doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité. La juridiction peut alors statuer sur le retrait de cette autorité en ce qu’elle concerne les frères et sœurs mineurs de la victime.
Cette mesure, à la fois pratique et symbolique, a pour objet d’imposer à la juridiction pénale de se poser la question du maintien d’un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant, pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne.
Cette décision n’est pas irrévocable. En effet, sauf si l’enfant a été placé en vue d’adoption, les parents peuvent demander au tribunal de grande instance la restitution des droits dont ils ont été privés par cette décision, après un délai minimal de un an à partir du moment où la décision est définitive .
Les décisions de retrait de l’autorité parentale sont inscrites sur le bulletin n° 1 du casier judiciaire, délivré aux autorités judiciaires, mais pas sur le bulletin n° 2, délivré aux autorités administratives ni sur le bulletin n° 3 remis aux intéressés.
Le retrait de l’autorité parentale ne doit pas être confondu avec l’interdiction des droits civiques, civils et de famille qui peut être prononcée à l’encontre de parents jugés coupables.
(1)
Viout J.-O., rapport préc. p. 13.
(2)
Crim. 12 septembre 2007, Bull. crim., n° 207.
(3)
Michel F., « Vers un tourisme sexuel de masse ? », Le Monde diplomatique, dossier, août 2006.
(4)
Crim. 26 septembre 2006, Bull. crim. n° 226. Cet arrêt a expressément admis le cumul dès lors que l’expert ne s’exprime pas sur la culpabilité éventuelle de la personne poursuivie.
(5)
Viout J.-O., rapport préc., p. 23 et s.
(6)
Crim. 3 octobre 2001, Bull. crim., n° 199.