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Introduction

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« Derrière la clameur de la victime, se trouve une souffrance qui crie moins vengeance que récit » (Paul Ricœur). La large indifférence, voire l’ignorance de la souffrance des victimes, a été longtemps conditionnée par leur statut social, avant leur réémergence sur la scène pénale à partir de la fin des années 1970, sous la pression d’une évolution des mœurs, des mouvements féministes et de la médiatisation d’affaires emblématiques de leur combat (1).
Une véritable politique publique en faveur des victimes s’est ainsi peu à peu mise en place, traduite par trois évolutions parallèles et complémentaires :
  • l’information et la garantie des intérêts et droits de la victime, notamment d’infractions sexuelles, ont été développées de la phase d’enquête à l’exécution de la peine . Elles ont été complétées par la mise en place sur l’ensemble du territoire national d’un réseau d’associations de défense des victimes, et plus récemment par la création, par voie réglementaire, au sein de chaque tribunal de grande instance d’un juge délégué aux victimes (Judevi) (2) en vue d’informer toutes les victimes de leurs droits, qu’elles se soient ou non constituées parties civiles ;
  • le respect de la personne des victimes d’infractions sexuelles constitue un deuxième axe, ainsi qu’il ressort en particulier des précédents chapitres sur les circonstances aggravantes des crimes et délits sexuels en raison de la minorité ou de la vulnérabilité de la victime ;
  • le droit à une indemnisation effective de la victime d’infractions sexuelles a conduit à la construction progressive d’une législation parmi les plus protectrices en Europe depuis 1990, en organisant un véritable droit à indemnisation. Celui-ci est pris en charge par un Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), lui-même financé par les contrats d’assurances, sous le contrôle d’une juridiction spécifique, la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), se substituant à la carence de l’auteur des faits (3).
Cet ensemble de mesures favorables aux victimes s’est développé à un point tel que l’on peut affirmer que la prise en compte de la dimension « victimaire » constitue désormais une sorte de « dogme » de la procédure pénale, dont les excès potentiels ne doivent pas être sous-estimés. En effet, l’affaire dite d’Outreau a mis en évidence les dangers de recours à ces dispositions légales sans discernement par les différents acteurs, qu’ils soient experts ou magistrats, ainsi que l’application aléatoire des différentes mesures de protection des mineurs victimes d’abus sexuels.
Afin de fournir un panorama suffisamment complet, outre les dispositions particulières aux victimes d’infractions pénales, seront également présentées celles qui sont applicables à toutes les victimes, mais dont l’application se révèle particulièrement utile pour celles qui sont touchées par les abus sexuels. Ces dispositions expriment, au-delà du droit de la victime à devenir une véritable partie à la procédure, une protection procédurale spécifique des victimes d’abus sexuels, y compris au stade de l’exécution de la peine, ou de son indemnisation effective.
DES VICTIMES SILENCIEUSES
Selon une enquête téléphonique sur la sexualité en France (4), réalisée sur un échantillon de 12 364 Françaises et Français, 16 % des femmes et 5 % des hommes interrogés en 2006 déclaraient avoir subi des rapports sexuels forcés ou tentatives de viol au cours de leur vie (6,8 % des femmes déclaraient des rapports forcés et 9,1 %, des tentatives, et respectivement 1,5 % et 3 % des hommes). Parmi eux, 59 % des femmes et 67 % des hommes rapportaient que les premiers rapports forcés ou tentatives s’étaient produits avant 18 ans. Ainsi, 11 % des femmes de 18 à 39 ans avaient connu un rapport forcé ou une tentative avant 18 ans.
Parmi les personnes ayant subi une agression sexuelle, 46 % des femmes et 62 % des hommes disaient qu’ils n’en avaient jamais parlé autour d’eux. Avec toutefois des disparités selon les générations : ce sont en effet les générations anciennes (les femmes de 60 à 69 ans et les hommes de 50 à 59 ans) qui sont les plus silencieuses (respectivement 33 % et 30 %). Les victimes les plus jeunes osent davantage parler (71 % des femmes de la génération 18-24 ans). D’ailleurs, dans la population adulte, seule une minorité des agressions sexuelles fait l’objet d’une plainte auprès des services de justice.
Dans cette même enquête, 0,44 % des femmes déclaraient avoir subi un rapport sexuel imposé ou une tentative de rapport sexuel imposé au cours des 12 derniers mois (soit entre 50 000 et 120 000 femmes). Lorsque ces données sont comparées aux 9 993 plaintes pour viol de femmes enregistrées en 2005, on constate que les plaintes correspondent environ à 10 % de la population. On peut craindre que le nombre d’agressions sexuelles sur mineurs soit également sous-déclaré.
Il n’y a pas de données précises concernant le nombre de mineurs agressés et le pourcentage d’agressions faisant l’objet d’une plainte. Une enquête française réalisée dans les établissements scolaires du secondaire, publiée en 1994 (5), montrait que 6 % des adolescentes de 11 à 19 ans rapportaient avoir été victimes d’agressions sexuelles. Une autre enquête publiée en 1997 rapportait que 15 % des filles et 2 % des garçons de 15 à 18 ans déclaraient avoir subi des rapports sexuels sous la contrainte.
[Haute Autorité de santé, « Prise en charge des auteurs d’agression sexuelle à l’encontre de mineurs de moins de 15 ans », Recommandations, juillet 2009, p. 7]


(1)
Vigarello G., Histoire du viol, XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998.


(2)
Le décret du 13 novembre 2007 instituant le Judevi a été partiellement annulé par le Conseil d’Etat le 5 février 2010 (req. n° 312314), lequel a estimé que les fonctions d’administration judiciaire du Judevi touchaient à la procédure pénale et relevaient donc du domaine réservé à la loi. En revanche, les attributions juridictionnelle et administrative du Judevi n’ayant pas été abrogées, leur existence n’est donc pas remise en cause (lettre du ministère de la Justice et des Libertés du 1er février 2010). La refonte du statut du Judevi sera intégrée dans la réforme de la procédure pénale, elle-même reculée à l’été 2010.


(3)
Ministère de la Justice, Guide des droits des victimes, septembre 2007.


(4)
Bajos N. et al., « Les violences sexuelles en France : quand la parole se libère », Population et sociétés, 2008.


(5)
Choquet M., Ledoux S., « Adolescents, Enquête nationale. Le temps des premières expériences sexuelles », Paris, Inserm, 1994.

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