Même si les auteurs d’infractions sexuelles sont soumis pour l’essentiel aux mêmes règles de procédure d’enquête préliminaire et de flagrance que les autres délinquants, les officiers de police judiciaire se trouvent confrontés à une problématique largement spécifique à ce type de contentieux, qu’il convient d’avoir en permanence à l’esprit avant d’aborder les spécificités procédurales proprement dites.
Dans une minorité d’hypothèses, la victime ne connaît pas son agresseur, et l’enquête se déroulera alors de manière assez classique par une recherche de preuves, notamment sur les plans médical et génétique.
Mais, dans la très grande majorité des cas, dès le début de l’enquête, l’auteur des faits est connu et dénoncé par la victime, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou d’une de ses connaissances.
Par ailleurs, la victime est le plus souvent l’unique témoin direct des événements. Afin de caractériser les faits imputés au suspect, sa parole va être prise en compte de manière particulière, notamment lorsqu’elle est un enfant.
En outre, l’existence de preuves formelles permettant d’étayer les déclarations de la victime fait régulièrement défaut, notamment lorsque les faits dénoncés sont anciens, la recherche des preuves s’effectuant alors de manière inhabituelle, étant rappelé qu’un enfant victime de faits criminels ou délictueux peut dans nombre d’hypothèses déposer plainte jusqu’à l’âge de 38 ans.
En particulier, de nombreux abus sexuels ne laissent pas de trace physique, lorsque les attouchements ne peuvent être constatés par un examen gynécologique, l’abuseur optant délibérément pour des actes de sodomie ou de fellation ne laissant pas de trace médico-légale, ou lorsqu’il s’agit de viols anciens subis par une victime ayant eu par la suite des rapports sexuels consentis.
Enfin, lorsque des faits dévoilés par un enfant mettent en cause un proche, l’enquêteur va entendre tout ou partie des membres de la famille proche de cet enfant, dans un premier temps afin d’obtenir des témoignages susceptibles de conforter les déclarations du mineur, et le cas échéant d’apprécier la responsabilité de chacun face aux actes dénoncés.
Il en résulte que des faits ou des signes susceptibles de passer inaperçus peuvent prendre un sens différent lors de leur révélation, tels que des signes de mal-être, des fugues, des résultats scolaires brutalement défaillants, une tentative de suicide, des troubles du langage, des attitudes comportementales inhabituelles, ou des troubles de conduite alimentaire, susceptibles de devenir autant d’indices d’un traumatisme subi par la victime, et permettant dans certains cas de dater de manière assez précise les faits dénoncés.
La preuve peut se faire par tous moyens, au-delà des constatations médicales ou d’une expertise ADN, par la saisie d’un journal intime contenant la description des faits, et l’audition des premiers confidents de la victime mettant en évidence un processus de dévoilement se déroulant dans le temps.
Dans le cadre d’une enquête d’abus sexuels intrafamiliaux, l’audition de la mère de la victime mineure prend une dimension particulière, puisqu’elle devra assez souvent « choisir » entre la protection de son enfant ou la préservation d’un semblant d’équilibre familial, conduisant à des sentiments ambivalents à l’égard du conjoint mis en cause ou de l’enfant victime.
L’enquêteur devra également s’interroger sur l’existence éventuelle d’une responsabilité des tiers proches de la victime et de l’auteur, pour non assistance à personne en danger ou non dénonciation de crime ou délit, voire pour complicité au regard des faits dénoncés.
L’expérience révèle ainsi souvent que la mère ne pouvait pas ignorer les abus, au regard de l’absence de relations sexuelles avec son partenaire, parfois depuis de nombreuses années, et de la configuration particulière de l’habitation familiale favorisant une promiscuité facilitant le passage à l’acte.